Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20150407


Dossier : A-297-14

Référence : 2015 CAF 88

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE SCOTT

 

 

ENTRE :

LA CANADIAN TRANSIT COMPANY

appelante

et

LA CORPORATION DE LA VILLE DE WINDSOR

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 2 mars 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 avril 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE SCOTT

 


Date : 20150407


Dossier : A-297-14

Référence : 2015 CAF 88

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE SCOTT

 

 

ENTRE :

LA CANADIAN TRANSIT COMPANY

appelante

Et

LA CORPORATION DE LA VILLE DE WINDSOR

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRATAS

[1]               La Canadian Transit Company (Canadian Transit) interjette appel du jugement en date du 21 mai 2014, publié sous la référence 2014 CF 461, par lequel la Cour fédérale (le juge Shore) a radié son avis de demande au motif que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour statuer sur la demande.

[2]               Canadian Transit interjette appel devant notre Cour. Elle sollicite également la conversion de la demande en action.

[3]               Par les motifs qui suivent, je ferais droit à l’appel avec dépens. La Cour fédérale a compétence pour statuer sur la demande. Toutefois, je refuserais la conversion de l’instance; c’est la Cour fédérale, et non notre Cour, qui est la juridiction compétente pour rendre ce genre d’ordonnance.

A.                Contexte

[4]               Canadian Transit est la propriétaire et l’exploitante du pont Ambassador, qui relie Windsor à Detroit, et qui enjambe la rivière Detroit ainsi que la frontière qui sépare le Canada et les États‑Unis.

[5]               Le pont a besoin d’importants travaux de réparation. Canadian Transit souhaite aussi ajouter une deuxième travée, ce qui implique la construction de nouvelles installations de sécurité et d’approches pour le pont. À cette fin, Canadian Transit a fait l’acquisition de 114 biens-fonds situés près du pont, à Windsor. Elle a l’intention de démolir les maisons se trouvant sur ces biens-fonds pour réaliser ses objectifs.

[6]               L’intimée, Windsor, allègue que les biens-fonds ont été mal entretenus au point de défigurer le quartier. Invoquant ses règlements municipaux, Windsor a pris des arrêtés de réparation visant les 114 biens-fonds. Depuis, des procédures concernant les règlements et les arrêtés de réparation ont été entamées devant un comité municipal et la Cour supérieure de justice de l’Ontario.

[7]               Canadian Transit a ensuite saisi la Cour fédérale d’une demande de jugement déclaratoire. Peu de temps après l’introduction de la demande, la ville de Windsor a présenté une requête en radiation de cette demande au motif que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour l’instruire.

[8]               Du consentement des parties, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a suspendu certaines de ses procédures jusqu’à ce que les questions de compétence aient été tranchées. Vu l’état du dossier, on ne peut affirmer qu’en s’adressant à la Cour fédérale, Canadian Transit a commis un abus de procédure.

B.        La demande présentée à la Cour fédérale

[9]               Par son avis de demande, Canadian Transit sollicite un jugement déclarant que le règlement de la ville de Windsor [traduction] « ne s’applique pas aux biens-fonds achetés, loués ou autrement acquis et détenus » par elle, y compris les 114 biens-fonds.

[10]           À l’appui de cette demande de jugement déclaratoire, Canadian Transit affirme que le pont, ses approches, ses terminaux, ses équipements et ses accessoires constituent à la fois des ouvrages internationaux et des ouvrages qui ont été déclarés par le Parlement être à l’avantage général du Canada (Loi constituant en corporation « The Canadian Transit Company », (1921) 11-12 Geo. V, ch. 57, article 2 (la « Loi fédérale spéciale »). Le pont relève donc du pouvoir fédéral de réglementation prévu aux paragraphes 91(29) et 92(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., ch. 3. Canadian Transit sollicite également d’autres déclarations concernant ses droits et obligations aux termes de la Loi fédérale spéciale, notamment son droit d’acheter, de louer ou d’autrement acquérir ou détenir des biens‑fonds pour le pont Ambassador, son droit d’exproprier et d’acquérir des servitudes sur des biens‑fonds et son obligation de maintenir le pont Ambassador et ses ouvrages connexes en bon état.

[11]           De manière générale, Canadian Transit a l’intention de plaider que le règlement de la ville de Windsor ne s’applique pas aux biens-fonds en invoquant la doctrine constitutionnelle de l’exclusivité des compétences ou celle de la prédominance, ou les deux.

[12]           La demande de Canadian Transit vise également à obtenir d’autres déclarations qui correspondent à certains éléments lui permettant d’invoquer la doctrine de l’exclusivité des compétences et celle de la prédominance, notamment des déclarations portant que Canadian Transit a, aux termes de la Loi fédérale spéciale, le pouvoir de mettre à exécution ses plans en ce qui concerne le pont et que les biens-fonds sont nécessaires pour mettre à exécution les plans en question.

[13]           La présente demande a été introduite devant la Cour fédérale en vertu de l’alinéa 23c) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, qui dispose :

23. Sauf attribution spéciale de cette compétence par ailleurs, la Cour fédérale a compétence concurrente, en première instance, dans tous les cas — opposant notamment des administrés — de demande de réparation ou d’autre recours exercé sous le régime d’une loi fédérale ou d’une autre règle de droit en matière :

23. Except to the extent that jurisdiction has been otherwise specially assigned, the Federal Court has concurrent original jurisdiction, between subject and subject as well as otherwise, in all cases in which a claim for relief is made or a remedy is sought under an Act of Parliament or otherwise in relation to any matter coming within any of the following classes of subjects:

[…]

c) d’ouvrages reliant une province à une autre ou s’étendant au-delà des limites d’une province.

(c) works and undertakings connecting a province with any other province or extending beyond the limits of a province.

 

C.        La décision de la Cour fédérale

[14]           La Cour fédérale a accueilli la requête en radiation de la demande présentée par la ville de Windsor. À son avis, la demande ne révélait pas de moyen et elle ne pouvait donc pas être accueillie.

[15]           La Cour fédérale a expliqué que la demande visait notamment à obtenir son avis juridique sur l’applicabilité de la loi habilitante de Canadian Transit, question à l’égard de laquelle la Cour fédérale n’avait pas compétence (paragraphes 12 et 13). La Cour a également fait observer que l’acte de procédure qui lui avait été présenté était un avis de demande – soit l’acte de procédure utilisé pour introduire une demande de contrôle judiciaire –, mais que cet avis ne révélait aucun moyen recevable en droit administratif (paragraphes 14 et 16).

[16]           La Cour fédérale s’est ensuite penchée sur l’alinéa 23c) de la Loi sur les Cours fédérales, précitée, sur lequel était censée s’appuyer la demande. Elle a conclu, au paragraphe 15, que l’alinéa 23c) n’habilitait pas la Cour à rendre un jugement déclaratoire. Elle a également conclu, au paragraphe 17, que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour connaître de l’affaire parce que la demande n’était pas suffisamment fondée en droit fédéral. À son avis, la demande ne satisfaisait pas au critère bien connu de la compétence consacré par la jurisprudence ITO-Int’l Terminal Operators c. Miida Electronics, [1986] 1 R.C.S. 752, 28 D.L.R. (4th) 641.

[17]           Dans le cadre du présent appel, Canadian Transit soutient que la Cour fédérale a commis des erreurs à l’égard de toutes ces questions.

D.        Les questions en litige dans le présent appel et les rapports qui existent entre elles

[18]           La Cour fédérale est une cour créée par la loi « pour la meilleure administration des lois du Canada » aux termes de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. Pour pouvoir statuer sur une affaire, elle doit avoir compétence tant aux termes de la loi qu’aux termes de la Constitution.

[19]           En particulier, le plaideur qui soutient que la Cour fédérale a compétence sur une question doit établir les éléments suivants :

                     Compétence légale. Il doit exister une disposition légale (que l’on trouve habituellement dans la Loi sur les Cours fédérales) qui autorise la Cour fédérale à trancher l’affaire. La portée et le sens de la disposition légale sont parfois controversés. Il arrive aussi qu’une partie soutienne que la disposition légale confère un pouvoir absolu, implicite ou nécessairement accessoire (Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance-vie RBC, 2013 CAF 50, 443 N.R. 378, paragraphe 36). Il est répondu à ces questions de cette nature en appliquant les principes habituels d’interprétation des lois (Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Re Rizzo & Rizzo Shoes Ltd., [1998] 1 R.C.S. 27, 154 D.L.R. (4th) 193).

                     Compétence constitutionnelle. Il doit s’agir d’une question qui peut être tranchée par une cour créée « pour la meilleure administration des lois du Canada » au sens de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[20]           Il y a longtemps, la Cour suprême du Canada a consacré un critère à trois volets pour rechercher si la Cour fédérale a, comme nous venons de le voir, compétence en vertu de la loi et de la Constitution (ITO-Int’l Terminal Operators, précité, page 766). Voici les trois volets de ce critère :

1.                  Attribution de compétence par une loi. Les Cours fédérales ne peuvent connaître que des affaires qui leur sont attribuées expressément ou tacitement par une loi fédérale. La seule exception à cette règle concerne une catégorie restreinte de pouvoirs pléniers ou de pouvoirs accessoires nécessaires dont disposent les Cours fédérales pour pouvoir fonctionner comme cours de justice et pour assurer la gestion des instances dont elles sont saisies.

2.                  Le droit fédéral doit jouer un rôle suffisant. Comme la Cour fédérale a été créée pour administrer les lois du Canada en vertu de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, la Cour fédérale ne peut être saisie à moins qu’il n’existe un ensemble de règles de droit fédéral qui soit essentiel à la solution du différend et qui constitue le fondement de l’attribution légale de sa compétence. La jurisprudence précitée a employé divers termes pour qualifier la teneur en droit fédéral jugée suffisante.

3.                  La loi fédérale invoquée doit être une loi fédérale valide au regard du partage des compétences prévues par la Constitution. En tant que juridictions créées aux termes de l’article 101 de Loi constitutionnelle de 1867, les Cours fédérales sont établies pour administrer les « lois du Canada ». Les lois qu’elles administrent doivent relever de la compétence fédérale selon la Constitution.

Les trois volets de ce critère doivent être réunis pour que les Cours fédérales aient compétence.

[21]           Je retiens l’idée, avancée par certains, que le troisième volet de ce critère chevauche le deuxième jusqu’à un certain point. Lorsqu’on a recherché si le droit fédéral joue un rôle suffisant dans l’affaire (le second volet du critère), on a déjà répondu à la question de savoir si la loi est une loi fédérale valide (le troisième volet du critère), ou encore la réponse est évidente. Par ailleurs, les deux volets du critère visent une même question, à savoir si la Cour fédérale a la compétence constitutionnelle pour être saisie en vertu de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. J’appliquerai néanmoins chacun des trois volets du critère consacré par la jurisprudence ITO-Int’l Terminal Operators dans la première partie des motifs qui suivent.

[22]           La présente affaire soulève toutefois une autre difficulté sur le plan constitutionnel : la Cour fédérale peut-elle rendre un jugement déclaratoire portant que le règlement de la ville de Windsor ne joue pas en raison de la doctrine constitutionnelle de la prépondérance ou de celle l’exclusivité des compétences, ou de ces deux doctrines? Au cours des débats, nous avons interrogé les avocats au sujet de la nature et de l’évolution de ces doctrines devant la Cour fédérale, et nous leur avons demandé si la Cour fédérale avait le pouvoir de les examiner et de les appliquer. Nous leur avons posé cette question parce que certains auteurs se sont interrogés à ce sujet (voir « The Jurisdiction of Federale Courts : An Overview », dans Brian J. Saunders, Donald J. Rennie et Graham Garton, Federal Courts Practice 2015, Toronto, Thomson Reuters Canada, 2014, page 9). Le questionnement de ces auteurs s’explique par le fait que la jurisprudence semble opiner que les lois dont il est question dans la Constitution ne sont pas des « lois du Canada » que la Cour fédérale peut appliquer parce qu’elles n’ont pas été adoptées par le Parlement du Canada (Northern Telecom c. Travailleurs en communication, [1983] 1 R.C.S. 733, page 745, 147 D.L.R. (3d) 1). Je discuterai de ce problème dans la seconde partie des motifs qui suivent.

[23]           Enfin, il nous faut examiner une question procédurale. Canadian Transit admet maintenant qu’elle aurait dû introduire la présente instance au moyen d’une déclaration plutôt que d’un avis de demande. Elle demande donc à la Cour de lui permettre de convertir sa demande en action. Je reviendrai sur cette question dans la dernière partie des motifs qui suivent.

[24]           Vu la discussion qui précède, j’examinerai les trois questions suivantes :

                     Le critère de la jurisprudence ITO-Int’l Terminal Operators a-t-il été respecté? En d’autres termes, la Cour fédérale a-t-elle compétence légale et constitutionnelle sur la présente procédure?

                     La Cour fédérale a-t-elle compétence pour rendre des jugements déclaratoires sur des questions constitutionnelles telles que la doctrine de la prépondérance et celle de l’exclusivité des compétences?

                     La demande de Canadian Transit doit-elle être convertie en action?

E.        Le critère de la jurisprudence ITO-Int’l Terminal Operators a-t-il été respecté? En d’autres termes, la Cour fédérale a-t-elle compétence légale et constitutionnelle sur la présente procédure?

[25]           À mon avis, les trois volets du critère de l’arrêt ITO-Int’l Terminal Operators sont réunis en l’espèce.

(1)               Attribution de compétence par une loi

[26]           La disposition légale attributive de compétence en l’espèce est l’alinéa 23c) de la Loi sur les Cours fédérales, précitée, qui permet à une partie de demander une « réparation […] sous le régime d’une loi fédérale ou d’une autre règle de droit en matière […] d’ouvrages reliant une province à une autre ou s’étendant au-delà des limites d’une province ». L’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales définit comme suit le mot « réparation » : « [t]oute forme de réparation en justice, notamment par voie de […] déclaration […] ».

[27]           Si l’on tient compte de cette définition, l’alinéa 23c) de la Loi sur les Cours fédérales, permet donc à une partie de demander une « [déclaration] en matière […] d’ouvrages reliant une province à une autre ou s’étendant au-delà des limites d’une province ».

[28]           Dans son avis de demande, Canadian Transit sollicite précisément ce type de déclaration : voir les paragraphes 9 à 12 des présents motifs. L’instance qu’elle a introduite est autorisée par l’alinéa 23c) de la Loi sur les Cours fédérales. L’exigence qu’il y ait une attribution légale de compétence à la Cour fédérale sur l’affaire – premier volet du critère de la jurisprudence ITO-Int’l Terminal Operators – est donc respectée.

(2)               Le droit fédéral joue un rôle suffisant

[29]           Selon ce volet du critère de la jurisprudence ITO-Int’l Terminal Operators, la première étape consiste à définir la nature de la cause qui nous occupe et de rechercher notamment quelles règles de droit seront nécessaires pour la juger. Il nous faut donc rechercher si, dans l’ensemble, le droit fédéral joue un rôle important, à savoir un rôle qui est « essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence » (ITO-Int’l Terminal Operators, précité, page 766).

[30]           Dans la présente affaire, Canadian Transit soutient que la Loi fédérale spéciale est la loi qui lui confère le pouvoir de construire, d’entretenir et d’exploiter le pont Ambassador et les installations et biens-fonds qui l’entourent et qui, dans une certaine mesure, lui donne le pouvoir de réglementer ces objets matériels et ces pouvoirs. Canadian Transit affirme que le pont et les installations et biens-fonds qui l’entourent, pris globalement, constituent des ouvrages qui s’étendent au-delà des limites de la province et qui sont donc assujettis à la réglementation fédérale (Loi constitutionnelle de 1867, paragraphes 91(29) et 92(10)). Enfin, elle soutient qu’en vertu des doctrines constitutionnelles de la prépondérance et de l’exclusivité des compétences, le règlement adopté par la ville de Windsor ne s’applique pas à Canadian Transit, à l’exercice d’une partie ou de la totalité des pouvoirs que lui confère la Loi fédérale spéciale, ainsi qu’au pont et aux installations et biens-fonds qui l’entourent.

[31]           Pour examiner ces questions, la Cour fédérale doit notamment interpréter la Loi fédérale spéciale et le règlement de la ville de Windsor et rechercher si le pont et les installations et biens-fonds qui l’entourent constituent une enclave fédérale à l’abri du règlement, par application de la doctrine constitutionnelle de l’exclusivité des compétences et, enfin, s’il existe un conflit entre la Loi et le règlement en question, de sorte que la loi doive l’emporter sur le règlement selon la doctrine de l’exclusivité des compétences.

[32]           Globalement, le droit fédéral joue‑t‑il un rôle suffisant pour que la Cour fédérale ait compétence? À mon avis, la réponse est affirmative.

[33]           Examinons d’abord la Loi fédérale spéciale. Plusieurs de ses dispositions portent sur la question de savoir si Canadian Transit a droit aux déclarations qu’elle sollicite :

                     Aux termes de l’article 2, les ouvrages de Canadian Transit (c.-à-d., le pont et les autres éléments que le tribunal statuant sur l’affaire pourrait estimer liés au pont) sont à l’avantage général du Canada, de sorte qu’ils relèvent de la compétence fédérale en vertu des paragraphes 91(29) et 92(10) de la Loi constitutionnelle de 1867.

                     L’article 8 permet notamment à Canadian Transit de construire, d’entretenir et d’exploiter les installations mentionnées à l’alinéa 8e).

                     L’article 10 contribue dans une certaine mesure à concilier les intérêts de Canadian Transit et de la ville de Windsor. Il oblige Canadian Transit à obtenir le consentement de la ville de Windsor, exprimé par règlement, avant d’entreprendre la construction ou l’exploitation des ouvrages. À défaut de ce consentement, il appartient à la « Commission des chemins de fer du Canada » (maintenant l’Office des transports du Canada), de fixer les conditions auxquelles la construction et l’exploitation des travaux seront assujetties.

                     L’article 20 de la Loi des chemins de fer, 1919, loi fédérale, s’applique aux ouvrages dans la mesure où ils ne sont pas incompatibles avec la Loi fédérale spéciale.

[34]           Il s’agit du droit fédéral essentiel à la solution de la procédure de Canadian Transit. Une des missions les plus importantes que la Cour fédérale devra remplir dans le cadre de la présente procédure sera probablement de rechercher, à la lumière et dans le contexte de la Loi spéciale, dans quelle mesure, le cas échéant, les biens-fonds et installations adjacentes font partie de ces ouvrages fédéraux et sont réglementés par la Loi spéciale. Elle sera également appelée à répondre à la question cruciale de savoir dans quelle mesure l’article 10 de la Loi spéciale établit un régime réglementaire lui permettant d’arbitrer les conflits entre ces ouvrages fédéraux et tout règlement municipal.

[35]           La ville de Windsor soutient que le recours introduit par Canadian Transit fait jouer beaucoup de droit provincial et qu’elle ne repose pas suffisamment sur le droit fédéral pour qu’il puisse être conclu à la compétence de la Cour fédérale. Elle affirme que la Cour fédérale aurait à interpréter le règlement applicable de la ville de Windsor, ce qui est une question essentiellement provinciale selon la Loi constitutionnelle de 1867, et à en préciser les politiques et la portée. Selon la ville de Windsor, vu cet aspect important du droit provincial, la présente procédure déborde le cadre de la compétence de la Cour fédérale.

[36]           Je rejette la thèse de la ville de Windsor. À mon avis, le droit fédéral joue un rôle essentiel à la solution du présent différend alors que le droit provincial ne joue qu’un rôle accessoire ou complémentaire.

[37]           Pour expliquer ma conclusion à cet égard, il vaut la peine de signaler d’entrée de jeu que la Cour fédérale peut connaître d’une demande même si l’affaire fait jouer le droit provincial :

La Cour fédérale est constituée pour la meilleure administration des lois du Canada. Elle n’est pas cependant restreinte à l’application du droit fédéral aux affaires dont elle est saisie. Lorsqu’une affaire relève, de par son « caractère véritable », de sa compétence légale, la Cour fédérale peut appliquer accessoirement le droit provincial nécessaire à la solution des points litigieux soumis par les parties. [Renvois omis.]

(ITO-Int’l Terminal Operators, précité, pages 781 et 782)

[38]           Ces principes ne sont pas controversés. Les Cours fédérales sont, par la force des choses, régulièrement appelées à trancher des questions accessoires de droit provincial. Par exemple, lorsqu’elle statue sur des appels en matière d’impôt sur le revenu de décisions de la Cour canadienne de l’impôt – matière fédérale –, notre Cour est souvent appelée à trancher notamment des questions de contrats, du droit des fiducies et du droit provincial des sociétés. Lorsque la Couronne fédérale est poursuivie en responsabilité civile délictuelle devant la Cour fédérale, la common law fédérale provinciale est considérée comme un droit fédéral. Dans les affaires de droit maritime fédéral, la Cour fédérale doit souvent appliquer des lois provinciales en matière de négligence contributive. La question n’est pas de savoir si la Cour fédérale applique le droit provincial, puisqu’elle le fait souvent, mais plutôt si le droit fédéral qui constitue le fondement de la compétence de la Cour est essentiel à la solution du différend ou, en d’autres termes, si le droit fédéral joue un rôle suffisant pour qu’il puisse être conclu à la compétence de la Cour.

[39]           La jurisprudence a employé différents mots et différentes méthodes pour qualifier la teneur en droit fédéral jugée suffisante. Selon la jurisprudence ITO-Int’l Terminal Operators, précité, il faut rechercher si les principes « nécessaires » de droit provincial sont uniquement appliqués « accessoirement » au droit fédéral en cause dans l’affaire (pages 781-782). Parfois, la jurisprudence commence par examiner le droit fédéral et s’interroge sur son incidence sur l’affaire. Par exemple, la jurisprudence recherche parfois si « les droits et obligations des parties [devraient être] déterminés en partie par le droit fédéral » ou si la cause d’action « tire son origine du droit fédéral » (Bensol Customs Brokers Ltd. c. Air Canada, [1979] 2 C.F. 575, pages 582 et 583, 99 D.L.R. (3d) 623 (C.A.)). Une autre formulation que l’on trouve est la suivante : « la loi fédérale [a] un rôle important à jouer dans la détermination des droits des parties » (La Reine c. Commission de transport de la communauté urbaine de Montréal, [1980] 2 C.F. 151, page 153, 112 D.L.R. (3d) 266 (C.A.)).

[40]           On trouve de nombreuses affaires dans lesquelles un aspect du droit provincial est déféré à la Cour fédérale – parfois un aspect très important – et où la Cour fédérale est néanmoins déclarée compétente en raison du caractère essentiel et prédominant du droit fédéral dans l’affaire en question. Ainsi, à l’occasion de l’affaire McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654, 75 D.L.R. (3d) 273, la Cour suprême du Canada a confirmé que la Cour fédérale avait compétence pour appliquer le droit provincial en matière de contribution et d’indemnisation pour trancher un différend dès lors qu’elle respectait l’ensemble ou le cadre de lois fédérales qui lui avaient été attribuées. À l’occasion de l’affaire Rhine c. La Reine; Prytula c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 442, 116 D.L.R. (3d) 385, la Cour suprême a conclu que la Cour fédérale pouvait connaître d’une action visant à faire exécuter des promesses contractuelles – question relevant du droit provincial – en vue d’obtenir le remboursement de prêts consentis en vertu de lois fédérales et régis par des lois fédérales. Enfin, à l’occasion de l’affaire Peter G. White Management Ltd. c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2006 CAF 190, [2007] 2 R.C.F. 475, notre Cour a jugé que les Cours fédérales pouvaient statuer sur des délits de common law – questions de droit provincial – lorsque ces délits étaient « de par leur caractère véritable » fondés sur la common law provinciale ou s’en inspiraient ou s’il existait un « cadre législatif [fédéral] détaillé ».

[41]           En l’espèce, le droit provincial joue un rôle qui n’est qu’accessoire par rapport à l’ensemble des règles de droit fédéral contenues dans la Loi fédérale spéciale susmentionnée. D’ailleurs, un grand nombre des déclarations sollicitées par Canadian Transit portent sur ce qu’elle peut faire ou non selon le cadre prévu par la Loi fédérale spéciale et sur la question de savoir en quoi consistent ses ouvrages, questions qui n’ont rien à voir avec le droit provincial.

[42]           Pour appliquer la doctrine constitutionnelle de la prépondérance et de l’exclusivité des compétences, la Cour fédérale doit interpréter la portée du règlement de la ville de Windsor ainsi que son objectif sous-jacent. Or, en appliquant ces mêmes doctrines, la Cour fédérale doit interpréter dans la même mesure la Loi fédérale spéciale. Par ailleurs, comme nous le verrons, ces doctrines peuvent elles-mêmes être considérées comme faisant partie du droit fédéral que la Cour fédérale est habilitée à interpréter et à appliquer. Par conséquent, suivant la jurisprudence que nous avons citée, il existe un ensemble considérable de règles de droit fédéral à interpréter et à appliquer pour trancher la présente affaire. Il y en a autant, sinon plus que dans les affaires Rhine; Prytula et ITO-Int’l Terminal Operators, précitées, de la Cour suprême ou dans l’affaire Peter G. White, précitée, de notre Cour, dans lesquelles il a été conclu que la Cour fédérale avait compétence. Dans l’ensemble, la Loi fédérale spéciale joue un rôle essentiel pour trancher la présente affaire et la loi provinciale ne joue qu’un rôle accessoire ou complémentaire.

[43]           La ville de Windsor soutient que la jurisprudence Harry Sargeant III c. Al-Saleh, 2014 CAF 302, de notre Cour, s’applique directement en l’espèce et appuie sa position. Je ne suis pas de cet avis. Dans cette affaire, une partie revendiquait une quote-part dans le produit de la disposition d’un navire. Toutefois, pour pouvoir faire valoir ses droits, elle devait saisir une cour supérieure provinciale d’une demande d’exécution d’un jugement étranger et ensuite obtenir un jugement déclarant son droit à une fiducie constructoire, deux questions relevant du droit provincial. Dans l’affaire Sargeant, le droit provincial était l’ensemble de règles de droit dominant nécessaire pour trancher le litige. En l’espèce, le droit provincial ne joue qu’un rôle accessoire ou complémentaire.

[44]           Par conséquent, il existe un ensemble suffisant de règles de droit fédéral essentielles à la solution de la procédure introduite par Canadian Transit et qui constitue le fondement de l’attribution de la compétence de la Cour fédérale. Le second volet du critère de la jurisprudence ITO-Int’l Terminal Operators est respecté.

(3)               La loi fédérale doit être une loi fédérale valide selon le partage des compétences prévu par la Constitution

[45]           Selon le dernier volet du critère de la jurisprudence ITO‑Int’l Terminal Operators, il faut s’assurer que les Cours fédérales respectent leur compétence constitutionnelle.

[46]           La Loi fédérale spéciale constitue une expression valide de la compétence légale fédérale. Le législateur fédéral a compétence sur les travaux interprovinciaux et les sociétés fédérales (paragraphes 91(29) et 92(10) de la Loi constitutionnelle de 1867; John Deere Plow Co. c. Wharton, [1915] A.C. 330, 18 D.L.R. 353 (C.P.) (Par cet arrêt, le pouvoir fédéral de constituer et de réglementer des sociétés a été pour la première fois reconnu et a été déclaré relever du paragraphe 91(2) et du pouvoir fédéral en matière « [de] paix, [d’]ordre et [de] bon gouvernement »). Ce volet du critère est donc respecté.

F.         La Cour fédérale a‑t‑elle compétence pour rendre des jugements déclaratoires sur des questions constitutionnelles telles que la prépondérance et l’exclusivité des compétences?

[47]           Par les motifs qui suivent, dès lors que le critère consacré par l’arrêt ITO‑Int’l Terminal Operators est respecté, la Cour fédérale a compétence pour rendre des jugements déclaratoires en matière constitutionnelle tels que des déclarations d’invalidité ou, comme il est demandé en l’espèce, des jugements déclarant une loi inopérante et inapplicable sur le fondement des doctrines de la prépondérance et de l’exclusivité des compétences.

[48]           J’ai déjà expliqué que la doctrine a parfois recherché si la Cour fédérale a compétence pour rendre de tels jugements déclaratoires en se fondant sur l’extrait suivant de l’arrêt Northern Telecom, à la page 745 :

La Loi constitutionnelle de 1867, et ses modifications, n’est pas, cela va de soi, une « loi du Canada » dans le sens des exemples qui précèdent parce qu’elle n’a pas été adoptée par le Parlement du Canada. La limite inhérente que l’article 101 précité [de la Loi constitutionnelle de 1867] impose à la compétence que le Parlement peut accorder à la Cour fédérale pourrait donc exclure une procédure fondée sur la Loi constitutionnelle [sic]. [Non souligné dans l’original.]

[49]           Ce passage figure après la discussion à laquelle il fallait procéder pour trancher les questions particulières soulevées dans cette affaire. Par ailleurs, il se borne à dire que la Cour fédérale pourrait ne pas pouvoir instruire une affaire portant sur des questions constitutionnelles. On ne trouve pas dans ce passage d’analyse détaillée de la compétence de la Cour fédérale pour examiner des questions constitutionnelles, peut‑être parce que les faits de cette affaire qui se sont produits quatre ans avant les réformes constitutionnelles de 1982 n’appelaient pas une telle analyse. Lors des réformes constitutionnelles de 1982, toutes les lois qui composaient notre Constitution ont été transformées en lois du Canada (voir l’article premier de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11 (« édictée pour le Canada et y [ayant] force de loi ») et l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 (la Constitution est la « loi suprême du Canada »)). Enfin, bien que ce passage donne à penser que la Cour fédérale « pourrait » ne pas pouvoir examiner une affaire fondée sur la « Loi constitutionnelle », un passage ultérieur de la même décision dit quelque chose de tout à fait différent (page 745) : la Cour fédérale « est compétente pour se prononcer sur une question de droit, fût‑elle de nature constitutionnelle, lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, cette question est soulevée à l’occasion d’un litige ou d’une demande principale fondée sur l’application du droit fédéral » [non souligné dans l’original]. En d’autres termes, en langage contemporain, lorsqu’elle a compétence selon le critère consacré par la jurisprudence ITO‑Int’l Terminal Operators, la Cour fédérale peut trancher une question constitutionnelle.

[50]           À la lumière de ces éléments, quelle leçon peut-on maintenant tirer de l’extrait précité de la jurisprudence Northern Telecom? La Cour fédérale peut‑elle tenir compte des doctrines constitutionnelles de la prépondérance et de l’exclusivité des compétences?

[51]           J’examinerai d’abord l’origine des doctrines constitutionnelles en question. Elles tirent leur origine des derniers mots de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 ainsi que de la déposition dérogatoire que l’on trouve au début de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui, comme nous l’avons vu, fait maintenant partie des lois du Canada (Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, [1982] 1 R.C.S. 1004, pages 1030 et 1031, 136 D.L.R. (3d) 385; A.H. Boulton Company Limited c. The Trusts and Guarantee Company Limited, [1942] R.C.S. 130, page 136, [1942] 2 D.L.R. 145; Neil Finkelstein, Laskin’s Canadian Constitutional Law, 5e éd., Toronto, Carswell, 1986, page 263; Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 5e éd., feuilles mobiles (consulté le 7 avril 2015, Toronto, Thomson Reuters Canada, 2007, page 16‑3, note de bas de page 10). Les doctrines de la prépondérance et de l’exclusivité des compétences peuvent avoir une incidence sur l’application d’une loi fédérale en permettant, dans certains cas, l’application de la loi selon ses dispositions malgré les lois provinciales et municipales incompatibles. Ces doctrines sont donc étroitement liées au pouvoir législatif fédéral prévu à l’article 91 ou [traduction] « constituent un aspect inhérent du pouvoir législatif fédéral » (Hogg, précité, page 16‑3, note de bas de page 9). Ainsi, les doctrines de la prépondérance et de l’exclusivité des compétences doivent elles‑mêmes être considérées comme faisant partie des règles de droit canadiennes que la Cour fédérale doit interpréter et appliquer.

[52]           Les objectifs de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui constitue le fondement constitutionnel de la Cour fédérale, vont aussi dans le sens de cette conclusion. L’article 101 a préséance sur le pouvoir de chaque province individuelle de créer et d’administrer des cours supérieures en vertu du paragraphe 92(14). Si le Parlement fédéral n’avait pas le pouvoir de créer une cour nationale chargée d’administrer les lois fédérales en vertu de l’article 101, les cours supérieures provinciales et territoriales, qui sont au nombre de 13 en tout, appliqueraient les lois en question. La cour supérieure d’une province ou d’un territoire pourrait être en désaccord avec celle d’une autre province ou d’un autre territoire. On pourrait assister à l’expression d’un troisième, voire d’un quatrième point de vue, alors que d’autres cours supérieures souhaiteraient s’exprimer sur la même question. Ainsi, dans certaines provinces ou certains territoires, une dépense particulière pourrait être déductible sur le plan fiscal alors que, dans d’autres provinces ou territoires, elle ne le serait pas. Dans certaines provinces ou dans certains territoires, la décision d’un tribunal administratif fédéral serait exécutoire et aurait force obligatoire, mais pas dans d’autres. Dans certaines provinces ou dans certains territoires, une grève ou un lockout illégal dans un service national essentiel pourrait faire l’objet d’une injonction, mais pas dans d’autres. On assisterait alors à une incohérence et une inégalité entre les provinces et les territoires, ce qui ferait peut‑être l’affaire des personnes à la recherche du tribunal le plus accommodant, mais nuirait à l’efficacité et à l’unité de la fédération.

[53]           L’article 101 vise à empêcher une telle situation. Il permet au Parlement fédéral de créer des tribunaux fédéraux dotés d’une compétence nationale leur permettant d’appliquer les lois fédérales. Le Parlement n’a pas attendu longtemps après la Confédération pour créer une telle cour. Cette cour, qui a été créée au même moment où le Parlement a créé la Cour suprême du Canada, est la Cour de l’Échiquier du Canada, le prédécesseur de la Cour fédérale du Canada, de la Cour fédérale et de notre Cour (Acte de la Cour Suprême et de l’Échiquier, S.C. 1875, ch. 11). Le législateur fédéral souhaitait que la Cour de l’Échiquier et ses successeurs fussent de solides institutions nationales – des cours de justice au sens fort du terme – et qu’elles fussent en mesure de réaliser les objectifs énoncés à l’article 101 en jugeant les affaires fédérales de façon complète et définitive (Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, 157 D.L.R. (4th) 385; Hupacasath First Nation c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 4, 379 D.L.R. (4th) 737, paragraphes 52 à 57; arrêt Compagnie d’assurance‑vie RBC, précité, paragraphes 33 à 36). Pour atteindre cet objectif, la Cour de l’Échiquier et ses successeurs doivent être en mesure de reconnaître les lois opérantes et applicables qui sont invoquées devant elle, même celles qui sont touchées par la doctrine de la prépondérance et par celle de l’exclusivité des compétences.

[54]           S’il en était autrement, on ferait échec aux objectifs que l’article 101 vise. Supposons que, comme en l’espèce, une partie demande à la Cour fédérale de prononcer un jugement déclaratoire reconnaissant ses droits en vertu d’une loi fédérale et qu’on lui réponde que la doctrine de la prépondérance et celle de l’exclusivité des compétences ne jouent pas, de sorte que c’est le droit provincial qui s’applique intégralement et qu’il fait échec à ses droits. Si la Cour fédérale n’a pas le pouvoir de se prononcer sur des questions relatives à la prépondérance ou à l’exclusivité des compétences, les parties devront s’adresser à une cour supérieure provinciale et, par la suite, à une cour d’appel provinciale, puis, en fin de compte, à la Cour suprême du Canada pour obtenir une décision sur ces questions pour ensuite, selon le résultat obtenu, revenir devant la Cour fédérale. Ces allers‑retours fédéral‑provincial‑fédéral ne contribuent en rien à l’accès à la justice (Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585, paragraphes 18, 19 et 32). De plus, avec le temps, les cours supérieures provinciales et les juridictions d’appel provinciales risquent d’être en désaccord sur les questions de prépondérance et d’exclusivité des compétences, donnant lieu à l’incohérence et aux inégalités mêmes que l’article 101 était censé exclure.

[55]           Indépendamment de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, j’estime que la Cour fédérale et ses prédécesseurs, la Cour fédérale du Canada et la Cour de l’Échiquier du Canada, ont toujours eu compétence pour examiner les questions constitutionnelles de validité, d’opérabilité et d’applicabilité. Cette capacité lui vient d’une source plus fondamentale.

[56]           En 1875, la Cour de l’Échiquier du Canada fut créée. Comme toutes les cours de justice, elle devait agir conformément à la loi et interpréter et appliquer la loi. Au moment de la naissance de la Cour de l’Échiquier, une des lois en vigueur était la Colonial Laws Validity Act, 1865 (R.-U.), 28 & 29 Vict. ch. 63. Aux termes de l’article 2 de cette loi, tous les tribunaux canadiens, y compris la Cour de l’Échiquier, devaient déclarer [traduction] « nulle et inopérante » toute loi fédérale ou provinciale incompatible avec celles du Parlement du Royaume‑Uni, y compris l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 (voir également la discussion que l’on trouve dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, page 746, 19 D.L.R. (4th) 1). La Cour de l’Échiquier a reconnu ce pouvoir et a conclu que, le cas échéant, elle pouvait refuser d’appliquer une loi qui entrait en conflit avec une loi du Parlement du Royaume‑Uni (voir, par ex., Algoma Central Railway Co. c. Canada (1901), 7 R.C. de l’Éch. 239, pages 254 et 255, inf. pour d’autres motifs par 1902, 32 R.C.S. 277, conf. par [1903] A.C. 478 (P.C.)). Même avant que la Cour de l’Échiquier ne voit le jour, d’autres juridictions canadiennes exerçaient régulièrement le pouvoir de déclarer une loi invalide ou inopérante (voir, par. ex., R. c. Chandler (1868), 2 Cart. 421, 1 Hannay 556 (C.S.N.‑B.); Pope c. Griffith (1872), 2 Cart. 291, 16 L.C.J. 169 (C.B.R. Qc); Ex p. Dansereau (1875), 2 Cart. 165, page 190, 19 L.C.J. 210 (C.B.R. Qc); L’Union St. Jacques c. Belisle (1872), 1 Cart. 72, 20 L.C.J. 29 (C.B.R. Qc), inf. par (1874), L.R. 6 P.C. 31 (C.P.)). Ainsi, dès le début, tous les tribunaux canadiens, y compris la Cour de l’Échiquier, pouvaient contrôler la validité des lois en fonction de celles du Parlement du Royaume‑Uni, et notamment de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, et décider si elles étaient invalides ou inopérantes.

[57]           Entre 1875 et 1982, les doctrines de la prépondérance et de l’exclusivité des compétences ont été construites par la jurisprudence relative aux articles 91 et 92 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867. Par exemple, dès 1895, la doctrine de la prépondérance a été qualifiée de [traduction] « nécessairement implicite dans notre loi constitutionnelle » et considérée comme devant être suivie selon la Colonial Laws Validity Act, 1865 (Huson c. Township of South Norwich (1895), 24 R.C.S. 145, page 149). Ces doctrines constitutionnelles ont été intégrées aux règles de droit que tous les tribunaux canadiens, y compris la Cour de l’Échiquier, étaient tenus d’appliquer.

[58]           C’est ce que la Cour de l’Échiquier a fait. À l’occasion d’une affaire, elle a jugé qu’une loi provinciale sur les droits relatifs à l’eau, la Water Clauses Consolidation Act, 1897, R.S.B.C., ch. 190, ne pouvait s’appliquer à des terres appartenant à la Couronne fédérale relevant de la compétence exclusive fédérale prévue au paragraphe 91(1A) de la Loi constitutionnelle de 1867 (The Burrard Power Company Limited c. The King, (1909), 12 R.C. de l’Éch. 295, conf. par [1910] 43 R.C.S. 27, conf. par [1911] A.C. 87 (P.C.)). Dans une autre affaire, elle a conclu qu’une loi fédérale, la Loi d’établissement de soldats, 1917, 9‑10 Geo. V, ch. 71, relevait de la compétence du Parlement fédéral et qu’en cas de conflit avec une loi provinciale, c’est elle qui avait préséance (R. c. Powers, [1923] R.C. de l’Éch. 131, page 133).

[59]           En 1931, la Colonial Laws Validity Act, 1865 fut abrogée, permettant ainsi aux lois provinciales et fédérales du Canada de diverger des lois du Parlement du Royaume‑Uni (Statut de Westminster de 1931 (R.‑U.), 22 Geo. V, ch. 4, article 2, maintenant appelée Loi constitutionnelle de 1931. L’obligation que les lois fédérales et provinciales respectent le partage des compétences constitutionnelles prévu par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 a toutefois été maintenue (paragraphe 7(3) de la Loi constitutionnelle de 1931, voir également la discussion à la page 835 du Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753). Ainsi, entre 1931 et l’entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982, la Cour de l’Échiquier avait encore le pouvoir – en fait, l’obligation – de faire respecter le partage constitutionnel des compétences prévu aux articles 91 et 92 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, y compris les doctrines constitutionnelles de la prépondérance et de l’exclusivité des compétences.

[60]           En 1971, la Cour de l’Échiquier du Canada est devenue la Cour fédérale du Canada, laquelle est par la suite devenue les Cour fédérale et Cour d’appel fédérale (Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1970 (2e suppl.), ch. 10, article 3; Loi sur les Cours fédérales, précitée, articles 3 et 4 (édictée par L.C. 2002, ch. 8, article 16). En tant que cours ayant succédé à la Cour de l’Échiquier, la Cour fédérale du Canada, la Cour fédérale et notre Cour sont investies des mêmes pouvoirs que ceux qui étaient conférés à leur prédécesseure depuis sa création en 1875, en l’occurrence le pouvoir de faire respecter le partage constitutionnel des compétences prévu aux articles 91 et 92 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 et plus tard de la Loi constitutionnelle de 1867, y compris les doctrines constitutionnelles de la prépondérance et de l’exclusivité des compétences.

[61]           La Loi constitutionnelle de 1982 est entrée en vigueur en 1982. Elle a conservé le paragraphe 7(3) du Statut de Westminster de 1931 et l’obligation que les lois fédérales et provinciales respectent le partage constitutionnel des pouvoirs (voir l’annexe de la Loi constitutionnelle de 1982). Mais l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 transformait le pouvoir implicite des tribunaux de trancher les questions constitutionnelles, y compris celles concernant les doctrines de la prépondérance et de l’exclusivité des compétences, en un pouvoir explicite. Ainsi que la Cour suprême l’a expliqué dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, précité, à la page 746, l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 « ne modifie pas les principes qui, au cours des années, ont constitué le fondement du contrôle judiciaire »; il confirme simplement le pouvoir que tous les tribunaux possédaient déjà (voir également Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, pages 482 et 483, 18 D.L.R. (4th) 481; Singh c. Canada (Procureur général), [2000] 3 C.F. 185, 183 D.L.R. (4th) 458, paragraphes 14 à 16).

[62]           Depuis 1982, la Cour suprême a examiné à plusieurs reprises l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Elle enseigne que tout organisme juridictionnel constitué par une loi qui est doté du pouvoir de trancher des questions de droit – comme les Cours fédérales, la Cour canadienne de l’impôt, les cours provinciales et même certains décideurs administratifs – a également le pouvoir de décider si la loi sur laquelle il est appelé à se prononcer est incompatible avec la Constitution (Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504), à condition, bien sûr, que l’organisme juridictionnel créé par une loi ait compétence matérielle sur l’affaire (Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570, 77 D.L.R. (4th) 94; Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5, 81 D.L.R. (4th) 121; Tétreault‑Gadoury c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), [1991] 2 R.C.S. 22, 81 D.L.R. (4th) 358). L’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 n’a pas pour effet d’élargir la portée de la compétence d’attribution de la Cour fédérale.

[63]           Mais lorsque la Cour fédérale a effectivement compétence matérielle – tant légale que constitutionnelle selon le critère consacré par la jurisprudence ITO-Int’l Terminal Operators, précitée, – elle a également le pouvoir de rendre des décisions fondées sur l’article 52. D’ailleurs elle a l’obligation de le faire (Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, précité, pages 745 et 746). S’il en était autrement, la Cour fédérale aurait une compétence constitutionnelle plus restreinte que celle de bon nombre des décideurs administratifs dont elle contrôle les décisions, ce qui serait une situation vraiment absurde.

[64]           En pratique, la capacité de la Cour fédérale et de notre Cour de recourir à l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 lorsque le critère consacré par la jurisprudence ITO-Int’l Terminal Operators est respecté ne fait nul doute. Par exemple, utilisant le pouvoir déclaratoire que lui confère l’article 52, notre Cour a invalidé une des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), pour des motifs fondés sur la Charte, et sa décision ne dépendait pas de la question de savoir si la Charte, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, était une « loi du Canada » (Del Zotto c. Canada, [1997] 3 C.F. 40, 147 D.L.R. (4th) 457 (C.A.), inf. pour d’autres motifs, [1999] 1 R.C.S. 3, 169 D.L.R. (4th) 130). Notre Cour disposait d’un ensemble de règles de droit suffisant, à savoir la Loi de l’impôt sur le revenu, une ordonnance fédérale et une assignation à comparaître fédérale délivrée en vertu de celle‑ci.

[65]           Les doctrines constitutionnelles de la prépondérance et de l’exclusivité des compétences cadrent avec la rubrique de l’article 52. Lorsqu’une loi provinciale entre en conflit avec une loi fédérale qui est en vigueur ou empiète sur une prétendue enclave fédérale de compétence, la Cour fédérale doit conclure que la loi fédérale a préséance sur la loi provinciale, à défaut de quoi, pour reprendre le libellé de l’article 52, il y aurait une incompatibilité avec la Constitution, en l’occurrence avec le partage des pouvoirs fédéraux et provinciaux prévu aux articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[66]           Le principe qui a préséance sur l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 est celui de la primauté du droit. Il s’agit d’un principe constitutionnel  obligatoire qui est énoncé dans le préambule de la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982. Il exige notamment que toutes les juridictions, y compris la Cour fédérale, interviennent conformément au droit. Les juges sont, au même titre que quiconque, assujettis aux lois et doivent les suivre (Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, précité, pages 805 et 806; Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, 161 D.L.R. (4th) 385, paragraphes 71 et 72 (« il y a une seule loi pour tous »); Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3, 150 D.L.R. (4th) 577, au paragraphe 10 (« l’exercice de tout pouvoir public doit en bout de ligne tirer sa source d’une règle de droit »). En d’autres termes, [traduction] « le rôle des juges consiste à appliquer la loi et non à donner libre cours à leurs préférences personnelles » (Tom Bingham, The Rule of Law, Toronto, Penguin, 2011, page 51).

[67]           Pour agir conformément à la loi, une cour de justice – même une cour créée par la loi comme la Cour fédérale – doit avoir le pouvoir implicite de se prononcer sur le droit valide, applicable et pertinent à l’affaire dont elle est saisie. Il s’agit d’un « attribut immanent » ou un aspect de son « caractère essentiel » (MacMillan Bloedel Ltd. c. Simpson, [1995] 4 R.C.S. 725, 130 D.L.R. (4th) 385, paragraphe 30. Sans ce pouvoir, toute juridiction est affaiblie et n’est pas véritablement une juridiction (MacMillan Bloedel, précitée, paragraphes 30 à 38, citant et approuvant Keith Mason, « The Inherent Jurisdiction de la Court » (1983), 57 A.L.J. 449, page 449 et Isaac Hai Jacob, « The Inherent Jurisdiction de la Court » (1970), 23 C.L.P. 23, pages 27 et 28; voir également Compagnie d’assurance‑vie RBC, précité, paragraphe 36). Ce pouvoir implicite doit englober les doctrines de la prépondérance et de l’exclusivité des compétences, qui sont des questions qui ont une incidence sur l’applicabilité des lois.

[68]           Vu la discussion qui précède, il n’est guère étonnant qu’il existe de nombreuses affaires dans lesquelles, malgré l’observation isolée tirée de l’arrêt Northern Telecom, précité, la Cour fédérale a été appelée à décider si une loi fédérale jouait à l’exclusion d’une loi provinciale dans l’affaire dont elle était saisie. Dans ces affaires, la Cour fédérale a interprété des lois fédérales et des lois provinciales en se demandant si elles entraient en conflit et si la loi fédérale devait avoir préséance (voir, par. ex., Early Recovered Resources Inc. c. Gulf Log Salvage Co-Operative Assn., 2003 CAF 35, [2003] 3 C.F. 447; Early Recovered Resources Inc. c. Colombie-Britannique, 2005 CF 995, 276 F.T.R. 267; Brooks Aviation, Inc. c. Boeing SB-17G, 2004 CF 710, [2005] 1 C.F. 352). En 2005, à l’occasion de l’affaire Early Recovered Resources, la Cour est allée plus loin et a rendu un jugement déclaratoire qui allait en ce sens.

[69]           La jurisprudence ITO-Int’l Terminal Operators de la Cour suprême, précitée, illustre elle‑même la capacité de la Cour fédérale d’interpréter et d’appliquer les doctrines constitutionnelles. Avec le troisième volet du critère consacré par la jurisprudence ITO-Int’l Terminal Operators, la Cour suprême exige que la Cour fédérale se livre à une analyse du partage des pouvoirs et recherche si la loi fédérale qui constitue le fondement de l’attribution de la Cour fédérale selon le second volet du critère constitue effectivement une loi fédérale valide aux termes du partage des pouvoirs prévus par la Constitution. Pour répondre à cette question, la Cour fédérale doit s’inspirer de la common law qui a été élaborée dans le domaine du partage constitutionnel des pouvoirs et elle doit l’analyser.

[70]           Il n’y a pas lieu d’opérer une quelconque distinction entre la présente espèce et cette jurisprudence. Canadian Transit demande à la Cour fédérale de décider, en recourant à des doctrines de common law construites dans le domaine du partage constitutionnel des compétences, si le pont Ambassador et les biens-fonds et installations qui l’entourent qui, selon elle, sont nécessaires au pont, doivent être réglementés par la législation fédérale à l’exclusion des lois provinciales (et municipales). Comme la Cour fédérale a, d’après le critère consacré par la jurisprudence ITO-Int’l Terminal Operators, compétence selon la loi et la Constitution, elle peut appliquer les doctrines de la prépondérance et de l’exclusivité des compétences.

G.        Une nuance

[71]           Dans les présents motifs, j’ai dit que la Cour fédérale avait compétence pour rendre des jugements déclaratoires sur des questions constitutionnelles telles que la prépondérance et l’exclusivité des compétences. J’ai nuancé cette affirmation en précisant qu’il fallait que le critère consacré par la jurisprudence ITO-Int’l Terminal Operators soit respecté. Cette exigence tient en partie au fait que ce critère sert à s’assurer que la Cour fédérale a la compétence légale et constitutionnelle d’intervenir. La nuance que j’apporte est toutefois également importante pour une autre raison.

[72]           À la différence de la doctrine de la prépondérance, la doctrine de l’exclusivité des compétences peut jouer même lorsqu’il n’y a pas de loi fédérale qui occupe le champ (Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association, 2010 CSC 39, [2010] 2 R.C.S. 536). Ainsi, la partie qui se fonde uniquement sur l’enclave fédérale que constitue le domaine de l’aéronautique peut invoquer la doctrine de l’exclusivité des compétences pour contester une loi provinciale qui empiète sur cette enclave. Cette partie pourrait‑elle s’adresser à la Cour fédérale pour contester la validité d’une loi provinciale en réclamant, en vertu de l’alinéa 23c), un jugement déclaratoire fondé sur l’exclusivité des compétences et sur l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982? Le droit fédéral sur lequel reposerait l’affaire serait-il suffisant en pareil cas pour conclure à la compétence de la Cour fédérale au sens du critère  consacré par la jurisprudence ITO-Int’l Terminal Operators? Les réponses à ces trois questions devront attendre un débat en bonne et due forme lors d’un procès à l’occasion duquel elles seraient soulevées.

[73]           Dans le cas qui nous occupe, Canadian Transit – qui a été constituée en société fédérale aux termes d’une loi fédérale spéciale en vue de poursuivre des objectifs fédéraux et qui invoque une disposition fédérale permettant à la Cour fédérale de rendre des jugements déclaratoires concernant des ouvrages et des entreprises fédéraux – a demandé à la Cour fédérale de définir avec précision en quoi consistent les droits que lui confère la loi fédérale spéciale en question relativement à un pont international qui constitue, selon elle, un ouvrage fédéral réglementé par le gouvernement fédéral et assujetti en grande partie à la loi fédérale spéciale en question. Pour répondre à cette question, la Cour fédérale, qui peut se fonder sur une « loi du Canada », en l’occurrence l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, puisera sa réponse en grande partie dans son interprétation de la loi fédérale spéciale en question et de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui constitue une autre « loi du Canada ». Cette loi particulière du Canada énumère des pouvoirs fédéraux qui, dans certaines circonstances définies par la jurisprudence, se voient reconnaître préséance ou exclusivité selon les doctrines de la prépondérance et de l’exclusivité des compétences. La Cour fédérale, dont la mission est d’administrer les lois fédérales et qui peut s’appuyer sur les pouvoirs implicites dont elle et ses prédécesseurs disposent depuis près de 150 ans pour se prononcer sur la constitutionnalité et l’applicabilité des lois qui leur sont soumises, peut appliquer les doctrines de la prépondérance et de l’exclusivité des compétences. Il s’agit d’une question fédérale à part entière et la Cour fédérale peut la trancher sans réserve.

H.        La demande de Canadian Transit devrait‑elle être convertie en action?

[74]           Canadian Transit a introduit la présente instance sous forme de demande. Après avoir reçu le jugement de la Cour fédérale, elle s’est rendu compte qu’elle aurait dû procéder par voie d’action et non par voie de demande.

[75]           Par conséquent, au nombre des mesures qu’elle sollicite dans le présent appel, Canadian Transit demande à notre Cour de convertir sa demande en action. Elle a joint à l’avis d’appel qu’elle a soumis à notre Cour un projet de déclaration, lequel est pratiquement identique à son avis de demande.

[76]           Aux termes de l’article 300 des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98‑106, les demandes sont réservées au contrôle judiciaire de mesures administratives ainsi qu’aux procédures engagées sous le régime d’une loi fédérale qui en prévoit ou en autorise l’introduction par voie de demande, de requête, d’avis de requête introductif d’instance, d’assignation introductive d’instance ou de pétition ou à un règlement par procédure sommaire. Nul de ces cas ne s’applique en l’espèce. Canadian Transit a donc raison de demander que sa demande soit convertie en action.

[77]           À l’appui de sa demande de conversion, Canadian Transit invoque l’article 57 des Règles qui dispose que la Cour ne doit pas annuler un acte introductif d’instance au seul motif que l’instance aurait dû être introduite par un autre acte introductif d’instance. Le fait de ne pas avoir déposé le bon acte introductif d’instance constitue une irrégularité qui peut être corrigée, et non une erreur fatale qui met fin à la procédure.

[78]           La demande de conversion présentée par Canadian Transit concernant son acte de procédure ne nous a pas été régulièrement présentée et elle ne peut être accueillie. L’article 52 de la Loi sur les Cours fédérales, précité, énumère les pouvoirs conférés à notre Cour en appel. Nous n’avons pas, en vertu de cet article, le pouvoir de trancher une requête qui aurait dû être présentée devant la Cour fédérale, mais ne l’a pas été. Canadian Transit doit donc demander la conversion de son acte de procédure en soumettant sa requête à la Cour fédérale.

[79]           La ville de Windsor s’oppose à la requête en conversion de Canadian Transit. Elle a le droit de présenter des éléments de preuve pour répondre à la demande de conversion de Canadian Transit. Elle ne peut toutefois le faire dans le cadre du présent appel. La Cour fédérale est la juridiction devant laquelle Canadian Transit doit présenter sa requête en conversion et devant laquelle la ville de Windsor doit y répondre.

[80]           Par conséquent, je ne statuerai pas sur la demande de conversion de Canadian Transit. Il est loisible à Canadian Transit de saisir la Cour fédérale d’une requête en vue d’obtenir cette mesure.

I.                   Dispositif proposé

[81]           Par conséquent, j’accueillerais l’appel, j’annulerais le jugement rendu par la Cour fédérale le 21 mai 2014 dans le dossier T‑1699‑13 et je rejetterais la requête en radiation.

[82]           Les parties ont convenu que notre Cour devrait fixer les dépens. Comme les dépens doivent suivre l’issue de la cause, j’accorderais à Canadian Transit ses dépens, lesquels sont fixés à 5 500 $ devant notre Cour et à 9 500 $ devant la Cour fédérale, tout compris.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

A.F. Scott, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-297-14

(APPEL DU JUGEMENT RENDU LE 21 MAI 2014 PAR LE JUGE SHORE DANS LE DOSSIER No T‑1699‑13)

INTITULÉ :

CANADIAN TRANSIT COMPANY c. LA CORPORATION DE LA VILLE DE WINDSOR

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

toronto (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 MARS 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Larry P. Lowenstein

Laura K. Fric

Kevin O’Brien

Pierre-Alexandre Henri

 

pour lA DEMANDERESSE

 

Christopher J. Williams

Courtney V. Raphael

Jody E. Johnson

 

pour lA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osler, Haskin & Harcourt, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Aird & Berlis LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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