Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20150626


Dossiers : A-105-14

A-111-14

A-112-14

Référence : 2015 CAF 153

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

ROBERT ADAMSON ET AUTRES

ET

AIR CANADA

ET

L’ASSOCIATION DES PILOTES D’AIR CANADA

appelants

et

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

ET

DONALD PAXTON

intimés

Audience tenue à (Ottawa) Ontario, le 20 janvier 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 juin 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE BOIVIN


Date : 20150626


Dossiers : A-105-14

A-111-14

A-112-14

Référence : 2015 CAF 153

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE BOIVIN

 

ENTRE :

ROBERT ADAMSON ET AUTRES

ET

AIR CANADA

ET

L’ASSOCIATION DES PILOTES D’AIR CANADA

appelants

et

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

ET

DONALD PAXTON

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE TRUDEL

I.                   Vue d’ensemble

[1]               La Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, c. H-6 (la Loi), interdit la discrimination fondée sur l’âge. Aux termes de l’article 7 de la Loi, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, y compris l’âge, le fait pour un employeur de « refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu », à moins qu’il ne puisse invoquer avec succès l’un des moyens de défense prévus à l’article 15 de la Loi. À l’époque du dépôt des plaintes visées par les présents appels, l’employeur pouvait tenter de démontrer, par exemple, qu’une règle de retraite obligatoire (RRO) reposait sur des exigences professionnelles justifiées (EPJ) et que, sans cette RRO, répondre aux besoins des intéressés constituerait pour l’employeur une contrainte excessive « en matière de coûts, de santé et de sécurité » (alinéa 15(1)a) et paragraphe 15(2) de la Loi). L’employeur pouvait aussi tenter de démontrer, subsidiairement, qu’il avait « m[is] fin à l’emploi d’une personne en appliquant la règle de l’âge de la retraite en vigueur pour ce genre d’emploi » (alinéa 15(1)c) de la Loi). En 2011, l’alinéa 5(1)c) de la Loi a été abrogé. Les articles pertinents de la Loi sont joints aux présents motifs (voir l’annexe I).

[2]               L’âge comme motif de distinction illicite et les deux moyens de défense – les EPJ et l’âge normal de la retraite – sont en cause dans les présents appels réunis interjetés contre un jugement de la Cour fédérale rendu par le juge Annis (le juge) le 27 janvier 2014 (2014 CF 83, [2014] A.C.F. no 82) (le jugement), et les motifs de ce jugement, comptant 435 paragraphes (les motifs). Par ce jugement, le juge a tranché cinq demandes de contrôle judiciaire (trois de ces demandes sont importantes aux fins des présents appels réunis – T‑1428‑11, T‑1453‑11 et T‑1463‑11) visant une décision par laquelle le Tribunal canadien des droits de la personne (Tribunal) a rejeté un ensemble de plaintes présentées en vertu de la Loi.

[3]               La décision du Tribunal, datée du 10 août 2011, est répertoriée 2011 TCDP 11, [2011] D.C.D.P. n° 11.

[4]               Les plaignants sont tous d’anciens membres de l’Association des pilotes d’Air Canada (l’APAC) et d’anciens employés d’Air Canada que la RRO figurant dans la convention collective conclue entre Air Canada et l’APAC a contraints à prendre leur retraite à l’âge de 60 ans. Ils ont porté plainte contre les deux organisations, en faisant valoir que la RRO constituait un acte discriminatoire au sens de la Loi.

[5]               Le Tribunal a conclu que la RRO était de prime abord constitutive de discrimination (prima facie). Il a rejeté les moyens de défense tirés des EPJ invoqués par les organisations en vertu de l’alinéa 15(1)a) de la Loi. Le Tribunal a toutefois admis le moyen de défense invoqué par Air Canada en vertu de l’alinéa 15(1)c), en concluant que 60 ans était l’âge normal de la retraite pour les pilotes au Canada. Les plaintes ont donc été rejetées.

[6]               Chacune des trois parties a demandé le contrôle judiciaire d’une partie de la décision du Tribunal.

[7]               Devant la Cour fédérale, les plaignants ont attaqué avec succès la conclusion du Tribunal concernant l’âge normal de la retraite (dossier n° T‑1428‑11). Cette partie de la décision du Tribunal a été annulée, et lui a été renvoyée pour que soit rendue une nouvelle décision tenant compte des motifs et des directives du juge.

[8]               Tant Air Canada (dossier n° T‑1453‑11) que l’APAC (dossier n° T‑1463‑11) se sont opposés à la conclusion du Tribunal selon laquelle ni l’une ni l’autre n’avait prouvé l’existence d’une EPJ au sens de l’alinéa 15(1)a) de la Loi.

[9]               Le juge a rejeté la demande d’Air Canada, mais a accueilli celle de l’APAC. Cette question a donc elle aussi été renvoyée au Tribunal, accompagnée de directives précises quant à la manière de se prononcer à nouveau sur le moyen de défense de l’APAC fondé sur les EPJ.

[10]           Chacune des parties a interjeté appel à notre Cour du jugement rendu par le juge.

[11]           Les plaignants soutiennent que le juge n’aurait pas dû accueillir la demande de contrôle judiciaire de l’APAC, et aurait plutôt dû confirmer la conclusion du Tribunal selon laquelle l’APAC ne pouvait pas utilement invoquer l’alinéa 15(1)a) de la Loi. Ils ajoutent que le juge n’aurait pas dû discuter la question de la discrimination de prime abord et, qu’en tout état de cause, il était lié par la jurisprudence sur la question (appel n° A‑105‑14, lié au dossier n° T‑1463‑11).

[12]           Air Canada soutient pour sa part que le juge a commis une erreur en accueillant la demande de contrôle judiciaire des plaignants concernant l’âge normal de la retraite, et qu’il aurait aussi dû accueillir son moyen de défense fondé sur l’existence d’une EPJ au sens de l’alinéa 15(1)a) de la Loi (appel n° A‑111‑14, lié aux dossiers nos T‑1428‑11 et T‑1453‑11).

[13]           L’APAC soutient elle aussi que le juge n’aurait pas dû accueillir la demande de contrôle judiciaire des plaignants concernant l’âge normal de la retraite (appel n° A‑112‑14, lié au dossier n° T‑1428‑11).

[14]           Enfin, la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), qui a comparu tant devant le Tribunal que devant la Cour fédérale, soutient que le juge a annulé à bon droit la conclusion du Tribunal relative à l’âge normal de la retraite, mais a commis une erreur lorsqu’il a accueilli la demande concernant le moyen de défense de l’APAC fondé sur les EPJ, et lorsqu’il a imposé comme exigence additionnelle aux plaignants sous le régime de la Loi de faire la preuve d’une « discrimination réelle ».

[15]           Par les motifs qui suivent, je conclus que le juge a commis une erreur lorsqu’il a substitué sa propre opinion à celle du Tribunal quant à la question de l’âge normal de la retraite. J’accueillerais donc les appels d’Air Canada et de l’APAC sur cette question.

[16]           Au vu du dossier, il était raisonnable pour le Tribunal de conclure, au paragraphe 181 de sa décision, que « […] pour chacune des années de la période de 2005 à 2009, la majorité des pilotes œuvrant pour les compagnies aériennes canadiennes, y compris Air Canada, dans des postes similaires à ceux des plaignants, ont pris leur retraite à l’âge de 60 ans ».

[17]           En conséquence de ma conclusion, je n’examinerais pas les observations des parties concernant l’alinéa 15(1)a) de la Loi, c.‑à‑d. les moyens de défense fondés sur les EPJ. Je rejetterais donc l’appel des plaignants dans le dossier no A‑105‑14. J’accueillerai les appels interjetés par Air Canada et l’APAC dans les dossiers nos A‑111‑14 et A‑112‑14.

[18]           Enfin, j’accepterais l’invitation faite par la Commission de faire des observations sur la partie des motifs et du jugement du juge qui porte sur la discrimination prima facie. Le jugement est joint à cette fin à titre d’annexe II aux présents motifs.

II.                Faits et historique des procédures

[19]           Les faits de l’affaire sont simples. On ne peut pas en dire autant de l’historique des procédures. Comme mentionné ci-dessus, les plaignants (aussi désignés le groupe Adamson) sont tous des pilotes qui, par le passé, ont été au service d’Air Canada et ont été membres de l’APAC. La convention collective conclue entre Air Canada et l’APAC exigeait que les pilotes prennent leur retraite à l’âge de 60 ans. Les plaignants ont atteint cet âge à des dates diverses entre 2005 et 2009. Ils ont formulé des plaintes contre Air Canada et l’APAC, en soutenant qu’il y avait ainsi discrimination, en violation des articles 7 et 10 de la Loi (aussi reproduits à l’annexe I). Le groupe Adamson fait partie d’un important groupe de pilotes anciens et actuels d’Air Canada, connus sous le nom de « Fly Past 60 Coalition », qui ont contesté la RRO d’Air Canada.

[20]           Le premier contentieux visant la RRO concernait les plaintes portées par deux pilotes d’Air Canada, George Vilven et Robert Neil Kelly, qui avaient été contraints de prendre leur retraite à l’âge de 60 ans. Cette affaire a finalement été réglée par l’arrêt Association des pilotes d’Air Canada c. Kelly, 2012 CAF 209, [2013] 1 R.C.F. 308 [Vilven CAF], par lequel notre Cour a reconnu la validité constitutionnelle de l’alinéa 15(1)c) de la Loi. Comme par sa décision antérieure, Vilven c. Air Canada, 2009 CF 367, [2010] 2 R.C.F. 189 [Vilven CF], la Cour fédérale avait maintenu la conclusion du Tribunal selon laquelle 60 ans était l’âge normal de la retraite pour les pilotes, et vu le fait que les plaintes de MM. Kelly et Vilven entraient dans les prévisions de l’alinéa 15(1)(c), le Tribunal s’est fait enjoindre de rejeter leurs plaintes. La référence de la décision dans laquelle le Tribunal a tiré sa conclusion sur l’âge normal de la retraite est Vilven c. Air Canada, 2007 TCDP 36, [2007] D.C.D.P. n° 36.

[21]           De plus, les plaintes formulées par un autre groupe de pilotes à la retraite ont été renvoyées au Tribunal (le groupe Bailie). En février 2012, le Tribunal a accédé à la requête en ajournement d’instance présentée par l’APAC, jusqu’à ce que soit réglé le contentieux du groupe Adamson (Bailie et al. c. Air Canada et Association des pilotes d’Air Canada), 2012 TCDP 6, [2012] D.C.D.P. n° 6).

[22]           Enfin, je désire souligner que la RRO ne figure plus dans l’actuelle convention collective conclue entre Air Canada et l’APAC. Une telle modification faisait manifestement suite à l’abrogation par le législateur – au moyen de l’article 166 de la Loi sur le soutien de la croissance de l’économie et de l’emploi au Canada, L.C. 2011, c. 24 – de l’alinéa 15(1)c) de la Loi.

[23]           L’avocat des plaignants admet que ni cette modification législative ni un jugement favorable de la Cour ne pourraient permettre aux membres du groupe Adamson de réintégrer leurs postes, puisqu’aucun d’eux ne pourrait reprendre son emploi de pilote chez Air Canada. En effet, les plaignants sont à la retraite et ont maintenant plus de 65 ans. Conformément aux normes internationales applicables à Air Canada, 65 ans est l’âge maximal des pilotes commandants de bord. En outre, si l’un des membres d’un équipage de plusieurs pilotes est âgé de plus de 60 ans, l’autre membre doit avoir moins de 60 ans (voir l’annexe 1 de la Convention de Chicago relative à l’aviation civile internationale, dixième édition, juillet 2006, art. 2.1.10, intitulé « Limitation des privilèges des pilotes ayant atteint l’âge de 60 ans et restriction des privilèges des pilotes ayant atteint l’âge de 65 ans »).

[24]           Selon le groupe Adamson, ainsi, l’effet pratique d’un jugement de la Cour confirmant la décision du juge serait de donner éventuellement ouverture à une action en dommages‑intérêts contre Air Canada et l’APAC.

III.             Questions en litige

[25]           Compte tenu de la manière dont je propose que soient tranchés les présents appels, les questions pertinentes sont les suivantes :

1.    Quelle est la norme appropriée d’examen en appel?

2.    Le juge a-t-il choisi et appliqué la norme de contrôle appropriée en ce qui concerne l’examen de la conclusion du Tribunal sur l’âge normal de la retraite?

3.    Le Tribunal a-t-il conclu erronément que 60 ans était l’âge normal de la retraite pour les pilotes au Canada pendant la période de 2005 à 2009?

[26]           Mes observations sur une partie des motifs et du jugement du juge figureront à la section 4 de mon analyse. Je discuterai les points suivants :

  • L’examen par le juge de la question de la discrimination prima facie
  • La modification par le juge du critère à trois volets élaboré par la Cour suprême du Canada en vue d’établir si un acte discriminatoire de prime abord constitue une EPJ.

IV.             Analyse

1.                  Norme de contrôle

[27]           Lorsqu’un appel est interjeté contre un jugement de la Cour fédérale portant sur une demande de contrôle judiciaire, la Cour doit décider si le juge a choisi la bonne norme de contrôle et s’il l’a appliquée correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 45 [Agraira]; Servicemaster Company c. 385229 Ontario Ltd. (Masterclean Service Company), 2015 CAF 114, [2015] A.C.F. no 615, au paragraphe 17).

[28]           Autrement dit, cela signifie que notre Cour porte la casquette de la Cour fédérale, et ainsi, se concentre effectivement sur la décision du Tribunal (Agraira, au paragraphe 46, citant Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23, au paragraphe 247).

[29]           La décision raisonnable est la norme de contrôle applicable à l’établissement par le Tribunal du groupe de comparaison approprié pour déterminer l’âge normal de la retraite. Le juge a conclu qu’il en était ainsi, au paragraphe 80 de ses motifs, sans offrir d’explication additionnelle.

[30]           Selon moi, cette question met essentiellement en cause l’interprétation par le Tribunal de sa loi constitutive et l’application de l’alinéa 15(1)c) au regard des plaintes. Ces deux facteurs penchent fortement en faveur de la norme de contrôle de la décision raisonnable. Aux paragraphes 53 et 54 de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, [Dunsmuir], la Cour suprême a conclu que la décision raisonnable était la norme applicable à la question dont le tribunal est saisi « lorsque le droit et les faits s’entrelacent », ou dans le cas où le tribunal interprète une loi « étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » (pour une application plus récente du principe, voir Nor-Man Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, [2011] 3 R.C.S. 616, au paragraphe 36, ainsi que Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654). De manière similaire, au paragraphe 26 de l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471, la Cour suprême a conclu que l’interprétation par le Tribunal d’une disposition de la Loi appelait la déférence. Par conséquent, la déférence est de mise en regard des conclusions du Tribunal visant le groupe de comparaison approprié pour le calcul de l’âge normal de la retraite, et sa conclusion générale sur ce point.

[31]           Je ne puis retenir la thèse des plaignants portant que la norme de la décision correcte est la norme de contrôle appropriée. Les plaignants avancent que, puisque le Tribunal devait suivre les directives données par la juge Mactavish à l’occasion de l’affaire Vilven CF, la règle du précédent obligatoire joue et la décision du Tribunal doit être examinée selon la norme de la décision correcte. Ils invoquent l’arrêt rendu par notre Cour à l’occasion de l’affaire Canada (Commissaire de la concurrence) c. Supérieur propane Inc., 2003 CAF 53, [2003] 3 R.C.F. 529 [Supérieur propane] à l’appui de leur argument. Bien que je souscrive au principe selon lequel, lors du réexamen, le tribunal a l’obligation de suivre les directives de la cour réformatrice (voir le paragraphe 54 de l’arrêt Supérieur propane), j’estime que la règle ne joue pas dans les circonstances. En l’espèce, le Tribunal ne procédait pas au réexamen à la suite d’une procédure de contrôle judiciaire. Il ne faisait qu’apprécier les plaintes en première instance. Malgré le chevauchement évident avec l’affaire Vilven/Kelly, ce litige et le nôtre reposent sur un dossier de preuve différent et doivent être considérés comme distincts. Le Tribunal n’avait pas l’obligation de suivre aveuglément la jurisprudence Vilven CF. Elle ne doit pas être comprise comme si elle obligeait de recourir à la norme de la décision correcte, mais plutôt comme si elle restreint la gamme des options raisonnables offertes au Tribunal dans l’établissement du groupe de comparaison aux fins de l’alinéa 15(1)c).

[32]           Je retiens la thèse de la Commission selon laquelle la jurisprudence actuelle sur les groupes de comparaison appropriés pour les pilotes canadiens [traduction] « a une incidence sur le caractère raisonnable de la décision [du Tribunal] et non pas sur la norme qui s’applique au contrôle de la décision » (mémoire des faits et du droit de la Commission, au paragraphe 24). À l’occasion de l’affaire Dunsmuir, la Cour suprême a jugé que le caractère raisonnable tenait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (au paragraphe 47). Ainsi, la jurisprudence Vilven CF apporte des restrictions, tout au plus, quant au raisonnement du Tribunal (p. ex., il ne serait pas raisonnable qu’il omette de mentionner cette décision) et à la gamme des issues acceptables.

[33]           Résumons donc. Le juge a-t-il choisi la bonne norme de contrôle? Oui. L’a-t-il appliquée correctement? Non. J’estime, avec égards, que le juge a plutôt substitué sa propre opinion à celle du Tribunal. Il a imposé sa propre qualification des facteurs énoncés dans la décision Vilven CF, et les a appliqués à la preuve pour tirer sa propre conclusion.

2.                  Le juge a-t-il appliqué correctement la norme de la décision raisonnable à l’évaluation par le Tribunal de l’âge normal de la retraite?

2.1 Alinéa 15(1)c) de la Loi : l’âge normal de la retraite

[34]           Le juge discute l’âge normal de la retraite du paragraphe 86 au paragraphe 132 de ses motifs. Le Tribunal le fait du paragraphe 4 à 182 de sa décision. Le juge et le Tribunal sont du même avis quant à l’interprétation et à l’application de base de l’alinéa 15(1)c) de la Loi.

[35]           L’alinéa 15(1)c) offre, à titre de moyen de défense, une exception restreinte en cas de discrimination fondée sur l’âge lorsqu’il existe une pratique dans un secteur industriel concernant l’âge de la retraite (voir l’arrêt Vilven CAF, aux paragraphes 51 et 52). Je reproduis l’alinéa 15(1)c), par souci de commodité :

15(1) Ne constituent pas des actes discriminatoires:

15(1) It is not a discriminatory practice if

[…]

c) le fait de mettre fin à l’emploi d’une personne en appliquant la règle de l’âge de la retraite en vigueur pour ce genre d’emploi;

(c) an individual’s employment is terminated because that individual has reached the normal age of retirement for employees working in positions similar to the position of that individual;

[36]           L’alinéa 15(1)c) requiert, en pratique, que le plaignant rapporte la preuve prima facie de discrimination. Cela fait, le fardeau de la preuve se déplace vers l’employeur, qui doit justifier la discrimination sur le fondement de cette disposition; cela appelle la comparaison de la norme contestée et l’âge normal de la retraite en vigueur pour les employés qui occupent des postes similaires à celui du plaignant.

[37]           Par conséquent, le Tribunal doit en premier lieu établir un groupe de comparaison constitué des employés occupant le même genre d’emploi. Ensuite, le Tribunal doit calculer l’âge normal de la retraite pour le groupe de comparaison et comparer le résultat obtenu à la RRO. Si l’âge normal de la retraite pour ce groupe est égal ou inférieur à l’âge prévu par la RRO, l’employeur a établi le moyen de défense prévu à l’alinéa15(1)c).

[38]           En l’espèce, le Tribunal a conclu qu’Air Canada s’était acquittée de son fardeau et a rejeté les plaintes.

2.2 Méthode du juge quant à la question de l’âge normal de la retraite

[39]           Après avoir reproduit l’alinéa 15(1)c) de la Loi, le juge a débuté l’examen de la question de l’âge normal de la retraite en déclarant que l’interprétation du critère consacré par la jurisprudence Vilven CF était la question centrale dont le Tribunal était saisi. Correctement qualifié, c’est par ce critère que l’on recherchait si Air Canada pouvait s’appuyer sur l’alinéa 15(1)c) (motifs, au paragraphe 88). Je n’interprète toutefois pas la jurisprudence Vilven CF comme consacrant un critère; à partir de maintenant, je ferai référence aux facteurs de la jurisprudence Vilven CF.

[40]           Cela dit, le juge s’est ensuite immédiatement penché sur la jurisprudence Vilven CF pour en dégager le sens véritable (motifs, aux paragraphes 89 et suivants).

[41]           Par la décision Vilven CF, la Cour fédérale a établi le groupe de comparaison approprié aux paragraphes 111, 112, 125 et 170 de ses motifs; j’en reproduis les extraits pertinents (non souligné dans l’original):

[111]    Ce que les pilotes d’Air Canada font essentiellement, c’est être aux commandes d’aéronefs de taille et de type divers, transportant des voyageurs vers des destinations intérieures et internationales, en traversant l’espace aérien canadien et étranger.

[112]    […] Compte tenu des caractéristiques essentielles des emplois qu’occupaient MM. Vilven et Kelly, le bon groupe de comparaison aurait dû être celui des pilotes au service de sociétés aériennes canadiennes et aux commandes d’aéronefs de taille et de type divers, transportant des voyageurs vers des destinations à la fois intérieures et internationales, en traversant l’espace aérien canadien et étranger.

[125]    Pour résumer mes conclusions sur ce point : l’essentiel de ce que font les pilotes d’Air Canada peut être décrit comme suit : « piloter des appareils de taille et de type divers, transportant des voyageurs vers des destinations à la fois intérieures et internationales, en traversant l’espace aérien canadien et étranger ». De nombreux pilotes canadiens occupent des postes semblables, y compris ceux qui sont au service d’autres entreprises de transport aérien canadiennes. Ce sont ces pilotes‑là qui constituent le groupe de comparaison pour l’application de l’alinéa 15(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[170]    […] je suis d’avis que le Tribunal a commis une erreur dans son identification du « genre d’emploi » qu’occupaient MM. Vilven et Kelly. Ce sont les pilotes au service d’entreprises de transport aérien international canadiennes, aux commandes d’aéronefs de tailles diverses se rendant à des destinations intérieures et internationales, en traversant l’espace aérien canadien et étranger, qui constituent le groupe de comparaison approprié.

[42]           Chacune des parties a fait connaître lors de l’instruction des présents appels, comme elle l’avait fait devant l’instance inférieure, son point de vue quant au paragraphe de la décision Vilven CF résumant le mieux la conclusion qu’y a tirée la Cour fédérale au sujet du bon groupe de comparaison.

[43]           Il n’est pas controversé entre toutes les parties qu’il faut examiner les activités des autres pilotes de transporteurs aériens canadiens en fonction des facteurs recensés dans la décision Vilven CF, soit :

  • piloter vers des destinations intérieures
  • piloter vers des destinations internationales
  • transporter des voyageurs
  • piloter des aéronefs de tailles diverses
  • piloter des aéronefs de types divers

[44]           Les parties sont en profond désaccord quant aux facteurs primordiaux et, plus important encore, quant à savoir s’il faut interpréter les facteurs de manière conjonctive, comme en a décidé le Tribunal, ou de manière disjonctive, comme en a décidé le juge. Plus précisément, elles soulèvent la question de savoir si les mots « à la fois » utilisés aux paragraphes 112 et 125 de la décision Vilven CF pour qualifier l’expression « vers des destinations […] intérieures et internationales » ont été retirés volontairement ou par mégarde du paragraphe 170 (je relève que les mots « à la fois » figurent également au paragraphe 111). Selon le juge, la présence ou l’absence des mots « à la fois » est une question importante. En effet, la formulation conjonctive exclut les transporteurs aériens dont les pilotes ne correspondent pas à tous les facteurs recensés dans la décision Vilven CF (motifs, au paragraphe 93). En revanche, la formulation disjonctive permet d’inclure les pilotes de tous les transporteurs aériens qui correspondent à tout facteur de la liste ci-dessus.

[45]           Le juge a estimé que l’interprétation conjonctive faite par le Tribunal des facteurs recensés par la décision Vilven CF avait donné lieu à l’élimination des « principaux concurrents d’Air Canada en raison de l’application d’un critère visant à comparer les transporteurs aériens en fonction des similitudes des tâches et des responsabilités de leurs pilotes » (motifs, au paragraphe 99). Il en est résulté l’exclusion par le Tribunal des transporteurs aériens pris en compte à l’occasion de l’affaire Vilven CF, soit les transporteurs canadiens Jazz, Air Transat, Skyservice, CanJet et WestJet, lorsqu’il a établi le groupe de comparaison.

[46]           Selon le juge, un tel résultat était « manifestement déraisonnable » et avait découlé de l’application des mauvais principes. Il était ainsi justifié d’annuler la décision du Tribunal. Le reste de la discussion du juge semble avoir consisté en un examen plus approfondi des motifs du Tribunal pour cerner de quelle manière celui-ci avait commis une erreur dans son application de la jurisprudence Vilven CF. Dans cet esprit, le juge a expressément relevé sept erreurs, y compris une fois encore l’élimination des principaux concurrents d’Air Canada. Voici ces erreurs :

  1. le caractère déraisonnable de l’élimination des concurrents d’Air Canada;
  2. l’absence d’analyse fonctionnelle des tâches et responsabilités des pilotes d’Air Canada;
  3. l’absence d’analyse contextuelle du raisonnement formulé dans la décision Vilven CF;
  4. la mise à l’écart du paragraphe 173 de la décision Vilven CF, où les mots « à la fois » ne qualifient pas non plus les destinations;
  5. le défaut d’évaluer valablement le paragraphe 113 de la décision Vilven CF, qui discutait les cinq autres principaux transporteurs aériens au Canada assurant le transport de voyageurs vers des destinations intérieures et internationales;
  6. le défaut d’aborder le paragraphe 171 de la décision Vilven CF et les préoccupations qui y sont exprimées quant à la position dominante d’Air Canada au sein du secteur canadien du transport aérien;
  7. l’absence d’interprétation contextuelle des mots « à la fois ».

[47]           Les motifs de la décision Vilven CF et l’élimination des concurrents d’Air Canada en raison de l’approche retenue par le Tribunal en l’espèce ont été les éléments clés de l’analyse du juge et de sa conclusion finale selon laquelle la conclusion du Tribunal relative à l’alinéa 15(1)c) ne pouvait pas être maintenue. Il sera donc utile d’examiner la jurisprudence Vilven CF de manière plus approfondie.

2.3 La jurisprudence Vilven CF et sa pertinence quant aux présentes plaintes

[48]           Il ne fait nul doute que des ressemblances existent entre les faits en cause dans l’affaire Vilven CF et dans les présents appels : MM. Vilven et Kelly étaient pilotes au service d’Air Canada et ils avaient tous deux formulé des plaintes à l’égard de la même RRO que celle qui est contestée par le groupe Adamson.

[49]           À l’occasion de l’affaire Vilven CF, la Cour fédérale a conclu que le Tribunal avait incorrectement défini les caractéristiques essentielles des postes de MM. Vilven et Kelly. Le Tribunal, par conséquent, avait aussi choisi incorrectement le groupe de comparaison pour le calcul de l’âge normal de la retraite aux fins de l’alinéa 15(1)c) de la Loi. En particulier, le Tribunal avait insisté sur le statut et le prestige associés aux postes de pilote auprès d’Air Canada, et il en avait fait une caractéristique essentielle de ces postes. La Cour fédérale a jugé cela déraisonnable. Le Tribunal aurait plutôt dû se pencher sur « les exigences fonctionnelles réelles des emplois eux‑mêmes » (Vilven CF, au paragraphe 107). Il aurait dû mettre l’accent sur « les tâches et les responsabilités fonctionnelles objectives » du poste de pilote au Canada pour évaluer si un emploi donné était du même genre que celui occupé par MM. Vilven et Kelly (ibidem, au paragraphe 109).

[50]           C’est dans ce contexte que la Cour fédérale s’est penchée sur les caractéristiques essentielles des postes de MM. Vilven et Kelly et a rédigé les paragraphes 111 et 112, et résumé ses conclusions au paragraphe 125. Je relève que ces paragraphes se trouvent dans la partie de la décision Vilven CF intitulée « La description des emplois qu’occupaient MM. Vilven et Kelly ainsi que le choix du groupe de comparaison ». Les paragraphes 170 et 173 figurent bien plus loin, alors que la Cour fédérale avait déjà fait sa description d’emploi, et ils se trouvent dans la partie de la décision portant sur l’âge normal de la retraite pour les pilotes des transporteurs aériens canadiens.

[51]           Je relève également que, à l’occasion de l’affaire Vilven CF, l’approche retenue adoptée par le Tribunal afin d’établir les caractéristiques essentielles du poste occupé par les pilotes d’Air Canada n’a pas eu d’effet décisif sur l’issue de la cause. D’ailleurs, lorsqu’elle a procédé à l’examen de la conclusion du Tribunal selon la norme de la décision raisonnable, la Cour fédérale a maintenu sa conclusion selon laquelle l’âge normal de la retraite pour les pilotes de transporteurs aériens canadiens était de 60 ans. La Cour fédérale a retenu l’approche empirique adoptée par le Tribunal – procéder par analyse statistique au dénombrement total des postes pertinents dans le secteur canadien du transport aérien – pour trancher la question. La Cour fédérale a ainsi observé, aux paragraphes 173 et 174 :

[173]    Les informations statistiques présentées au Tribunal au sujet des pilotes de ligne travaillant à la fois pour Air Canada et pour d’autres sociétés aériennes canadiennes faisant voler des aéronefs de tailles diverses vers des destinations intérieures et internationales, dans l’espace aérien canadien et étranger, révèlent qu’à l’époque où MM. Vilven et Kelly ont été forcés de quitter leur emploi chez Air Canada, plusieurs sociétés aériennes canadiennes permettaient à leurs pilotes de voler jusqu’à l’âge de 65 ans, et aucune ne disposait d’une quelconque politique de retraite obligatoire. Néanmoins, 56,13 p. 100 des pilotes de ligne canadiens prenaient leur retraite à l’âge de 60 ans.

[174]    Par conséquent, malgré les erreurs mentionnées précédemment, la conclusion du Tribunal selon laquelle 60 ans était l’âge de la retraite en vigueur pour le genre d’emploi qu’exerçaient MM. Vilven et Kelly avant qu’ils prennent leur retraite forcée d’Air Canada appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[52]           Trois éléments restreignent, selon moi, l’application pure et simple de la jurisprudence Vilven CF à l’affaire qui nous occupe.

[53]           Premièrement, comme je l’ai déjà dit dans l’analyse relative à la norme de contrôle, la décision Vilven CF portait sur une affaire distincte mettant en cause des preuves et des plaignants différents. Malgré les similitudes évidentes entre les deux groupes de plaignants, les instances sont formellement distinctes. L’arrêt de notre Cour Vilven CAF, où a été reconnue la validité constitutionnelle de l’alinéa 15(1)c) de la Loi, a concrètement résolu les plaintes examinées dans la décision Vilven CF. En revanche, en l’espèce, le Tribunal a apprécié les plaintes en première instance. Les conclusions tirées dans la décision Vilven CF ne lui étaient donc pas automatiquement opposables. Le Tribunal devait lui-même décider quelle devait être l’incidence de la jurisprudence Vilven CF, sous réserve bien sûr du contrôle judiciaire éventuel du caractère raisonnable de sa décision.

[54]           Deuxièmement, la décision Vilven CF était fondée sur un ensemble de faits particuliers. La distinction est d’importance. L’on disposait dans l’affaire Vilven CF d’un exposé conjoint des faits (voir, p. ex., la décision Vilven CF, aux paragraphes 113 et 114), sur lequel la juge Mactavish s’est fondée pour conclure que 56 pour cent des pilotes de ligne canadiens prenaient leur retraite à l’âge de 60 ans (la décision Vilven CF, au paragraphe 173). En outre, l’exposé conjoint des faits était axé en grande partie sur l’âge de la retraite des pilotes de transporteurs aériens commerciaux internationaux (voir l’annexe A de l’exposé conjoint des faits, cahier d’appel, volume 2, onglet I-3, aux pages 306 à 308, la pièce C‑2 présentée au Tribunal et la pièce 3 jointe à l’affidavit d’Harlan Clark, directeur des relations de travail chez Air Canada). En l’espèce toutefois, il n’y avait pas d’exposé conjoint des faits et les parties ont présenté beaucoup d’éléments de preuve à l’audience. Le Tribunal a dû passer ces éléments au crible et décider comment il fallait s’en servir dans son analyse de l’âge normal de la retraite. Vu une telle différence, la portée de la jurisprudence Vilven CF est étroitement circonscrite aux faits bien particuliers de cette affaire.

[55]           Je relève de même que les facteurs retenus par la juge Mactavish à l’occasion de l’affaire Vilven CF pour établir le groupe de comparaison, soit «être aux commandes d’aéronefs de taille et de type divers, transportant des voyageurs vers des destinations intérieures et internationales, en traversant l’espace aérien canadien et étranger », ne correspondent pas aux renseignements figurant à l’annexe A jointe à l’exposé conjoint des faits mentionné précédemment. À titre d’exemple, la juge Mactavish ne disposait pas de preuves concernant les types ou les tailles des aéronefs utilisés, ou les destinations desservies, par les transporteurs aériens canadiens. Bien que son analyse de l’âge normal de la retraite se soit fondée sur l’exposé conjoint des faits, la nature restreinte de cet élément de preuve l’a empêchée d’appliquer en pratique les facteurs retenus pour établir le groupe de comparaison. Vu le décalage entre les facteurs énoncés et les preuves présentées à l’occasion de l’affaire Vilven CF, je suis d’avis que cette décision n’était pas destinée à faire autorité quant au groupe de comparaison approprié pour les pilotes d’Air Canada. Les critères en cause visaient plutôt à faire ressortir le caractère erroné de l’analyse du Tribunal, qui s’était concentrée sur des facteurs subjectifs tels que le prestige associé au travail auprès d’un « transporteur international important » (voir la décision Vilven CF, aux paragraphes 107 et 165).

[56]           Troisièmement, la jurisprudence Vilven CF reflète une application particulière du moyen de défense fondé sur l’âge normal de la retraite, et n’était pas censée consacrer une interprétation générale de l’alinéa 15(1)c) de la Loi. La jurisprudence Vilven CF portait, en réalité, sur la première partie de l’analyse de l’âge normal de la retraite (c.‑à‑d. le bon groupe de comparaison) dans le contexte particulier des deux plaintes formulées. Le principe du précédent obligatoire n’est pas en cause ici.

[57]           Bien que dans les deux cas le principe du précédent obligatoire soit discuté, la conclusion qui précède se distingue de ma conclusion précédente selon laquelle le Tribunal n’était pas tenu d’appliquer la jurisprudence Vilven CF parce qu’il n’avait pas à rendre une nouvelle décision à l’égard des plaintes dans notre affaire. Les deux conclusions conduisent à un même résultat en pratique. Le Tribunal n’était pas tenu d’appliquer les facteurs de la jurisprudence Vilven CF de la manière avancée par la juge Mactavish, mais disposait d’une plus grande marge de manœuvre pour décider de leur mode d’emploi.

[58]           Tous ces éléments m’incitent à accorder à la jurisprudence Vilven CF une portée plus restreinte aux fins de l’examen de la décision du Tribunal. Les facteurs de la jurisprudence Vilven CF ne sont pas une formule que le Tribunal devait appliquer correctement pour éviter l’annulation de sa décision à l’étape du contrôle judiciaire. Plus important encore, il ne faut pas considérer ces facteurs indépendamment des faits particuliers sur lesquels étaient fondées les plaintes et les transformer en une norme prescriptive.

[59]           Étant donné que j’ai conclu que la jurisprudence Vilven CF ne faisait pas autorité, j’estime que la mention constante par le juge du « critère consacré par la décision Vilven » s’éloignait de l’examen global requis de la décision du Tribunal dans le cadre du contrôle judiciaire, ce qui a conduit le juge à se concentrer de manière excessive sur les motifs de la décision Vilven CF.

[60]           Si l’enseignement de la décision Vilven CF ne s’impose pas, se pose alors la question de son incidence véritable sur l’instance actuelle. Selon moi, cette décision a pour rôle d’éclairer le contexte dans lequel le Tribunal a rendu sa décision. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable consiste principalement en une analyse contextuelle (Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, au paragraphe 18). Comme je l’ai signalé précédemment, la jurisprudence, y compris Vilven CF, restreint la gamme des options offertes au Tribunal, et limite l’analyse de celui-ci lorsqu’il établit l’âge normal de la retraite. Il n’en découle pas que le Tribunal devait appliquer les facteurs de la manière même que l’a entendu la juge Mactavish. Je conclus donc que le juge a emprunté la mauvaise voie lorsqu’il a analysé étroitement le libellé de la décision Vilven CF et comparé l’interprétation qu’il privilégiait à celle faite par le Tribunal.

[61]           Le juge procédant à un examen selon la norme de la décision raisonnable doit utiliser la décision du tribunal comme point de départ et l’examiner au regard du droit et du dossier dont disposait le décideur.

[62]           Il est utile de répéter que lorsque la norme de contrôle est la décision raisonnable, le juge chargé de l’examen qui juge déraisonnable la décision d’un tribunal ne peut pas lui substituer sa propre décision. Il peut indiquer les facteurs que le tribunal aurait avantage à examiner, mais il ne peut pas lui imposer son propre point de vue. L’affaire doit être renvoyée au tribunal afin qu’il tranche lui‑même la question en tenant compte des motifs du juge chargé de l’examen. Bien que ces motifs offrent un schème de raisonnement que le tribunal pourrait mettre à profit, en fin de compte, la décision à rendre lui incombe. La portée de la décision du tribunal est uniquement limitée par les exigences de la décision raisonnable.

[63]           En l’espèce, de manière générale, le juge a discuté la jurisprudence Vilven CF comme s’il interprétait un texte législatif. En d’autres mots, il semble avoir conclu qu’il fallait d’abord interpréter correctement cette décision dans l’abstrait avant de l’appliquer à l’affaire dont il était saisi. D’ailleurs, le juge s’est penché sur la jurisprudence Vilven CF avant même d’aborder la décision du Tribunal. À mon avis, lorsqu’il a discuté les facteurs de la jurisprudence Vilven CF comme s’il s’agissait de dispositions législatives, le juge s’est éloigné à tort du seul texte législatif qui régissait la question et qui devait servir à décider en définitive si Air Canada et l’APAC pouvaient invoquer les EPJ comme moyen de défense, soit l’alinéa 15(1)a) de la Loi. Cette disposition est à peine mentionnée dans l’analyse du juge, et elle est reléguée au second plan par la jurisprudence Vilven CF. Autrement dit, la jurisprudence Vilven CF n’était pas un code exhaustif qui, correctement interprété, devait déterminer de l’issue des plaintes. À mon humble avis, l’approche ainsi retenue par le juge l’a détourné de sa mission consistant à évaluer, en soi, le caractère raisonnable de la décision du Tribunal.

[64]           Je relève sur ce point, aux paragraphes 128 et 129 de ses motifs, les observations suivantes du juge :

[128]    Malgré la retenue dont je dois faire preuve envers le Tribunal, je conclus tout de même que le Tribunal a commis une erreur de principe dans son interprétation de la directive formulée par la Cour dans la décision Vilven lorsqu’il a conclu qu’elle imposait une règle qui consistait en un ensemble de facteurs devant être considérés de façon conjonctive, alors que, si on l’interprète dans son contexte, la décision enjoignait clairement au Tribunal d’appliquer les facteurs de façon disjonctive.

[129]    Compte tenu de ce qui précède, je retiens les motifs que la juge Mactavish a exposés dans la décision Vilven, car ils définissent correctement les caractéristiques des transporteurs aériens dont les pilotes constituent le groupe de comparaison, dans la mesure où les facteurs énumérés sont appliqués de façon disjonctive. Autrement, en toute déférence, je ne souscris pas à sa décision pour les motifs susmentionnés. À mon avis, les facteurs qu’elle a énumérés dans sa décision doivent être appliqués de façon disjonctive afin d’éviter l’issue déraisonnable qu’est l’élimination des principaux concurrents d’Air Canada en tant que transporteurs aériens dont les pilotes constituent le groupe de comparaison.

[Non souligné dans l’original.]

[65]           Il ressort de ces paragraphes qu’on peut lire la jurisprudence Vilven CF de plus d’une manière.

[66]           En l’espèce, le Tribunal a expliqué sa lecture de la jurisprudence Vilven CF. Il était loisible au Tribunal, en appliquant les facteurs consacrés par la jurisprudence Vilven CF, d’opter pour une interprétation conjonctive et de s’appuyer sur les paragraphes 112 et 125 de cette décision. J’examinerai ci‑dessous de manière plus approfondie la décision du Tribunal.

2.4 L’erreur commise par le juge en considérant l’élimination des concurrents d’Air Canada comme une erreur susceptible de contrôle

[67]           S’il a relevé plusieurs erreurs entachant le raisonnement du Tribunal, le juge s’est manifestement attaché au fait qu’il résultait de sa lecture de la jurisprudence Vilven CF l’élimination des principaux concurrents d’Air Canada (motifs, aux paragraphes 94, 98, 99, 101, 107, 114, 120, 129 et 130). Les autres erreurs sont essentiellement englobées dans cette conclusion. Comme je l’ai dit ci‑dessus, c’est pour cette raison que le juge a conclu que la décision du Tribunal était « manifestement déraisonnable ».

[68]           À mon avis, l’accent mis par le juge sur la question des principaux concurrents d’Air Canada était malvenu. Le Tribunal ne disposait pas de preuves établissant quels étaient les principaux concurrents nationaux d’Air Canada. Cela n’a rien de surprenant, puisque les parties cherchaient surtout à présenter des preuves se rapportant aux facteurs consacrés par la jurisprudence Vilven CF; or, la notion de concurrents ne figure pas parmi les facteurs mentionnés dans cette décision. Par la décision Vilven CF, au contraire, la juge Mactavish a rejeté l’approche suivie par le Tribunal lorsqu’il avait conclu que seuls les pilotes travaillant pour d’importantes entreprises de transport aérien international devaient être inclus dans le groupe de comparaison (Vilven CF, aux paragraphes 90 et 109).

[69]           Plutôt, les facteurs énumérés ont été retenus en fonction des exigences réelles d’un poste de pilote, et non de caractéristiques commerciales quelconques des transporteurs aériens.

[70]           Au paragraphe 85 de leur mémoire des faits et du droit, les plaignants font valoir qu’il était loisible au juge de recourir à [traduction] « son propre sens commun et à ses propres connaissances » en traitant des principaux concurrents d’Air Canada. Je rejette cette thèse. Le critère d’application de la connaissance d’office est sans concession. À l’occasion de l’affaire R. c. Spence, 2005 CSC 71, [2005] 3 R.C.S. 458, la Cour suprême s’est exprimée comme suit (au paragraphe 53, citant R. c. Find, 2001 CSC 32, [2001] 1 R.C.S. 863, au paragraphe 48) :

[...] Un tribunal peut à juste titre prendre connaissance d’office de deux types de faits : (1) les faits qui sont notoires ou généralement admis au point de ne pas être l’objet de débats entre des personnes raisonnables; (2) ceux dont l’existence peut être démontrée immédiatement et fidèlement en ayant recours à des sources facilement accessibles dont l’exactitude est incontestable.

[71]           Bien qu’énoncée dans une affaire pénale, cette règle vaut également en matière civile (voir, p. ex., Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, [2013] 1 R.C.S. 61, au paragraphe 237).

[72]           Il n’est pas possible de dire avec certitude quels transporteurs aériens étaient les plus importants ou les plus proches concurrents d’Air Canada entre les années 2005 et 2009. Cela nécessiterait, tout d’abord, d’établir les caractéristiques ou les éléments pertinents permettant d’évaluer si deux transporteurs aériens sont des concurrents sur le marché. Ces caractéristiques et éléments pourraient être semblables aux facteurs de la jurisprudence Vilven CF, ou ils pourraient être entièrement différents.

[73]           De plus, les parties n’ont pas eu l’occasion de présenter des preuves quant au caractère approprié ou à la pertinence de la connaissance d’office de la conclusion tirée, laquelle tranchait, en pratique, la question liée à l’alinéa 15(1)c).

[74]           Je conclus, au final, que le critère requis aux fins du contrôle judiciaire n’était pas atteint. Le juge ne pouvait pas annuler la décision du Tribunal relative à la question de l’âge normal de la retraite en s’appuyant principalement sur une considération non-étayée par la preuve.

[75]           La question se pose alors de savoir s’il existait d’autres motifs légitimes permettant au juge d’annuler la décision du Tribunal relative à l’âge normal de la retraite. Cela m’amène à l’examen de la décision du Tribunal.

3.         La décision du Tribunal – Le Tribunal a-t-il autrement commis une erreur lorsqu’il a conclu qu’il fallait rejeter les plaintes sur le fondement de l’alinéa15(1)c)?

[76]           Contrairement à la conclusion tirée par le juge, les facteurs de la jurisprudence Vilven CF n’étaient pas la question principale dont le Tribunal était saisi. Au contraire, ce qui était en cause c’était la validité du moyen de défense fondé sur l’alinéa 15(1)c) invoqué tant par Air Canada que par l’APAC. Pour trancher cet aspect précis, le Tribunal devait établir l’âge normal de la retraite pour les pilotes au service des transporteurs aériens canadiens, y compris Air Canada, dans le genre de poste occupé par les plaignants pendant chacune des années de la période 2005 à 2009. Au paragraphe 25 de sa décision, le Tribunal a exposé sa mission comme suit :

Ce que le Tribunal doit faire en l’espèce est ce qu’a fait la Cour dans [Vilven CF], soit poser la question suivante et y répondre : quel est l’essentiel de ce que font les pilotes d’Air Canada?

[77]           Le Tribunal était disposé à suivre la jurisprudence Vilven CF parce qu’il ressortait des preuves qu’il y avait lieu d’établir le groupe de comparaison approprié en fonction des facteurs mentionnés aux paragraphes 112 et 125 de cette décision (décision du Tribunal, au paragraphe 25).

[78]           J’ai déjà conclu qu’il était loisible au Tribunal de privilégier une lecture de la jurisprudence Vilven CF, dans la mesure où cette lecture était raisonnable. En l’espèce, le Tribunal avait entendu les observations des parties sur l’expression « à la fois », et il a choisi d’interpréter les facteurs de la jurisprudence Vilven CF de manière conjonctive, et il a produit une explication. Il n’était pas déraisonnable que le Tribunal retienne les paragraphes 111, 112 et 125 de la décision Vilven CF comme guide pour l’analyse des preuves relatives à l’âge normal de la retraite. Au paragraphe 125 de la décision Vilven CF, la juge Mactavish conclut la partie de ses motifs sur le choix du groupe de comparaison en déclarant expressément que les pilotes canadiens qui, notamment, pilotent des aéronefs vers des destinations à la fois intérieures et internationales « constituent le groupe de comparaison pour l’application de l’alinéa 15(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne » (non souligné dans l’original). Sur ce fondement, il ne saurait être dit que le Tribunal a agi de manière déraisonnable ni qu’il ne se soit fondé sur de mauvais principes lorsqu’il a appliqué de manière conjonctive les facteurs de la jurisprudence Vilven CF aux faits.

[79]           Il a beaucoup été question, lors de l’instruction des présents appels, de la décision du Tribunal d’éliminer les cinq transporteurs aériens canadiens mentionnés au paragraphe 113 de la décision Vilven CF. Les plaignants y voient l’ [traduction] « erreur flagrante » du Tribunal. Si le Tribunal avait inclus ces cinq transporteurs canadiens dans le groupe de comparaison, il aurait conclu en faveur du groupe Adamson. De l’avis des plaignants, l’exclusion de ces transporteurs aériens constitue une erreur susceptible de contrôle qui commande notre intervention (mémoire des faits et du droit des plaignants, aux paragraphes 82 et 83). Je rejette cette thèse, pour deux motifs.

[80]           Premièrement, l’exclusion des cinq transporteurs aériens canadiens n’a pas été faite de manière arbitraire. L’exclusion a résulté de l’application des facteurs de la jurisprudence Vilven CF, selon une interprétation conjonctive, aux éléments de preuve retenus par le Tribunal.

[81]           Deuxièmement, je souscris à l’avis du Tribunal que rien dans la décision Vilven CF ne donne à penser que la juge Mactavish a retenu l’idée que les transporteurs aériens satisfaisaient à tous les facteurs énoncés aux paragraphes 111, 112 et 125, étant donné que l’audience s’est déroulée sur le fondement d’un exposé conjoint des faits. De même, comme je l’ai signalé ci-dessus, l’annexe A de l’exposé conjoint des faits ne faisait pas état de renseignements concernant tous les facteurs de la jurisprudence Vilven CF. On pourrait aussi soutenir que la juge Mactavish a fait le calcul, démontrant que, même si on incluait tous les transporteurs aériens dans le groupe de comparaison, il faudrait malgré tout rejeter les plaintes.

[82]           En l’espèce, le Tribunal a entendu une preuve abondante sur le choix des groupes de comparaison. Au final, le Tribunal s’est fondé sur le témoignage du capitaine Duke, un témoin d’Air Canada, en vue d’établir le groupe de comparaison pour les années 2005 à 2008 (décision du Tribunal, au paragraphe 173). Quant à l’année 2009, le Tribunal s’est fondé sur les témoignages de deux témoins, le capitaine Paul Prentice, un témoin des plaignants, et Harlan Clark, un témoin d’Air Canada.

[83]           Il y avait au dossier des éléments de preuve allant dans le sens des conclusions du Tribunal. Je conclus qu’il n’y a aucune raison d’intervenir.

[84]           Cela devrait clore l’affaire, comme j’ai signalé d’entrée de jeu que je propose que les appels soient rejetés sur le fondement de la question relative à l’alinéa 15(1)c). À la demande expresse de la Commission, toutefois, je discuterai le paragraphe 3. a. du jugement. Je dirai aussi quelques mots sur le paragraphe 3. d. du jugement.

4.                  Observations relatives aux motifs et au jugement du juge

4.1  Discrimination prima facie et le paragraphe 3. a. du jugement

[85]           Le Tribunal a conclu que la disposition sur la retraite obligatoire de la convention collective était constitutive de discrimination de prime abord au sens de la Loi, puisqu’il a été mis fin à l’emploi des plaignants chez Air Canada uniquement parce qu’ils avaient atteint l’âge de 60 ans (décision du Tribunal, au paragraphe 3). Aucune partie n’a attaqué cette conclusion dans sa demande de contrôle judiciaire. De plus, ni les parties ni le juge n’ont soulevé la question de la discrimination de prime abord à l’audience à la Cour fédérale.

[86]           Néanmoins, le juge a enjoint au Tribunal de réexaminer la question et de décider si la disposition sur la retraite obligatoire équivalait ou non à la discrimination de prime abord. Le Tribunal ne devait se pencher sur la question de la contrainte excessive que s’il concluait à l’existence de discrimination de prime abord. Le juge a reconnu que les parties n’avaient pas soulevé la question, mais il a justifié son intervention en faisant valoir qu’il y avait erreur de principe « lorsqu’est tranchée une affaire sur le fondement d’une qualification inexacte d’une question fondamentale » (motifs, au paragraphe 345). Dans une longue discussion sur la question, le juge a laissé entendre qu’on ne devait pas assimiler automatiquement une politique de retraite obligatoire à la discrimination de prime abord. Il faudrait plutôt apprécier, en contexte, s’il en découle de la « discrimination réelle » (motifs, aux paragraphes 377 et 378). Le juge a recherché, en outre, si l’enseignement de la Cour suprême professé à l’occasion de l’affaire McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, 76 D.L.R. (4th) 545, [McKinney] était toujours d’actualité ou si la jurisprudence postérieure l’avait rendu désuet (motifs, aux paragraphes 19 à 21).

[87]           Il n’est pas controversé entre les parties que le juge n’aurait pas dû discuter la question de la discrimination de prime abord. Elles demandent la suppression du paragraphe 3. a. du jugement, qui fait mention de cette question.

[88]           J’estime, comme les parties, que le juge a commis une erreur en se penchant sur une nouvelle question qu’elles n’avaient pas soulevée sans leur donner la possibilité de présenter leurs observations. Je conclus, en outre, que le juge a commis une erreur de droit sur le fond de la question, lorsqu’il a laissé observer qu’il incombait aux plaignants de rapporter la preuve d’une « discrimination réelle » au sens de la Loi. Le juge, en effet, n’a pas suivi une jurisprudence faisant autorité sur cette question.

[89]           Il est indubitable que le juge dispose du pouvoir discrétionnaire de soulever une nouvelle question à l’audience, dans la mesure où il en avise les parties et leur fournit l’occasion d’y répondre. Au paragraphe 41 de l’arrêt R. c. Mian, 2014 CSC 54, [2014] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême a décidé que le juge pouvait soulever une question de son propre chef « si son omission de le faire risquerait d’entraîner une injustice ». Pour veiller à préserver son impartialité et à traiter les parties équitablement, le juge doit notifier la nouvelle question dès qu’il est pratiquement possible de le faire et s’assurer que les parties puissent y donner réponse de manière adéquate (ibidem, aux paragraphes 53 à 59). Bien que la Cour suprême ait formulé ces observations au regard d’une nouvelle question soulevée par une cour en appel, elles valent également, selon moi, lorsque le juge soulève une nouvelle question dans le cadre d’une demande, telle une demande de contrôle judiciaire (voir, p. ex., Labatt Brewing Company Limited c. NHL Enterprises Canada, L.P., 2011 ONCA 511, 106 O.R. (3d) 677, aux paragraphes 4 et 5).

[90]           En l’espèce, le juge a examiné de son propre chef la question de la discrimination prima facie, qui n’était pas soulevée dans les avis de demande et qui n’avait pas été débattue à l’audience. Il n’a pas avisé les parties ni ne leur a accordé l’occasion de présenter des observations sur le sujet. Même si le juge estimait qu’il fallait soulever la question pour éviter une injustice, il était néanmoins tenu de suivre la procédure appropriée dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Il ne l’a pas fait. Ce manquement constitue une erreur de droit et a donné lieu à une violation du droit des parties à l’équité procédurale.

[91]           Les plaignants et la Commission soutiennent en outre que le juge a commis une erreur de fond sur la question, lorsqu’il a laissé entendre que l’intéressé devait, pour faire la preuve d’un acte discriminatoire au sens de la Loi, démontrer l’existence d’une « discrimination réelle ». Les deux parties soutiennent que le juge a transposé à tort les principes et la jurisprudence se rapportant à l’article 15 de la Charte, et n’a pas tenu compte de l’incidence tant de la jurisprudence McKinney que de la jurisprudence Kelly FCA de notre Cour. Air Canada et l’APAC n’ont pas présenté d’observations sur ce point.

[92]           Je souscris aux arguments présentés par les plaignants et la Commission. Il convient, en conséquence des jurisprudences McKinney et Kelly FCA, de considérer la retraite obligatoire discriminatoire de prime abord pour l’application de la Loi. Il n’était pas loisible au juge de faire abstraction de cette jurisprudence et de laisser conclure que le plaignant devait démontrer que l’acte reproché donnait lieu à de la « discrimination réelle ».

[93]           Dans l’affaire McKinney, il était question de la légalité de politiques des universités sur la retraite obligatoire. Les appelants invoquaient alors deux moyens pour contester ces politiques : 1) les politiques étaient contraires à l’article 15 de la Charte, et 2) l’alinéa 9a) du Code des droits de la personne, L.O. 1981, c. 53, de l’Ontario, qui limitait aux personnes de moins de 65 ans la protection offerte contre la discrimination fondée sur l’âge, était lui aussi contraire à l’article 15 de la Charte. Les appelants ont soutenu que ni l’une ni l’autre violation ne pouvait se justifier au sens de l’article premier.

[94]           Les juges de la Cour suprême étaient d’avis divergents sur ces questions, et ont rendu cinq opinions. Malgré ce désaccord, les juges tenaient pour acquis qu’une politique de retraite obligatoire était intrinsèquement discriminatoire, tant au regard de l’article 15 de la Charte qu’à l’égard du Code des droits de la personne. S’exprimant au nom de la majorité des juges, le juge La Forest a conclu qu’on pouvait difficilement prétendre que la retraite obligatoire n’était « pas discriminatoire au sens du par. 15(1) de la Charte puisque la distinction est fondée sur la caractéristique personnelle de l’âge énumérée dans cette disposition » (McKinney, à la page 278). Plus loin dans ses motifs, le juge La Forest s’est penché sur l’alinéa 9a) du Code et a recherché s’il était contraire à l’article 15 de la Charte « du fait qu’il restreint l’application de l’interdiction de toute discrimination en matière d’emploi fondée sur l’âge contenue dans le Code aux personnes âgées de 18 à 65 ans » (ibidem à la page 289). Il ressort de l’approche du juge La Forest qu’en l’absence de la limitation apportée par l’alinéa 9a) du Code, il ne ferait aucun doute que la retraite obligatoire enfreint la protection offerte par la loi contre la discrimination fondée sur l’âge. En d’autres mots, un acte lié à la retraite obligatoire est présumé être discriminatoire.

[95]           De façon semblable, auparavant, à l’occasion de l’affaire Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, 132 D.L.R. (3d) 14, à la page 208, les juges de la Cour suprême ont conclu à l’unanimité qu’une politique de retraite obligatoire à l’âge de 60 ans suffisait, en soi, pour tirer une conclusion de discrimination de prime abord pour l’application du Ontario Human Rights Code, R.S.O. 1970, c. 318.

[96]           À mon avis, ces deux arrêts décident qu’un acte lié à la retraite obligatoire constitue une discrimination de prime abord; cela suffit pour conclure à l’existence d’un acte discriminatoire au sens de l’article 10 de la Loi. La question suivante à examiner est de savoir si le juge a commis une erreur lorsqu’il n’a pas appliqué ce principe en l’espèce.

[97]           Je conclus que le juge a commis une telle erreur, étant donné que la jurisprudence McKinney fait toujours autorité. Il ne fait aucun doute que les juges sont tenus de suivre et d’appliquer la jurisprudence faisant autorité (voir, p. ex. Apotex Inc. c. Pfizer Canada Inc., 2014 CAF 250, [2014] A.C.F. n°1090, au paragraphe 114). Par l’arrêt Kelly FCA, la Cour a conclu que la jurisprudence McKinney faisait toujours autorité en ce qui a trait à la constitutionnalité des mécanismes de retraite obligatoire (Kelly FCA, au paragraphe 80). Bien qu’on ait principalement recherché à l’occasion de l’affaire Kelly FCA si l’analyse relative à l’article premier faite par la Cour suprême à l’occasion de l’affaire McKinney valait pour l’alinéa 15(1)c) de la Loi, le principe du précédent obligatoire s’applique également aux autres éléments de l’analyse de la Cour suprême. Plus précisément, toute partie du raisonnement nécessaire à la Cour pour en arriver à son résultat est revêtue de l’autorité du précédent. Comme je l’ai dit ci‑dessus, la conclusion implicite selon laquelle la retraite obligatoire constituait un acte discriminatoire était une partie essentielle de l’analyse de la Cour suprême dans l’arrêt McKinney. Sur le plan juridique, cette qualification faisait donc autorité et le juge devait s’y conformer.

[98]           Le juge a justifié la directive donnée au Tribunal par de nombreux motifs, notamment son avis selon lequel la jurisprudence sur la retraite obligatoire avait été rendue sans avoir l’avantage d’un dossier de preuves complet et il fallait prendre en compte des considérations plus larges de politique publique (motifs, aux paragraphes 347 à 350). Il ne s’agit pas là de motifs impérieux pour remettre en cause une jurisprudence constante et ne pas se conformer à la décision d’une juridiction supérieure.

[99]           Je tire cette conclusion en ayant à l’esprit l’arrêt Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101, dans lequel la Cour suprême a déclaré, aux paragraphes 42 à 46, qu’une juridiction inférieure ne pouvait réexaminer un arrêt qui la lie que si la preuve ou la situation avait fait l’objet d’importantes modifications changeant « radicalement la donne ».

[100]       Après examen attentif du dossier, je conclus que ce critère n’est pas rempli. Le juge était tenu d’appliquer les principes consacrés dans la jurisprudence McKinney et de confirmer la conclusion du Tribunal selon laquelle l’acte lié à la retraite obligatoire était constitutif de discrimination de prime abord pour l’application de la Loi.

[101]       Par conséquent, dans l’hypothèse où j’aurais proposé de confirmer le jugement, et où le juge aurait aussi soulevé la question de la discrimination prime abord de façon adéquate, j’aurais accueilli la demande de la Commission en radiation du paragraphe 3. a. du jugement, car il est erroné en droit.

4.2  Modification du critère de la jurisprudence Meiorin à appliquer aux syndicats – le paragraphe 3. d. du jugement

[102]       Lorsqu’il a examiné les questions relatives au paragraphe 15(2) de la Loi – les moyens de défense fondés sur les EPJ –, le juge s’est penché sur une jurisprudence de la Cour suprême du Canada, Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. British Columbia Government and Service, [1999] 3 R.C.S. 3, [1999] A.C.S. n° 46 [Meiorin]. Par l’arrêt Meiorin, la Cour suprême a consacré un critère en trois volets visant à déterminer si un acte discriminatoire de prime abord constitue un moyen de défense fondé sur des EPJ valide (au paragraphe 54):

[…] L’employeur peut justifier la norme contestée en établissant selon la prépondérance des probabilités :

(1)   qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;

(2)   qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;

(3)   que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.

[103]       En l’espèce, le juge a estimé qu’une instance où un syndicat invoquait le moyen de défense fondé sur des EPJ constituait une « situation différente » qui appelait une modification du critère de la jurisprudence Meiorin. À cette fin, il a établi un « critère hybride relatif aux EPJ », il s’en est suivi un critère à quatre volets en fonction duquel le Tribunal, en rendant sa nouvelle décision, devait se demander, si « le syndicat a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’il était au mieux des intérêts de ses membres de le faire » (motifs, au paragraphe 220, soulignement du juge Annis).

[104]       Étant donné ma conclusion, je n’ai pas à examiner le raisonnement du juge sur cette question, ni à décider s’il fallait modifier le critère de la jurisprudence Meiorin pour le faire correspondre à la matrice factuelle de l’espèce et aux parties au litige. Je me limiterai donc à dire qu’il ne faut pas considérer les présents motifs comme un aval donné à la méthode d’analyse de la question choisie par le juge ni au paragraphe 3. d. de son jugement.

V.                Dispositif proposé

[105]       Par conséquent, je propose que les présents appels soient tranchés comme suit :

[106]       J’accueillerais les appels interjetés par Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada (dossiers A‑111‑14 et A‑112‑14), j’annulerais le jugement de la Cour fédérale et je rétablirais la décision du Tribunal.

[107]       Par conséquent, je rejetterais l’appel interjeté par Robert Adamson et d’autres (dossier A‑105‑14).

[108]       Compte tenu des circonstances entourant les présents appels, j’ordonnerais que chaque partie paie ses propres dépens dans toutes les instances.

[109]       Un exemplaire des présents motifs sera versé dans chacun des dossiers.

« Johanne Trudel »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

J. D. Denis Pelletier, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Richard Boivin, j.c.a. »

TRADUCTION


Annexe I

Emploi

Employment

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects:

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee, on a prohibited ground of discrimination

Lignes de conduite discriminatoires

Discriminatory policy or practice

10. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale:

10. It is a discriminatory practice for an employer, employee organization or employer organization

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

(a) to establish or pursue a policy or practice, or

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.

(b) to enter into an agreement affecting recruitment, referral, hiring, promotion, training, apprenticeship, transfer or any other matter relating to employment or prospective employment,

 that deprives or tends to deprive an individual or class of individuals of any employment opportunities on a prohibited ground of discrimination.

Exceptions

Exceptions

15. (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

15. (1) It is not a discriminatory practice if

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées;

(a) any refusal, exclusion, expulsion, suspension, limitation, specification or preference in relation to any employment is established by an employer to be based on a bona fide occupational requirement;

[…]

[…]

c) le fait de mettre fin à l’emploi d’une personne en appliquant la règle de l’âge de la retraite en vigueur pour ce genre d’emploi;

(c) an individual’s employment is terminated because that individual has reached the normal age of retirement for employees working in positions similar to the position of that individual;

Besoins des individus

Accommodation of needs

(2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

(2) For any practice mentioned in paragraph (1)(a) to be considered to be based on a bona fide occupational requirement and for any practice mentioned in paragraph (1)(g) to be considered to have a bona fide justification, it must be established that accommodation of the needs of an individual or a class of individuals affected would impose undue hardship on the person who would have to accommodate those needs, considering health, safety and cost.


Annexe II

JUGEMENT

LA COUR DÉCIDE :

1.             La demande dans le dossier T‑1428‑11 est accueillie, et la décision rendue par le Tribunal au sujet de l’âge normal de la retraite est annulée et renvoyée pour nouvel examen par le même membre instructeur. Dans son nouvel examen, le Tribunal devra appliquer de façon disjonctive les facteurs du critère énoncé dans la décision Vilven, comme je l’ai dit plus haut. Il devra aussi déterminer les similitudes des caractéristiques des postes des pilotes constituant le groupe de comparaison et des pilotes d’Air Canada en fonction de ce que les pilotes font réellement, c.-à-d., répondre à la question de savoir si les caractéristiques des postes des pilotes aux commandes de gros et de petits aéronefs sont semblables en ce qui concerne les compétences, les connaissances et les responsabilités qui sont requises pour chacun d’entre eux.

2.             La demande dans le dossier T‑1453‑11 est rejetée.

3.             La demande dans le dossier T-1463-11 est accueillie, et la décision du TCDP selon laquelle l’APAC n’avait pas établi que la disposition sur la retraite obligatoire figurant dans la convention collective est une EPJ au sens de l’alinéa 15(1)a) et du paragraphe 15(2) de la Loi est annulée et renvoyée au même membre instructeur avec les directives suivantes :

a.       L’APAC et Air Canada peuvent faire valoir que la règle de la retraite à l’âge de 60 ans figurant dans la convention collective n’est pas discriminatoire et présenter des éléments de preuve à ce sujet.

b.      L’alinéa 15(1)a) de la LCDP relatif au moyen de défense tiré des EPJ s’applique aux organisations syndicales.

c.       Les éléments de contrainte dont il est question au paragraphe 15(2) de la LCDP ne se limitent pas aux contraintes en matière de sécurité, de santé et de coûts.

d.      Le Tribunal doit appliquer le critère hybride à quatre volets établi dans l’arrêt Meiorin, tel qu’il est décrit au paragraphe 220 ci‑dessus.

e.       Pour décider si les pilotes constituant le groupe de comparaison subissent une contrainte du fait de l’élimination de la disposition sur la retraite obligatoire dans la convention collective, le Tribunal doit dûment tenir compte des sujets de préoccupations que la Cour a décrits ci‑dessus, notamment le fait de permettre la production d’éléments de preuve admissibles concernant l’effet des pensions pour déterminer tout effet défavorable causé par l’élimination de la disposition sur la retraite obligatoire dans la convention collective.

f.       S’il est établi qu’une contrainte excessive sera subie par les pilotes constituant le groupe de comparaison, le Tribunal ne peut rejeter la plainte contre l’APAC que s’il est convaincu que le maintien de la discrimination fondée sur l’âge dans toutes les circonstances est d’une telle importance qu’une norme moins élevée ne saurait être justifiée.

g.      Comme l’APAC et Air Canada ont la responsabilité conjointe d’avoir adopté la disposition sur la retraite à l’âge de 60 ans, le rejet de la plainte contre l’APAC entraîne le rejet de la plainte contre Air Canada.

4.      Les demandes dans les dossiers T‑971‑12 et T‑979‑12 sont rejetées sans frais.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

A-105-14 A-111-14 A-112-14

 

 

INTITULÉ :

ROBERT ADAMSON ET AUTRES ET AIR CANADA ET L’ASSOCIATION DES PILOTES D’AIR CANADA c. LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE ET DONALD PAXTON

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 JANVIER 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE BOIVIN

 

DATE des motifs :

LE 26 JUIN 2015

 

COMPARUTIONS :

David Baker

 

POUR LES Appelants

ROBERT ADAMSON ET autres

 

Maryse Tremblay

 

POUR L’AppelantE

AIR CANADA

 

Bruce Laughton

 

POUR L’AppelantE

L’ASSOCIATION DES PILOTES D’AIR CANADA

 

Daniel Poulin

Erin Collins

 

POUR L’INTIMÉE

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Baker Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LES Appelants

ROBERT ADAMSON ET AUTRES

 

Borden Ladner Gervais SENCRL, SRL

Montréal (Québec)

 

pOUR L’AppelantE

AIR CANADA

 

Laughton & Company

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

pOUR L’AppelantE

L’ASSOCIATION DES PILOTES D’AIR CANADA

 

Commission canadienne des droits de la personne

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉE

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

 

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