Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20150129


Dossier : A-78-14

Référence : 2015 CAF 25

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE DAWSON

LA JUGE TRUDEL

ENTRE :

 

MATTHEW RENNIE

 

appelant

 

et

 

VIH HELICOPTERS LTD.

 

intimée

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique) le 26 janvier 2015.

Jugement rendu à Vancouver (Colombie-Britannique) le 29 janvier 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE DAWSON

 


Date : 20150129


Dossier : A-78-14

Référence : 2015 CAF 25

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE DAWSON

LA JUGE TRUDEL

ENTRE :

 

MATTHEW RENNIE

 

appelant

 

et

 

VIH HELICOPTERS LTD.

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE TRUDEL

[1]               En 2008, Matthew Rennie (ou l’appelant) a déposé une plainte pour congédiement injuste contre VIH Helicopters Ltd (VIH ou l’intimée).

[2]               Un arbitre nommé en vertu du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L‑2, a rendu une décision favorable à l’appelant (décision publiée sous [2013] C.L.A.D. no 75). Plus précisément, l’arbitre a conclu que l’appelant était un employé de l’intimée et que son congédiement injuste lui donnait droit à des dommages-intérêts. Pour parvenir à cette conclusion, l’arbitre a rejeté la défense de l’intimée suivant laquelle il était interdit à l’appelant d’affirmer qu’il était un employé compte tenu de sa conduite antérieure.

[3]               La Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire présentée par VIH à l’encontre de la décision de l’arbitre (2014 CF 22, [2014] A.C.F. no 29). Le juge Zinn (le juge) a conclu que l’arbitre avait manqué à son devoir d’équité procédurale en n’admettant pas en preuve deux affidavits qui avaient été déposés dans le cadre de procédures judiciaires intentées en Colombie-Britannique. Le juge a rejeté les motifs pour lesquels l’arbitre a exclu ces affidavits, et a conclu qu’ils auraient dû être admis vu leur pertinence pour les questions essentielles, à savoir la nature de la relation professionnelle entre l’appelant et VIH, et la défense fondée sur la préclusion invoquée par cette dernière.

[4]               En fin de compte, le juge a conclu ce qui suit (motifs, au paragraphe 42; non souligné dans l’original) :

Si les éléments de preuve rejetés avaient été admis, la conclusion de l’arbitre selon laquelle Matthew Rennie avait toujours affirmé être un employé de VIH serait déraisonnable et ne tiendrait pas. En fait, la seule conclusion raisonnable qui aurait pu être tirée à la suite d’une analyse adéquate des éléments de preuve qui auraient dû être admis est que Matthew Rennie a toujours affirmé qu’il n’était pas un employé de VIH, mais qu’il travaillait à son propre compte en qualité d’entrepreneur indépendant.

Il était donc loisible à l’intimée de soulever le moyen de défense fondé sur la préclusion et l’arbitre a agi de façon déraisonnable en rejetant ce moyen. Le juge a conclu que la demande de l’appelant aurait dû être rejetée.

[5]               Nous sommes maintenant saisis de l’appel de Matthew Rennie concernant le jugement de la Cour fédérale et de l’appel incident de l’intimée visant la mesure de réparation retenue par le juge. L’intimée fait valoir dans son appel incident que le juge n’aurait pas dû renvoyer l’affaire à l’arbitre pour qu’il rende une décision conformément aux motifs de la Cour fédérale puisqu’il ne restait aucune question à trancher. Le juge aurait dû tout simplement infirmer la décision de l’arbitre avec dépens. Dans les circonstances, il n’est pas nécessaire de statuer sur cette question. Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que l’appel devrait être accueilli. L’appel incident est donc théorique et je propose de le rejeter sans frais.

[6]               Il est désormais bien établi en droit que, dans le cadre d’un appel visant une décision relative à une demande de contrôle judiciaire, notre Cour doit déterminer si le juge a choisi la norme de contrôle appropriée et s’il l’a appliquée correctement : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 45, [2013] 2 R.C.S. 559 [Agraira]; Agence du revenu du Canada c. Telfer, 2009 CAF 23, au paragraphe 18, 386 N.R. 212. Cela signifie qu’en nous mettant à la place de la Cour fédérale, nous nous concentrons effectivement sur la décision de l’arbitre : Agraira, au paragraphe 46, citant Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, au paragraphe 247, [2012] 1 R.C.S. 23.

[7]               En l’espèce, la Cour fédérale s’est rapidement désintéressée de la décision attaquée après avoir conclu que l’arbitre avait commis une erreur de droit en refusant d’admettre en preuve les deux affidavits produits par VIH à l’appui de sa thèse selon laquelle l’appelant « a toujours affirmé qu’il n’était pas un employé de VIH, mais qu’il travaillait à son propre compte en qualité d’entrepreneur indépendant » (motifs, au paragraphe 42). Pour le juge, cette erreur de droit « a [eu] un impact si important sur l’équité du processus qu’[elle] a donné lieu à une violation de justice naturelle » (ibidem, au paragraphe 20). À partir de ce moment‑là, bien entendu, le juge n’avait plus à faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de l’arbitre, et il a évalué à son tour les éléments de preuve dont disposait ce dernier et qui auraient dû être admis (ibidem, au paragraphe 40).

[8]               À mon humble avis, l’approche du juge reposait sur deux présomptions erronées.

[9]               Premièrement, contrairement à ce que le juge déclare, au paragraphe 42 de ses motifs (reproduit au paragraphe [4] ci‑dessus), l’arbitre n’a pas conclu que l’appelant avait toujours affirmé qu’il était un employé de VIH. L’arbitre déclare au paragraphe 35 de sa décision : [TRADUCTION] « dans l’affaire dont je suis saisi, [l’appelant] a toujours affirmé qu’il était un employé et il n’a jamais modifié sa position » [non souligné dans l’original]. Il appert clairement du contexte que l’arbitre fait référence au témoignage de l’appelant à l’audience (ibidem, au paragraphe 33). Ce commentaire figure dans la section concernant la préclusion, dans laquelle l’arbitre conclut que [TRADUCTION] « rien n’empêche [l’appelant], par ses paroles ou ses gestes, de dire qu’il était un employé » (ibidem, au paragraphe 37). Il n’y a aucune raison de croire que la décision de l’arbitre se fondait seulement sur les propos de l’appelant. Nulle part dans ses motifs l’arbitre n’affirme qu’il n’existe aucun élément de preuve tendant à indiquer le contraire. Au paragraphe 61 de sa décision, sous le titre [TRADUCTION] « Conclusion », il écrit plutôt ceci :

[TRADUCTION]

Compte tenu de l’ensemble de la preuve, je suis d’avis que, même s’il existe certains faits qui permettraient de conclure que le plaignant était un entrepreneur indépendant, la véritable relation d’emploi entre les parties était une relation d’employeur-employé.

[10]           Deuxièmement, le juge s’est trompé en supposant en outre que, sans les affidavits contestés, l’arbitre disposait de peu ou d’aucune « preuve [...] pertinente [...] permettant de trancher la question déterminante » (ibidem, au paragraphe 20). Cette erreur l’a amené à conclure que la seule conclusion raisonnable qui aurait pu être tirée à la suite d’une analyse adéquate de la preuve était que l’appelant n’était pas un employé de VIH, mais un entrepreneur indépendant. Au paragraphe 18 de ses motifs, le juge énumère les pièces jointes aux éléments de preuve contestés. Au paragraphe 29, il écrit :

Les deux affidavits contestés, en particulier l’affidavit contesté de Matthew Rennie, ont constitué des éléments de preuve pertinents. Qui plus est, ils constituaient une preuve qui avait une incidence directe sur les deux questions soulevées par VIH. Ils exposent le point de vue des parties au sujet de leur relation, qui constitue un facteur pertinent à examiner et à prendre [en] considération au moment d’établir la vraie nature de la relation. Plus important encore, ils révélaient directement la perception qu’avait Matthew Rennie à l’égard de sa relation avec VIH et Blue Stone avant sa plainte pour congédiement injuste. Il s’agissait donc d’un élément de preuve clairement pertinent pour répondre à la question de savoir s’il aurait dû lui être interdit d’affirmer, au désavantage de VIH, qu’il était un employé.

[11]           Puis, aux paragraphes 30 à 33 de ses motifs, le juge examine certains documents énumérés au paragraphe 18. Il se penche plus spécifiquement, au paragraphe 30, sur l’affidavit de Clifford Charles Rennie, le seul actionnaire de Blue Stone Engineering Ltd. (Blue Stone), l’entreprise pour laquelle l’appelant a travaillé comme sous-traitant de 1996 jusqu’à son congédiement par VIH. Le juge renvoie en particulier à deux lettres jointes à cet affidavit, toutes deux rédigées par VIH. La première, datée du 4 septembre 1996, est adressée à Matt Rennie en tant qu’entrepreneur indépendant, et la seconde, datée du 19 janvier 1998, est adressée à Matt Rennie et à Blue Stone. Cet affidavit débute à la page 495 du volume 2 du dossier d’appel et les lettres figurent aux pages 497 et 499, aux pièces 1A et 1B. Cependant, les mêmes lettres se trouvent aussi aux pages 91 et 93 du volume 1 du dossier d’appel et sont au nombre des documents inclus dans le cahier conjoint des documents présenté à l’arbitre.

[12]           Au paragraphe 31 de ses motifs, le juge se reporte ensuite à la pièce 3A, un document décrivant en termes généraux les compétences de l’appelant comme ingénieur d’hélicoptère et sa relation de sous-traitance avec Blue Stone. Ces renseignements ont manifestement été portés à l’attention de l’arbitre, comme on peut le voir à la section « Contexte » de ses motifs (paragraphes 5 à 11; voir aussi le volume 3 du dossier d’appel, à la page 693, d’après lequel l’appelant a déposé son curriculum vitae à l’onglet 50).

[13]           Enfin, le juge mentionne, au paragraphe 32 de ses motifs, la pièce 5 jointe à l’affidavit de Clifford Charles Rennie, laquelle comprend un document envoyé par VIH à Blue Stone, le 1er janvier 1999, ainsi qu’une entente conclue entre ces dernières et entrée en vigueur à la même date. La pièce 5 figure non seulement aux pages 510 et 511 du volume 2 du dossier d’appel, mais aussi aux pages 430, 431 et suivantes du dossier de l’arbitre (lui-même versé au dossier d’appel, volume 2, aux pages 469 et suivantes). Par ailleurs, la transcription de la procédure d’arbitrage révèle que les quelques documents susmentionnés ont été produits en preuve devant l’arbitre (dossier d’appel, volume 3, aux pages 586, lignes 13 à 25; 612, ligne 22; 613, ligne 3; 638, ligne 8; 640, ligne 17; et 725, ligne 15).

[14]           Ayant examiné en détail le dossier d’appel et les documents dont disposait l’arbitre, je conclus que les quelques documents qui manquaient à son dossier, en comparaison avec la liste de documents figurant au paragraphe 18 des motifs du juge, ne sont pas suffisamment importants pour entacher d’iniquité procédurale l’audience qui s’est déroulée devant lui. Soit l’arbitre disposait des mêmes documents, soit il avait des documents similaires, mais se rapportant à des périodes différentes (p. ex., factures échangées entre l’appelant et Blue Stone ou entre cette dernière et VIH; déclarations de revenus de l’appelant se rapportant aux périodes pertinentes; statuts constitutifs de Blue Stone). Dans un cas comme dans l’autre, il avait accès à la preuve pertinente nécessaire pour statuer sur les questions dont il était saisi.

[15]           Comme l’arbitre s’est acquitté de son obligation d’équité, sa décision appelle une certaine retenue et doit être examinée selon la norme du caractère raisonnable puisque les questions dont il était saisi étaient des questions purement factuelles ou des questions mixtes de fait et de droit : Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, au paragraphe 26, [2011] 1 R.C.S. 160.

[16]           Dans l’examen du caractère raisonnable, nous devons nous demander si la décision et son issue possèdent les attributs de la raisonnabilité. Comme l’indique l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 R.C.S. 190 :

Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[17]           À mon avis, la décision de l’arbitre remplit ces exigences et l’arbitre pouvait conclure, compte tenu du dossier, que l’appelant était un employé de VIH au moment de son congédiement, et qu’il ne lui était pas interdit de présenter une plainte pour congédiement injuste.

[18]           Par conséquent, j’accueillerais l’appel avec dépens tant devant la Cour qu’en première instance et je rejetterais l’appel incident sans frais.

« Johanne Trudel »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Marc Noël, j.c. »

« Je suis d’accord.

Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


dossier :

A-78-14

INTITULÉ :

MATTHEW RENNIE c. VIH HELICOPTERS LTD.

LIEU DE L’AUDIENCE :

vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 JANVIER 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :

LE 29 JANVIER 2015

COMPARUTIONS :

Richard Johnson

POUR L’appelant

Nicholas Lott

POUR L’INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kent Employment Law

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR L’appelant

McKimm & Lott

Sidney (Colombie-Britannique)

POUR L’INTIMÉE

 

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