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Date : 20150630


Dossier : A-353-14

Référence : 2015 CAF 155

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE SCOTT

Dans l’affaire de la loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes l.c. 2000, ch. 17

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

CONTREVENANT No. 10

intimé

Audience tenue à Montréal (Québec), le 16 mars 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 juin 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE SCOTT

 


Date : 20150630


Dossier : A-353-14

Référence : 2015 CAF 155

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE SCOTT

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI SUR LE RECYCLAGE DES PRODUITS DE LA CRIMINALITÉ ET LE FINANCEMENT DES ACTIVITÉS TERRORISTES L.C. 2000, CH. 17

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

CONTREVENANT No. 10

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

[1]               La question en litige dans cet appel d’un jugement interlocutoire rendu par le juge Noël de la Cour fédérale est celle de savoir si les dispositions de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17 (la Loi) qui ont trait à la protection de données confidentielles peuvent justifier l’émission d’une ordonnance de confidentialité portant uniquement sur l’intitulé de cette cause. Cet appel se situe dans le contexte d’un appel de la décision d’une instance administrative selon laquelle il y a eu un manquement aux exigences de la Loi. L’ordonnance rendue par le juge prévoyait la possibilité de rendre public certains documents au terme d’une consultation entre les parties en vue d’identifier quels renseignements contenus dans la documentation versée au dossier ne devaient pas être divulgués, conformément au paragraphe 55(1) de la Loi. Au terme de cette consultation les parties se sont mises d’accord. Le caviardage des passages comportant des renseignements confidentiels rendrait inintelligible ce qui aurait pu être rendu public. En conséquence, l’appel porte uniquement sur la confidentialité de l’intitulé de cause.

[2]               Le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (le Centre) est constitué au terme de l’article 41 de la Loi. Les articles 7 et 9 de la Loi imposent certaines obligations aux personnes et organisations décrites à l’article 5. Celles-ci sont tenues de déclarer au Centre toute opération financière effectuée ou tentée au cours de leurs activités à l’égard de laquelle il y a des motifs raisonnables de soupçonner qu’elle est liée soit au recyclage des produits de la criminalité soit au financement des activités terroristes. Qui plus est, elles doivent déclarer au Centre certaines opérations financières visées par directive ministérielle ou par règlement. Ceci fait en sorte que le Centre contrôle une vaste base de données confidentielles. La Loi impose au Centre certaines obligations par rapport à ces données, notamment celle d’en préserver la confidentialité:

55. (1) Sous réserve des paragraphes (3) et (6.1), des articles 52, 55.1, 56.1 et 56.2, du paragraphe 58(1) et des articles 65 à 65.1 et 68.1 de la présente loi et du paragraphe 12(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, il est interdit au Centre de communiquer les renseignements :

55. (1) Subject to subsections (3) and (6.1), sections 52, 55.1, 56.1 and 56.2, subsection 58(1) and sections 65 to 65.1 and 68.1 of this Act and to subsection 12(1) of the Privacy Act, the Centre shall not disclose the following:

a) contenus dans une déclaration visée à l’article 7;

(a) information set out in a report made under section 7;

a.1) contenus dans une déclaration visée à l’article 7.1;

(a.1) information set out in a report made under section 7.1;

b) contenus dans une déclaration visée à l’article 9;

(b) information set out in a report made under section 9;

b.1) contenus dans une déclaration visée à l’article 9.1;

(b.1) information set out in a report referred to in section 9.1;

b.2) qui ont été fournis sous le régime des articles 11.12 à 11.3, à l’exclusion des renseignements identificateurs visés au paragraphe 54.1(3);

(b.2) information provided under sections 11.12 to 11.3 except for identifying information referred to in subsection 54.1(3);

c) contenus dans une déclaration — complète ou non — visée au paragraphe 12(1) ou un rapport visé à l’article 20;

(c) information set out in a report made under subsection 12(1), whether or not it is completed, or section 20;

d) se rapportant à des soupçons de recyclage des produits de la criminalité ou de financement des activités terroristes qui lui sont transmis volontairement;

(d) information voluntarily provided to the Centre about suspicions of money laundering or of the financing of terrorist activities;

e) préparés par le Centre à partir de renseignements visés aux alinéas a) à d);

(e) information prepared by the Centre from information referred to in paragraphs (a) to (d); or

f) obtenus dans le cadre de l’administration et l’application de la présente partie, à l’exception de ceux qui sont accessibles au public.

(f) any other information, other than publicly available information, obtained in the administration or enforcement of this Part.

[3]               Dans la mesure où ces données sont incorporées dans un dossier d’appel ou sont versées en preuve, la Cour est tenue d’en sauvegarder la confidentialité:

73.21(4) À l’occasion d’un appel, la Cour fédérale prend toutes les précautions possibles, notamment en ordonnant le huis clos si elle le juge indiqué, pour éviter que ne soient communiqués de par son propre fait ou celui de quiconque des renseignements visés au paragraphe 55(1).

73.21(4) In an appeal, the Court shall take every reasonable precaution, including, when appropriate, conducting hearings in private, to avoid the disclosure by the Court or any person or entity of information referred to in subsection 55(1).

[4]               Ces dispositions forment la toile de fond de cet appel où la question en litige est celle de la confidentialité de l’intitulé de cause afin de taire l’identité d’une personne ou d’une organisation qui conteste la conclusion du directeur du Centre selon laquelle elle est coupable d’avoir contrevenu à la Loi. L’article 73.21 prévoit que l’intéressé peut interjeter appel à la Cour fédérale de la décision du directeur. Selon la pratique usuelle du greffe et conformément au principe de la publicité des débats, l’avis d’appel et toute autre procédure déposée au greffe sont des documents publics. En l’instance, l’intimé a demandé au greffe que son avis d’appel soit déposé sous scellé, quitte à ce qu’il obtienne par requête une ordonnance de confidentialité. C’est cette requête que le juge Noël a tranchée.

[5]               La publication de la décision du directeur du Centre porterait atteinte à sa réputation et c’est pour cette raison que l’intimé dépose sa requête. L’intimé fonde sa requête sur l’article 73.22 qui se lit comme suit:

73.22 Au terme de la procédure en violation, le Centre peut rendre public la nature de la violation, le nom de son auteur et la pénalité imposée.

73.22 When proceedings in respect of a violation are ended, the Centre may make public the nature of the violation, the name of the person or entity that committed it, and the amount of the penalty imposed.

[6]               L’intimé soutient que le paragraphe 73.22 de la Loi perdrait tout son sens et sa raison d’être si les données dont il est question dans ce paragraphe étaient toutes connues du public dès lors qu’un avis d’appel est déposé, ce qui serait le cas en l’absence d’une ordonnance de confidentialité. L’appelant, pour sa part, prétend que le paragraphe 73.22 ne lie que le Centre, que le principe de la publicité des débats énoncé dans l’affaire Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), [2002] 2 R.C.S. 522 (Sierra Club) exige que toute donnée qui n’est pas expressément protégée par la Loi ou le common law soit accessible au public.

[7]               Se fondant sur la décision de la Cour fédérale dans la cause British Columbia Lottery Corporation c Canada (Procureur général), 2012 CF 1204, confirmée dans British Columbia Lottery Corporation c Canada (Procureur général), 2013 CF 307 (B.C. Lottery), le juge Noël a conclu que le paragraphe 73.21(4) ne laissait place à aucune discrétion de la part de la Cour quant à la protection des renseignements visés par le paragraphe 55(1). Mais, puisque lors de l’audience devant le juge Noël, les parties se sont entendus que l’intitulé de cause ne contient aucun renseignement visé par l’article 55, celui-ci a fondé sa décision quant à l’intitulé de cause sur l’article 73.22 de la Loi.

[8]               Je suis d’accord que le nom d’une personne ou d’une organisation qui est assujettie à l’obligation de déclaration prévue à la Loi n’est pas en soi un renseignement visé par le paragraphe 55(1). Ceci étant dit, la situation est tout autre lorsque le directeur du Centre arrive à la conclusion que cette même personne ou organisation a contrevenu à la Loi. Cette conclusion est nécessairement un renseignement qui a été obtenu « dans le cadre de l’administration et l’application de la présente partie, à l’exception de ceux qui sont accessibles au public »: voir l’alinéa 55(1)(f) de la Loi. Puisque la documentation préparée par le Centre à partir de ses investigations est visée par l’alinéa 55(1)(e) de la Loi, les renseignements contenus dans cette documentation, y compris l’identité du contrevenant, ne sont pas accessibles au public et, donc, ne sont pas compris dans l’exception prévue à l’alinéa 55(1)(f). J’en conclus que le nom d’une personne ou d’une organisation qui a été adjugée un contrevenant est, en effet, un renseignement visé au paragraphe 55(1) de la Loi.

[9]               Puisque le paragraphe 73.21(4) impose à la Cour l’obligation de prendre toutes les précautions possibles pour assurer la confidentialité des renseignements visés au paragraphe 55(1), la Cour se doit de rendre toute ordonnance de confidentialité nécessaire pour remplir cette obligation. Dans le contexte très particulier de la Loi, cette l’obligation s’étend, exceptionnellement, au nom du contrevenant qui conteste la décision du directeur du Centre, d’où l’ordonnance de confidentialité quant à l’intitulé de cause.

[10]           Bien que cette conclusion puisse paraître aller à l’encontre du principe de la publicité des débats, il faut tenir à l’esprit que les règles du common law, y compris celles quant à la publicité des débats, peuvent être modifiées par le législateur: Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 129 Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2001 CSC 52, [2001] 2 R.C.S. 781, aux paragraphes 19-20. Il faut aussi reconnaitre que cette cause se distingue de Sierra Club du fait que la question était de savoir quels étaient les principes applicables aux ordonnances de confidentialité rendues par les tribunaux exerçant leur compétence inhérente de contrôler leurs propres procédures. En l’instance, la question porte plutôt sur l’interprétation et l’application des dispositions de la Loi, dispositions qui doivent être considérées contraignantes jusqu’à ce qu’elles soient déclarées inconstitutionnelles par un tribunal.

[11]           Le paragraphe 73.21(4) et l’article 73.22 doivent être lus en gardant à l’esprit le paragraphe 55(1). Ce dernier impose un devoir de confidentialité au Centre, devoir qui continuerait même après la conclusion de la procédure en violation, ne serait-ce de l’article 73.22. Ce dernier porte à croire que le législateur était conscient de la valeur dissuasive de la publication de l’identité des contrevenants, de la nature de leurs contraventions et des pénalités qui leur ont été imposées, et qu’il a choisi de confier ce mandat au Centre lui-même au lieu de la laisser aux aléas de l’accès public aux dossiers de la Cour.

[12]           Ceci étant dit, au cas où les médias voudraient contester une telle ordonnance de confidentialité, ils ont droit à un minimum d’information afin de leur permettre de prendre une décision éclairée. Je modifierais l’ordonnance rendue par le juge Noël de la façon suivante. Afin de mettre en relief la nature des procédures, j’ajouterais à l’intitulé de cause le préambule suivant: « Dans l’affaire de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17 ». Je décrirais l’appelant comme « Contrevenant No. 10 » ce qui permettrait de distinguer entre les causes subséquentes en augmentant le numéro. En plus, je lèverais le voile sur l’identité de l’intimé, le Procureur général du Canada, puisqu’il est évident à la lecture de ces motifs qu’il s’agit de la révision d’une décision du Centre. L’identité du Centre n’est pas un renseignement protégé par le paragraphe 55(1). J’ordonnerais que ces modifications entrent en vigueur immédiatement.

[13]           Le tout sans frais

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je suis d’accord. »

« Johanne Gauthier »

« Je suis d’accord. »

« A.F. Scott »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR FÉDÉRALE DU 18 JUILLET 2014, N° DU DOSSIER T-381-14.

Dossier :

A-353-14

INTITULÉ :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et CONTREVENANT No. 10

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 mars 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 juin 2015

 

COMPARUTIONS :

Benoît de Champlain

Pour l'appelant

Doug Mitchell

Emma Lambert

Pour l'intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour l'appelant

Irving Mitchell Kalichman

Montréal (Québec)

Pour l'intimé

 

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