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Date : 20150206


Dossiers : A-46-14

A-47-14

Référence : 2015 CAF 41

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 

 

Dossier : A-46-14

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

appelant

et

TERIKA DAVIS

intimée

Dossier : A-47-14

ET ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

appelant

et

LANCIA DAVIS

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 24 novembre 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 6 février 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 


Date : 20150206


Dossiers : A-46-14

A-47-14

Référence : 2015 CAF 41

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 

 

Dossier : A-46-14

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

appelant

et

TERIKA DAVIS

intimée

Dossier : A-47-14

ET ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

appelant

et

LANCIA DAVIS

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]               Lancia et Terika Davis, les intimées dans les présents appels, sont des sœurs et des citoyennes jamaïcaines. Le 22 juillet 2008, elles sont arrivées au Canada à titre de visiteuses pour un séjour de six semaines chez leur grand‑mère, Ida Brown. Au cours de leur séjour, elles ont décidé qu’elles aimeraient demeurer de façon permanente au Canada. Un agent d’immigration aurait conseillé à leur grand‑mère de les adopter afin qu’elles puissent demeurer légalement au Canada. Mme Brown a adopté les deux sœurs en avril 2009. Au moment de l’adoption, Lancia était âgée de 19,5 ans et Terika de 17,5 ans. En juin 2009, les intimées ont demandé la citoyenneté canadienne.

[2]               Le 22 mars 2013, une agente de la citoyenneté a refusé leurs demandes de citoyenneté. L’agente n’était pas convaincue qu’il existait un véritable lien affectif parent‑enfant entre les sœurs et leur grand‑mère. L’agente a souligné que le lien qui existait entre les deux filles et leurs parents naturels ne semblait pas avoir changé. L’agente n’était pas convaincue non plus que l’adoption ne visait pas principalement l’acquisition de la citoyenneté.

[3]               Chaque intimée a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale à l’encontre du refus de sa demande de citoyenneté. Pour essentiellement les mêmes motifs dans chaque demande, un juge de la Cour fédérale a accueilli chaque demande de contrôle judiciaire et renvoyé chaque demande de citoyenneté à un autre agent avec la directive que le nouvel examen soit effectué conformément aux motifs de la Cour (2013 CF 1243 et 2013 CF 1244).

[4]               Il s’agit des appels interjetés à l’encontre de ces décisions. Les présents motifs tranchent les deux appels, et une copie des présents motifs sera déposée dans chaque dossier.

[5]               En accueillant les demandes de contrôle judiciaire, le juge a affirmé que les décisions de l’agente étaient susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Je suis d’accord.

[6]               La seule question soulevée dans les présents appels est de savoir si le juge a appliqué correctement la norme de la décision raisonnable. Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que non. Je suis donc d’avis d’accueillir les présents appels.

[7]               Pour déterminer si la norme de contrôle appropriée a été appliquée correctement, la cour de révision doit « se mettre à la place » du tribunal d’instance inférieure et se concentrer effectivement sur la décision administrative en litige (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 46).

[8]               Il est désormais bien établi en droit que, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le caractère raisonnable tient à la justification de la décision et à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. Il est également bien établi que le caractère raisonnable tient aussi à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[9]               L’éventail des issues possibles acceptables varie selon le contexte dans lequel la décision administrative a été prise. En l’espèce, l’agente devait faire passer des entrevues aux intimées et à leur grand‑mère, tirer des conclusions de fait en se fondant sur ces entrevues, puis appliquer ces faits à la loi applicable. Dans un contexte comportant autant de faits, il faut faire preuve de retenue à l’égard de l’expertise de l’agente d’immigration tant dans les conclusions de fait que dans l’application de ces faits aux dispositions pertinentes de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29. Autrement dit, un tel contexte élargit l’éventail des issues possibles acceptables pouvant se justifier.

[10]           À mon avis, compte tenu du dossier dont elle disposait, l’agente pouvait raisonnablement conclure qu’il n’existait pas de véritable lien affectif parent‑enfant entre les intimées et leur grand‑mère aux époques pertinentes. Les intimées avaient des contacts réguliers avec leurs parents naturels et leur père naturel continuait à leur fournir des conseils et un certain soutien financier (par exemple, il a contribué financièrement à la procédure d’adoption). Mme Brown et Terika ont dit à l’agente que le père naturel de Terika continuait de participer aux discussions concernant son avenir.

[11]           Bien que les intimées soutiennent que l’agente a accordé trop d’importance à la fréquence de leurs contacts avec leurs parents naturels, le sous‑alinéa 5.1(3)a)(ii) du Règlement sur la citoyenneté, DORS/93-246, oblige l’agent à se demander si l’adoption a définitivement rompu tout lien de filiation préexistant.

[12]           De la même façon, à mon avis, le dossier dont disposait l’agente lui permettait de conclure que les intimées n’avaient pas démontré que les adoptions ne visaient pas principalement l’acquisition de la citoyenneté canadienne.

[13]           Lancia a dit à l’agente qu’un agent d’immigration avait fait savoir à sa grand‑mère que la seule façon pour sa sœur et elle de demeurer au Canada était l’adoption. Terika a dit à l’agente que Mme Brown avait dit qu’elle ne voulait pas voir les filles se marier dans le but demeurer légalement au Canada.

[14]           Les intimées ont également fait valoir que l’agente avait omis de tenir compte de l’intérêt supérieur de Terika. Je ne suis pas d’accord. Lus avec retenue, les motifs de l’agente laissent percer des préoccupations au sujet de la sécurité des deux intimées en Jamaïque et de l’absence de soutien parental. L’agente était donc consciente de l’existence de ces facteurs, et sa décision n’était pas déraisonnable dans le contexte de l’ensemble du dossier.

[15]           Enfin, les intimées soutiennent que l’agente a fait abstraction de certains éléments de preuve ou tenu compte d’éléments de preuve non pertinents. Encore une fois, je ne suis pas d’accord. À mon avis, ces arguments équivalents à nous demander de substituer notre appréciation de la preuve à celle de l’agente, ce qui n’est pas permis dans le cadre de l’examen du caractère raisonnable.

[16]           En résumé, compte tenu des dossiers dont elle disposait, les décisions de l’agente appartenaient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier.

[17]           Pour ces motifs, j’accueillerais les deux appels et j’annulerais les décisions de la Cour fédérale. Rendant les jugements que la Cour fédérale aurait dû rendre, je rejetterais les demandes de contrôle judiciaire. Le ministre ne demandant pas de dépens, je n’en adjugerais pas.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

D. G. Near, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-46-14

 

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. TERIKA DAVIS

 

 

ET DOSSIER :

A-47-14

 

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. LANCIA DAVIS

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 24 novembre 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

la juge DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 FÉVRIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Michael Butterfield

Leila Jawando

 

POUR L’Appelant

 

Nathan Higgins

POUR LES INTIMÉEs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’Appelant

 

West Toronto Community Legal Services

Toronto (Ontario)

POUR LES INTIMÉES

 

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