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Date : 20150319


Dossier : A-278-14

Référence : 2015 CAF 78

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE SCOTT

 

ENTRE :

 

PÊCHERIES GUY LAFLAMME INC.
ET
GUY LAFLAMME

 

appelants

 

et

 

CAPITAINES PROPRIÉTAIRES DE LA GASPÉSIE (A.C.P.G) INC.
et
PAULIN COTTON
et
AXA ASSURANCES INC.

 

intimés

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 17 mars 2015.

Jugement rendu à Ottawa, le 19 mars 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE SCOTT

 


Date : 20150319


Dossier : A-278-14

Référence : 2015 CAF 78

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE SCOTT

 

ENTRE :

 

PÊCHERIES GUY LAFLAMME INC.
ET
GUY LAFLAMME

 

appelants

 

et

 

CAPITAINES PROPRIÉTAIRES DE LA GASPÉSIE (A.C.P.G) INC.
et
PAULIN COTTON
et
AXA ASSURANCES INC.

 

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GAUTHIER

[1]               Pêcheries Guy Laflamme Inc. [Pêcheries] et Guy Laflamme (ensemble, les appelants) ont logé un appel de la décision du juge Harrington de la Cour fédérale [le juge] déclarant que la clause d’exclusion de responsabilité dans un contrat intitulé « Manœuvre de bateau » couvrait la négligence. Ce faisant, le juge a aussi rejeté leur demande reconventionnelle contre Capitaines Propriétaires de la Gaspésie (A.C.P.G) Inc. [A.C.P.G] et AXA Assurances Inc. (l’assureur de A.C.P.G) pour les dommages causés au bateau de pêche « Myrana I » alors qu’il était en possession de A.C.P.G.

[2]               A.C.P.G. exploite depuis 1984 une marina et une cale sèche à Rivière-au-Renard. Lors de la mise à l’eau du Myrana I, le 19 mai 2008, le bateau est tombé à l’eau et a été endommagé, tant par cette chute que par le contact avec le câble de la grue-portique utilisée pour déplacer le navire.

[3]               Les appelants soutiennent que le juge a erré dans l’interprétation de la clause d’exclusion de responsabilité à plusieurs égards. D’abord, selon eux, celle-ci ne pouvait couvrir la négligence eu égard aux circonstances de cette affaire, et le juge n’a pas suffisamment motivé sa conclusion. Ensuite, si cette clause exclut effectivement la négligence, il s’agissait nécessairement d’une clause abusive et exorbitante et le juge aurait dû refuser de l’appliquer. Selon les appelants, il est inconcevable que A.C.P.G. puisse faire n’importe quoi avec son bateau sans en être tenu responsable et le juge aurait dû appliquer la doctrine de l’inexécution fondamentale.

[4]               Enfin, les appelants ajoutent que le juge a erré dans son évaluation de la preuve et qu’il ne pouvait tirer l’inférence que Pêcheries était liée par les modalités du contrat et qu’elle aurait dû savoir ce qu’il prévoyait.

[5]               L’interprétation d’un contrat est une question mixte de fait et de droit (Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] S.C.J. No. 53 [Sattva] aux paragraphes 49 et 50). Il en est de même de la question à savoir si, dans l’espèce, la clause d’exclusion de responsabilité était abusive et exorbitante. Normalement, les appelants avaient donc le fardeau d’établir que le juge a commis une erreur manifeste et dominante à ces égards (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S 235). La même norme s’applique à l’évaluation de la preuve et aux inférences que le juge a tirées.

[6]               Pour éviter toute déférence au juge, les appelants soutiennent qu’il a commis des erreurs de droit :

                                            i.            en n’appliquant pas les trois critères du test strict énoncé dans Canada Steamship Lines Ltd v The King, [1952] UKPC 1, [1952] AC 192 [Canada SS];

                                          ii.            en n’appliquant pas la règle contra proferentem à l’encontre de A.C.P.G; et

                                        iii.            en n’appliquant pas la doctrine de l’inexécution fondamentale.

[7]               À l’audience, le procureur des appelants a surtout insisté sur l’application du troisième critère du test de Canada SS, puisque cette erreur est selon lui cruciale aux fins de l’appel.

[8]               En effet, pour les appelants, si le juge avait appliqué le troisième critère, à savoir si la clause pouvait couvrir des risques autres que la négligence, il n’aurait pu que conclure que la clause ne couvrait pas la négligence.

[9]               Comme l’indique la Cour suprême du Canada au paragraphe 54 de Sattva, bien qu’il peut se révéler possible de dégager de pures questions de droit de ce qui parait au départ être une question mixte de fait et de droit, la Cour doit faire preuve de prudence avant d’isoler une telle question de droit dans un litige portant sur l’interprétation d’un contrat. Il me faut donc examiner soigneusement les questions soulevées par les appelants pour vérifier si elles doivent réellement être traitées comme des questions distinctes.

[10]           Selon moi, le juge n’a pas commis d’erreur sur des questions de droit qui peuvent se dégager de l’ensemble de son raisonnement. Comme je l’indiquerai ci-après, il a examiné le sens des mots dans leur contexte eu égard à l’objet de l’entente et la nature des rapports créés par celle-ci (Sattva, au paragraphe 48).

[11]           Il n’avait pas à appliquer la règle contra proferentem puisque selon lui, la clause n’était pas ambiguë (voir paragraphe 25 des motifs publiés sous la citation 2014 CF 456).

[12]           Le contrat intitulé « Manœuvre de bateau » utilisé pour les services de halage, de remisage et de remise à l’eau de A.C.P.G. est soumis au droit maritime canadien (paragraphes 10 et 11 des motifs). Ayant déterminé le droit applicable, le juge a examiné la nature de ce contrat et déterminé que A.C.P.G agissait comme dépositaire (« bailee » en droit maritime) et qu’elle avait un devoir de diligence raisonnable (paragraphe 24 des motifs). Cette conclusion n’est pas remise en question devant nous. Je note d’ailleurs que c’est sur cette base (« bailment ») que le juge a imposé à A.C.P.G le fardeau d’établir que l’accident n’a pas été causé par sa négligence.

[13]           C’est dans ce contexte que le juge a examiné le sens ordinaire des mots de la clause que je reproduis ci-dessous :

Je, soussigné, Guy Laflamme résidant à Rivière au Renard, propriétaire du bateau V/M Myrana I portant le numéro d’enregistrement ______ déclare assumer la responsabilité de tous les risques découlant du halage, du stationnement, de l’hivernage et/ou du lancement de ce bateau et je dégage le Propriétaire de cette cale de halage ainsi que son Opérateur Paulin Cotton de toute responsabilité civile découlant de ces opérations ou manœuvres s’y rattachant.

[Mon souligné]

[…]

Il a conclu que la clause couvrait la négligence de la part de A.C.P.G., qu’elle découle d’un délit ou du contrat (paragraphes 25 à 29 des motifs).

[14]           Lorsqu’une partie ne peut encourir de responsabilité civile en l’absence de négligence, comme c’est le cas en l’espèce, il est clair que l’expression « responsabilité civile » est synonyme de négligence. Il n’y avait donc aucune ambigüité qui permette l’application de la règle contra proferentem. Ceci fait en sorte que la clause est aussi claire que si le mot « négligence » y apparaissait.

[15]           À tout évènement, la Cour suprême du Canada, dans Sattva et dans Tercon Contractors Ltd. c. Colombie-Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69, confirme qu’un contrat doit être interprété comme un tout, en tenant compte des circonstances et du contexte commercial. Il s’ensuit que l’approche en trois étapes de Canada SS est un guide plutôt qu’un test décisif qui mandate un résultat prédéterminé lorsque l’interprétation porte sur une clause qui exclut ou limite la responsabilité.

[16]           Je note que dans ITO-Int'l Terminal Operators c Miida Electronics, [1986] 1 R.C.S. 752, la Cour suprême du Canada avait, entre autres, à déterminer si ITO, à titre de partie au contrat de manutention des marchandises soumis au droit maritime canadien, pouvait bénéficier de l’exclusion de responsabilité incluse dans le connaissement. Les clauses 8 et 18 du connaissement indiquaient que le transporteur (et ITO à titre de sous-contractant) ne serait tenu responsable d’aucune perte survenue après le déchargement et que les risques et coûts d’entreposage seraient assumés par l’expéditeur ou le destinataire (dernier paragraphe de la page 791). La Cour suprême du Canada, après avoir conclu que ces termes étaient suffisamment larges pour couvrir la négligence (critère 1 et 2 de Canada SS), traite du troisième critère d’analyse de Canada SS, très brièvement, à la page 800 de ses motifs.

[17]           Elle indique qu’il faut répondre par la négative à la dernière question, à savoir s’il existait e autre catégorie possible de responsabilité à laquelle pourrait s’appliquer la clause de non-responsabilité, parce que :

La seule responsabilité qui pouvait être imposée au dépositaire [en anglais, « bailee »] devait être fondée sur la négligence.

[18]           Devant nous, le procureur des appelants n’a pas beaucoup insisté sur la doctrine de l’inexécution fondamentale, puisqu’il est clair, comme le prétendent les intimés, que la Cour suprême du Canada a mis de côté cette doctrine dans Tercon (paragraphes 62 et 82).

[19]           Pour ce qui est de l’évaluation de la preuve et de la conclusion du juge selon laquelle Pêcheries était liée par les modalités du contrat, les appelants ne se sont pas déchargés de leur fardeau d’établir une erreur manifeste et dominante.

[20]           Certes, certains passages des motifs auraient gagné à être plus clairs et certains commentaires semblent inopportuns, mais le fait demeure que la conclusion du juge à cet égard est bien supportée par la preuve.

[21]           Rappelons que le juge a considéré, pour en venir à cette conclusion, que :

        Le contrat était court (une page, trois paragraphes), très lisible, avec l’intitulé « Responsabilités du propriétaire du bateau » en lettres majuscules et en caractères gras (paragraphe 18 des motifs).

        Le contrat du 19 mai a été signé par Guy Laflamme à titre de représentant de Pêcheries (paragraphe 20 des motifs et dossier d’appel, page 146).

        Ce contrat n’était pas nouveau puisqu’il était utilisé pour les navires des appelants depuis plus de 20 ans et qu’à chaque fois, Pêcheries en a reçu un exemplaire par la poste en plus de la copie remise au signataire (paragraphes 14, 21 et 37 des motifs).

        Au moins 36 contrats ont été retrouvés dans le dossier de Pêcheries, dont 16 signés par Guy Laflamme lui-même (paragraphe 40 des motifs).

[22]           Dans les circonstances de l’espèce, je suis d’accord avec le juge que Pêcheries était liée par les modalités du document signé par Guy Laflamme en son nom (paragraphe 48 de la décision).

[23]           Finalement, le juge a conclu que la clause n’était pas abusive ni draconienne. Selon lui, une telle répartition des risques est une caractéristique du commerce moderne.

[24]           La clause était utilisée par les anciens propriétaires, entre autres le ministère de l’Agriculture du Québec, avant que A.C.G.P. n’acquière lesdites installations.

[25]           Que Guy Laflamme, qui est membre-actionnaire de A.C.P.G., considère les gens qui en font partie comme ses amis, voire sa famille, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une opération commerciale pour les deux parties. La répartition des risques permet d’éviter les litiges et les lourdes dépenses qu’ils entrainent. D’ailleurs, n’eut été de l’erreur identifiée ci-après (paragraphe 28), tous sont d’accord pour dire que le présent litige n’aurait pas eu lieu.

[26]           Les appelants ajoutent que A.C.P.G. aurait dû les aviser expressément qu’ils devaient assurer leur bateau compte tenu de l’exclusion. Cet argument est difficile à suivre puisqu’effectivement, le Myrana I était assuré depuis des années et que, comme les appelants l’ont confirmé devant nous, le 19 mai Guy Laflamme croyait que le Myrana I était assuré.

[27]           Le juge traite d’un autre argument des appelants, qu’il ne retient pas, à savoir que les parties n’avaient pas l’intention de répartir les risques puisque A.C.P.G maintenait une assurance responsabilité avec Axa Assurance Inc. Le juge note que Pêcheries avait elle-même une assurance coque et machines (une assurance-bien) et que c’est seulement après l’accident qu’elle s’est aperçue que celle-ci avait été annulée pour défaut de paiement. Le caractère draconien d’une clause ne peut dépendre de telles circonstances extrinsèques.

[28]           Les appelants semblent reprocher au juge de ne pas reprendre verbatim chacun de leurs nombreux arguments. Il convient de mentionner que cela ne signifie pas qu’il les a ignorés, il ne leur a simplement pas accordé le poids que leur accordent les appelants.

[29]           En conclusion, quant à moi, les appelants n’ont pas établi que le juge a commis une erreur manifeste et dominante qui justifie l’intervention de notre Cour.

[30]           Je propose donc que l’appel soit rejeté avec dépens.

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

« Je suis d’accord

Marc Noël, j.c.a. »

« Je suis d’accord

A.F. Scott, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-278-14

 

INTITULÉ :

PÊCHERIES GUY LAFLAMME INC. ET GUY LAFLAMME c. CAPITAINES PROPRIÉTAIRES DE LA GASPÉSIE (A.C.P.G) INC. ET PAULIN COTTON ET AXA ASSURANCES INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 mars 2015

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE SCOTT

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 mars 2015

 

 

COMPARUTIONS :

Sarto Landry

 

Pour les appelants

 

Jean-François Bilodeau

 

Pour les intimés

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sarto Landry

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour les appelants

 

ROBINSON SHEPPARD SHAPIRO, s.e.n.c.r.l. 

Montréal (Québec)

 

Pour les intimés

 

 

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