Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150623


Dossier : A-232-14

Référence : 2015 CAF 152

CORAM :

LE JUGE RYER

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

BROTHER KORNELIS KLEVERING

appelant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, MARC MAYRAND (DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS), ANN BUDRA (DIRECTRICE DU SCRUTIN DE LA CIRCONSCRIPTION DE GUELPH), FRANK VALERIOTE, MARTY BURKE, BOBBI STEWART, JOHN LAWSON, PHILIP BENDER, KAREN LEVENSON, DREW GARVIE

intimés

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 15 juin 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 23 juin 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RYER

LE JUGE RENNIE


Date : 20150623


Dossier : A-232-14

Référence : 2015 CAF 152

CORAM :

LE JUGE RYER

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

BROTHER KORNELIS KLEVERING

appelant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, MARC MAYRAND (DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS), ANN BUDRA (DIRECTRICE DU SCRUTIN DE LA CIRCONSCRIPTION DE GUELPH), FRANK VALERIOTE, MARTY BURKE, BOBBI STEWART, JOHN LAWSON, PHILIP BENDER, KAREN LEVENSON, DREW GARVIE

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1]               Notre Cour est saisie de l’appel formé contre l’ordonnance rendue par le juge Hughes le 22 avril 2014 (dossier T‑1254‑12). Le juge Hughes a rejeté la requête en appel que l’appelant a présentée à l’encontre de la décision rendue par la protonotaire Milczynski le 19 septembre 2013. La protonotaire a accueilli la requête de Frank Valeriote, un des intimés, et rejeté la requête que l’appelant avait présentée en vertu de l’article 524 de la Loi électorale du Canada, L.C. 2000, ch. 9 (la Loi).

[2]               L’appelant avait présenté une requête par laquelle il contestait les résultats de l’élection du 2 mai 2011 dans la circonscription de Guelph. L’appelant soutenait qu’il y avait eu de nombreux appels téléphoniques automatisés qui étaient censés provenir d’Élections Canada et qui [traduction] « dirigeaient à tort [les électeurs] vers des bureaux de scrutin non existants » (paragraphe 2(c) de sa requête).

[3]               La protonotaire a rejeté la requête de l’appelant au motif qu’elle avait [traduction] « conclu qu’il [était] évident et manifeste qu’il ne [faisait] aucune doute que [l’appelant] ne [pouvait] établir, à la lumière du dossier qu’il [avait] déposé, que ces tentatives de suppression de votes [avaient eu] une incidence sur les résultats de l’élection dans la circonscription de Guelph ou sur l’intégrité de l’élection, de sorte qu’il y [avait] la moindre chance que les résultats soient annulés et que l’électorat de Guelph ait à subir une élection partielle ».

[4]               La protonotaire a également conclu que l’appelant n’avait pas présenté sa requête dans les délais prévus par l’article 527 de la Loi. Elle a donc affirmé qu’elle rejetait également sa requête pour ce motif.

[5]               Dans l’affaire Norton c. Via Rail Canada Inc. 2005 CAF 205, [2005] A.C.F. no 978, les avis de demande introductifs d’instance déposés en application de l’article 77 de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, ch. 31 (4suppl.) avaient été radiés par le protonotaire. En appel, un juge de la Cour fédérale a confirmé la décision du protonotaire. En appel devant notre Cour, la juge Sharlow a défini ainsi le rôle de notre Cour :

14        Conformément à la jurisprudence de la Cour d’appel, le juge devait examiner de nouveau la requête parce qu’une question soulevée dans la requête était déterminante pour l’issue de l’affaire (voir Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc., [2004] 2 R.C.F. 459, au paragraphe 19). En appel, la Cour doit décider si le juge a commis une erreur en confirmant la décision du protonotaire.

[6]               La requête de Frank Valeriote soulevait également une question déterminante pour l’issue de la présente affaire puisqu’il s’agissait d’une requête en rejet de la requête de l’appelant.

[7]               Le juge Hughes a fait état des brefs motifs suivants à l’appui de sa décision de rejeter l’appel de l’appelant :

[traduction]

ET APRÈS AVOIR conclu que, si la présente requête constitue un appel interjeté à l’encontre de la décision rendue par la protonotaire Milczynski le 19 septembre 2013, la requête a été déposée bien en dehors du délai imparti sans qu’aucune excuse raisonnable ne soit fournie pour justifier le retard;

ET APRÈS AVOIR déterminé que la requête constitue par ailleurs une tentative de débattre à nouveau la question qui a été tranchée définitivement par la protonotaire Milczynski et est, par conséquent, inappropriée;

[8]               Par sa requête, qui a été examinée par le juge Hughes, l’appelant a déclaré qu’il [traduction] « interje[tait] appel de la décision de madame la protonotaire Milczynski, datée du 19 septembre 2013 ». Le seul motif invoqué pour solliciter le rejet de cet appel est qu’il n’a pas été déposé dans le délai prévu pour le faire. Cependant, par une ordonnance de la Cour fédérale datée du 25 mars 2014, le délai pour déposer une requête en appel à l’encontre de l’ordonnance de la protonotaire Milczynski avait été prolongé de dix (10) jours à compter de la date de ladite ordonnance. Étant donné que l’appelant a ensuite déposé sa requête le 3 avril 2014, celle‑ci a été déposée à l’intérieur du délai prolongé comme le permettait l’ordonnance datée du 25 mars 2014. Elle n’aurait donc pas dû être rejetée au motif qu’elle avait été [traduction] « déposée bien en dehors du délai imparti ».

[9]               La requête de l’appelant qui a été déposée le 3 avril 2014 doit être considérée comme ayant été déposée dans le délai prolongé accordé pour la déposer, et le juge de la Cour fédérale aurait dû examiner de nouveau la requête de Frank Valeriote. Comme le juge de la Cour fédérale ne l’a pas fait, il me semble qu’il est approprié, dans les circonstances de l’espèce, que notre Cour examine de nouveau la requête de Frank Valeriote.

[10]           Dans le cadre du nouvel examen de cette requête, la première question qui se pose, à mon avis, est de savoir si l’appelant a présenté sa requête dans le délai prévu par la Loi.

[11]           L’article 527 de la Loi prévoit ce qui suit :

527. La requête en contestation fondée sur l’alinéa 524(1)b) doit être présentée dans les trente jours suivant la date de la publication dans la Gazette du Canada du résultat de l’élection contestée ou, si elle est postérieure, la date à laquelle le requérant a appris, ou aurait dû savoir, que les irrégularité, fraude, manœuvre frauduleuse ou acte illégal allégués ont été commis.

527. An application based on a ground set out in paragraph 524(1)(b) must be filed within 30 days after the later of

(a) the day on which the result of the contested election is published in the Canada Gazette, and

(b) the day on which the applicant first knew or should have known of the occurrence of the alleged irregularity, fraud, corrupt practice or illegal practice.

[12]           Étant donné que la requête de l’appelant était « fondée sur l’alinéa 524(1)b) », elle devait être présentée dans les 30 jours suivant la plus tardive des dates prévues à l’article 527. Dans son avis de requête, Frank Valeriote a précisé que les résultats de l’élection du 2 mai 2011 pour la circonscription de Guelph avaient été publiés dans la Gazette du Canada le 19 mai 2011. L’appelant ne conteste pas cette date de publication.

[13]           L’autre date prévue à l’article 527 de la Loi est celle à laquelle l’appelant a appris, ou aurait dû savoir, que l’activité alléguée a été commise. Dans son affidavit, l’appelant a déclaré qu’il avait résidé régulièrement au Canada la moitié de l’année, et que l’autre moitié de l’année, il avait résidé sur une île lointaine en Thaïlande. Dans son affidavit, il a aussi déclaré ceci :

[traduction]

5.         Pendant les élections, j’ai appris que certains électeurs avaient reçu des appels téléphoniques les dirigeant vers des bureaux de scrutin non-existants. Les auteurs des appels prétendaient être des représentants d’Élections Canada. Dans l’ensemble, j’ai fait fi de ces plaintes, les considérant comme de simples erreurs de la part d’Élections Canada.

6.         Je suis reparti pour la Thaïlande le 31 octobre  2011. Là‑bas, au cours de l’un de mes voyages d’approvisionnement à Ranong (en mars 2012), j’ai reçu quelques courriels d’amis au Canada m’informant qu’Élections Canada avait ouvert une enquête sur des appels automatisés possiblement frauduleux, mais aussi légaux, effectués à Guelph le jour de l’élection et avant.

7.         En réponse à cette information, j’ai envoyé une lettre au rédacteur en chef du Guelph Mercury (le 12 mars 2012), qui réclamait la tenue d’une élection partielle en dehors de l’influence corruptrice des appels automatisés. Je ne savais pas, et ne pouvais pas savoir, qu’une vaste fraude automatisée avait été commise à Guelph le jour de l’élection ou que ces appels s’inscrivaient dans une campagne organisée visant à supprimer des votes à l’échelle nationale.

8.         Quoi qu’il en soit, je suis revenu au Canada le 28 mai 2012 pour commencer à travailler au GLBC [Guelph Lawn Bowling Club]. J’ai alors commencé à parler aux résidants de Guelph de leur propre expérience à l’égard de la fraude perpétrée le 2 mai 2011. J’ai ensuite passé plusieurs semaines à consulter des comptes rendus de presse donnant des détails sur le déroulement d’une enquête d’Élections Canada. J’ai relu des numéros de journaux et suis tombé sur des comptes rendus de presse qui parlaient d’un certain « Pierre Poutine », une personne possiblement liée au Parti conservateur à Guelph, et susceptible d’avoir eu connaissance d’une campagne orchestrée pour escroquer l’électorat à l’échelle nationale.

9.         J’ai également lu, pour la première fois, le témoignage que le directeur général des élections (DGE) a fourni au Parlement le 29 mars 2012, qui confirmait les soupçons des médias quant à l’ampleur de la fraude automatisée commise à Guelph. En fait, le DGE a déclaré que plus de 6 700  faux appels automatisés avaient été effectués en masse dans la circonscription de Guelph le jour de l’élection.

[14]           La deuxième date prévue à l’article 527 de la Loi ne se limite pas à la date à laquelle l’appelant a effectivement appris que l’activité en question a été commise, mais comprend aussi la date à laquelle il aurait dû savoir que l’activité a été commise. Comme l’a souligné le juge Mosley à l’occasion de l’affaire McEwing c. Canada (Procureur général), 2013 CF 525, [2013] A.C.F. no 558, au paragraphe 92, [traduction] « [l]es mots “ou aurait dû savoir” appellent une norme objective ».

[15]           À mon avis, selon toute vraisemblance, l’appelant aurait dû savoir que l’activité visée par sa requête avait été commise au moment (voire même avant) où le directeur général des élections a témoigné le 29 mars 2012 puisque son témoignage faisait alors partie du domaine public (comme le confirme le fait que l’appelant ait lu son témoignage dans les journaux). Bien que le fait que l’appelant se soit trouvé sur une île lointaine avec un accès limité à l’information ait pu avoir une incidence sur la date à laquelle il a effectivement appris que l’activité alléguée avait été commise, il ne peut avoir une incidence sur la date à laquelle il aurait dû savoir qu’elle avait été commise, sinon le délai de prescription pourrait être prolongé indéfiniment en fonction de la situation personnelle de chacun.

[16]           L’appelant n’a pas présenté sa requête avant le 26 juin 2012, soit plus de 30 jours après le 29 mars 2012. J’annulerais donc sa requête puisqu’elle n’a pas été présentée dans le délai imparti par la Loi. Comme j’annulerais la requête de l’appelant, il n’y a pas lieu de se pencher sur le fond de celle‑ci. Bien que la protonotaire ait rejeté sa requête, et que je l’annulerais, ce point n’est pas déterminant.

[17]           Il convient également de souligner que l’ordonnance de la protonotaire a été rendue en réponse à la requête de l’un des intimés, Frank Valeriote, en rejet de la requête de l’appelant. Frank Valeriote a déposé cette requête avant d’avoir déposé ses affidavits et ses pièces documentaires. Même si l’appelant devait avoir gain de cause dans le présent appel, il s’ensuivrait que sa requête serait rétablie et ferait l’objet d’une audience. Il est peu probable que l’on puisse clore une telle audience avant la tenue d’une autre élection générale fédérale, ce qui rendrait théorique sa requête en annulation de l’élection de 2011 dans Guelph.

[18]           Par conséquent, je rejetterais l’appel, sans dépens.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

C. Michael Ryer, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

François Burnet, réviseur


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-232-14

 

 

INTITULÉ :

BROTHER KORNELIS KLEVERING c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, MARC MAYRAND (DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTONS), ANN BUDRA (DIRECTRICE DU SCRUTIN DE LA CIRCONSCRIPTION DE GUELPH), FRANK VALERIOTE, MARTY BURKE, BOBBI STEWART, JOHN LAWSON, PHILIP BENDER, KAREN LEVENSON, DREW GARVIE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 JUIN 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RYER

LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 JUIN 2015

 

COMPARUTIONS :

Pour son propre compte

 

POUR L’Appelant

 

Guy Regimbald

 

POUR L’INTIMÉ

Frank Valeriote

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

Le procureur général du Canada

 

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉ

Frank Valeriote

 

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

Marc Mayrand

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.