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Date : 20150202


Dossier : A-109-14

Référence : 2015 CAF 30

CORAM :

LE JUGE NADON

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE SCOTT

 

ENTRE :

YACINE AGNAOU

appelant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Montréal (Québec), les 9 et 22 octobre 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 février 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE SCOTT

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LA JUGE GAUTHIER

 


Date : 20150202


Dossier : A-109-14

Référence : 2015 CAF 30

CORAM :

LE JUGE NADON

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE SCOTT

 

ENTRE :

YACINE AGNAOU

appelant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SCOTT

[1]               Me Yacine Agnaou (l’appelant) s’inscrit en appel à l’encontre du jugement rendu par le Juge Annis (le juge) le 27 janvier 2014 qui rejetait sa demande de révision judiciaire visant à annuler la décision prise le 6 septembre 2012 par le sous-commissaire Joe Friday du Commissariat à l’intégrité du secteur public du Canada (CISPC) de ne pas enquêter sur la divulgation faite par l’appelant au terme de l’article 8 de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, L.C. 2005, ch.46, (la Loi).

[2]               Pour les raisons qui suivent je suis d’avis que ce pourvoi doit être rejeté car le juge n’a pas commis d’erreurs qui justifieraient l’intervention de cette Cour.

I.                   Les faits

[3]               La trame factuelle dans ce dossier se déroule sur plusieurs années. Même si certains des faits ne sont pas directement pertinents pour disposer de cet appel, il n’en demeure pas moins qu’ils nous aident à comprendre le contexte et les questions que l’appelant nous a présentées.

[4]               L’appelant travaillait à titre de procureur de la Couronne fédérale au Bureau régional du Québec (BRQ) du Service des poursuites pénales du Canada (SPPC), et ce, depuis 2003.

[5]               Le dossier d’une multinationale (le dossier A) sur lequel l’appelant avait travaillé auparavant et déjà formulé des recommandations de poursuites, lui fut assigné le 24 janvier 2006. L’appelant étudie le dossier à nouveau et conclut que des poursuites doivent être intentées. Lors d’une réunion tenue le 4 novembre 2008 pour faire le point sur le dossier A, à laquelle participe l’avocat général du BRQ et une procureure fédérale en chef adjointe, cette dernière insiste sur le fait qu’il serait prématuré d’intenter des poursuites pénales dans ce dossier, puisque la Division générale des appels de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) est déjà saisie d’un avis d’opposition aux nouvelles cotisations émises à l’encontre de A.

[6]               Le 1er décembre 2008, l’appelant fait part à un des gestionnaires du BRQ de sa perte de confiance envers la direction des procureurs en chef adjoints, suite aux décisions que ces derniers avaient prises depuis la mi-septembre.

[7]               Le 24 décembre 2008, n’ayant plus confiance en sa superviseure, une des procureures en chef adjointe, l’appelant fait une demande de changement de superviseur qui lui fut accordée dès le 22 janvier 2009.

[8]               Le 27 janvier 2009, la nouvelle superviseure de l’appelant, une procureure en chef adjointe, lui demande de bien peser s’il en va de l’intérêt public d’intenter des poursuites pénales dans le dossier A, sachant que l’appelant devait finaliser son rapport de poursuites dans les prochaines semaines. L’appelant en déduit que la gestion du BRQ s’était donné comme mission d’empêcher le dépôt de poursuites pénales dans ce dossier.

[9]               Le 10 février 2009, l’appelant informe l’avocat général du BRQ de sa recommandation finale d’intenter des poursuites pénales dans le dossier A. S’ensuivent plusieurs rencontres qui se tiendront les 10, 12 et 24 février 2009 impliquant l’ancienne superviseure de l’appelant, en sa qualité de responsable du portefeuille de l’ARC, sa nouvelle superviseure, ainsi que l’avocat général. Au cours de ces rencontres, on y souligne entre autres les dissensions de l’ARC sur la pertinence de déposer des poursuites pénales dans le dossier A, telles que préconisées par l’appelant.

[10]           Le 4 mars 2009, l’appelant est avisé de la décision de ses gestionnaires de ne pas intenter de poursuites pénales dans le dossier A. Derechef, il informe ses supérieurs que si cette position est définitive il entend en appeler aux instances supérieures du SPPC.

[11]           Le 24 mars 2009, l’appelant apprend que le comité des avocats généraux s’est réuni le 9 mars sans qu’il ne soit convoqué pour défendre son point de vue. Après discussion, le comité en est venu à la recommandation de ne pas autoriser de poursuites pénales dans le dossier A.

[12]           Le 1er avril 2009, le Procureur chef rencontre l’appelant. Ce dernier réitère sa position et présente une dernière fois ses arguments écrits à l’encontre de l’avis du comité de ne pas intenter des poursuites pénales dans le dossier A. La décision du Procureur chef du BRQ demeure et l’ARC en est informée.

[13]           L’appelant soutient que le Procureur chef n’avait pas étudié, en date du 1er avril, tous ses arguments écrits puisque ce n’est que le 4 avril que le Procureur chef aurait pu prendre connaissance des annexes à son mémoire portant sur les raisons pour lesquelles des poursuites pénales devaient être intentées dans le dossier A.

[14]           L’appelant est dessaisi du dossier A et convoqué par ses supérieurs qui s’inquiètent de son état de santé. Ceux-ci requièrent qu’il se soumette à des tests médicaux afin d’évaluer son aptitude à travailler.

[15]           Le 9 juin 2009 l’appelant communique avec le CISPC afin de s’enquérir de la procédure à suivre et des critères qui doivent être satisfaits au stade de l’étude de la recevabilité d’une plainte déposée aux termes de la Loi.

[16]           Plus de deux ans plus tard, soit le 13 octobre 2011, l’appelant dépose sa plainte auprès du CISPC aux termes des alinéas 8a) et 8c) de la Loi. Il soutient que ses supérieurs l’ont empêché de déposer des accusations pénales dans le dossier A portant ainsi atteinte à l’intégrité du système de poursuite objectif tel que décrit dans les politiques du SPPC. Il fait valoir également que ses supérieurs ont instrumentalisé la réglementation du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (Code canadien du travail), visant à prévenir la violence dans le milieu de travail pour écarter sa résistance.

[17]           Le 6 septembre 2012 l’appelant reçoit la décision du sous-commissaire de ne pas enquêter. Il communique alors à maintes reprises soit par téléphone ou courriel avec les employé(e)s du CISPC.

[18]           Ce n’est toutefois qu’en janvier 2013, que l’appelant dépose une plainte écrite auprès du CISPC au sujet des mesures de représailles que de nombreux gestionnaires auraient prises contre lui en reclassant un poste pour lequel il revendiquait un droit de priorité.

II.                La décision du 6 septembre 2012 du sous-commissaire Friday

[19]           Le sous-commissaire Friday a pris la décision dans ce dossier puisque le commissaire Dion s’était récusé au motif qu’il connaissait certaines personnes mentionnées dans les allégations de l’appelant.

[20]           Le sous-commissaire rejette tout d’abord la plainte fondée sur l’alinéa 8a) de la Loi au motif que la violation des articles 231.2, 231.6 et 238 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch.1, (5e suppl.) (Loi de l’impôt sur le revenu), concerne l’obligation d’un contribuable de fournir des renseignements ou produire des documents ou documents étrangers et non celle de la gestion du BRQ. Il conclut : « Conséquemment, nous ne pouvons considérer l’alinéa 8a) de la Loi comme étant un acte répréhensible potentiellement commis par la gestion du BRQ dans le cadre d’une enquête initiée par le Commissariat ».

[21]           Il fonde son refus de procéder à une enquête sur la portion de la plainte fondée sur l’alinéa 8c) et sur les alinéas 24(1)e) et f) de la Loi puisque les faits visés par la divulgation de l’appelant résultent de la mise en application d’un processus décisionnel équilibré et informé qui ne suggère pas qu’un acte répréhensible ait pu être commis, ni d’un cas grave de mauvaise gestion par le Directeur du SPPC, ou par la sous-procureure générale adjointe, portefeuille des services du droit fiscal du ministère de la Justice, ou par les procureurs qui relevaient directement du Directeur du SPPC soit Me Dolhai et Me Proulx.

[22]           Le sous-commissaire rejette également l’allégation de l’appelant voulant que les actions et décisions prises par le BRQ représentent un cas grave de mauvaise gestion car elles contreviendraient au principe de l’égalité de tous devant la loi. Se fondant sur le Guide du Service fédéral des poursuites, le sous-commissaire rappelle que les procureurs de la Couronne jouissent d’un degré élevé d’indépendance mais qu’ils ne jouissent pas d’un pouvoir absolu. À ce chapitre, il considère que le Procureur chef du BRQ était habilité à prendre la décision de ne pas intenter de poursuites pénales dans le dossier A puisqu’il avait en main toute l’information nécessaire le 4 avril 2009, et ce, nonobstant l’avis contraire de l’appelant.

[23]           Le sous-commissaire conclut également que les informations fournies par l’appelant ne permettent pas de conclure que les pratiques du BRQ, par rapport à la décision de le dessaisir de la décision finale d’intenter des poursuites pénales dans le dossier A, constituent un cas de mauvaise gestion au sens de la Loi. Selon le sous-commissaire, il en va de même pour l’intérêt que les supérieures immédiates de l’appelant ont porté au dossier A.

III.             Le jugement en révision judiciaire du 27 janvier 2014

[24]           Le juge rend son jugement le 27 janvier 2014. Il rejette la demande de révision judiciaire de l’appelant puisqu’il considère que le sous-commissaire n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a décidé de ne pas ouvrir d’enquête au motif que les faits visés par la divulgation résultent de la mise en application d’un processus décisionnel équilibré et informé.

[25]           L’appelant prétendait que la décision du sous-commissaire devait être revue à certains égards selon la norme de la décision correcte, compte tenu des erreurs commises dans l’interprétation de la Loi. À la décision du sous-commissaire de ne pas amorcer d’enquête aux termes de l’alinéa 24a) de la Loi, le juge a retenu la norme de la décision raisonnable en se fondant sur la décision de la Cour fédérale dans Detorakis c Canada (Procureur général), 2010 CF 39, [2010] F.C.J. No. 19 [Detorakis]. Aux questions portant sur le manquement aux règles d’équité procédurale et de justice naturelle, le juge a appliqué la norme de la décision correcte.

[26]           Le juge a rejeté les arguments de l’appelant voulant que l’équité procédurale ait été violée parce que le sous-commissaire ne lui a pas permis de commenter les conclusions de l’analyse sur la recevabilité de sa divulgation avant d’avaliser la recommandation de ne pas tenir d’enquête. L’appelant s’appuyait sur la décision El-Helou c Service administratif des tribunaux judiciaires 2012 CF 1111, [2012] A.C.F. no 1237 [El-Helou] pour soutenir qu’en l’instance, tout comme dans la trame factuelle d’El-Helou, on lui avait représenté qu’il pourrait commenter le rapport avant que la décision finale d’initier une enquête ou pas ne soit prise.

[27]           Par ailleurs, l’appelant soutenait également que la Loi, possédant un caractère quasi-constitutionnel, les garanties d’équité procédurale s’en retrouvaient relevées. L’intimée a fait valoir que la teneur de l’obligation procédurale était minimale en l’espèce et que l’appelant ne pouvait exiger ni la tenue d’une audience, ni la convocation d’une rencontre de confrontation, ni la tenue d’une pré-enquête.

[28]           Le juge tout en reconnaissant que la jurisprudence portant sur les droits de la personne pouvait lui servir de guide n’a cependant pas reconnu que la décision El-Helou s’appliquait pour autant au cas en espèce. Le juge a rejeté cette prétention au motif qu’aucune promesse selon laquelle il pourrait commenter le rapport de l’analyste n’avait été faite à l’appelant.

[29]            Le juge n’a pas considéré les arguments de l’appelant voulant que le sous-commissaire aurait omis de prendre personnellement connaissance de l’ensemble des faits présentés, qu’il ne maîtrisait pas suffisamment le français pour comprendre le dossier et qu’il avait omis de prendre en compte l’ensemble de la trame factuelle présentée par l’appelant, comme étant suffisamment sérieux pour qu’il s’y attarde.(voir paragraphe 27 des motifs du juge)

[30]           Enfin, en se fondant sur Detorakis qui énonce le principe voulant que le pouvoir du commissaire aux termes de l’alinéa 24a) de la Loi soit d’une portée très large qui mérite déférence, le juge a appliqué la norme de la décision raisonnable pour conclure qu’en l’instance il s’agissait fondamentalement d’une différence d’opinion entre le demandeur et ses supérieurs et non de la commission d’actes répréhensibles. Ce faisant, il réfutait la position de l’appelant selon laquelle le sous-commissaire n’avait pas suffisamment motivé sa décision vu l’ensemble des faits présentés puisqu’il avait omis des pans entiers de la trame factuelle, particulièrement l’instrumentalisation par les dirigeants du SPPC de la réglementation du Code canadien du travail visant à prévenir la violence dans le milieu de travail. Au paragraphe 34 de ses motifs, le juge en se référant à Détorakis a également reconnu que le commissaire ne devrait refuser de tenir une enquête « à cette étape préalable que dans les cas les plus évidents ».

[31]           Le juge a donc conclu que la demande de révision judiciaire de l’appelant devait être rejetée.

IV.             Analyse

A.                La norme de contrôle applicable

[32]           En appel d’un jugement rendu sur une demande de révision judiciaire le rôle de cette Cour consiste dans un premier temps à déterminer si le juge a identifié la bonne norme de révision judiciaire, puis si il l’a appliquée correctement (voir Telfer c. Canada (Agence du Revenu), 2009 CAF 23, [2009] A.C.F. no 71 permission d’en appeler à la Cour suprême refusée, 33095 (11 juin, 2009) aux paragraphes 18 et 19). Si le juge n’a pas identifié correctement la norme applicable, la Cour doit alors se pencher sur la décision attaquée et y appliquer la bonne norme de contrôle (voir Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19; [2003] 1 R.C.S. 226 au paragraphe 43).

[33]           Cet appel soulève quatre questions :

[1]   Le juge a-t-il commis une erreur en appliquant la norme de la décision raisonnable à la décision du sous-commissaire de rejeter la divulgation de l’appelant aux termes de l’alinéa 24(1)e)et f) de la Loi?

[2]   Le juge a-t-il commis une erreur dans sa détermination des garanties d’équité procédurales dues à l’appelant dans le traitement de sa divulgation?

[3]   Le juge a-t-il commis une erreur dans son appréciation de la trame factuelle et des questions en litige présentées par l’appelant?

[4]   Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que la décision du sous-commissaire était raisonnable?

B.                 Le juge-t-il commis une erreur en appliquant la norme de la décision raisonnable à la décision du sous-commissaire de rejeter la divulgation de l’appelant aux termes de l’alinéa 24(1)e) et f) de la Loi?

[34]           L’appelant soutient que la norme de la décision correcte s’applique en l’instance puisque cet appel soulève des questions de droit qui sont d’intérêt général pour la communauté juridique et qu’il porte sur des questions d’intérêt public ou qui revêtent un caractère quasi-constitutionnel. Par ailleurs l’appelant souligne que la Loi ne contient pas de clause privative et que le Commissariat ne jouit pas d’une expertise particulière alors qu’il est appelé à interpréter sa loi constitutive. Il s’appuie de plus sur un rapport antérieur de la vérificatrice générale du Canada pour soutenir que la norme de la décision correcte doit s’appliquer afin que le public ait confiance dans les décisions du CISPC.

[35]           L’intimé fait valoir en réponse que le juge a choisi la norme de la décision raisonnable conformément à l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 [Dunsmuir] qui énonce le principe voulant qu’il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse exhaustive pour déterminer la norme de contrôle appropriée si la jurisprudence a déjà établi une telle norme. En l’occurrence, le juge a appliqué la norme de la décision raisonnable en se fiant sur Detorakis. À mon notre avis, le juge n’a pas commis d’erreur en s’appuyant sur la décision Detorakis pour retenir la norme de la décision raisonnable pour réviser la décision du sous-commissaire et ses conclusions de fait. Cette décision du juge est tout à fait conforme aux enseignements de la Cour suprême aux paragraphes 57 et 62 de Dunsmuir, comme le souligne l’intimé.

[36]           Le juge a appliqué la norme de la décision correcte aux questions de justice naturelle et d’équité procédurale et l’intimé ne conteste pas ce choix. Je suis satisfait que le juge n’a commis aucune erreur en choisissant cette norme comme étant appropriée en l’espèce.

C.                 Le juge a-t-il commis une erreur dans sa détermination des garanties d’équité procédurales dues à l’appelant dans le traitement de sa divulgation?

(1)        L’équité procédurale

[37]           Dans un premier temps, l’appelant soutient que le juge a erré alors qu’il concluait à l’absence de violation de l’équité procédurale. Il considère que l’obligation d’équité procédurale ne peut être minimaliste aux termes de la Loi vu le caractère d’intérêt public de cette dernière et vu les instructions contenues au manuel du Commissariat.

[38]           Il allègue que l’équité procédurale exige du CISPC une obligation de même nature que celle imposée à la Commission canadienne des droits de la personne à l’étape de l’étude de la recevabilité d’une plainte. Il s’appuie entre autres sur la décision El-Helou dans laquelle la Juge MacTavish de la Cour fédérale a reconnu que la jurisprudence qui s’est développée dans le contexte des litiges portés devant la Commission canadienne des droits de la personne pouvait être fort utile lorsqu’il s’agit de déterminer si une partie a été traitée de façon équitable.

[39]           L’appelant fait valoir par ailleurs que contrairement à l’affirmation du juge, le fait que le sous-commissaire l’ait invité à présenter toutes les informations supplémentaires qui pourraient avoir une incidence sur l’analyse qui a été faite, ne saurait pallier aux manquements à l’équité procédurale qui ont entaché la décision du 6 septembre 2012 de ne pas donner suite à la divulgation.

[40]           Aux dires de l’appelant, cette façon de faire place le divulgateur dans un nouveau processus décisionnel soit celui de la reconsidération d’une décision administrative, c’est-à-dire s’il entend faire réviser la décision qui découlerait des informations supplémentaires qu’il aurait présentées à cette occasion.

[41]           L’appelant a également fait valoir devant nous que les employés du Commissariat s’étaient engagés à lui permettre de commenter leur analyse de la plainte avant que la décision finale ne soit prise. Il plaide donc l’existence d’une expectative légitime. Il s’appuie principalement sur son courriel du 10 septembre 2012, dans lequel il relate une conversation téléphonique de la fin d’avril 2012 qu’il a eue avec l’analyste du CISPC assignée à sa plainte, Mme Harrison (voir cahier d’appel volume 1, pièce R-12, affidavit Yacine Agnaou).

[42]           L’appelant prétend que tout comme dans El-Helou on aurait dû lui permettre de commenter l’analyse avant que la décision ne soit prise par le sous-commissaire vu l’engagement de l’analyste du Commissariat.

[43]           L’intimé fait valoir que la teneur de l’obligation procédurale était minimale en l’espèce et que l’appelant ne pouvait exiger ni la tenue d’une audience, ni la convocation d’une rencontre de confrontation, ni la tenue d’une pré-enquête. En se fondant sur Detorakis, il affirme que l’obligation d’équité procédurale aux termes des alinéas 24(1)e) et f) de la Loi n’exige nullement la tenue d’une audience, et ce, pour plusieurs raisons. D’abord il souscrit à la position du juge selon laquelle El-Helou se distingue de la trame factuelle en l’instance, puisque le commissaire dans ce dossier avait décidé de procéder à l’étape de l’enquête au cours de laquelle des tiers avaient fourni des renseignements. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[44]           L’intimé souligne par ailleurs que le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 22(b) de la Loi n’exige aucunement du commissaire qu’il convoque une rencontre de confrontation ou qu’il procède à une pré-enquête tel que précisé dans Detorakis. Selon l’intimé, le commissaire n’a aucune obligation d’entendre le divulgateur aux termes de la Loi. Il peut au besoin demander de plus amples renseignements ou des éclaircissements mais cela ne l’engage nullement à partager son analyse avec le divulgateur avant de prendre sa décision.

[45]           La Cour suprême du Canada dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] S.C.J. no 39 [Baker], énonce aux paragraphes 21 et 22 le principe voulant que l’obligation d’équité procédurale soit flexible et variable et dépende du contexte de la législation et de la nature des droits qui sont en jeu. Le juge de la Cour fédérale dans Detorakis a analysé les facteurs de Baker pour conclure, au paragraphe 106, que « la Loi ne confère pas à la personne qui fait une divulgation en vertu de l’article 13 le droit d’être entendue ou de formuler d’autres observations une fois la plainte déposée ». Je ne vois en la présente instance aucun fait qui nous appelle à remettre en cause cette conclusion.

[46]           Il est important de rappeler certains faits vu l’argument de l’appelant selon lequel on lui avait fait la promesse qu’il pourrait commenter le rapport de l’analyste :

  1. Le 13 octobre 2011, l’appelant dépose en personne auprès de madame Vienneau du CISPC une plainte très détaillée dont: son formulaire de divulgation d’actes répréhensibles dûment complété qui contient 8 pages (pièce R-6, cahier d’appel volume 1, page 106), l’affidavit de Yacine Agnaou idem, page 106), le mémoire de ses allégations qui contient 36 pages (pièce R-7 idem page 114) et 86 annexes au mémoire sous format électronique (pièce R-8 idem page 150).
  2. Lors du dépôt de sa plainte, madame Vienneau lui a confirmé qu’il aurait l’opportunité de préciser les faits avant qu’une décision ne soit prise par le commissaire, et lui a présenté les étapes à venir (paragraphes 22 et 23 de l’affidavit de l’appelant, cahier d’appel, volume 1, page 53) soit :

a.       une évaluation initiale devrait être tenue pour s’assurer de la recevabilité de la divulgation;

b.      le cas échéant, un examen approfondi de la documentation au soutien de la divulgation devait être réalisé par un analyste;

c.       le rapport de l’analyste avec sa recommandation devait être soumis à un conseiller juridique;

d.      une fois considérés, les avis du conseiller juridique, le rapport de l’analyste avec sa recommandation, modifiée ou non, devaient être soumis à la direction des opérations qui devait concourir ou non à la recommandation de l’analyste;

e.       l’ensemble du dossier de divulgation incluant le rapport de l’analyste avec sa recommandation et celle de la direction des opérations devaient être soumis au Commissaire pour qu’il prenne une décision finale.

  1. Par ailleurs, dans son affidavit au paragraphe 25 (cahier d’appel, volume 1, page 54), l’appelant précise : « Avant que Mme Harrison n’entame son examen, nous avons eu ensemble une conversation téléphonique où j’ai eu l’occasion de m’assurer de nouveau que j’aurais la possibilité de fournir des précisions si une décision de ne pas initier une enquête devait être prise ».

[47]           L’appelant a également déposé les pièces R-15 et R-17 obtenues au terme de la règle 317 des Règles des Cours fédérales, (DORS/98-106). Ce premier document interne du CISPC dresse par ordre chronologique chacune des interventions du Commissariat dans le dossier de plainte ainsi que chaque appel reçu de l’appelant. Le second document R-17 émane de Mme Harrison, analyste assignée au dossier. Ce document se veut un résumé des préoccupations et allégations de l’appelant telles que confirmées et précisées lors d’une conversation téléphonique d’une durée d’une heure trente qui aurait eu lieu le 8 mai 2012.

[48]           En révisant le dossier je constate que madame Harrison, ainsi que madame Vienneau ont rempli les engagements qu’elles avaient pris envers l’appelant.

[49]           Madame Vienneau lui avait promis qu’il pourrait préciser les faits avant qu’une décision ne soit prise dans son dossier (paragraphe 22 de l’affidavit de l’appelant, cahier d’appel, volume 1, page 53). À mon avis, l’appelant a eu l’opportunité de ce faire lorsqu’il s’est entretenu avec l’analyste pendant une heure trente le 8 mai 2012 (pièces R-15 et R-17, cahier d’appel, volume 2, pages 243 et 250). À cette occasion, le dossier révèle que l’appelant a pu confirmer sa compréhension des faits essentiels et même ajouter certaines précisions (pièce R-17, cahier d’appel, volume 2, page 251).

[50]           Quant au second engagement, l’appelant soutient que l’analyste madame Harrison s’était engagée à ce qu’il puisse apporter des précisions si une décision de ne pas enquêter était prise. Le dossier révèle que cette conversation avec l’analyste, madame Harrison, aurait eu cours en mai et non en avril comme le prétend l’appelant (pièce R-15, cahier d’appel, volume 2, page 243). À mon avis nous sommes en présence d’un quiproquo. L’engagement de madame Harrison se limitait à ce que l’appelant ait l’opportunité de fournir de nouvelles précisions une fois que la décision de ne pas enquêter fut prise, donc après la prise de décision. L’appelant aura compris qu’il y avait un engagement mais avant que la décision ne soit prise.

[51]            Il est à noter que l’appelant s’est vu offrir cette opportunité puisque dans la lettre de décision du 6 septembre, on lui a précisé qu’il pouvait faire une demande de reconsidération.

[52]           Le Guide du Commissariat prévoit la possibilité de déposer une demande de reconsidération. Le commissaire en a défini les paramètres qui me semblent raisonnables. L’appelant a exploré cette avenue après réception de la lettre de décision, mais a opté de ne pas y donner suite. Il faut également noter que le Guide du Commissariat n’entrevoit pas la possibilité de commenter le rapport de l’analyste recommandant de ne pas enquêter avant qu’une décision ne soit prise.

[53]           Rappelons que pour faire naître une expectative légitime la promesse doit être claire, non ambiguë et absolue. À la lumière de ces éléments de preuve le juge pouvait donc conclure qu’aucune promesse n’avait été faite à l’appelant de pouvoir commenter le rapport de l’analyste avant qu’une décision ne soit prise, et que de toute manière le sous-commissaire l’a invité à fournir des commentaires supplémentaires après l’avoir informé de la décision ce qui l’a amené à rejeter les prétentions de l’appelant. En somme, l’appelant s’est mépris sur la teneur des propos de son analyste madame Harrison.

[54]           Enfin je ne peux souscrire à la prétention de l’appelant voulant que le juge se soit mépris sur la portée de l’obligation du Commissariat en matière d’équité procédurale. Comme le juge l’a relaté dans ce dossier, le CISPC n’a pas reçu d’informations de tiers. Même si la jurisprudence de la Commission des droits de la personne peut parfois nous guider en matière d’équité procédurale au stade de la recevabilité d’une plainte d’un divulgateur, il faut toutefois y apporter les nuances qui s’imposent. À mon avis, c’est donc à bon escient que le juge a tenu compte de l’absence d’informations de tiers pour conclure que l’appelant n’avait pas le droit de recevoir une copie de l’analyse avant que la décision ne fut prise.

D.                Le juge a-t-il commis une erreur dans son appréciation de la trame factuelle et des questions en litige présentées par l’appelant?

[55]           L’appelant soutient que le juge de première instance a commis trois erreurs fondamentales d’appréciation des faits puisqu’il a omis de considérer dans son jugement :

         L’anormalité du processus suivi par les dirigeants du SPPS;

         L’instrumentalisation par les dirigeants du SPPC de la réglementation du Code canadien du travail visant à prévenir la violence en milieu de travail; et

         La manipulation du processus de plainte prévu dans la politique du Conseil du Trésor en matière de prévention du harcèlement en milieu de travail.

[56]           L’appelant s’appuie particulièrement sur le paragraphe 35 de la décision du juge pour maintenir que ce dernier s’est trompé lorsqu’il conclut qu’il s’agit d’une différence d’opinions honnêtes entre un employé et son supérieur, ce qu’il aurait admis. À ses yeux le juge aurait ignoré plusieurs faits qui permettent de conclure que la décision de ne pas intenter de poursuites pénales dans le dossier A constitue un acte répréhensible puisque le modus operandi au SPPC ne respectait pas les articles 231.2, 231.6 et 238 de la Loi de l’impôt sur le revenu, ni le Guide de Service fédéral des poursuites aux chapitres 4, 8, 11, et 15. L‘appelant rappelle également le principe constitutionnel qui veut que les procureurs de la Couronne soient libres d’exercer leur pouvoir discrétionnaire en matière de poursuite en toute objectivité et indépendance, et le principe qui veut qu’il soit interdit à la Couronne d’exempter une personne de l’application d’une loi.

[57]           L’intimé s’appuie sur l’analyse du juge contenue aux paragraphes 36 et suivant du jugement pour contrer cette position de l’appelant. En réponse au fait que le juge aurait ignoré l’instrumentalisation par les dirigeants du SPPC de la réglementation du Code canadien du travail visant à prévenir la violence en milieu de travail, les procureures de l’intimé nous ont souligné à l’audience que l’appelant avait bien précisé au paragraphe 10 de son mémoire de plainte : « Aucune des allégations dans la présente divulgation ne vise à démontrer un acte fautif de quiconque à l’égard de ma personne. Cet aspect de la trame factuelle a déjà été traité dans d’autres forums ». Compte tenu de cette admission, l’intimé soutient que l’appelant ne peut reprocher au juge de ne pas avoir commenté cet aspect de la trame factuelle.

[58]           Ayant revu attentivement le dossier d’appel, la décision du sous-commissaire et le jugement, je ne peux souscrire à la prétention de l’appelant pour les motifs suivants.

[59]           L’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708 au paragraphe 16, énonce le principe selon lequel « [l]e décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale ».

[60]           En relisant la décision du juge, je considère qu’il a traité des éléments essentiels et qu’il n’avait pas à reprendre chacun des éléments de la trame factuelle et les commenter pour en arriver à sa conclusion principale qu’il s’agissait en l’instance d’une divergence d’opinion. Le juge précise au paragraphe 36 que le demandeur allègue de grosses fautes de la part de ses supérieurs, mais il ajoute « même si j’accepte ces grosses fautes comme avérées ». On ne peut donc prétendre que le juge a complètement ignoré la trame factuelle puisqu’il présume que les fautes reprochées par l’appelant sont avérées. Malgré que le juge se soit mépris sur le fait que l’appelant aurait reconnu qu’il s’agissait d’une différence d’opinion entre un employé et ses supérieurs, les éléments de preuve au dossier lui permettaient néanmoins d’en arriver à cette conclusion.

[61]           L’appelant reproche également au juge d’avoir ignoré des questions de droit qu’il lui a présentées en audience. Plus particulièrement le juge n’aurait pas traité de la légalité de la délégation au sous-commissaire qui ne possédait pas les habiletés linguistiques nécessaires et qui aurait sous-délégué dans les faits, la décision finale à l’analyste et à l’avocat. L’appelant allègue que le juge n’a pas traité d’une autre violation de l’équité procédurale puisque le CISPC n’a pas rendu de décision dans son dossier avant onze mois.

[62]           À la lecture du dossier je suis d’avis que le juge n’a pas commis d’erreur en l’absence d’éléments de preuve probants sur les aptitudes linguistiques du sous-commissaire. Le juge n’avait pas à mon avis à se pencher sur de vagues allégations qui n’ont aucun fondement.

[63]           Il en est de même du délai intervenu entre le dépôt de la plainte et la prise de décision d’autant plus que la pièce R-8 au soutien de l’affidavit de l’appelant démontre clairement que ce dernier a été tenu bien informé des délais encourus tout au long du processus.

[64]           Enfin, comme le souligne l’intimée, la Cour fédérale dans Personnes désirant adopter les pseudonymes de M. Untel et de Mme Unetelle c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [1998] 2 C.F. 252, 138 F.T.R. 176 au paragraphe 18, énonce le principe :

Il ressort donc clairement de la jurisprudence qu'un décideur, comme le commissaire, peut employer quelqu'un pour rédiger le dispositif d'une décision pourvu qu'il reste maître du processus décisionnel et qu'un tel dispositif rédigé par un tiers [Traduction] « ne…suscite pas une impression de partialité ou de manque d'indépendance ».

[65]           En l’instance lorsque l’on se penche sur la pièce R-15 déposée par l’appelant au soutien de son affidavit, on constate que le sous-commissaire avait le dossier devant lui, lorsqu’il a pris sa décision, ce qu’il a par ailleurs confirmé dans sa lettre du 13 septembre et dans son courriel du 26 septembre en réponse aux questions de l’appelant à ce sujet. Le sous-commissaire a donc pu réviser les conclusions de l’analyste, tout en demeurant maître du processus décisionnel.

[66]           L’appelant fait également valoir que la discrétion du commissaire de ne pas procéder à une enquête ne peut s’exercer que lorsqu’il s’agit de « cas les plus évidents ». Le juge a accepté cette prétention sans explication au paragraphe 34 de ses motifs (par ailleurs voir par.25). Je ne suis pas d’accord.

[67]           En appliquant les règles modernes d’interprétation législative (voir Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5th ed. (Markham, On: LexisNexis Canada Inc., 2008)) je suis convaincu qu’après une lecture attentive de la formulation de l’article 24 de la Loi prise dans son contexte global, tout en respectant le sens ordinaire et grammatical des mots employés qui s’harmonisent avec l’esprit, l’objet et l’intention du législateur que l’on ne peut conclure que le commissaire pouvait refuser d’enquêter que dans les cas évidents comme c’est le cas en vertu de l’article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (Loi sur les droits de la personne).

[68]           En effet, si on compare le langage utilisé à l’article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, au texte de l’article 24(1)(e) et (f) de la Loi les différences ressortent clairement. La version française de l’article 41 précise que « la commission statue », en employant le temps présent. Dans la version anglaise on écrit « shall deal », ainsi il n’y pas de discrétion possible à moins que l’on tombe sous le coup des exceptions décrites aux alinéas (a) à (e).

[69]           Dans le cas de l’article 24 de la Loi, le législateur s’exprime en ces termes : « Le commissaire peut refuser de donner suite à une divulgation ou de commencer une enquête ». La version anglaise est tout aussi claire puisque on y lit : « The Commissioner may refuse to deal ». La comparaison des deux dispositions législatives m’amène à conclure que le principe énoncé à l’article 41 de la Loi sur les droits de la personne selon lequel la Commission des droits de la personne ne peut refuser d’intervenir que dans les cas les plus clairs ne peut pas s’appliquer au Commissaire à l’intégrité qui jouit d’une discrétion beaucoup plus large vu la formulation de l’alinéa 24(1). On ne saurait comparer un pouvoir discrétionnaire à une obligation statutaire.

[70]           L’article 24 de la Loi prévoit d’ailleurs plusieurs cas qui donnent ouverture au refus d’enquêter comme le mentionne la Juge Gauthier aux paragraphes 59 de ses motifs dans le dossier d’appel A-110-14 publiés sous la citation 2015 CAF 29. Je souscris entièrement à ses propos qui soulignent la discrétion très large dont jouit le Commissaire aux termes de l’article 24 de la Loi pour décider d’enquêter ou pas suite à une divulgation.

E.                 Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que la décision du sous-commissaire était raisonnable?

[71]           J’ai conclu précédemment que le juge avait raison d’appliquer la norme de la décision raisonnable en l’instance vu la jurisprudence antérieure de la Cour fédérale et vu l’absence de motifs valables de se départir de l’application de cette norme. Il reste à déterminer si l’appelant a raison de prétendre qu’il était déraisonnable tant pour le juge que pour le sous-commissaire de conclure que les actes répréhensibles qu’il reprochait à ses supérieurs ne constitueraient en fait que la mise en application d’un processus décisionnel équilibré et informé.

[72]           Le juge a pris en compte la trame factuelle et plus particulièrement le nombre d’échanges entre l’appelant et ses supérieurs à propos du dossier A pour conclure que l’appelant avait pu exprimer son opinion, puis il a tenu pour avérées les fautes reprochées. Le juge s’est toutefois attaché au fait que le pouvoir des procureurs de la Couronne d’intenter des poursuites n’est pas absolu, comme le précise d’ailleurs le Guide du Service fédéral des poursuites sur lequel le sous-commissaire s’est fondé en partie pour en arriver à sa conclusion. N’ayant pas trouvé de fautes dans la procédure suivie par les gestionnaires, le juge a conclu qu’il ne s’agissait que d’une différence d’opinions sur l’issue du dossier A entre l’appelant et ses supérieurs.

[73]           Je dois rejeter la position de l’appelant qui prétend que le sous-commissaire lui a imposé d’établir que des actes répréhensibles ont été commis et que sa décision et celle du juge en devenaient de ce fait, déraisonnables. Ni le sous-commissaire ni le juge n’ont eu une telle exigence. En fait, une lecture attentive du jugement et de la décision du sous-commissaire nous amène à conclure qu’il existait véritablement une différence d’opinion entre l’appelant et tous ses supérieurs hiérarchiques sur la conduite du dossier A.

[74]           De même, il est indéniable que l’appelant avait investi un nombre impressionnant d’heures de travail dans le dossier A, ce qui par ailleurs pouvait expliquer pourquoi ses supérieurs s’y sont penchés également, afin de s’assurer qu’il avait maintenu toute son objectivité. Il n’est pas inhabituel de prendre un peu de recul et d’obtenir l’opinion d’autres procureurs chevronnés avant de prendre une décision dans un dossier important.

[75]           En l’instance, le juge pouvait conclure que la décision du commissaire est raisonnable vu l’existence d’une différence honnête d’opinion et la conclusion du sous-commissaire de ne pas faire enquête aux termes de l’alinéa 24(1)(e) fait partie des issues possibles : « Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » (Dunsmuir, paragraphe 47). Je conclus que le juge a bien appliqué la norme à la décision devant lui.

[76]           Je propose donc que l’appel soit rejeté avec dépens.

« A.F. Scott »

j.c.a.

«Je suis d’accord.

            M. Nadon, j.c.a.»

«Je suis d’accord.

            Johanne Gauthier, j.c.a.»


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-109-14

 

INTITULÉ :

YACINE AGNAOU c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LEs 9 et 22 octobre 2014

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE SCOTT

 

 

Y ONT (A) SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LA JUGE GAUTHIER

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 février 2015

COMPARUTIONS :

Yacine Agnaou

 

Pour l'appelant

(Se représentant lui-même)

Me Kétia Calix

Me Talitha Nabbali

 

Pour l'intimé

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour l'intimé

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

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