Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20150407


Dossier : A‑351‑13

Référence : 2015 CAF 85

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

LEON WALCHUK

appelant

et

CANADA (MINISTRE DE LA JUSTICE)

intimé

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 15 octobre 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 avril 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LES JUGES DAWSON ET STRATAS

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

 


Date : 20150407


Dossier : A‑351‑13

Référence : 2015 CAF 85

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

LEON WALCHUK

appelant

et

CANADA (MINISTRE DE LA JUSTICE)

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LES JUGES DAWSON et STRATAS

[1]               Le 14 juin 2000, M. Walchuk a été déclaré coupable du meurtre au second degré de Corrine Walchuk, son épouse dont il était séparé.

[2]               L’article 696.1 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, autorise toute personne ayant été condamnée à présenter une demande de révision auprès du ministre au motif qu’une erreur judiciaire aurait été commise. M. Walchuk a présenté une telle demande, mais elle a été rejetée par le ministre de la Justice d’alors, l’honorable Robert Nicholson. Le ministre n’était pas convaincu qu’il y avait des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’était probablement produite. Un juge de la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire que M. Walchuk a présentée à l’encontre de cette décision (2013 CF 958). Notre Cour est saisie de l’appel de la décision de la Cour fédérale. Par les motifs qui suivent, nous avons conclu que la décision du ministre était raisonnable et que l’appel devrait donc être rejeté.

I.                   Faits

[3]               En 1998, M. et Mme Walchuk étaient parties à des procédures de divorce acrimonieuses comprenant une longue bataille pour la division des biens matrimoniaux. Ils s’étaient séparés en 1994 et partageaient provisoirement la garde de leurs deux jeunes enfants.

[4]               Le 30 mars 1998, Mme Walchuk s’est rendue à la maison située sur la ferme familiale pour y prendre les enfants, qui n’y étaient pas. Une dispute a éclaté entre M. et Mme Walchuk au terme de laquelle la voiture de cette dernière est rentrée dans la galerie de l’entrée, la maison a pris feu et Mme Walchuk a été retrouvée sans vie au bas de l’escalier du sous‑sol. Elle est morte dans l’incendie des suites d’un empoisonnement au monoxyde de carbone. L’autopsie a révélé de nombreuses blessures, y compris de profondes lacérations au crâne.

[5]               M. Walchuk a été accusé du meurtre au premier degré de son épouse et a été jugé par un juge siégeant seul.

[6]               La preuve recueillie contre M. Walchuk était indirecte, et il s’est prévalu de son droit de ne pas témoigner. Cependant, peu après son arrestation et durant sa détention, il a fait des déclarations à un policier banalisé qui se faisait passer pour son compagnon de cellule. Au procès, ce policier a rapporté ces déclarations durant sa déposition. Les voisins arrivés sur les lieux de l’incendie ont également témoigné au sujet de la conduite de M. Walchuk et de certaines choses qu’il avait dites.

[7]               Selon la thèse de la défense, appuyée par certaines déclarations de M. Walchuk, Mme Walchuk était furieuse en constatant que ses enfants n’étaient pas à la maison. Les époux se sont disputés. Dans un accès de rage, elle a tenté d’écraser M. Walchuk avec sa voiture et a foncé dans la galerie de la maison de ferme, qu’elle a emboutie, de même qu’un mur intérieur de la maison. Elle est ensuite descendue de la voiture et a frappé M. Walchuk avec un bâton de hockey. Ils se sont retrouvés dans le sous‑sol, M. Walchuk a saisi le bâton de hockey et l’a battue à plusieurs reprises. Il a déclaré : [traduction« J’ai continué de la frapper, je ne pouvais pas m’arrêter ». Il s’est rendu compte que la galerie avait pris feu, sans doute parce que la voiture l’avait emboutie. Il est remonté et a tenté d’étouffer les flammes avec sa veste. Comme il n’y arrivait pas, il a quitté la galerie et s’est éloigné de la maison. Il a entendu sa femme l’appeler à l’aide, mais il ne pouvait rien faire pour elle.

[8]               D’après la thèse du ministère public, après avoir laissé sa femme inconsciente ou quasi inconsciente au bas de l’escalier du sous‑sol, M. Walchuk a versé de l’essence en haut de l’escalier et autour de la galerie, puis il a embouti le mur de la galerie près de la porte avec la voiture de sa femme. À ce moment‑là, soit la maison brûlait déjà, soit le feu a pris peu après que la voiture eut défoncé la galerie. Un enquêteur d’incendies, M. Fairbank, a déclaré durant son témoignage d’expert qu’un agent accélérateur avait été versé sur l’escalier menant au sous‑sol. Deux autres experts ont également témoigné. Selon M. Davies, un inspecteur électrique, il était improbable que la source du feu soit de nature électrique. M. Hunter, un expert en inspection de véhicules, a déclaré pour sa part que l’incendie n’avait pas débuté dans la voiture de Mme Walchuk.

[9]               Par les motifs publiés sous 2000 SKQB 275, un juge de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan (le juge) a déclaré M. Walchuk coupable de meurtre au second degré. Il a conclu, hors de tout doute raisonnable, qu’au moment du décès de Mme Walchuk, M. Walchuk avait conçu l’intention de la tuer. Il l’avait gravement battue et laissée inerte dans la maison en flammes. Les coups reçus avaient été un facteur clé ayant contribué au décès, et M. Walchuk avait intentionnellement mis le feu à la maison. Toutefois, le juge a eu un doute raisonnable en ce qui concerne la planification et la préméditation du meurtre. Il a donc déclaré M. Walchuk coupable de meurtre au second degré et non au premier. M. Walchuk a été condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle pendant seize ans.

[10]           Par les motifs publiés sous 2001 SKCA 36, la Cour d’appel de la Saskatchewan a rejeté l’appel visant la déclaration de culpabilité et l’ordonnance relative à la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle.

[11]           En février 2009, M. Walchuk a présenté, avec l’appui d’Innocence Project d’Osgoode Hall, une demande au ministre de la Justice fondée sur l’article 696.1 du Code criminel.

[12]           La demande de M. Walchuk était fondée sur trois nouveaux avis d’experts en incendies criminels qui contestaient la conclusion du juge selon laquelle le feu avait été déclenché intentionnellement avec un agent accélérateur. Contrairement à l’avis exprimé par M. Fairbank durant le procès et sur lequel le juge s’est appuyé, ces trois experts étaient d’avis qu’un accélérateur n’avait pas été utilisé pour mettre le feu. Les trois experts réfutaient également l’avis de M. Davies voulant que l’origine du feu ne soit pas électrique.

[13]           La demande de M. Walchuk a été examinée par le Groupe de la révision des condamnations criminelles du ministère de la Justice, qui a engagé un expert indépendant en incendies criminels, M. Senez. Ce dernier a retenu l’avis des nouveaux experts qu’il n’y avait pas de traces d’accélérateur et qu’il ressortait de solides éléments de preuve que le feu avait pris à l’extérieur de la maison de ferme, et qu’il s’était déplacé à l’intérieur par la fenêtre de la cuisine et la porte‑fenêtre. À son avis, les dommages concordaient avec [traduction« des scénarios d’ignition liés au véhicule ou aux systèmes électriques du bâtiment ». Il a également conclu que :

[traduction] Les éléments de preuve indirects inexpliqués sont assez nombreux pour justifier d’envisager un feu d’origine incendiaire. […] [L]e poids à accorder à cette éventualité dépend de la foi que la Cour veut bien prêter à l’avis d’Arthur Hunter (l’expert ayant examiné l’automobile comme source possible de l’incendie), selon lequel le feu ne résultait pas d’une panne de véhicule, et à celui de l’inspecteur électrique, M. Wayne Davies, selon qui le système électrique du bâtiment ne pouvait être à l’origine du feu.

[14]           Le Groupe de révision a par la suite rédigé un rapport d’enquête pour aider le ministre. Une copie en a été fournie à Innocence Project, qui a présenté des observations en réponse aux questions soulevées dans ce rapport.

II.                La décision du ministre

[15]           Le ministre a soigneusement résumé la nouvelle preuve d’expert, et noté que tous les experts remettaient en cause la conclusion de M. Fairbank selon laquelle un accélérateur avait servi à mettre le feu. Ces avis minaient grandement la thèse du ministère public voulant que M. Walchuk ait intentionnellement provoqué l’incendie à l’aide d’un tel agent. Le ministre a relevé que plusieurs des experts doutaient également des conclusions de M. Davies, qui avait exclu que le feu ait été d’origine électrique. Le ministre a néanmoins estimé qu’aucun des experts ne pouvait conclure que M. Walchuk n’avait pas intentionnellement mis le feu d’une autre manière ou dans un autre lieu; les experts avaient seulement conclu qu’un accélérateur n’avait pas été utilisé dans l’escalier du sous‑sol pour allumer le feu.

[16]           Le ministre a ensuite analysé son rôle dans ce genre de demande. Il a noté que les articles 696.1 à 696.6 du Code criminel (reproduits dans l’annexe jointe aux présents motifs) l’autorisent à ordonner la tenue d’un nouveau procès ou à renvoyer une cause devant la Cour d’appel s’il est convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite. Le ministre a ajouté qu’un tel recours est extraordinaire et qu’il ne peut être accordé que s’il est convaincu que de nouvelles questions importantes mettent en doute la justesse de la déclaration de culpabilité. En l’espèce, le ministre a déclaré que [traduction« mon rôle n’est pas d’examiner les mêmes éléments de preuve et arguments déjà produits devant un tribunal ni de substituer mon opinion à la sienne ».

[17]           Citant la jurisprudence Palmer et Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759, (1979), 50 C.C.C. (2d) 193, le ministre a noté ensuite qu’il se sert généralement, pour rechercher si les éléments de preuve sont nouveaux et importants, du critère construits par les cours d’appel pour apprécier l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve en appel. Le ministre a énoncé les quatre facteurs pertinents appliqués par les cours d’appel, le plus important étant d’après lui de savoir si les nouveaux éléments de preuve, tenus pour digne de foi, pouvaient raisonnablement avoir une incidence sur le verdict.

[18]           Le ministre est finalement parvenu à la décision suivante :

[traduction] J’ai attentivement examiné l’ensemble des éléments de preuve qui ont été produits au procès de votre client, ainsi que les conclusions de fait du juge du procès, qui ne sont ébranlées par aucune conclusion concernant l’éventuelle utilisation d’un accélérateur pour provoquer l’incendie qui a tué la victime. Je suis conscient que pour exercer mon pouvoir discrétionnaire, je dois tenir compte de tous les renseignements que je juge pertinents. Gardant tout cela à l’esprit, je me reporte à plusieurs conclusions précises du juge du procès, à savoir que :

•   Corrine Walchuk a été laissée pour morte ou mourante au bas de l’escalier du sous‑sol, après avoir été battue par Leon Walchuk au point d’être inconsciente ou en tout cas incapable d’échapper au feu en raison de ses blessures;

•   M. Walchuk n’a dit à personne immédiatement, pas même aux pompiers qui se trouvaient sur place, que la victime était coincée dans le sous‑sol de la maison;

•   M. Walchuk a caché des effets personnels à l’extérieur de la maison, dont aucun ne revêtait le moindre intérêt pour la victime;

•   il est fréquent de cacher des objets avant de déclencher un incendie criminel, ce qui donne à penser que M. Walchuk prévoyait de mettre le feu à la maison;

•   M. Walchuk voulait acheter une nouvelle maison, mais il n’avait pas d’argent;

•   durant sa conversation en détention avec un agent banalisé, M. Walchuk a déclaré à quatre reprises que la maison de ferme aurait dû « exploser », auquel cas la preuve relative à la cause du décès de la victime aurait été beaucoup moins claire qu’elle ne l’était;

•   c’était la première fois, le soir du décès de la victime, que les enfants n’étaient pas prêts à être emmenés;

•   il ne faisait aucun doute que M. Walchuk avait proféré de graves menaces contre la victime;

•   pour s’assurer que la victime serait seule et plus vulnérable en venant chercher les enfants, M. Walchuk s’est bien arrangé pour que personne ne se hasarde sur sa propriété;

•   l’imminence de l’audience de divorce et de la division des biens en jeu peuvent avoir motivé le meurtre de la victime.

Le juge a également conclu hors de tout doute raisonnable que votre client avait intentionnellement provoqué l’incendie qui a causé la mort de la victime, que les coups violents reçus par la victime étaient un facteur clé ayant contribué au décès, et qu’il avait conçu l’intention de la tuer.

[…]

Même en présumant que l’incendie qui a tué la victime n’a pas été provoqué par un accélérateur, j’estime que des éléments de preuve convaincants permettent d’établir que M. Walchuk avait l’intention de tuer la victime, compte tenu de ce qui suit : la conclusion du juge du procès d’après laquelle le passage à tabac qu’il lui a administré était un facteur clé ayant contribué au décès; il l’a laissée dans un bâtiment en flammes dont elle était incapable de s’échapper par elle‑même; il n’a averti personne immédiatement de la présence de la victime dans la maison, alors que les pompiers tentaient d’éteindre le feu.

Même s’il peut être impossible à présent d’établir de façon irréfutable les origines du feu, de nombreuses conclusions de fait du juge de première instance qui n’ont pas été remises en question par la Cour d’appel de la Saskatchewan soulignent la culpabilité de M. Walchuk, et aucune des conclusions contenues dans les rapports ne conteste l’essentiel de ces conclusions. Quoi qu’il en soit, me fondant sur les conclusions du juge du procès, j’estime que ces nouveaux rapports – pris ensemble ou individuellement – n’auraient en aucun cas eu une incidence sur la décision du juge du procès de le déclarer coupable.

Par conséquent, je conclus que même si les nouveaux rapports d’experts mettent en doute l’utilisation d’un accélérateur pour déclencher l’incendie, il reste suffisamment d’éléments de preuve dont il ressort que M. Walchuk a intentionnellement tué la victime. Compte tenu de ces éléments de preuve qui tiennent toujours, je ne suis pas convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite dans le cas de votre client et, dans les circonstances, je n’exercerai pas mon pouvoir discrétionnaire pour accorder le recours extraordinaire sollicité.

III.             La décision de la Cour fédérale

[19]           Après avoir rappelé les faits, le juge a conclu que la norme de contrôle applicable à la décision du ministre devait être celle de la décision raisonnable (motifs du juge au paragraphe 21).

[20]           Le juge a ensuite recherché si l’interprétation du ministre de ce qui constitue une erreur judiciaire était raisonnable. Il a conclu que le ministre avait implicitement interprété cette notion de sorte qu’il fallait rechercher si l’appelant aurait été déclaré coupable malgré la nouvelle preuve d’expert; le juge a conclu que cette interprétation était raisonnable (motifs du juge au paragraphe 24).

[21]           Le juge a ensuite recherché si la décision du ministre était raisonnable. À son avis, aucun des nouveaux rapports d’experts ne concluait que le feu était d’origine accidentelle, ni n’excluait la possibilité que M. Walchuk l’ait allumé d’une autre manière. Comme l’a déclaré le juge, « [l]es experts s’entendent sur la possibilité que le demandeur ait allumé l’incendie après avoir conduit la voiture de la victime sur la galerie. En l’ajoutant à d’autres éléments de preuve circonstancielle, il existe un fondement suffisant pour conclure raisonnablement que le demandeur a intentionnellement allumé l’incendie » (motifs du juge au paragraphe 38). Le juge a donc rejeté la demande de contrôle judiciaire.

IV.             Les questions en litige

[22]           À notre avis, les questions en litige dans le cadre du présent appel sont les suivantes :

                         i.                   Quelle est la norme de contrôle à appliquer en appel à la décision de la Cour fédérale?

                       ii.                   Selon quelle norme doit‑on contrôler la décision du ministre?

                     iii.                   Si la norme de contrôle connecte est appliquée, la décision du ministre doit‑elle être annulée?

V.                La norme de contrôle en appel

[23]           Le droit à cet égard est bien fixé : la Cour fédérale a‑t‑elle retenu la norme de contrôle appropriée et l’a‑t‑elle appliquée correctement? Pour répondre à cette question, la cour réformatrice doit « se mettre à la place » du tribunal d’instance inférieure de manière à se concentrer sur la décision administrative en cause (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 et 46).

VI.             La norme de contrôle à appliquer à la décision du ministre

[24]           Les avocats de M. Walchuk reconnaissent que la norme de contrôle à appliquer à l’ensemble de la décision du ministre est celle de la décision raisonnable. Ils soutiennent cependant qu’une pure question de droit est sous‑jacente à la décision : qu’est‑ce qui constitue des « motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite »? Cette question de droit isolable serait susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[25]           Le juge a rejeté cette thèse (motifs du juge au paragraphe 21). À notre avis, c’est à bon droit qu’il l’a fait. Le juge a conclu que la Cour suprême a rejeté, par la jurisprudence Agraira, la norme de contrôle scindée proposée par l’appelant.

[26]           Les avocats de M. Walchuk soutiennent que l’on peut opérer une distinction par rapport aux faits de l’affaire Agraira, car la Cour était alors saisie d’une situation tout à fait différente : il s’agissait d’établir le sens des mots « intérêt national ». Le ministre concerné devait alors apprécier des politiques publiques et exercer un pouvoir discrétionnaire. Les avocats de M. Walchuk soutiennent qu’en l’espèce, le ministre doit mener [traduction« une enquête juridique et médicolégale unique ». En outre, la levée de l’interdiction de territoire prévue par la loi, dont il était question dans l’affaire Agraira, est un privilège, alors que la demande fondée sur l’article 696.1 que le ministre doit examiner est un droit. Enfin, il est soutenu que la responsabilité du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en ce qui touche l’administration de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27, n’est pas du même ordre que celle du ministre de la Justice au titre du Code criminel.

[27]           À notre avis, la jurisprudence Agraira est pertinente, et ce, pour les motifs suivants.

[28]           Premièrement, il ne ressort pas de la motivation de cet arrêt que la Cour suprême voulait limiter son enseignement aux faits spécifiques dont elle était saisie.

[29]           Deuxièmement, nous rejetons la thèse portant que le ministre devait discuter une question de droit isolable à laquelle il devait répondre correctement. Le ministre devait rechercher s’il était « convaincu qu’il y a[vait] des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire [s’était] probablement produite » (paragraphe 696.3(3) du Code criminel), question intéressant un mélange indissociable de faits et de droit. Pour parvenir à cette décision fondée sur l’article 696.4, le ministre devait prendre en compte « tous les éléments qu’il estim[ait] se rapporter à la demande », y compris, aux fins de la présente affaire :

                         i.                   la question de savoir si la demande repose sur de nouvelles questions importantes qui n’ont pas été étudiées par les tribunaux;

                       ii.                   la pertinence et la fiabilité des renseignements présentés relativement à la demande;

                     iii.                   le fait que la demande présentée sous le régime de l’article 696.1 ne doit pas tenir lieu d’appel ultérieur et que les mesures de redressement prévues sont des recours extraordinaires.

[30]           Il ne ressort pas du texte de ce régime législatif que le ministre devait discuter une question de droit isolable à laquelle il fallait répondre correctement. Comme l’a déclaré la Cour à l’occasion de l’affaire Farwaha c. Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités), 2014 CAF 56, 455 N.R. 157, au paragraphe 81 (quoique dans un contexte législatif différent), conclure à l’existence d’une question de droit isolable reviendrait à diviser la mission du ministre de manière artificielle et inacceptable.

[31]           Selon le juge, la décision du ministre dans son ensemble devait être examinée selon la norme de la décision raisonnable. À notre avis, cette conclusion était connecte, bien qu’il n’ait pas cité l’arrêt de principe rendu par notre Cour, Daoulov c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 12, 388 N.R. 54, au paragraphe 11.

VII.          La marge d’appréciation à accorder au ministre

[32]           Les issues acceptables et défendables auxquelles il est loisible au ministre de parvenir – ou la marge d’appréciation que nous devrions lui accorder – suivant la norme de la décision raisonnable dépendent de « l’ensemble des facteurs pertinents » liés au processus décisionnel : Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, aux paragraphes 17, 18 et 23 et Halifax (Regional Municipality) c. Nova Scotia (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, [2012] 1 R.C.S. 364, au paragraphe 44. Dans l’arrêt McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, au paragraphe 38, le juge Moldaver a indiqué qu’en ce qui intéresse l’interprétation des lois, les issues raisonnables peuvent parfois se limiter à une seule, c’est‑à‑dire qu’aucune marge d’appréciation n’est possible.

[33]           Certains facteurs peuvent éclairer la marge d’appréciation : arrêt Farwaha, précité, aux paragraphes 90 à 92. En ce qui concerne la décision qui nous occupe, certains facteurs limitent la portée de la marge d’appréciation :

                         i.                   l’importance de la décision pour M. Walchuk;

                       ii.                   l’importance, au regard du système judiciaire pénal, de ce qu’on a appelé le dernier filet de sécurité pour les victimes de déclarations de culpabilité erronées. De telles déclarations de culpabilité minent la confiance du public envers le système judiciaire;

                     iii.                   le libellé des dispositions pertinentes de la partie XXI.1 du Code criminel et les principes juridiques établis qui s’y rapportent restreignent le pouvoir discrétionnaire du ministre (voir le paragraphe 56 ci‑après). Il ne s’agit pas d’une décision discrétionnaire reposant sur des politiques.

[34]           Quoique ces facteurs soient restrictifs, le ministre peut souvent bénéficier d’une certaine latitude. S’agissant de pondérer et d’évaluer la preuve, les termes « convaincu », « raisonnables », « probablement » et « extraordinaires » figurant aux alinéas 696.3(3)a) et 696.4c) autorisent des impressions et une certaine subjectivité; c’est ce que confirme la disposition privative stricte qui dispose que la décision du ministre est « sans appel » : paragraphe 696.3(4) du Code criminel.

[35]           En fin de compte, nous ne pensons pas que l’issue de cet appel particulier dépende de la marge d’appréciation que nous accorderons au ministre. Aux fins de la discussion, nous examinerons la décision du ministre selon un cadre rigoureux et ne lui accorderons aucune marge d’appréciation. Même selon cette démarche stricte, rien n’appelle l’infirmation de sa décision.

VIII.       Examen de la décision du ministre selon la norme de la décision raisonnable

1)                  Observations préliminaires

[36]           Nous partirons du principe qu’aux termes de l’article 396.3 du Code criminel, le ministre doit conclure qu’il y a « erreur judiciaire » s’il existe une preuve crédible dont on pourrait raisonnablement penser qu’elle aurait affecté le verdict au procès : Renvoi relatif à Milgaard (Can.), [1992] 1 R.C.S. 866, 90 D.L.R. (4th) 1. Nous ne formulerons aucune autre observation sur le sens des mots « erreur judiciaire » figurant dans cet article.

2)                  Les critères du meurtre au second degré

[37]           Le meurtre au second degré comporte trois éléments essentiels qui doivent tous être prouvés hors de tout doute raisonnable :

a)             M. Walchuk a causé la mort de Mme Walchuk. Pour causer le décès, tout acte ou omission doit être au moins une cause contributive importante, dont la nature est plus qu’insignifiante ou mineure. Il ne faut pas que quelqu’un d’autre ait fait ultérieurement quelque chose qui fasse en sorte que l’acte ou l’omission de M. Walchuk ne soit plus une cause ayant contribué au décès de Mme Walchuk. Voir généralement R. c. Maybin, 2012 CSC 24, [2012] 2 R.C.S. 30; R. c. Nette, 2001 CSC 78, [2001] 3 R.C.S. 488; R. c. Harbottle, [1993] 3 R.C.S. 306, 84 C.C.C. (3d) 1; R. c. Smithers, [1978] 1 R.C.S. 506.

b)             M. Walchuk a causé la mort de Mme Walchuk illégalement. À cet égard, il faut tenir compte de toutes les circonstances entourant la conduite de M. Walchuk, y compris la nature de l’acte allégué, et tout ce qui a été dit au moment des faits, ou peu avant ou après.

c)             M. Walchuk avait l’état d’esprit requis pour le meurtre. La mens rea subjective est une composante essentielle d’une déclaration de culpabilité de meurtre : R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 633, 58 C.C.C. (3d) 353. Plus précisément, il doit être démontré que M. Walchuk voulait tuer Mme Walchuk ou lui infliger des lésions corporelles dont il savait qu’elles étaient susceptibles de causer sa mort, et qu’il lui était indifférent qu’elle meure ou non : Code criminel, alinéa 229a); R. c. Cooper, [1993] 1 R.C.S. 146, 78 C.C.C. (3d) 289. Le ministère public n’a pas à prouver les deux éléments. Un seul suffit. Si les critères susmentionnés sont remplis, mais que le ministère public n’a pas réussi à prouver l’une ou l’autre de ces dispositions d’esprit, M. Walchuk a commis un homicide involontaire coupable.

3)                  Rechercher si les critères ont été remplis

[38]           Comme nous l’avons signalé, trois rapports d’expert ont été présentés à titre de nouvelle preuve au ministre, qui les a examinés. D’après ces rapports, M. Walchuk n’a pas mis le feu en utilisant un agent accélérateur de la manière avancée par le ministère public, thèse qu’a retenue le premier juge. Nous le tiendrons pour acquis. Nous irons même plus loin et tiendrons pour acquis pour le moment qu’ils prouvent de manière décisive qu’il n’a déclenché l’incendie d’aucune manière.

[39]           Au procès, selon la thèse de l’avocat de M. Walchuk, Mme Walchuk, dans sa fureur, a foncé avec sa voiture dans la galerie de la maison, ce qui a provoqué le feu : motifs du juge, au paragraphe 30. Nous tiendrons également pour acquis – au bénéfice de M. Walchuk – que c’est exactement ce qui s’est passé.

[40]           À notre avis, les éléments allant dans le sens de la conclusion du ministre selon laquelle une erreur judiciaire ne s’est probablement pas produite sont plus que suffisants. Nous examinerons chacun des éléments de l’infraction de meurtre au second degré et la manière dont ils se rapportent au cas de M. Walchuk.

a)      M. Walchuk a causé la mort de Mme Walchuk.

[41]           Il ressort des preuves – que M. Walchuk a reconnue en grande partie – qu’il a matériellement et légalement causé la mort de Mme Walchuk. Il l’a battue si fort avec un bâton de hockey que le manche s’est brisé, la laissant inerte ou inconsciente dans le sous‑sol de la maison en flammes : motifs du juge, aux paragraphes 20 et 25. Les blessures qu’elle a subies, décrites en détail ci‑après, étaient extrêmement graves. En l’absence de traitement, ces blessures auraient peut‑être pu finir par causer sa mort : motifs du juge, au paragraphe 14; dossier d’appel, aux pages 332 et 333 (rapport d’autopsie). Toutefois, elle est finalement morte d’un empoisonnement au monoxyde de carbone dû au feu : motifs du juge, au paragraphe 14).

[42]           Le fait que M. Walchuk ait battu Mme Walchuk dans la maison en flammes au point de la laisser inerte ou inconsciente l’a empêchée de s’échapper et l’a exposée au monoxyde de carbone, lequel est mortel. N’eût été l’acte du premier, la seconde aurait pu fuir l’incendie et survivre. L’acte de M. Walchuk a déclenché une série d’événements qui ont conduit à la mort de son ex‑conjointe, son agissement a constitué « un facteur clé ayant contribué à la mort de Mme  Walchuk » : motifs du juge, au paragraphe 41. Le premier critère de l’infraction de meurtre au second degré est rempli.

[43]           D’ailleurs, la présente affaire rappelle trois autres affaires d’homicide où le lien de causalité a été établi :

                    R c. Sinclair et al., 2009 MBCA 71, 245 C.C.C. (3d) 331, infirmé sur un point différent, 2011 CSC 40, [2011] 3 R.C.S. 3. Trois accusés ont battu la victime et la laissent inerte au milieu de la route. Dix minutes plus tard, une voiture l’a écrasée et tuée. La voiture était‑elle une cause nouvelle venant interrompre la chaîne de causalité, de sorte que l’accusé ne pouvait pas être déclaré coupable? Non. N’eût été l’agression de la victime et sa situation vulnérable au milieu de la route, elle ne serait pas morte.

                     R. c. Hallett, [1969] S.A.S.R. 141 (S.C.S. Aust.), arrêt que la Cour suprême du Canada a cité en l’approuvant à l’occasion des affaires Maybin, Nette et Harbottle, tous précités. L’accusé a battu la victime et l’a laissée inconsciente au bord de la mer. La marée est montée et elle s’est noyée. Ici, comme dans l’affaire Sinclair, la conduite de l’accusé constituait une cause suffisante du décès. Si la victime n’avait pas été battue jusqu’à l’inconscience au bord de la mer, elle ne serait pas morte.

                     Arrêt Maybin, précité. Dans un bar, les deux accusés ont assené plusieurs coups de poing à la victime au visage et à la tête, et celle‑ci a perdu conscience; quelques secondes plus tard, entendant le tapage, un videur naturellement arrivé sur les lieux pour rétablir l’ordre. Il a frappé la victime, qui est décédée peu après. La Cour suprême du Canada a estimé que les coups de poing des accusés constituaient la cause directe du décès ou avaient rendu la victime vulnérable à l’intervention du videur qui a causé la mort. En bref, n’eût été les actes des accusés, la victime ne serait pas morte.

b)      M. Walchuk a causé la mort de Mme Walchuk illégalement.

[44]           Il semble qu’il n’a jamais été controversé devant le ministre que M. Walchuk a commis un acte illégal, une agression violente, en provoquant la mort de Mme Walchuk. M. Walchuk fait plutôt valoir qu’il aurait dû tout au plus être déclaré coupable d’homicide coupable involontaire, car il n’avait pas dans la disposition mentale, ou la mens rea, requise en matière de meurtre.

[45]           Nous nous pencherons à présent sur cette question en continuant d’appliquer les présomptions favorables à M. Walchuk.

c)      M. Walchuk avait l’état d’esprit requis pour le meurtre.

[46]           Après que la voiture eut défoncé la galerie, mais avant qu’il n’entre dans la maison, M. Walchuk a aperçu des étincelles et du feu provenant d’un fil allant jusqu’à la galerie : dossier d’appel, aux pages 619 et 624 (transcription de la preuve). Ce scénario concorde avec l’avis de l’un des nouveaux experts selon lequel la voiture, ou l’équipement électrique de la galerie que la voiture a endommagé, a allumé le feu : dossier d’appel, à la page 420. Malgré les étincelles et le feu, M. Walchuk a suivi Mme Walchuk dans le sous‑sol et l’a battue sauvagement.

[47]           Les éléments de preuve dont il ressort que M. Walchuk avait l’intention de tuer Mme Walchuk, ou de lui infliger des lésions corporelles qu’il savait être susceptibles de causer sa mort, sont considérables. Les preuves sont indirectes, mais l’intention peut être dégagée de l’ensemble des circonstances, particulières et générales, des actes, des paroles et des mobiles : voir p. ex. R. c. K.(A.) (2002), 169 C.C.C. (3d)  313 (C.A. Ont.); R. c. MacDonald, 2008 ONCA 572, 92 O.R. (3d) 180; R. c. Bigras, 2004 CanLII 21267; R. c. Bouchard, 2013 ONCA 791, 314 O.A.C. 113, aux paragraphes 47 à 53; R. c. Dahr, 2012 ONCA 433, 294 O.A.C. 301, aux paragraphes 13 et 14. Il ressort de l’ensemble des circonstances que :

                     M. et Mme Walchuk s’affrontaient dans une procédure de divorce hargneuse et des conflits acrimonieux concernant des biens et une pension alimentaire : motifs du juge, aux paragraphes 2, 3 et 39; dossier d’appel, aux pages 629, 655 et 656 (transcription des témoignages);

                     au moment du décès de Mme Walchuk, une audience destinée à trancher ce différend devait avoir lieu dans quelques semaines : motifs du juge aux paragraphes 2, 3 et 39;

                     M. Walchuk avait proféré de nombreuses menaces de mort à l’endroit de sa femme, dont certaines ont été enregistrées sur un magnétophone retrouvé près de son corps : motifs du juge aux paragraphes 35 et 36; dossier d’appel à la page 656 (transcription des témoignages);

                     les fois précédentes où Mme Walchuk devait s’occuper des enfants, elle venait les prendre à la maison à 19 h et ils étaient prêts; anormalement, le jour elle a été tuée, M. Walchuk était avec les enfants chez sa mère à 18 h 30; à 19 h, il est arrivé chez lui pour rencontrer Mme Walchuk, mais les enfants n’étaient pas avec lui : motifs du juge aux paragraphes 4, 5 et 34; dossier d’appel, pages 493 et 498 (transcription des témoignages);

                     M. Walchuk s’est assuré que, le jour du meurtre, le père de Mme Walchuk, qui passait régulièrement à la maison, n’y fût pas; de même, il s’est arrangé pour que la meilleure amie et cousine de Mme Walchuk, qui l’accompagnait normalement lorsqu’elle venait chercher les enfants, ne fût pas présente : motifs du juge aux paragraphes 37 et 38;

                     quant à ce qui ce qui s’est passé dans le sous‑sol de la maison en flammes, M. Walchuk a ultérieurement reconnu ceci : [traduction« J’ai juste continué à la frapper » : motifs du juge au paragraphe 20; il ressort de cet aveu aussi de bien que de la gravité des blessures de Mme Walchuk qu’il y avait l’intention non seulement de blesser, mais également de tuer;

                     les coups ont été [traduction« sans pitié »; Mme Walchuk a subi de [traduction« graves blessures cranio‑cérébrales », [traduction« des lésions cérébrales hémorragiques diffuses » traduisant un [traduction« déchaînement de pulsions hostiles et agressives de la part de l’agresseur », des [traduction« pertes de sang importantes », un [traduction« hématome sous‑dural », une [traduction« hémorragie subarachroïde », des [traduction« saignements intracérébraux incluant des hémorragies du tronc cérébral », et son crâne était exposé; ces lésions ont provoqué une [traduction« perte de conscience rapide » et [traduction« étaient potentiellement fatales sans autres blessures et/ou traumatismes » : motifs du juge aux paragraphes 14 et 25; dossier d’appel, page 333 (rapport d’autopsie);

                     ces graves blessures étaient de nature à [traduction« exposer la victime au feu » et il est [traduction« probable » que les coups reçus par Mme Walchuk l’ait laissée [traduction« inconsciente au moment de l’incendie » : motifs du juge aux paragraphes 14, 15 et 25;

                     après avoir fui la maison en flammes, M. Walchuk ne présentait que de légères blessures et nous pouvons inférer qu’il était pleinement conscient de la situation et avait la capacité d’agir de concert avec les personnes qui sont arrivées sur les lieux : motifs du juge aux paragraphes 22 et 28;

                     lorsqu’il a informé sa mère de l’incendie, M. Walchuk ne lui a pas dit que son épouse était inconsciente et coincée dans le sous‑sol : motifs du juge aux paragraphes 7 et 26;

                     lorsque trois voisins sont arrivés peu après les événements, M. Walchuk ne leur a pas dit que son épouse était inconsciente au sous‑sol : motifs du juge aux paragraphes 7 à 10 et 26;

                     lorsqu’un voisin lui a demandé où se trouvait Mme Walchuk, M. Walchuk a répondu qu’il ne le savait pas : motifs du juge au paragraphe 9; dossier d’appel, page 493 (rapport d’enquête);

                     lorsque sa fille s’est inquiétée pour son chat, M. Walchuk lui a assuré que l’animal était sain et sauf hors de la maison, mais il ne lui a pas dit que sa mère était inconsciente dans le sous‑sol : motifs du juge aux paragraphes 26 et 27;

                     ce n’est qu’après que la maison a été totalement prise par les flammes – bien après que la galerie a d’abord pris feu, dix minutes après l’arrivée des voisins et quinze minutes après que M. Walchuk a parlé avec sa mère – qu’il a signalé que sa femme se trouvait dans le sous‑sol : motifs du juge au paragraphe 10.

[48]           Nous soulignons que ces faits sont beaucoup plus sérieux que ceux qui étaient en cause dans les affaires K.(A.) et MacDonald, tous deux précitées, dans lesquels les preuves avaient été jugée suffisantes pour établir l’état d’esprit requis pour le meurtre. Ils sont aussi très analogues à ceux de l’affaire Bigras, précitée, où l’accusé avait créé une occasion de battre la victime, l’avait battue jusqu’à ce qu’elle perde connaissance, puis l’avait laissée inerte alors qu’elle risquait véritablement de mourir.

[49]           Si nous écartons la présomption voulant que la voiture ait déclenché l’incendie lorsque Mme Walchuk a foncé dans la maison, il ressort d’autres éléments de preuve que M. Walchuk avait l’intention de tuer. Il convient d’écarter cette présomption, puisque les nouveaux rapports d’expert ont simplement réfuté la thèse voulant que M. Walchuk ait utilisé un accélérateur pour mettre le feu à la maison. Ces rapports n’excluent pas la possibilité qu’il ait quand même mis le feu à la maison d’une autre manière, peut‑être avec des allumettes, ou en fonçant dans le porche avec la voiture de Mme Walchuk. Voici ces autres éléments de preuve :

                     Mme Walchuk gagnait le salaire minimum, et il était improbable qu’elle fonce avec sa seule voiture dans la maison : motifs du juge au paragraphe 30;

                     lorsque deux voisins arrivés sur la ferme, ils ont remarqué une légère blessure au front de M. Walchuk, qui leur a dit qu’il s’était frappé la tête en conduisant une voiture : motifs du juge au paragraphe 8;

                     M. Walchuk est arrivé à la maison en ayant dans sa poche un étui à allumettes datant de son mariage, célébré dix ans plus tôt; après l’incendie, trois allumettes étaient manquantes : dossier d’appel, pages 640 et 665 (transcription de la preuve); motifs du juge au paragraphe 18;

                     avant les événements, M. Walchuk avait dissimulé certains objets pris dans la maison – des objets n’ayant de valeur sentimentale qu’à ses yeux –; il s’agit d’un comportement que l’on retrouve chez de nombreux incendiaires : motifs du juge aux paragraphes 17 et 29;

                     avant les événements, il a également retiré le véhicule tout‑terrain de son fils de la galerie et l’a caché dans la grange; il a laissé la bonbonne de propane sur la galerie; la voiture a fini par foncer dans la galerie; plus tard, M. Walchuk a dit quatre fois au policier banalisé qui se faisait passer pour son compagnon de cellule que la maison [traduction« aurait dû exploser, entre un barbecue, de l’essence, du gaz dans un contenant antigel, je ne comprends pas pourquoi elle n’a pas explosé »; si l’explosion s’était produite, les preuves concernant la cause du décès de Mme Walchuk auraient été moins claires : motifs du juge au paragraphe 33; dossier d’appel, page 496 (rapport d’enquête) et pages 619, 623, 624, 630 et 634 (transcription des témoignages).

IX.             Les motifs du juge du procès pénal

[50]           M. Walchuk accorde une importance considérable aux motifs du juge du procès pénal. D’après son interprétation, le juge semblait insister sur la nature criminelle de l’incendie lorsqu’il a conclu que M. Walchuk avait eu l’intention de commettre un meurtre. Selon ce dernier, si l’incendie n’était pas d’origine criminelle, la conclusion concernant son intention de tuer perd tout fondement.

[51]           Nous rejetons cette thèse pour les motifs suivants.

[52]           Premièrement, nous croyons que les motifs du jugement du juge qui instruit un procès criminel ne doivent pas être compris comme l’expression de tout ce qu’il pensait des faits et du droit dans cette affaire. Lorsqu’il rédige ses motifs, le juge du procès n’a pas besoin d’être encyclopédique. Il n’est pas nécessaire que les motifs « énonce[nt] chacune des constatations ou conclusions qui l’ont amené au verdict », qu’ils « décri[vent] chacune des étapes de son raisonnement » ou « énonce[nt] [...]chacune des étapes du processus que le juge a suivi pour parvenir à un verdict » : R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3, aux paragraphes 18 et 24; R. c. Dinardo, 2008 CSC 24, [2008] 1 R.C.S. 788, au paragraphe 30; R. c. Morrissey (1995), 22 O.R. (3d) 514, à la page 525, 138 C.R. (4th) 4 (C.A.). Dans ses motifs, le juge a insisté sur le fait que la nature criminelle de l’incendie allait dans le sens de la conclusion selon laquelle M. Walchuk avait eu l’intention de tuer sa femme. Toutefois, dans la mesure où la nouvelle preuve établit que le feu n’était pas d’origine criminelle, cela ne signifie pas que la déclaration de culpabilité peut être remise en cause et qu’il y a eu erreur judiciaire.

[53]           Deuxièmement, le sous‑alinéa 686(1)b)(iii) nous donne un cadre : il autorise la cour d’appel à maintenir la décision rendue à l’issue du procès lorsque « […] aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave » ne s’est produit. Par exemple, il se pourrait que le juge du procès pénal qui a déclaré l’accusé coupable ait jugé inadmissibles certains éléments de preuve et les ait écartés à tort, au détriment de l’accusé. Mais si, après avoir examiné tous les autres éléments de preuve, il n’y a aucune possibilité raisonnable que le verdict eût été différent si l’erreur n’avait pas été commise, la déclaration de culpabilité est confirmée conformément à la disposition : R. c. Bevan, [1993] 2 R.C.S. 599, 82 C.C.C. (3d) 310; R. c. Khan, 2001 CSC 86, [2001] 3 R.C.S. 823.

[54]           En l’espèce, comme nous l’avons démontré, si l’éventuelle implication de M. Walchuk dans l’incendie est écartée, et si l’on lit les motifs du juge comme un tout au regard du contexte en tenant compte du dossier – comme il le faut (voir l’arrêt R.E.M., précité, aux paragraphes 16 et 17), il faut conclure qu’il n’y a aucune possibilité raisonnable que le verdict aurait été différent : voir en particulier le résumé des preuves aux paragraphes 38 à 49 des présents motifs; voir aussi l’examen explicite du juge de certains de ces éléments de preuve aux paragraphes 28, 39 et 41 de ses motifs. Il est impossible d’être « convaincu » qu’une erreur judiciaire s’est « probablement » produite – l’un des critères légaux à satisfaire au titre de l’alinéa 696.3(3)a) et qui appelle une mesure de la part du ministre.

[55]           En outre, le rôle du ministre n’est pas d’intervenir comme un juge d’appel chargé d’examiner la jurisprudence, ou de se mettre à la place du juge du procès et de formuler à nouveau des conclusions de fait : alinéa 696.4c) du Code criminel. Sa tâche ne se limite pas non plus à radier toutes les parties intenables des motifs du juge et d’examiner ce qu’il en reste. La mission du ministre est plus importante.

[56]           En quoi consiste cette mission? À notre avis, pour qu’une décision soit acceptable suivant la norme de la décision raisonnable, le ministre doit examiner les motifs du juge du procès, toute les preuves (à charge et à décharge), tout nouvel élément de preuve admissible ainsi que toute autre preuve, opinion ou connaissance tirée des ressources du ministère et des pouvoirs d’enquête conférés au ministre par l’article 696.2 du Code criminel. Puis, dans le respect des règles et des normes énoncées aux articles 696.3 et 696.4 et dans les dispositions pertinentes du Règlement, et respectant équitablement la procédure, le ministre doit tirer les conclusions acceptables et défendables au regard des faits et du droit. Ce faisant, il doit se préoccuper exclusivement de l’administration de la justice, comme un vrai ministre de la Justice, et mettre de côté tout parti pris ou idée préconçue : Boucher c. The Queen, [1955] R.C.S. 16, 110 C.C.C. 263.

X.                Conclusion

[57]           Dans la présente affaire, une grande partie du dossier dont disposait le ministre a été préparée de sa propre initiative. Rien n’indique que cette façon de procéder était inadéquate. Dans l’ensemble, le ton est approprié et la teneur, équitable. Il ressort des motifs du ministre qu’il a suivi la bonne méthode pour s’acquitter de sa fonction, surtout lorsqu’on les lit au regard du présent dossier. L’issue – le rejet de la demande de M. Walchuk au titre de l’article 696.1 du Code criminel – était acceptable et défendable compte tenu du dossier. Par conséquent, la décision du ministre était raisonnable.


XI.             Décision proposée

[58]           Pour tous les motifs qui précèdent, nous rejetterions l’appel de M. Walchuk. Dans les circonstances, nous exercerions notre pouvoir discrétionnaire concernant les dépens comme l’a fait la Cour fédérale. Par conséquent, nous n’adjugerions aucuns dépens.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

D.G. Near, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur


ANNEXE

696.1 (1) Une demande de révision auprès du ministre au motif qu’une erreur judiciaire aurait été commise peut être présentée au ministre de la Justice par ou pour une personne qui a été condamnée pour une infraction à une loi fédérale ou à ses règlements ou qui a été déclarée délinquant dangereux ou délinquant à contrôler en application de la partie XXIV, si toutes les voies de recours relativement à la condamnation ou à la déclaration ont été épuisées.

 

696.1 (1) An application for ministerial review on the grounds of miscarriage of justice may be made to the Minister of Justice by or on behalf of a person who has been convicted of an offence under an Act of Parliament or a regulation made under an Act of Parliament or has been found to be a dangerous offender or a long‑term offender under Part XXIV and whose rights of judicial review or appeal with respect to the conviction or finding have been exhausted.

(2) La demande est présentée en la forme réglementaire, comporte les renseignements réglementaires et est accompagnée des documents prévus par règlement.

 

(2) The application must be in the form, contain the information and be accompanied by any documents prescribed by the regulations.

 

696.2 (1) Sur réception d’une demande présentée sous le régime de la présente partie, le ministre de la Justice l’examine conformément aux règlements.

 

696.2 (1) On receipt of an application under this Part, the Minister of Justice shall review it in accordance with the regulations.

 

(2) Dans le cadre d’une enquête relative à une demande présentée sous le régime de la présente partie, le ministre de la Justice possède tous les pouvoirs accordés à un commissaire en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes et ceux qui peuvent lui être accordés en vertu de l’article 11 de cette loi.

 

(2) For the purpose of any investigation in relation to an application under this Part, the Minister of Justice has and may exercise the powers of a commissioner under Part I of the Inquiries Act and the powers that may be conferred on a commissioner under section 11 of that Act.

 

(3) Malgré le paragraphe 11(3) de la Loi sur les enquêtes, le ministre de la Justice peut déléguer par écrit à tout membre en règle du barreau d’une province, juge à la retraite, ou tout autre individu qui, de l’avis du ministre, possède une formation ou une expérience similaires ses pouvoirs en ce qui touche le recueil de témoignages, la délivrance des assignations, la contrainte à comparution et à déposition et, de façon générale, la conduite de l’enquête visée au paragraphe (2).

 

(3) Despite subsection 11(3) of the Inquiries Act, the Minister of Justice may delegate in writing to any member in good standing of the bar of a province, retired judge or any other individual who, in the opinion of the Minister, has similar background or experience the powers of the Minister to take evidence, issue subpoenas, enforce the attendance of witnesses, compel them to give evidence and otherwise conduct an investigation under subsection (2).

 

696.3 (1) Dans le présent article, « cour d’appel » s’entend de la cour d’appel, au sens de l’article 2, de la province où a été instruite l’affaire pour laquelle une demande est présentée sous le régime de la présente partie.

 

696.3 (1) In this section, “the court of appeal” means the court of appeal, as defined by the definition “court of appeal” in section 2, for the province in which the person to whom an application under this Part relates was tried.

 

(2) Le ministre de la Justice peut, à tout moment, renvoyer devant la cour d’appel, pour connaître son opinion, toute question à l’égard d’une demande présentée sous le régime de la présente partie sur laquelle il désire son assistance, et la cour d’appel donne son opinion en conséquence.

 

(2) The Minister of Justice may, at any time, refer to the court of appeal, for its opinion, any question in relation to an application under this Part on which the Minister desires the assistance of that court, and the court shall furnish its opinion accordingly.

 

(3) Le ministre de la Justice peut, à l’égard d’une demande présentée sous le régime de la présente partie :

 

(3) On an application under this Part, the Minister of Justice may

 

a) s’il est convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite :

 

(a) if the Minister is satisfied that there is a reasonable basis to conclude that a miscarriage of justice likely occurred,

 

(i) prescrire, au moyen d’une ordonnance écrite, un nouveau procès devant tout tribunal qu’il juge approprié ou, dans le cas d’une personne déclarée délinquant dangereux ou délinquant à contrôler en vertu de la partie XXIV, une nouvelle audition en vertu de cette partie,

 

(i) direct, by order in writing, a new trial before any court that the Minister thinks proper or, in the case of a person found to be a dangerous offender or a long‑term offender under Part XXIV, a new hearing under that Part, or

 

(ii) à tout moment, renvoyer la cause devant la cour d’appel pour audition et décision comme s’il s’agissait d’un appel interjeté par la personne déclarée coupable ou par la personne déclarée délinquant dangereux ou délinquant à contrôler en vertu de la partie XXIV, selon le cas;

 

(ii) refer the matter at any time to the court of appeal for hearing and determination by that court as if it were an appeal by the convicted person or the person found to be a dangerous offender or a long‑term offender under Part XXIV, as the case may be; or

 

b) rejeter la demande.

 

(b) dismiss the application.

 

(4) La décision du ministre de la Justice prise en vertu du paragraphe (3) est sans appel.

 

(4) A decision of the Minister of Justice made under subsection (3) is final and is not subject to appeal.

 

696.4 Lorsqu’il rend sa décision en vertu du paragraphe 696.3(3), le ministre de la Justice prend en compte tous les éléments qu’il estime se rapporter à la demande, notamment :

 

696.4 In making a decision under subsection 696.3(3), the Minister of Justice shall take into account all matters that the Minister considers relevant, including

 

a) la question de savoir si la demande repose sur de nouvelles questions importantes qui n’ont pas été étudiées par les tribunaux ou prises en considération par le ministre dans une demande précédente concernant la même condamnation ou la déclaration en vertu de la partie XXIV;

 

(a) whether the application is supported by new matters of significance that were not considered by the courts or previously considered by the Minister in an application in relation to the same conviction or finding under Part XXIV;

 

b) la pertinence et la fiabilité des renseignements présentés relativement à la demande;

 

(b) the relevance and reliability of information that is presented in connection with the application; and

 

c) le fait que la demande présentée sous le régime de la présente partie ne doit pas tenir lieu d’appel ultérieur et les mesures de redressement prévues sont des recours extraordinaires.

 

(c) the fact that an application under this Part is not intended to serve as a further appeal and any remedy available on such an application is an extraordinary remedy.

 

696.5 Dans les six mois suivant la fin de chaque exercice, le ministre de la Justice présente au Parlement un rapport sur les demandes présentées sous le régime de la présente partie.

 

696.5 The Minister of Justice shall within six months after the end of each financial year submit an annual report to Parliament in relation to applications under this Part.

 

696.6 Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements :

 

696.6 The Governor in Council may make regulations

 

a) concernant la forme et le contenu de la demande présentée en vertu de la présente partie et les documents qui doivent l’accompagner;

 

(a) prescribing the form of, the information required to be contained in and any documents that must accompany an application under this Part;

 

b) décrivant le processus d’instruction d’une demande présentée sous le régime de la présente partie, notamment les étapes suivantes : l’évaluation préliminaire, l’enquête, le sommaire d’enquête et la décision;

 

(b) prescribing the process of review in relation to applications under this Part, which may include the following stages, namely, preliminary assessment, investigation, reporting on investigation and decision; and

 

c) concernant la forme et le contenu du rapport annuel visé à l’article 696.5.

 

(c) respecting the form and content of the annual report under section 696.5.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A‑351‑13

APPEL D’UN JUGEMENT DE MONSIEUR LE JUGE MANSON DATÉ DU 17 SEPTEMBRE 2013, NO T‑457‑12

INTITULÉ :

LEON WALCHUK c. CANADA (MINISTRE DE LA JUSTICE)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 octobre 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

LES JUGES dawson ET stratas

 

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Brian Gover

Fredrick Schumann

 

POUR L’appelant

 

Sean Gaudet

 

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stockwoods LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR L’appelant

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

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