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Date : 20150427


Dossier : A‑440‑13

Référence : 2015 CAF 109

CORAM :

LE JUGE RYER

LE JUGE NEAR

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

CLEMENT DUNCAN HICKS

appelant

et

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 16 avril 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 avril 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RYER

LE JUGE NEAR

 


Date : 20150427


Dossier : A‑440‑13

Référence: 2015 CAF 109

CORAM :

LE JUGE RYER

LE JUGE NEAR

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

CLEMENT DUNCAN HICKS

appelant

et

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

[1]               Dans une décision en date du 20 mars 2013, la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a rejeté la plainte déposée par M. Hicks (l’appelant) contre son ancien employeur, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (l’intimée ou le CN).

[2]               L’appelant a travaillé comme mécanicien de chemin de fer pour l’intimée jusqu’en 2002, année où il a été congédié pour avoir contrevenu à la politique de l’intimée en matière de drogues et d’alcool. Appuyé par le syndicat des TCA, section locale 100 des chemins de fer (le syndicat), ainsi que par le programme d’aide aux employés offert par l’intimée, l’appelant a suivi des programmes de désintoxication de 2002 à 2006, à l’hôpital Credit Valley, en vue d’être réintégré dans ses fonctions. Selon l’appelant, en décembre 2005, le Dr Doyle, un spécialiste en toxicomanie à Credit Valley, a estimé qu’il était apte à retourner au travail. Toutefois, l’intimée a demandé l’avis d’un médecin dont elle avait retenu les services. Le Dr Sutton a examiné l’appelant pour le compte du CN et a rédigé un rapport négatif le 7 février 2006.

[3]               Le 13 octobre 2009, le syndicat a informé l’appelant qu’aucun grief ne serait porté contre l’intimée et qu’aucun effort supplémentaire ne serait déployé en vue de sa réintégration.

[4]               Trois ans plus tard, soit le 18 septembre 2012, l’appelant a déposé une plainte auprès de la Commission, dans laquelle il alléguait avoir été victime de discrimination fondée sur la déficience. En outre, le dernier acte discriminatoire invoqué à l’appui de sa plainte était l’évaluation effectuée le 7 février 2006 par le Dr Sutton.

[5]               Le rapport fondé sur les articles 40 et 41 (le rapport), présenté par la Commission le 28 novembre 2012, recommandait de ne pas donner suite à la plainte pour le motif énoncé à l’alinéa 41(1)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 (la Loi), à savoir qu’elle reposait sur des faits survenus plus d’un an avant son dépôt.

[6]               Dans sa réponse au rapport, l’appelant a présenté à la Commission diverses observations dans lesquelles il invoquait le mécanisme de règlement des griefs du syndicat et les problèmes liés à son invalidité pour expliquer le dépôt tardif de sa plainte. Il affirmait en outre avoir communiqué avec la Commission et s’être fait dire qu’il devait épuiser tous les recours internes avant de soumettre sa plainte.

[7]               Après avoir examiné le rapport et les observations présentées en réponse par les parties, la Commission a rejeté la plainte de l’appelant au motif que le dernier acte discriminatoire allégué s’était produit plus d’un an avant que la Commission reçoive sa plainte, et que [traduction] « il n’y a[vait] pas lieu de statuer sur la plainte parce que le plaignant n’a[vait] pas fait tout ce qu’une personne raisonnable aurait fait dans les circonstances pour que sa plainte soit examinée ».

[8]               Le 4 décembre 2013, le juge Manson de la Cour fédérale (le juge) a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Hicks à l’encontre de la décision de la Commission (2013 CF 1220). Élément important, le juge a conclu que la Commission n’a pas analysé la question de savoir si l’invalidité de l’appelant a pu empêcher celui‑ci de déposer sa plainte dans le délai prescrit. Or, selon le juge, cette erreur était sans conséquence vu qu’aucune preuve médicale n’avait été soumise à la Commission. Le juge a ajouté que la conclusion de la Commission que le délai nuirait à l’intimée ne relevait pas de la pure conjecture.

[9]               À la suite de la décision du juge, la juge Sharlow a fait droit à la requête de l’appelant visant la présentation de nouveaux éléments de preuve en appel, consistant en des rapports médicaux de 2009 et de 2013.

[10]           S’agissant de l’appel formé contre un jugement relatif à une demande de contrôle judiciaire, le rôle de notre Cour consiste à déterminer si le juge de première instance a choisi la norme de contrôle appropriée et s’il l’a appliquée correctement à la décision de la Commission (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au par. 47).

[11]           Le juge de la Cour fédérale a donc décidé avec raison que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable. La Cour fédérale devait déterminer si la décision de la Commission, dans son ensemble, était raisonnable (Exeter c Canada (Procureur général), 2012 CAF 119, au par. 6).

[12]           Je suis d’avis, pour les trois motifs exposés ci‑dessous, que la décision de la Commission était déraisonnable et qu’il y a donc lieu d’accueillir l’appel.

[13]           Premièrement, la Commission était tenue d’établir si l’omission de l’appelant de déposer sa plainte dans le délai de prescription d’un an applicable, suivant sa rencontre avec le Dr Sutton en février 2006, ou suivant l’épuisement des recours internes vers la fin du mois d’octobre 2009, était attribuable à l’invalidité de l’appelant. Le juge est arrivé à la conclusion, à laquelle je souscris, que la Commission n’a pas abordé la question de l’invalidité de l’appelant ni celle de l’incidence possible de cette invalidité sur le dépôt tardif de la plainte.

[14]           Selon l’intimée, l’omission de la Commission d’examiner cette question est sans conséquence vu l’absence de preuve médicale susceptible d’étayer la conclusion selon laquelle l’invalidité de l’appelant l’avait empêché de déposer sa plainte dans le délai prescrit. À mon avis, la Commission disposait d’éléments de preuve, bien que non sous forme de rapports médicaux officiels, mais sous forme de documents et d’observations, attestant du traitement suivi par l’appelant pour ses problèmes de santé mentale. Il y a aussi les nouveaux éléments de preuve présentés en appel qui n’ont pas été soumis à la Cour fédérale et qui indiquent que l’appelant avait subi une intervention chirurgicale pour un anévrisme en 2009. En somme, la Commission disposait d’éléments de preuve, auxquels s’ajoutent les nouveaux éléments de preuve présentés en l’espèce, lesquels, s’ils avaient été pris en considération, auraient permis à la Commission de conclure que l’omission de déposer la plainte dans le délai prescrit était attribuable à une invalidité.

[15]           Deuxièmement, l’appelant a fait valoir devant la Commission qu’il n’avait pas déposé sa plainte, parce qu’il avait compris lors des discussions avec la Commission que sa plainte ne serait examinée que s’il épuisait tous les recours en matière de grief prévus par la convention collective.

[16]           Lorsqu’elle a déterminé la période écoulée avant le dépôt de la plainte, la Commission n’a pas tenu compte de cette explication, ce qui compromet le caractère raisonnable de l’exercice du pouvoir discrétionnaire, car ce n’était que le 13 octobre 2009 que le syndicat avait avisé l’appelant qu’il ne l’appuierait plus dans ses demandes de réintégration et qu’il considérait le dossier clos. Compte tenu de cette preuve, la période écoulée avant le dépôt de la plainte ne comprenait pas dix ans, comme l’avait estimé la Commission; elle commençait plutôt le 13 octobre 2009.

[17]           Troisièmement, le juge de la Cour fédérale a conclu que la preuve relative au préjudice était « pour le moins, faible », alors qu’il n’y avait aucune preuve de préjudice. Les observations présentées par le CN à la Commission quant à l’existence d’un préjudice ne faisaient aucunement état de témoins ou de documents qui n’étaient plus disponibles; le CN s’est contenté plutôt d’affirmer qu’il serait [traduction] « déraisonnable » de répondre à une telle plainte dans les circonstances.

[18]           Bref, ces trois motifs me permettent de conclure que la décision de la Commission était déraisonnable.

[19]           Par conséquent, j’accueillerais l’appel avec des dépens, fixés à une somme globale de 350 $, j’annulerais l’ordonnance prononcée le 4 décembre 2013 par la Cour fédérale, et rendant l’ordonnance que la Cour fédérale aurait pu rendre, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire et je renverrais à la Commission la question du dépôt tardif de la plainte de l’appelant pour qu’elle procède à un nouvel examen conformément aux présents motifs.

« Donald Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord. »

C. Michael Ryer

« Je suis d’accord. »

D.G. Near


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


(APPEL D’UNE DÉCISION RENDUE LE 4 DÉCEMBRE 2013 PAR LE JUGE MANSON DANS LE DOSSIER NO T‑759‑13 DE LA COUR FÉDÉRALE)

DOSSIER :

A‑440‑13

 

INTITULÉ :

CLEMENT DUNCAN HICKS c. COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 AVRIL 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RYER

LE JUGE NEAR

DATE DES MOTIFS :

LE 27 AVRIL 2015

COMPARUTIONS :

Clement Duncan Hicks

Appelant

Corrado De Stefano

POUR L’INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais, S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Montréal (Québec)

POUR L’INTIMÉE

 

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