Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20150910


Dossiers : A-282-14

A-283-14

A-285-14

Référence : 2015 CAF 186

CORAM :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE RYER

LE JUGE RENNIE

 

 

Dossier : A-282-14

ENTRE :

ONTARIO POWER GENERATION INC.

appelante

et

GREENPEACE CANADA, LAKE ONTARIO WATERKEEPER, NORTHWATCH et ASSOCIATION CANADIENNE DU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

intimées

ET ENTRE :

ONTARIO POWER GENERATION INC.

appelante

et

GREENPEACE CANADA et ASSOCIATION CANADIENNE DU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

intimées

Dossier : A-283-14

ET ENTRE :

COMMISSION CANADIENNE

DE SÛRETÉ NUCLÉAIRE

appelante

et

GREENPEACE CANADA, LAKE ONTARIO WATERKEEPER, NORTHWATCH et ASSOCIATION CANADIENNE DU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

intimées

Dossier : A-285-14

ET ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT, MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS et MINISTRE DES TRANSPORTS

appelants

et

GREENPEACE CANADA, LAKE ONTARIO WATERKEEPER, NORTHWATCH et ASSOCIATION CANADIENNE DU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

intimées

et

ET ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

GREENPEACE CANADA et ASSOCIATION CANADIENNE DU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

intimées

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 2 juin 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 septembre 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LES JUGES TRUDEL ET RYER

MOTIFS DISSIDENTS :

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20150910

Dossiers : A-282-14

A-283-14

A-285-14

Référence : 2015 CAF 186

CORAM :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE RYER

LE JUGE RENNIE

 

Dossier : A-282-14

ENTRE :

ONTARIO POWER GENERATION INC.

appelante

et

GREENPEACE CANADA, LAKE ONTARIO WATERKEEPER, NORTHWATCH et ASSOCIATION CANADIENNE DU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

intimées

ET ENTRE :

ONTARIO POWER GENERATION INC.

appelante

et

GREENPEACE CANADA et ASSOCIATION CANADIENNE DU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

intimées

ET ENTRE :

COMMISSION CANADIENNE

DE SÛRETÉ NUCLÉAIRE

appelante

et

GREENPEACE CANADA, LAKE ONTARIO WATERKEEPER, NORTHWATCH et ASSOCIATION CANADIENNE DU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

intimées

Dossier : A-285-14

ET ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT, MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS et MINISTRE DES TRANSPORTS

appelants

et

GREENPEACE CANADA, LAKE ONTARIO WATERKEEPER, NORTHWATCH et ASSOCIATION CANADIENNE

DU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

intimées

et

ET ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

GREENPEACE CANADA et ASSOCIATION CANADIENNE DU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

intimées

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE (dissident)

[1]               La Cour statue sur un groupe d’appels interjetés d’une décision de la Cour fédérale (2014 CF 463) qui a accueilli en partie la demande de contrôle judiciaire présentée par les intimées à l’encontre d’une évaluation environnementale effectuée par une commission d’évaluation environnementale conjointe (la Commission) mise sur pied conformément à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37 (la Loi).

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’annulerais en partie la décision de la Cour fédérale et je renverrais à la Commission l’étude des répercussions des émissions de substances dangereuses sur l’environnement. Une copie des présents motifs sera déposée au greffe dans les dossiers A‑283-14 et A-285-14, conformément à l’ordonnance de la Cour en date du 23 juillet 2014.

I.       Contexte

A.        Le projet

[3]               En juin 2006, le ministère de l’Énergie de l’Ontario a ordonné à Ontario Power Generation (OPG) d’entamer le processus d’approbation en vue de la construction et de l’exploitation de nouveaux réacteurs à la centrale nucléaire existante de Darlington, située sur les rives du lac Ontario, à Clarington, en Ontario. Conformément à cette directive, OPG a présenté en septembre 2006 à la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) une demande de permis en vue de la préparation de l’emplacement de Darlington en vue de construire jusqu’à quatre nouveaux réacteurs nucléaires (le projet).

[4]               Ce projet consiste en la préparation de l’emplacement, la construction de quatre nouveaux réacteurs et des installations connexes, leur exploitation et leur entretien pendant environ 60 ans, ce qui comprend la gestion des déchets conventionnels et radioactifs ainsi que le désaffectation des réacteurs nucléaires et la fermeture de l’emplacement.

B.        Le cadre législatif

[5]               Les centrales nucléaires, définies comme étant des installations nucléaires de catégorie I dans la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, L.C. 1997, ch. 9 (LSRN), sont assujetties à un processus d’autorisation par étapes. Chacune des cinq phases du cycle de vie de la centrale – préparation du site, construction, exploitation, désaffectation et fermeture –  nécessite une autorisation de la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) aux termes du paragraphe 24(2) de la LSRN. Outre les exigences d’autorisation qu’impose la LSRN, le projet nécessite également des approbations aux termes de la Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F‑14, et de la Loi sur la protection de la navigation, L.R.C. 1985, ch. N‑22. Ces exigences d’autorisations fédérales entraînent la nécessité d’une évaluation environnementale aux termes de la Loi.

[6]               L’autorité fédérale à qui il incombe de veiller à ce qu’une évaluation environnementale soit effectuée conformément à la Loi devient une « autorité responsable » au sens du paragraphe 11(1). L’autorité responsable (AR) doit veiller à ce qu’une évaluation environnementale soit faite « le plus tôt possible au stade de la planification du [projet], avant la prise d’une décision irrévocable ». Les AR du projet étaient la CCSN, le ministère des Pêches et des Océans du Canada et le ministère des Transports du Canada.

[7]               En vertu des paragraphes 15(1) et 33(1) de la Loi, le ministre de l’Environnement peut confier à une commission d’évaluation environnementale la tâche de faire une évaluation environnementale. Lorsqu’un projet nécessite des évaluations et des examens de plusieurs autorités fédérales, la Loi permet au ministre de conclure avec celles-ci une entente visant à créer une commission d’évaluation environnementale conjointe et à définir son cadre de référence. Celui‑ci établit la portée du projet aux fins de l’évaluation environnementale. Dans le cas qui nous occupe, une commission d’évaluation environnementale conjointe a été créée pour effectuer une évaluation environnementale en vertu de la Loi et pour servir de commission d’évaluation environnementale de la CCSN afin d’étudier la demande d’autorisation de construction d’OPG aux termes de la LSRN.

[8]               Le paragraphe 16(1) de la Loi énumère les facteurs obligatoires que toute commission d’évaluation environnementale doit prendre en compte lorsqu’elle effectue une évaluation environnementale :

16. (1) L’examen préalable, l’étude approfondie, la médiation ou l’examen par une commission d’un projet portent notamment sur les éléments suivants :

16.(1) Every screening or comprehensive study of a project and every mediation or assessment by a review panel shall include a consideration of the following factors:

a) les effets environnementaux du projet, y compris ceux causés par les accidents ou défaillances pouvant en résulter, et les effets cumulatifs que sa réalisation, combinée à l’existence d’autres ouvrages ou à la réalisation d’autres projets ou activités, est susceptible de causer à l’environnement;

(a) the environmental effects of the project, including the environmental effects of malfunctions or accidents that may occur in connection with the project and any cumulative environmental effects that are likely to result from the project in combination with other projects or activities that have been or will be carried out;

b) l’importance des effets visés à l’alinéa a);

(b) the significance of the effects referred to in paragraph (a);

c) les observations du public à cet égard, reçues conformément à la présente loi et aux règlements;

(c) comments from the public that are received in accordance with this Act and the regulations;

d) les mesures d’atténuation réalisables, sur les plans technique et économique, des effets environnementaux importants du projet;

(d) measures that are technically and economically feasible and that would mitigate any significant adverse environmental effects of the project; and

e) tout autre élément utile à l’examen préalable, à l’étude approfondie, à la médiation ou à l’examen par une commission, notamment la nécessité du projet et ses solutions de rechange, — dont l’autorité responsable ou, sauf dans le cas d’un examen préalable, le ministre, après consultation de celle-ci, peut exiger la prise en compte.

(e) any other matter relevant to the screening, comprehensive study, mediation or assessment by a review panel, such as the need for the project and alternatives to the project, that the responsible authority or, except in the case of a screening, the Minister after consulting with the responsible authority, may require to be considered.

[9]               Les tâches d’une commission d’examen sont expliquées à l’article 34 de la Loi. Concrètement, une commission d’évaluation environnementale est tenue de recueillir des renseignements, de veiller à ce qu’ils soient mis à la disposition du public, de tenir des audiences et de rédiger un rapport « assorti de sa justification, de ses conclusions et recommandations relativement à l’évaluation environnementale du projet, notamment aux mesures d’atténuation et au programme de suivi ».

[10]           Enfin, à la suite de la présentation du rapport d’une commission d’évaluation environnementale, les AR et les autres autorités fédérales participant à l’évaluation environnementale rédigent une réponse qu’elles soumettent à l’examen du gouverneur en conseil. Conformément au paragraphe 37(1.1), si le gouverneur en conseil approuve la réponse au rapport de la commission d’évaluation environnementale, les AR peuvent alors « prendre une décision » conforme à celle du gouverneur en conseil. La décision dépend de la possibilité que le projet cause des effets environnementaux négatifs importants et, si c’est le cas, du caractère justifiable de ces effets dans les circonstances. Si le projet n’est pas susceptible de causer d’importants effets environnementaux négatifs et compte tenu de la mise en œuvre de toutes les mesures d’atténuation que l’AR juge indiquées, alors l’AR peut exercer ses attributions afin de « permettre la mise en oeuvre en tout ou en partie » du projet .

[11]           Comme je l’expliquerai, la question de savoir si la commission d’évaluation environnementale s’est acquittée des obligations que lui impose l’article 16 de la Loi est au cœur du présent appel.

C.        Le processus d’évaluation environnementale du projet

[12]           Le 8 janvier 2008, la présidente de la CCSN a demandé au ministre de soumettre le projet à une commission d’évaluation environnementale et, le 20 mars 2008, une commission d’évaluation environnementale conjointe a été établie, étant donné que le projet nécessitait la participation de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (l’Agence) et de la CCSN.

[13]           Après une période d’examen public, la CCSN et l’Agence ont publié l’Entente relative à la commission d’évaluation environnementale conjointe et les Lignes directrices pour la préparation d’une étude d’impact environnemental (Lignes directrices de l’EIE). L’Entente de la commission d’évaluation environnementale conjointe définit le projet comme suit : [TRADUCTION] « la préparation d’un site, […] la construction, […] l’exploitation, [la] désaffectation et […] la fermeture de nouveaux réacteurs nucléaires (jusqu’à quatre) sur l’emplacement du complexe nucléaire de Darlington dans la municipalité de Clarington (Ontario); le projet est décrit dans la Partie I de l’annexe à la présente entente ».

[14]           Le cadre de référence décrivait la portée du projet et les activités auxquelles il fallait s’attendre à ses diverses phases. Parmi les activités d’exploitation et d’entretien, citons [traduction« la gestion des déchets de faible et de moyenne activité et des déchets de combustible épuisé à l’intérieur de l’édifice abritant les réacteurs et le transfert des déchets et du combustible épuisé en vue de leur stockage temporaire ou à long terme ». Les activités de désaffectation pourraient [traduction« se résumer théoriquement » notamment : au [TRADUCTION] « transfert du combustible et des déchets connexes vers le lieu de stockage temporaire ».

[15]           Le promoteur du projet prépare un énoncé des impacts environnementaux (EIE) pour permettre à une commission d’évaluation environnementale conjointe, aux organismes de réglementation et au public de comprendre le projet, l’environnement existant et les possibles effets environnementaux du projet. L’EIE est censé être conforme aux Lignes directrices de l’EIE préparées par l’Agence canadienne d’évaluation environnementale.

[16]           En septembre 2009, OPG a présenté son EIE.

[17]           À cette époque, la province de l’Ontario n’avait pas encore choisi de technologie de réacteur précise, choix qui aurait un impact sur l’évaluation environnementale. En conséquence, OPG a préparé son EIE en se fondant sur une « approche limitative » ou « enveloppe des paramètres de la centrale ». Cette approche comportait l’identification des éléments de conception importants du projet et, pour chacun d’eux, une évaluation des effets environnementaux négatifs en fonction des options de conception envisagées. En conséquence, un portrait des répercussions environnementales maximales prévues a été dressé. Au bout du compte, l’approche limitative à l’égard du projet englobait quatre options différentes de technologie de réacteur.

[18]           En décembre 2010, la Commission a estimé qu’elle avait assez de renseignements pour tenir des audiences publiques sur le projet. Celles-ci ont été tenues du 21 mars au 8 avril 2011. La Commission a reçu 278 communications et a annoncé le 3 juin 2011 qu’elle avait obtenu et rendu publics les renseignements nécessaires à la préparation de son rapport d’évaluation environnementale.

[19]           Le 25 août 2011, la Commission a présenté son rapport d’évaluation environnementale (rapport d’EE) au ministre. Ce rapport concluait que le projet n’était pas susceptible de causer d’importants effets environnementaux négatifs, à condition que les mesures d’atténuation proposées, les engagements pris par OPG durant l’évaluation et les 67 recommandations de la Commission soient appliqués.

[20]           Le gouverneur en conseil a ensuite publié la réponse du gouvernement, dans laquelle le gouvernement fédéral concluait que le projet n’était pas susceptible d’avoir d’effets environnementaux négatifs importants. Le 8 mai 2012, conformément à l’alinéa 37(1)a) de la Loi, les AR ont déclaré qu’après avoir étudié le rapport d’EE et la mise en œuvre de mesures d’atténuation convenables, elles étaient d’avis que le projet n’était pas susceptible d’avoir d’effets environnementaux négatifs importants.

[21]           En août 2012, la CCSN a délivré à OPG un permis de préparation de l’emplacement.

[22]           Les intimées dans le présent appel ont introduit devant la Cour fédérale deux demandes de contrôle judiciaire : dans la première, on conteste l’évaluation environnementale et, dans la seconde, la délivrance du permis de préparation de l’emplacement.

II.        La décision portée en appel

[23]           Les intimées ont soutenu devant le juge de la Cour fédérale (le juge de première instance) que le rapport d’EE comportait 25 lacunes. Le juge de première instance a rejeté la majorité des arguments des intimées et a qualifié d’« excellent » dans l’ensemble le rapport d’EE (jugement de la Cour fédérale, au paragraphe 394).

[24]           Le juge de première instance a jugé que la norme de contrôle applicable était celle du caractère raisonnable. Il a conclu que les questions soulevées faisaient appel à l’expertise de la Commission et étaient des questions mixtes de fait et de droit. Il a expliqué que cette norme obligeait la Cour à s’en remettre aux décisions de la Commission sur des questions comme « la détermination de l’étendue des renseignements à recueillir, de l’examen d’un élément particulier ou de l’établissement du rapport concernant ses justifications, conclusions et recommandations » (jugement de la Cour fédérale, au paragraphe 27).

[25]           Le juge de première instance a fait remarquer qu’étant donné que la Loi énonçait les obligations et responsabilités précises d’une commission d’examen, « une cour de révision doit aller au-delà de l’évaluation de la question de savoir si une commission en est arrivée à une conclusion raisonnable ». Autrement dit, la cour de révision « doit prendre en compte les obligations énoncées dans la Loi et s’assurer que la commission y a satisfait ». Toutefois, pour ce faire, il y a « lieu de faire preuve de déférence à l’égard du jugement de la commission en ce qui a trait à la manière de s’acquitter de ses responsabilités dans un cas donné ». Les obligations prévues par la Loi « doivent être interprétées et exécutées de façon raisonnable dans les circonstances » (jugement de la Cour fédérale, au paragraphe 30).

[26]           Les intimées faisaient valoir que la Commission avait commis une erreur en acceptant et en appliquant l’approche limitative et qu’en raison de cette erreur, les effets environnementaux du projet n’avaient pas été pleinement évalués comme l’exigent les paragraphes 15(3), 16(1) et (2), et les alinéas 34a) et b) de la Loi. Le juge a rejeté cet argument et a soutenu qu’il n’existait pas « qu’une seule méthode pour effectuer une évaluation environnementale » et que celle-ci devait « uniquement être réalisée à un moment et d’une manière qui permettent l’examen des éléments énoncés dans la Loi » (jugement de la Cour fédérale, au paragraphe 72). Autrement dit, l’accent est mis non pas sur la méthode employée pour réaliser l’étude environnementale, mais sur la question de savoir s’il est possible de faire « un examen approfondi » des impacts environnementaux d’un projet (Friends of the Island Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1993] 2 C.F. 229, au paragraphe 41).

[27]           Bien que le juge de première instance ait conclu que l’utilisation de l’approche limitative par la Commission était raisonnable, il a également souligné qu’« il incombait […] à la Commission de veiller à ce que la méthodologie [de l’approche limitative] soit pleinement suivie [ou d’]expliquer les raisons pour lesquelles des dérogations importantes à celle-ci (c’est-à-dire les lacunes en matière de renseignements à propos du scénario limitatif) ne rendaient pas l’évaluation non conforme à la LCEE » (jugement de la Cour fédérale, aux paragraphes 246 et 247).

[28]           Au cœur du présent appel se trouvent les conclusions du juge de première instance selon lesquelles l’analyse de la Commission était incomplète sur trois points : (1) l’étude des émissions de substances dangereuses; (2) la prise en compte du combustible nucléaire épuisé; (3) le report de l’analyse des conséquences d’un accident grave de cause commune. Dans chacun de ces domaines, le juge a conclu que le rapport d’évaluation environnementale devait comporter davantage de renseignements pour permettre au gouverneur en conseil d’évaluer convenablement le projet en ce qui concerne le « niveau de protection contre le risque que choisit la société ». Je me réfère à un résumé de l’analyse de ces trois points faite par le juge de première instance.

[29]           En ce qui concerne les émissions de substances dangereuses, le juge de première instance a estimé que la Commission avait pris « un raccourci en passant par-dessus l’évaluation des effets, qui se rapporte à leur importance ou à leur vraisemblance, pour aller directement à l’examen des mesures d’atténuation ». Il a souligné que cette approche était en fait contraire à celle que la Commission prétendait avoir adoptée aux pages 47 et 48 de son rapport d’évaluation environnementale et « soul[evait] un doute quant à la question de savoir si la Commission a réellement pris en compte les effets du projet à cet égard ». Il a donc conclu qu’en ce qui touchait l’évaluation des effets des émissions de substances dangereuses, le rapport « ne respecte pas pleinement les exigences de la LCEE » (jugement de la Cour fédérale, aux paragraphes 275 et 282).

[30]           Ensuite, le juge de première instance a fait valoir que le dossier confirmait que la question de la gestion et du stockage à long terme du combustible nucléaire épuisé que produira le projet « n’a[vait] pas fait l’objet d’un examen suffisant », autrement dit, que la Commission « n’a[vait] pas traité de manière raisonnable la question de la gestion et de l’élimination à long terme du combustible nucléaire épuisé en conformité avec ses obligations prévues à la LCEE et [devait] compléter ou modifier son rapport en conséquence » (jugement de la Cour fédérale, aux paragraphes 297 et 318).

[31]           Enfin, en ce qui concerne les accidents graves « de cause commune » touchant plusieurs réacteurs, le juge de première instance a fait remarquer que de tels accidents étaient du « domaine des événements extrêmement improbables, mais dont l’éventualité peut être catastrophique » et que, « [p]our des raisons de principe, il est logique que les décideurs politiques prennent en compte de tels scénarios ». Le juge a soutenu en outre que le libellé de la loi ne permettait pas d’appuyer la conclusion de la Commission selon laquelle l’analyse de tels accidents devait être faite, mais pouvait être reportée. Au contraire, à son avis, cette analyse aurait dû être faite dans le cadre de l’évaluation environnementale pour que les décideurs politiques puissent la prendre en compte. Le juge a donc conclu que l’approche de la Commission à l’égard de cette question était « déraisonnable et non conforme à ses obligations prévues par la LCEE » (jugement de la Cour fédérale, aux paragraphes 331, 334 et 337).

[32]           En conséquence, le juge de première instance a renvoyé l’évaluation environnementale à la Commission pour que cette dernière étudie de nouveau ces trois questions et il a révoqué le permis de préparation de l’emplacement au motif que l’évaluation environnementale n’était pas encore entièrement conforme à la Loi.

III.       Analyse

A.     La norme de contrôle en appel

[33]           Les parties conviennent du fait que, lorsqu’une ordonnance rendue dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire est portée en appel, le rôle de notre Cour consiste simplement à décider si la juridiction inférieure a employé la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement (Agraira c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), [2013] 2 R.C.S. 559, 2013 CSC 36); autrement dit, la juridiction d’appel révise la décision rendue par la juridiction inférieure au sujet de la norme de contrôle.

[34]           Comme nous l’avons dit précédemment, le juge de première instance a qualifié les questions dont il était saisi de questions mixtes de fait et de droit et a conclu en conséquence que les conclusions formulées par la Commission dans son rapport d’évaluation environnementale étaient assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[35]           Comme nous l’avons dit précédemment, le juge de première instance a qualifié les questions dont il était saisi de questions mixtes de fait et de droit et a conclu en conséquence que les conclusions formulées par la Commission dans son rapport d’évaluation environnementale étaient assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[36]           Les parties s’entendent pour dire que le juge de première instance a choisi la norme de contrôle appropriée. Elles sont toutefois en désaccord sur son application.

[37]           De manière générale, les trois parties qui ont interjeté appel de la décision du juge (OPG, la CCSN et le procureur général du Canada) soutiennent qu’en ce qui touche les trois points susmentionnés, le juge n’a pas fait montre de retenue à l’égard de l’évaluation faite par la Commission de la nature et du caractère suffisant de la preuve qu’exige la norme de contrôle du caractère raisonnable, mais a plutôt substitué sa propre appréciation de la preuve sur ces questions.

[38]           Les intimées, pour leur part, font valoir que l’essence de la plainte des appelantes est que le juge, qui a certes fait montre d’une certaine retenue, n’a pas fait preuve de suffisamment de retenue. Elles ont fait remarquer que le juge n’a pas soupesé de nouveau la preuve qui avait été présentée à la Commission et que, pour l’essentiel, sa décision était que la Commission n’a pas fait ce que la Loi exigeait d’elle.

[39]           Je me penche maintenant sur le premier des trois points sur lesquels le juge de première instance aurait commis une erreur.

B.     Les émissions de substances dangereuses

[40]           Sauf pour la qualité de l’air, OPG n’a pas présenté à la Commission de scénario limitatif de l’utilisation, du stockage et du rejet des substances dangereuses qui seront produites par le projet. De plus, aucun scénario limitatif n’était censé être présenté avant le choix de la technologie de réacteur. Par conséquent, la Commission a compté sur le fait que les divers engagements, recommandations et mesures de réglementation feraient en sorte que le projet n’ait pas d’effets néfastes importants sur le milieu terrestre et les eaux de surface.

[41]           La Commission elle-même a commenté le fait qu’OPG n’avait pas fourni de mesures objectives aux fins d’élaboration d’un scénario limitatif. Le promoteur n’a pas suivi sa propre méthode, autrement dit, il n’avait pas suivi le scénario limitatif ni fourni de mesures objectives des émissions projetées. La Commission a déclaré que « [la] stratégie [d’OPG] ne répond[ait] pas aux attentes des lignes directrices de l’EIE » relativement au rejet d’effluents liquides dans le lac Ontario. À cet égard, la Commission a ajouté que le manque de renseignements l’empêchait « de confirmer les conclusions obtenues concernant les effets possibles des effluents liquides sur l’environnement » (rapport d’évaluation environnementale, à la page 80).

[42]           De même, le ministère de l’Environnement du Canada a fait valoir qu’il n’y avait pas assez de renseignements pour permettre d’évaluer les effets possibles des effluents liquides ou des eaux de ruissellement pluviales provenant du projet. Ce ministère a également présenté des observations sur l’absence de plans d’atténuation détaillés, en partie en raison du fait qu’on n’avait pas établi les effets environnementaux. Le ministère de l’Environnement du Canada a également remarqué que l’approche d’OPG en ce qui a trait aux émissions de substances dangereuses « entraîn[ait] le report de l’examen des effluents de transformation par le gouvernement et le public jusqu’à l’examen de la CCSN prévu par règlement dans le cadre de l’étude d’une demande de permis de construction au titre de la [LSRN] » (jugement de la Cour fédérale, au paragraphe 257).

[43]           Le juge de première instance a jugé que les conclusions et les recommandations de la Commission relatives aux émissions de substance dangereuses ne répondaient pas aux exigences de la loi. Faute d’éléments probants sur la nature des contaminants et la fréquence et l’intensité des déversements, il était impossible que le rapport réponde aux exigences de l’article 16 de la Loi. Bref, il n’était pas raisonnable de conclure qu’il n’y aurait pas d’effets négatifs importants sur l’environnement.

[44]           À mon avis, le juge de première instance avait raison de s’inquiéter du manque de renseignements de la Commission en ce qui concerne les émissions de substances dangereuses. Ni la Commission ni le ministère de l’Environnement du Canada ne pouvaient évaluer les effets sur l’environnement, comme l’exige le paragraphe 16(1) de la Loi, faute de renseignements sur l’ensemble des substances non radioactives qui seront stockées, utilisées et rejetées dans l’air et dans l’eau si le projet se concrétise. Malgré cela, la Commission a jugé qu’il était possible de conclure que le projet n’aurait probablement pas d’effets néfastes importants si on se fie aux engagements, mesures d’atténuation et contrôles réglementaires proposés. À mon avis, cette conclusion est déraisonnable.

[45]           Les appelantes soutiennent que le juge de première instance a commis une erreur en ne considérant pas que l’évaluation environnementale était un « outil de planification » et que l’évaluation des effets ne devait « pas se concevoir comme un événement précis et isolé », mais comme un processus permanent et dynamique (Alberta Wilderness Assn. c. Express Pipelines Ltd., [1996] ACF no 1016, 137 DLR (4th) 177 (CAF); Pembina Institute for Appropriate Development c. Canada (Procureur général), 2008 CF 302, au paragraphe 24). Les appelantes tablent beaucoup sur le fait qu’il y aura d’autres conditions de réglementation à respecter pour la délivrance de permis et qu’il était raisonnable de compter sur les futures exigences réglementaires en matière d’approbations pour atténuer les effets.

[46]           Concrètement, OPG énumère toutes les exigences juridiques et normes de qualité à respecter et toutes les autorisations qui seraient requises pour le projet, notamment le mécanisme d’autorisation prévu dans la Loi sur les pêches, ainsi que la conformité avec l’Accord Canada-Ontario concernant l’écosystème du bassin des Grands Lacs et avec les bonnes pratiques de gestion industrielles, entre autres régimes de réglementation.

[47]           Dans le même ordre d’idées, la Commission a justifié la non-conformité avec les Lignes directrices de l’EIE en faisant valoir qu’OPG avait le droit d’invoquer les divers engagements, recommandations et contrôles réglementaires. Plus précisément, la Commission a conclu que puisque « […] le personnel de la CCSN a indiqué qu’il existe des exemples d’application de limites réglementaires et de pratiques de gestion similaires dans d’autres installations nucléaires pour contrôler et minimiser les effets des rejets sur l’environnement des eaux de surface », OPG pouvait compter sur les pratiques de gestion exemplaires pour veiller à ce que le projet n’ait pas d’effets négatifs importants sur l’environnement (rapport d’évaluation environnementale, à la page 80).

[48]           Les intimées ne contestent pas l’idée qu’il soit raisonnable d’invoquer la conformité avec les régimes de réglementation dans le cadre de l’étude de mesures d’atténuation. Par contre, elles affirment que les mesures d’atténuation proposées et les régimes de réglementation n’établissent pas de normes claires qui puissent servir à cerner approximativement les effets réels. Ainsi, il n’est pas selon elles raisonnable d’invoquer des régimes de réglementation ou des mesures d’atténuation non précisés lorsque les effets des émissions de substances dangereuses ne sont pas davantage précisés.

[49]           Je souscris à cette affirmation. Il n’est pas raisonnable de la part de la Commission de compter sur la liste de régimes de réglementation et de mesures d’atténuation vagues d’OPG tout en omettant d’évaluer de quelque manière que ce soit les effets du rejet de substances dangereuses. Cela veut dire que l’évaluation relative aux émissions de substances dangereuses de la Commission était entièrement conjecturale. La démonstration en est faite dans la recommandation 14, qui préconisait qu’à la suite du choix d’une technologie de réacteur, la CCSN exige qu’OPG « effectue une évaluation détaillée des rejets d’effluents prévus pour ce projet » et aussi « une évaluation des risques liés aux rejets résiduels anticipés du projet, afin de déterminer si d’autres mesures d’atténuation peuvent être nécessaires » (rapport d’évaluation environnementale, pages 80 et 81).

[50]           Cette recommandation signifie que la Commission a manqué à l’obligation que lui impose la Loi et a fait porter sur le promoteur du projet l’entière responsabilité d’effectuer les études prévues à l’article 16 après l’achèvement du processus d’évaluation environnementale. Pour l’essentiel, la Commission : (1) a reconnu qu’il n’existait pas assez de renseignements pour permettre l’évaluation des effets des rejets de substances dangereuses sur l’environnement; (2) a en conséquence exigé qu’OPG évalue tous les effets possibles sur l’environnement; (3) a conclu, enfin, vu l’absence de renseignements sur les effets sur l’environnement et les mesures d’atténuation, que le projet n’était pas susceptible d’avoir d’effets sur l’environnement. Cela rend la décision de la Commission déraisonnable eu égard à la norme énoncée dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190. On ne trouve pas de raisonnement clair et intelligible et la décision n’appartient pas aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[51]           En outre, la conclusion de la Commission est contraire à l’objet de la Loi, lequel a été qualifié de mesure législative fédérale équivalant à « regarder avant de sauter » et fait « partie intégrante d’un processus éclairé de prise de décisions » (Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 95). La Loi a pour objectif que les projets et leurs effets sur l’environnement « soient étudiés avec soin et prudence », « le plus tôt possible au cours de l’étape de planification […] avant de prendre des décisions irrévocables » (voir le préambule et les paragraphes 2(1), 4(1), 4(2) et 11(1) de la Loi (Friends of the Island Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1993] 2 CF 229). Toutefois, l’évaluation environnementale doit aussi être effectuée à un stade où les répercussions environnementales du projet peuvent être étudiées en profondeur et où il est possible de dire si le projet est susceptible d’avoir des effets néfastes sur l’environnement.

[52]           En l’espèce, on ne peut pas dire que la Commission a étudié en profondeur les effets des émissions de substances dangereuses sur l’environnement. Comme le juge de première instance l’a souligné, le problème que pose l’approche de la Commission est qu’elle dénature l’intention du législateur sur la question de savoir qui décide du degré d’incidences environnementales acceptables d’un projet (jugement de la Cour fédérale, au paragraphe 281). À mon avis, en laissant cette décision aux mains du promoteur du projet après l’évaluation environnementale, on court-circuite le processus prévu par la Loi selon lequel un organisme spécialisé évalue la preuve concernant les effets probables d’un projet et des décideurs politiques évaluent la question de savoir si le niveau d’incidence est acceptable compte tenu des considérations de politique (jugement de la Cour fédérale, au paragraphe 281).

C.     L’examen relatif au combustible nucléaire épuisé

[53]           La deuxième lacune de l’évaluation environnementale que le juge a cernée touchait la gestion du combustible nucléaire épuisé. Les passages clés sont les paragraphes 297 et 318 :

À mon avis, le dossier confirme que la question de la gestion et du stockage à long terme du combustible nucléaire épuisé que produira le projet n’a pas fait l’objet d’un examen suffisant. […] [L]a décision à propos de la création de ces déchets est un aspect du projet qui devrait être présenté aux décideurs prévus à l’article 37 et ces derniers devraient disposer d’un dossier adéquat en ce qui a trait à la gestion des déchets à long terme et à ce qui est connu et à ce qui n’est pas connu à cet égard.

[…]

[…] je conclus que la Commission n’a pas traité de manière raisonnable la question de la gestion et de l’élimination à long terme du combustible nucléaire épuisé en conformité avec ses obligations prévues à la LCEE et elle doit compléter ou modifier son rapport en conséquence.

[54]           Le juge de première instance a examiné en détail la preuve présentée à la Commission sur le stockage à long terme du combustible épuisé. Il a conclu que la Commission n’avait pas produit le « dossier factuel complet » dont les décideurs fédéraux avaient besoin pour prendre une décision éclairée en conformité avec la Loi. De plus, selon le juge, ni le cadre de référence de la Commission ni les Lignes directrices de l’EIE ne faisaient du stockage du combustible nucléaire épuisé une « question distincte » qu’on pouvait soustraire de l’évaluation environnementale ou reporter jusqu’à ce que l’organisme chargé de trouver une solution de stockage des déchets nucléaires à long terme (la Société de gestion des déchets nucléaires ou SGDN) demande une approbation pour son projet d’installation, si on se rendait jusque-là.

[55]           En conséquence, le juge a cerné quatre questions ou points à étudier qui, selon lui, devaient être réglés pour que la Commission s’acquitte de l’obligation que lui impose l’article 16 de la Loi. Ces faiblesses étaient les répercussions de l’ajout du combustible épuisé provenant de l’uranium enrichi sur la gestion et le stockage des déchets nucléaires, la probabilité qu’on trouve un dépôt à long terme et que ce dépôt soit approprié et possible, les solutions pouvant remplacer l’enfouissement des déchets nucléaires et les répercussions budgétaires des divers scénarios.

[56]           À mon avis, ces questions obligeaient la Commission à dépasser son cadre de référence. Celui-ci ne l’obligeait pas à étudier la viabilité du stockage à long terme des déchets nucléaires hors du site. Le cadre de référence se bornait à la gestion des déchets de faible et de moyenne activité et des déchets de combustible épuisé à l’intérieur de l’édifice abritant les réacteurs, au transfert des déchets et du combustible épuisé en vue de leur stockage temporaire ou à long terme durant la phase d’exploitation du projet et au transfert du combustible et des déchets connexes aux fins de stockage temporaire durant la phase de désaffectation. La Commission a tout de même examiné et rejeté, pour plusieurs raisons, le plan d’OPG de transporter le combustible nucléaire à l’extérieur de l’emplacement aux fins de stockage. La Commission a donc formulé deux recommandations précises, les recommandations 52 et 53 (page 382 du DAC, vol. 2, onglet 8), qui préconisent le stockage sur le site, à perpétuité, de tous les déchets nucléaires et l’imposition de cette exigence comme condition de délivrance de nouveaux permis par la CCSN.

[57]           En outre, bien que la Commission n’ait pas étudié explicitement dans son évaluation les effets de l’ajout du combustible épuisé provenant de l’uranium enrichi sur la gestion et le stockage des déchets nucléaires, elle a pris acte de la position d’OPG selon laquelle les modifications voulues seraient apportées à la conception des conteneurs et à l’installation de stockage sur le site si le combustible épuisé comportait de l’uranium enrichi (rapport d’évaluation environnementale, aux pages 141‑142).

[58]           Je souscris à l’avis du juge de première instance selon lequel, si la Commission s’en était remise à la Société de gestion des déchets nucléaires (SGDN – l’organisme responsable de la recherche de solutions de stockage à long terme) pour l’examen de la question du combustible nucléaire épuisé, comme le demandait OPG initialement, on se serait demandé si la Commission s’était acquittée de l’obligation que lui impose l’article 16 de la Loi. Mais cela n’a pas été le cas. La recommandation et les conclusions de la Commission reposaient sur l’engagement d’OPG à stocker tous les déchets nucléaires à perpétuité sur le site.

[59]           L’étude par la Commission de la viabilité et de l’opportunité d’un dépôt géologique à long terme a peut-être soulevé les questions qui, selon le juge de première instance, sont restées sans réponse, mais le fait de ne pas donner de réponse à ces questions ne constitue pas un motif sur lequel on peut se baser pour écarter la décision de la Commission concernant le combustible épuisé. En examinant la question du combustible nucléaire épuisé, la Commission a respecté son cadre de référence; cela veut dire qu’elle s’est penchée sur la question et a formulé des recommandations précises qui éliminaient la question du stockage du combustible hors du site et du transport du combustible vers l’extérieur ou de l’extérieur. Elle a recommandé son stockage à perpétuité sur le site.

[60]           La décision de la Commission révèle que celle-ci a examiné avec soin la question des déchets et comprend une justification de sa conclusion. Cette conclusion était défendable malgré le fait que des questions sont restées sans réponse. Le juge de première instance a commis une erreur en substituant, pour l’essentiel, son point de vue à celui de la Commission.

D.    Les accidents graves de cause commune

[61]           La troisième lacune que le juge a décelée dans l’évaluation environnementale concernait l’analyse faite par la Commission des conséquences d’un accident grave « de cause commune » touchant plusieurs réacteurs. Les nouveaux réacteurs seraient ajoutés à l’installation de Darlington et à ses réacteurs existants. OPG n’a pas analysé les effets cumulatifs d’un seul accident grave touchant les installations existantes et nouvelles selon différents scénarios « parce qu’ils étaient considérés comme étant hypothétiques et ayant une probabilité d’occurrence très faible ». La Commission a rejeté l’interprétation de l’esprit de la Loi faite par OPG, selon qui on devrait considérer ce scénario comme exceptionnel :

La Commission est d’avis que, dans ce cas, une interprétation plus adéquate eut été d’inclure une évaluation des effets cumulatifs d’un accident de cause commune impliquant plusieurs réacteurs de la zone d’étude du site.

[62]           Dans son rapport, la Commission a fait remarquer qu’OPG avait analysé « un certain nombre de défaillances et d’accidents radiologiques limitatifs » dans le cadre de son EIE (énoncé des impacts environnementaux). Cela incluait les accidents pouvant survenir dans la manipulation des déchets nucléaires, dans le transport de nouveau combustible nucléaire, les défaillances et accidents touchant directement un réacteur. Pour la majorité de ces scénarios, la Commission a conclu que les doses de rayonnement possibles seraient inférieures aux limites réglementaires et qu’il n’y aurait pas d’effets négatifs importants sur l’environnement.

[63]           En ce qui concerne les accidents touchant directement un réacteur, la Commission a affirmé que l’analyse limitative répondait aux objectifs de sûreté qualitatifs et quantitatifs établis dans le document d’application de la réglementation RD-337 de la CCSN. Elle a également souligné que les exigences en matière de conception et de sûreté s’appliquant aux nouvelles centrales nucléaires seraient précisées et appliquées à une étape ultérieure du processus de délivrance des permis. La Commission a donc formulé deux recommandations, les recommandations 57 et 58 (page 389 du DAC, vol. 2, onglet 8) :

La Commission recommande que, avant la construction, la Commission canadienne de sûreté nucléaire exige qu’OPG entreprenne une évaluation des conséquences hors site d’un accident grave. L’évaluation doit déterminer si les conséquences sur la santé et l’environnement hors site, considérées dans la présente évaluation environnementale, engloberont celles pouvant être causées par la technologie de réacteur qui sera choisie.

La Commission recommande que, avant la construction, la Commission canadienne de sûreté nucléaire confirme que les critères d’acceptation des doses spécifiés dans le document RD-337 à la limite du site du projet, dans le cas d’accidents de dimensionnement limite pour la technologie de réacteur choisie, seront respectés.

[64]           Le juge de première instance a conclu que les critères définis dans le document RD‑337 « permettent à la fois à la Commission et aux décideurs prévus à l’article 37 de s’acquitter des responsabilités que leur impose la Loi, même en l’absence de renseignements complets quant à la conception dès le début du projet » et que, « en ce qui concerne la sûreté du projet lui-même, l’analyse de la Commission fournit un fondement factuel suffisant pour les décisions qui doivent être prises et elle satisfait aux obligations de la Commission prévues par la Loi » (jugement de la Cour fédérale, aux paragraphes 328 et 329).

[65]           Ce qui n’a pas été fait, par contre, c’est une analyse des effets cumulatifs des accidents ou défaillances dont les effets « vont au-delà de ceux visés par la méthodologie mentionnée dans le document RD‑337 », comme les accidents ou défaillances qui touchent à la fois la centrale existante et la nouvelle centrale, puisqu’une nouvelle centrale nucléaire serait construite sur le site d’une centrale nucléaire existante (jugement de la Cour fédérale, au paragraphe 330).

[66]           À cet égard, le juge de première instance a fait remarquer ce qui suit aux paragraphes 331, 334 et 337 :

Ceci semble s’appliquer au domaine des événements extrêmement improbables, mais dont l’éventualité peut être catastrophique. Pour des raisons de principe, il est logique que les décideurs politiques prennent en compte de tels scénarios, parce qu’ils semblent faire principalement appel, encore une fois, à des questions liées au « niveau de protection contre le risque que choisit la société » qu’il sera difficile pour un organisme de réglementation spécialisé d’évaluer avec légitimité. […]

À mon avis, la seule conclusion que le libellé de la Loi n’étaye pas est la conclusion de la Commission selon laquelle l’analyse devait être effectuée, mais pouvait être reportée à plus tard. À mon avis, cette analyse devait plutôt être effectuée dans le cadre de l’évaluation environnementale pour que les décideurs politiques puissent la prendre en compte en lien avec le projet.

Alors à mon avis, l’approche de la Commission à l’égard de cette question était déraisonnable et non conforme à ses obligations prévues par la LCEE. L’approche doit être revue dans un complément au rapport ou en modifiant celui-ci.

[67]           L’erreur de la Commission, selon le juge de première instance, a été de ne pas insister pour que ces effets soient étudiés dans le cadre du processus d’évaluation environnementale après avoir conclu qu’il fallait les étudier. Les objectifs de l’article 37 ne pouvaient pas être atteints. L’approche de la Commission, qui a reporté l’examen de la question, constituait un manquement aux obligations que lui impose l’article 16 (« portent notamment sur […] les effets environnementaux ») et était déraisonnable.

[68]           Je suis d’accord avec le juge de première instance pour dire que la Commission aurait commis une erreur si elle avait cerné un problème pour l’environnement, reporté l’étude de ses effets, mais conclu néanmoins que le projet n’était pas susceptible d’avoir des effets importants sur l’environnement; toutefois, ce n’est pas la manière dont j’interprète la décision de la Commission. Celle-ci a fait porter son étude sur la possibilité d’un accident grave de cause commune et a formulé deux recommandations précises à l’égard de ces préoccupations (voir les recommandations 63 et 64).

[69]           En l’espèce, l’analyse est contextuelle. Il s’agit de savoir si le décideur avait assez de renseignements sur les effets environnementaux et sur les mesures d’atténuation pour faire l’évaluation et les recommandations qu’il a faites. En l’espèce, la question à l’étude était les répercussions d’un accident grave très improbable, dont les paramètres dépendaient d’un scénario hypothétique ou d’un autre.

[70]           La Loi n’exige pas la prise en compte de tous les scénarios d’accident, si improbables soient-ils. Dans l’arrêt Friends of the West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [2000] 2 C.F. 263 (C.A.F.), aux pages 280 et 281, la Cour explique :

Le second volet est l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui, en vertu du paragraphe 16(3), permet à l’autorité responsable de déterminer la portée de cet élément du facteur prévu à l’alinéa 16(1)a), c’est-à-dire les effets environnementaux cumulatifs que doit englober l’évaluation environnementale. Logiquement, avant de décider des effets environnementaux qu’il convient d’étudier, il faut déterminer quels sont les autres projets ou activités qui doivent entrer en ligne de compte. La décision relative aux autres projets ou activités devant être inclus dans l’évaluation environnementale et à ceux devant en être exclus aux fins de l’évaluation des effets environnementaux cumulatifs qui est prévue par l’alinéa 16(1)a) relève donc du pouvoir discrétionnaire conféré à l’autorité responsable.

[71]           Il importe de rappeler que l’alinéa 16(1)a) de la Loi oblige une commission d’évaluation environnementale à étudier les effets environnementaux des défaillances ou accidents « pouvant » résulter du projet, ainsi que tout effet cumulatif « susceptible » d’en résulter. La Loi n’oblige pas la Commission à étudier les effets environnementaux de tous les scénarios improbables. En l’espèce, comme la Commission a étudié les effets environnementaux possibles des défaillances et accidents pouvant arriver, sa recommandation en faveur de l’étude des accidents graves de cause commune dans le cadre du plan de protection civile reposait sur la preuve.

[72]           L’évaluation de la probabilité de ce type d’accident par la Commission et, par conséquent, son évaluation limitée des effets environnementaux étaient donc une question qui s’inscrivait dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire. La conclusion de la Commission était raisonnable dans le contexte de la preuve et des questions qui lui ont été présentées.

[73]           Avant de conclure, il est nécessaire de rappeler aux parties la limite du rôle des tribunaux et des organismes de réglementation dans les instances judiciaires qui mettent en cause leurs propres décisions (Northwestern Utilities Ltd. et autres c. Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684, 1978). En l’espèce, la commission qui a préparé le rapport était une commission conjointe qui incluait la CCSN, ce qui implique une participation limitée de la CCSN. De plus, il ne convient pas que la CCSN, qui est l’organisme indépendant de réglementation et d’autorisation, aille plus loin que les questions de compétence et le contexte pour défendre la position d’OPG, qui est le détenteur de permis et qui est assujetti à son mandat de réglementation.

[74]           Par conséquent, j’accueillerais en partie les appels, en modifiant l’ordonnance qui a été rendue en première instance par la suppression des alinéas 2b) et 2c), mais je confirmerais le reste de la décision. Étant donné que l’effet de l’ordonnance rendue en première instance est maintenu, je rejetterais les appels avec dépens.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.


MOTIFS DU JUGEMENT

LES JUGES TRUDEL ET RYER

[75]           La Cour est saisie de trois appels : l’appel A-282-14, interjeté par Ontario Power Generation (OPG), l’appel A-283-14, interjeté par la Commission canadienne de sûreté nucléaire (la CCSN), et l’appel A‑285-14, qui a été interjeté par le procureur général du Canada, le ministre de l’Environnement, le ministre des Pêches et des Océans et le ministre des Transports. Ces appels ont été regroupés conformément à une ordonnance rendue le 23 juillet 2014 par le juge Webb.

[76]           Les appels concernent des décisions rendues par le juge Russell de la Cour fédérale (le juge de première instance) en réponse à deux demandes de contrôle judiciaire (T-1572-11 et T-1723-12) qui ont été introduites par Greenpeace Canada, Lake Ontario Waterkeeper, Northwatch et l’Association canadienne du droit de l’environnement. Ces demandes ont été instruites consécutivement conformément à l’ordonnance de la protonotaire Milczynski en date du 23 novembre 2012.

[77]           Le juge de première instance a examiné les deux demandes dans un seul et même exposé de motifs (les motifs), que l’on trouve sous la référence 2014 CF 463.

[78]           Dans la demande introduite dans le dossier T-1572-11, on contestait une évaluation environnementale (l’EE) effectuée conformément à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37 (la Loi) par une commission d’évaluation environnementale conjointe (la Commission) relativement au projet de nouvelle centrale nucléaire de Darlington (le projet) et au rapport d’évaluation environnementale (le rapport d’EE) rédigé par la Commission.

[79]           Le juge de première instance a accueilli en partie cette demande. Il a conclu que l’EE et le rapport d’EE n’étaient conformes ni à la Loi ni à l’entente en vertu de laquelle la Commission avait été établie (l’Entente) en ce qui concerne les trois points décrits ci-dessous :

a)      les lacunes du scénario limitatif concernant les émissions de substances dangereuses et les stocks de produits chimiques se trouvant sur place (la question de l’émission de substances dangereuses);

b)      la prise en compte du combustible nucléaire épuisé (la question du combustible nucléaire épuisé);

c)      le report de l’analyse d’un accident grave de cause commune (la question de l’accident grave de cause commune).

Pour ces motifs, le juge de première instance a annulé en partie le rapport d’EE et ordonné qu’il soit renvoyé à la Commission pour qu’elle poursuive l’examen des questions de l’émission de substances dangereuses, du combustible nucléaire épuisé et de l’accident grave de cause commune.

[80]           Dans la demande introduite dans le dossier T-1723-12, on contestait la délivrance du permis de préparation du site du projet (le permis) par la CCSN après la publication du rapport d’EE de la Commission. Le juge de première instance a accueilli cette demande et annulé le permis pour le seul motif que le rapport d’EE n’était pas conforme à la Loi en ce qui concerne les trois questions décrites précédemment.

[81]           Après examen des motifs de notre collègue le juge Rennie, il nous est impossible de souscrire à sa conclusion selon laquelle les appels devraient être rejetés. Pour les motifs qui suivent, nous accueillerions ces appels et annulerions les jugements de la Cour fédérale dans les dossiers T-1572-11 et T-1723-12.

[82]           Pour tirer cette conclusion, nous souscrivons à l’exposé que le juge Rennie a fait du contexte factuel pertinent, ainsi qu’à son analyse et à ses conclusions selon lesquelles le juge de première instance a commis une erreur dans ses conclusions sur les questions du combustible nucléaire épuisé et de l’accident grave de cause commune. En toute déférence, nous ne souscrivons pas à la conclusion du juge Rennie selon laquelle le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en ce qui a trait à ses conclusions sur la question des émissions de substances dangereuses.

[83]           Compte tenu du fait que le juge de première instance a commis une erreur dans ses conclusions sur ces trois questions, nous sommes d’avis que les appels doivent être accueillis et que la demande de contrôle judiciaire introduite dans le dossier T‑1572 11 doit être rejetée. Cela nous amène donc à conclure que la demande de contrôle judiciaire introduite dans le dossier T‑1723‑12 doit également être rejetée parce que le juge de première instance a accueilli cette demande uniquement en se fondant sur sa conclusion selon laquelle le rapport d’EE n’était pas conforme à la Loi en ce qui concerne les questions des émissions de substances dangereuses, du combustible nucléaire épuisé et de l’accident grave de cause commune.

[84]           Bien que nous adoptions l’exposé du contexte factuel que l’on trouve dans les motifs du juge Rennie, nous formulons ci-après des observations supplémentaires sur le contexte pour faciliter la compréhension de nos motifs.

I.       Le contexte

[85]           Il importe d’examiner le contexte factuel et le contexte législatif à l’origine des présents appels.

[86]           La demande de permis présentée par OPG à l’automne de 2006 a donné lieu à la nécessité de faire une évaluation environnementale du projet, conformément au paragraphe 5(1) de la Loi. Dans ces circonstances, une commission d’évaluation environnementale conjointe a été constituée comme le prévoit l’article 29 de la Loi et elle a été chargée d’effectuer cette évaluation environnementale.

[87]           La réalisation de l’évaluation environnementale est une étape nécessaire du processus général d’approbation du projet envisagé. Toutefois, la Commission qui en est chargée n’a pas le pouvoir de prendre des décisions en matière d’approbations relatives au projet.

[88]           Comme le prévoyait l’Entente, les processus d’évaluation environnementale et d’autorisation ont été associés et ils ont été amorcés par la Commission. La réalisation de l’évaluation environnementale par la Commission entraînait un examen des éléments énoncés à l’article 16 de la Loi, dont les dispositions applicables sont citées dans les motifs du juge Rennie.

[89]           Les autres obligations de la Commission sont précisées à l’article 34 de la Loi et peuvent se résumer ainsi :

a)      veiller à recueillir les renseignements nécessaires à l’évaluation environnementale d’un projet et à ce que le public y ait accès;

b)      tenir des audiences publiques appropriées;

c)      rédiger un rapport assorti de sa justification, de ses conclusions et recommandations relativement à l’évaluation environnementale du projet, notamment aux mesures d’atténuation et au programme de suivi, et énonçant, sous la forme d’un résumé, les observations reçues du public;

d)     présenter son rapport au ministre et à l’autorité responsable (l’AR) définie au paragraphe 2(1) de la Loi.

Le cadre de référence, qui constitue une annexe de l’Entente, donne également à la Commission des instructions quant à la réalisation de l’évaluation environnementale. Il indique que la portée du projet comprendra cinq phases : la préparation du site, la construction des réacteurs, l’exploitation et l’entretien des réacteurs et des installations connexes, la désaffectation des réacteurs et la fermeture du site.

[90]           La partie 10 du cadre de référence précise que, pour réaliser son évaluation environnementale, la Commission doit prendre en compte les éléments énoncés aux alinéas 16(1)a) à d) et au paragraphe 16(2) de la Loi.

[91]           L’étude des émissions de substances dangereuses est prévue dans le cadre de référence pour la phase d’exploitation et d’entretien des réacteurs du projet, qui est censée commencer environ six ou huit ans après l’approbation du projet et durer environ 60 ans. Rien dans le cadre de référence n’impose à la Commission un type ou un degré d’examen particulier à effectuer sur la question des émissions de substances dangereuses.

[92]           Dans le processus d’approvisionnement relatif aux réacteurs, on a cerné certaines technologies de réacteur qui pourraient servir au projet. Comme il est admis dans le cadre de référence et les Lignes directrices pour la préparation d’une étude d’impact environnemental (les Lignes directrices de l’EIE), la province de l’Ontario a reporté à plus tard son choix. OPG a pour cette raison décidé que sa participation au processus d’évaluation environnementale serait fondée sur une approche « multi-technologie » selon laquelle quatre différents types de réacteurs seraient étudiés.

[93]           Cette décision a conduit OPG à employer ce qu’il est convenu d’appeler une enveloppe des paramètres de la centrale (l’EPC) ou « approche limitative » dans l’élaboration de son étude d’impact environnemental (EIE). Selon cette approche, les effets du projet sur l’environnement ont été évalués en fonction des caractéristiques établies de chacun des quatre types de réacteurs. Le but de l’approche limitative était de s’assurer que les effets négatifs possibles associés aux caractéristiques établies des quatre types de réacteurs pouvant être choisis soient examinés.

[94]           La Commission a recueilli des renseignements, tenu des audiences publiques, rédigé le rapport d’EE et présenté ce rapport au ministre compétent et aux AR.

[95]           Comprenant que le report du choix de la technologie de réacteur par la province de l’Ontario pouvait introduire un certain degré d’incertitude dans le processus d’évaluation environnementale, la Commission a expliqué ce qui suit à la page 13 de son rapport d’EE :

Si le projet devait être mis à exécution, la technologie de réacteur choisie par le gouvernement de l’Ontario devra démontrer qu’elle est conforme à l’enveloppe des paramètres de la centrale et aux exigences de la réglementation, et doit être conforme aux hypothèses, aux conclusions et aux recommandations de l’évaluation environnementale et aux détails de la réponse du gouvernement au rapport d’évaluation environnementale de cette commission d’examen conjoint. Cette évaluation devra être effectuée par les autorités responsables une fois qu’une technologie de réacteur aura été choisie, et elle devra être démontrée dans le cadre du processus d’examen de la demande du permis de construction.

[96]           À la page 171 de son rapport d’EE, la Commission conclut que le projet n’est pas susceptible d’avoir d’effets négatifs importants sur l’environnement, pourvu que ses recommandations et les mesures d’atténuation et les engagements d’OPG soient appliqués. À la même page, la Commission rappelle en ces termes sa préoccupation relative au report du choix de la technologie de réacteur :

Une fois que le gouvernement de l’Ontario aura choisi une technologie de réacteur, il devra être déterminé si les aspects et les paramètres propres à cette technologie sont fondamentalement les mêmes que ceux pris en considération dans le cadre de cet examen. Si la technologie est fondamentalement différente, alors cet examen ne s’applique pas et une nouvelle évaluation environnementale doit être réalisée.

[97]           Le gouvernement du Canada a publié la réponse du gouvernement, dans laquelle il a jugé que le projet n’était pas susceptible d’avoir d’effets négatifs importants sur l’environnement, compte tenu du rapport d’EE et des mesures d’atténuation que les AR considèrent comme convenables. Voici ce que dit le gouvernement dans sa réponse :

Conclusions du gouvernement du Canada

Le gouvernement du Canada donne cette réponse au rapport et aux recommandations de la Commission, pour répondre à ses obligations en vertu du paragraphe 37(1.1) de la LCEE. La réponse a été élaborée après consultation avec d’autres ministères fédéraux et le gouverneur en conseil l’a approuvée.

En vertu du paragraphe 37(2.2) de la LCEE, il faut établir l’autorité responsable veillant à l’application des mesures d’atténuation prévues. De la même façon, en vertu du paragraphe 38(2), il faut une autorité responsable pour concevoir un programme de suivi et veiller à sa mise en œuvre.

Lors de la préparation de la réponse du gouvernement du Canada, Pêches et Océans Canada, Transports Canada et la Commission canadienne de sûreté nucléaire, en leur qualité d’autorités responsables aux termes de la LCEE, ont pris en considération le rapport remis par la Commission. Le gouvernement du Canada, par l’entremise des autorités responsables prévues aux termes de la LCEE, veillera à la conception et à l’exécution des programmes de suivi qui s’imposent, et s’assurera aussi que les mesures d’atténuation établies par le Comité d’examen conjoint lors de l’évaluation environnementale seront appliquées dans les domaines de compétence où le gouvernement du Canada est l’autorité responsable.

De plus, le gouvernement affirme ce qui suit sur la recommandation 1 de la Commission :

Réponse aux recommandations

Recommandation 1

La Commission comprend que, avant la construction, la Commission canadienne de sûreté nucléaire déterminera si la présente évaluation environnementale s’appliquera à la technologie de réacteur choisie par le gouvernement de l’Ontario pour le projet. Néanmoins, si la technologie de réacteur choisie est fondamentalement différente des technologies de réacteur spécifiques délimitant l’enveloppe des paramètres présentement à l’étude, la Commission recommande d’effectuer une nouvelle évaluation environnementale.

Réponse

Le gouvernement du Canada accepte l’intention de cette recommandation, mais précise que les autorités responsables en vertu de la LCEE sont tenues d’établir si la proposition qui sera faite par le promoteur est fondamentalement différente des technologies de réacteur évaluées par la Commission et s’il est nécessaire d’effectuer une nouvelle évaluation environnementale aux termes de la LCEE.

[98]           À la suite de la réponse du gouvernement du Canada, les AR ont décidé, conformément à l’alinéa 37(1)a) de la Loi, qu’il convenait d’aller de l’avant avec la demande de permis, parce que, compte tenu du rapport d’EE et de la mise en œuvre de mesures d’atténuation adéquates, le projet n’était pas susceptible d’avoir d’effets négatifs importants sur l’environnement.

[99]           Le 17 août 2012, la CCSN a délivré un permis à OPG.

II.        La décision du juge de première instance

[100]       Au paragraphe 19 des motifs, le juge de première instance a estimé, s’agissant de la question des émissions de substances dangereuses, qu’il s’agissait de savoir si la Commission avait omis de se conformer à la Loi dans la réalisation de l’évaluation environnementale en n’étudiant pas les « effets environnementaux » du projet, comme l’exige l’article 16 de la Loi. Il a accueilli en partie la demande dans le dossier T‑1572‑11 en déclarant que l’évaluation environnementale faite par la Commission ne respectait ni la Loi ni l’Entente en ce qui touchait les questions des émissions de substances dangereuses, du combustible nucléaire épuisé et de l’accident grave de cause commune.

[101]       Étant donné que nous sommes d’accord avec le juge Rennie pour dire que le juge de première instance a commis une erreur dans ses conclusions sur les questions du combustible nucléaire épuisé et de l’accident grave de cause commune, nous n’examinerons que ses conclusions sur la question des émissions de substances dangereuses.

[102]       Le juge de première instance a traité des émissions de substances dangereuses aux paragraphes 250 à 282 de ses motifs. Or, nulle part dans ces 32 paragraphes il ne précise quelles dispositions de la Loi et de l’Entente la Commission n’a pas respectées à cet égard. Cela dit, compte tenu de la façon dont le juge de première instance a formulé la question susmentionnée, il faut présumer qu’il a conclu que la non-conformité de la Commission concernait les exigences en matière d’examen prévues aux alinéas 16(1)a) et b) de la Loi.

[103]       Après avoir signalé que les émissions de substances dangereuses étaient mentionnées abondamment dans le rapport d’EE, dans l’EIE, dans la demande d’information no 19 sur le projet et dans la réponse qu’OPG y avait donnée, ainsi que dans les communications présentées par Environnement Canada et dans quatre des recommandations de la Commission (nos 14, 15, 16 et 26), le juge de première instance a formulé la conclusion qui suit au paragraphe 271 de ses motifs :

[271] Ainsi, dans l’ensemble, en l’absence de scénario limitatif en ce qui a trait à l’utilisation de substances dangereuses dans le cadre du projet, à leur stockage et à leur rejet, la Commission s’appuie sur une évaluation selon laquelle divers engagements, recommandations et contrôles réglementaires veilleront à ce que le projet ne produise pas d’effets négatifs importants sur le milieu terrestre et l’environnement des eaux de surface.

[104]       Au paragraphe 272 de ses motifs, le juge de première instance semble circonscrire comme suit les questions en litige :

[272]  Il se peut très bien que la conclusion soit raisonnable. La question consiste toutefois à savoir si elle respecte les obligations de la Commission de prendre en compte les effets environnementaux du projet et leur importance (la LCEE, aux alinéas 16(1)a) et b)), de veiller à l’obtention des renseignements nécessaires à l’évaluation environnementale du projet et de veiller à ce que le public y ait accès (la LCEE, à l’alinéa 34a)), d’établir un rapport assorti de sa justification, de ses conclusions et recommandations relativement à l’évaluation environnementale du projet (la LCEE, à l’alinéa 34c)), et, comme la jurisprudence et le régime de la Loi l’indiquent clairement, de veiller à ce que ceux qui sont tenus de prendre des décisions en vertu de l’article 37 disposent d’une preuve appropriée. Pour répéter ce qui est énoncé plus haut, en raison de son rôle particulier à l’intérieur du régime législatif, une commission d’examen est tenue de faire plus qu’examiner la preuve et tirer une conclusion raisonnable. Elle doit fournir une analyse et une justification suffisantes pour permettre aux décideurs prévus à l’article 37 de faire la même chose, en fonction d’un plus large éventail de considérations scientifiques et d’intérêt public. On pourrait dire que l’élément « justification de la décision, [...] transparence et [...] intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59) prend une importance accrue dans le présent contexte. [Non souligné dans l’original.]

[105]       Ce paragraphe soulève la question de savoir si, dans sa conclusion que le juge de première instance a reprise au paragraphe 271 des motifs, la Commission a quand même respecté les obligations que lui imposaient les alinéas 34a) et c) de la Loi. La conclusion du juge de première instance, au paragraphe 228 des motifs, semble donner une réponse affirmative à cette question :

[228] Une lecture attentive du rapport d’évaluation environnementale montre que malgré certaines lacunes en matière de renseignements et à l’égard desquelles les demanderesses ont exprimé des préoccupations compréhensibles, la Commission disposait de suffisamment de renseignements pour effectuer – ce qu’elle a fait – une évaluation environnementale qui fournissait aux décideurs prévus à l’article 37 une preuve appropriée sur laquelle fonder les décisions qu’ils étaient tenus de prendre. [Non souligné dans l’original.]

[106]       Toutefois, au paragraphe 275 de ses motifs, le juge de première instance met en doute en ces termes le fait que la Commission ait respecté les alinéas 16(1)a) et b) de la Loi :

[275] Essentiellement, la Commission prend un raccourci en passant par‑dessus l’évaluation des effets, qui se rapporte à leur importance ou à leur vraisemblance, pour aller directement à l’examen des mesures d’atténuation. Cela est contraire à l’approche que la Commission déclare avoir adoptée (voir le rapport d’évaluation environnementale, à la page 47) et soulève un doute quant à la question de savoir si la Commission a réellement pris en compte les effets du projet à cet égard. [Non souligné dans l’original.]

Au paragraphe 276 de ses motifs, le juge de première instance a conclu qu’« un tel raccourci pourrait être permis dans les cas où une norme ou un seuil clair peut servir d’indicateur des effets réels ».

[107]       Au paragraphe 281 de ses motifs, le juge de première instance déclare que, si une commission d’évaluation environnementale conclut, malgré un certain degré d’incertitude, à l’improbabilité d’effets néfastes importants pour l’environnement en se fondant sur sa confiance envers la capacité des structures réglementaires de gérer les effets du projet dans le temps,

[…] [elle] peut miner l’intention du législateur en ce qui concerne qui détermine le niveau d’incidences environnementales acceptables d’un projet. Autrement dit, il peut court-circuiter le processus en deux étapes en vertu duquel un organisme spécialisé évalue la preuve concernant les effets probables d’un projet et des décideurs politiques évaluent la question de savoir si le niveau d’incidence est acceptable compte tenu des considérations de politique, notamment « le niveau de protection contre le risque que choisit la société ».

[108]       Au paragraphe 282 de ses motifs, le juge de première instance semble formuler sa seule conclusion définitive sur la question des émissions de substances dangereuses :

[282] Cela n’exclut pas la possibilité qu’une évaluation plus « qualitative » de ces faits et de leur importance soit plus appropriée dans certains cas. Il se peut que certains effets soient difficiles à quantifier même lorsque des renseignements fiables sont disponibles. Toutefois, le rapport d’évaluation environnementale ne mentionne aucune évaluation qualitative des effets des émissions de substances dangereuses. À mon avis, ce que reflète le rapport est une évaluation qualitative des mesures d’atténuation qui seront disponibles pour gérer et contrôler ces effets. À cet égard, le rapport ne respecte pas pleinement les exigences de la LCEE. [Non souligné dans l’original.]

[109]       Au paragraphe 3 de son ordonnance, le juge de première instance a ordonné que le rapport d’EE soit renvoyé à la Commission « pour qu’elle l’examine à nouveau et rende une décision quant aux questions précises énoncées ci-dessus et dans les motifs du présent jugement […] ».

[110]       Le juge de première instance a accueilli la demande introduite dans le dossier T-1723-12 et il a révoqué le permis. Dans son jugement, il indique que la seule raison ayant motivé sa décision était la non-conformité de la Commission à la Loi sur les questions des émissions de substances dangereuses, du combustible nucléaire épuisé et de l’accident grave de cause commune.

III.       Les dispositions légales applicables

[111]       Les alinéas 16(1)a) et b) de la Loi, qui énoncent les exigences en matière d’« examen », points en litige dans les présents appels, sont reproduits dans les motifs du juge Rennie.

IV.       Les questions en litige

[112]       Lorsqu’elle est saisie de l’appel d’une décision de la Cour fédérale relative à une demande de contrôle judiciaire, notre Cour doit juger si la cour de révision a employé la norme de contrôle applicable et si elle l’a appliquée correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile, [2013] 2 R.C.S. 559, 2013 CSC 36, au paragraphe 45 [Agraira]).

[113]       Dans le contexte des présents appels, il importe de se concentrer sur les décisions qui ont été contestées dans les demandes de contrôle judiciaire. Dans le dossier T‑1723‑12, la décision attaquée est simplement celle de délivrer le permis.

[114]       Dans le dossier T‑1572‑11, l’ordonnance du juge de première instance indique que l’évaluation environnementale n’était pas conforme aux exigences de la Loi et de l’Entente. Le juge a alors invalidé partiellement le rapport d’EE et l’a renvoyé à la Commission (ou à une autre commission d’évaluation environnementale conjointe) « pour qu’elle l’examine à nouveau ».

[115]       On peut donc se demander quelle décision de la Commission était contestée au juste dans le dossier T-1572-11. Lors de l’audience, l’avocat d’OPG a affirmé que la décision contestée était la conclusion présentée par la Commission à la page 171 de son rapport d’EE. Il a ajouté qu’il fallait examiner chacun des motifs de cette contestation à la lumière de la norme de contrôle applicable à la question que chacune soulevait. Il a conclu que la décision générale de la Commission ne pouvait pas tenir si un seul motif de contestation s’avérait valable.

[116]       Nous sommes d’avis que cette approche analytique est juste et c’est pourquoi nous remettons en question l’approche adoptée par le juge de première instance lorsqu’il a ordonné que le rapport d’EE soit partiellement invalidé. Cela dit, étant donné que nous concluons que les appels devraient être accueillis, l’approche exprimée dans l’ordonnance du juge de première instance n’est pas une question en litige.

[117]       Pour nous acquitter de notre tâche, nous devons nous mettre à la place du juge de première instance et examiner les questions qu’il a étudiées. Ce faisant, nous n’avons pas à faire preuve de retenue envers lui. S’il a employé une norme de contrôle incorrecte, nous devons effectuer le contrôle en nous servant d’une norme que nous jugeons correcte. Si le juge de première instance a employé une norme de contrôle correcte, nous sommes libres de substituer notre point de vue sur la question de savoir s’il a appliqué cette norme correctement en ce qui concerne les questions qu’il a étudiées.

[118]       Nous le répétons : à l’instar du juge Rennie, nous sommes d’avis que le juge de première instance a commis une erreur lorsqu’il a conclu que, dans la réalisation de l’évaluation environnementale et la rédaction de son rapport d’EE, la Commission avait commis une erreur en omettant d’examiner les éléments prévus aux alinéas 16(1)a) et b) de la Loi en ce qui touche les questions du combustible nucléaire épuisé et de l’accident grave de cause commune.

[119]       En conséquence, les points en litige dans les présents appels sont :

a)      la question de savoir si le juge de première instance a employé la bonne norme de contrôle lorsqu’il a cherché à savoir si, dans son évaluation environnementale et son rapport d’EE, la Commission avait omis de prendre en compte les éléments prévus aux alinéas 16(1)a) et b) de la Loi en ce qui concerne la question des émissions de substances dangereuses;

b)      la question de savoir si le juge de première instance a appliqué incorrectement la bonne norme de contrôle lorsqu’il a examiné cette question.

V.                La norme de contrôle

[120]       Depuis la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], il n’y a que deux normes de contrôle : la norme de contrôle de la décision correcte et celle du caractère raisonnable. Lorsque la norme de contrôle de la décision correcte est appliquée à une question, la cour de révision est libre de substituer son jugement sur la question à celui du tribunal dont la décision à cet égard fait l’objet du contrôle. Lorsque la norme de contrôle de la décision raisonnable est appliquée à une question, la cour de révision ne peut pas intervenir en substituant simplement son opinion à celle du tribunal. Elle peut intervenir seulement si la décision n’est pas raisonnable.

[121]       L’arrêt Dunsmuir indique que c’est la nature de la question faisant l’objet du contrôle qui permet de dire quelle norme de contrôle est applicable. Les questions de droit sont parfois contrôlées selon la norme de la décision correcte tandis que les questions mixtes de fait et de droit sont contrôlées selon la norme de la décision raisonnable lorsqu’elles ne comportent aucune question de droit facilement isolable.

VI.             Discussion

A.     Le juge de première instance a-t-il choisi la bonne norme de contrôle ?

[122]       Le juge de première instance a arrêté la norme de la décision raisonnable lorsqu’il a cherché à savoir si la Commission avait étudié ou omis d’étudier les effets environnementaux des émissions de substances dangereuses découlant du projet et leur importance, comme l’exigent les alinéas 16(1)a) et b) de la Loi. Nous sommes d’avis qu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit de laquelle nous ne pouvons dégager aucune question de droit facilement isolable. Par conséquent, nous sommes d’accord avec le juge de première instance pour dire que cette question doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable.

B. Le juge de première instance a-t-il appliqué correctement la norme de la décision raisonnable ?

[123]       En l’espèce, la Commission n’a formulé aucune conclusion précise indiquant qu’elle avait respecté les exigences des alinéas 16(1)a) et b) de la Loi en ce qui concerne les éléments à prendre en compte. Nous sommes toutefois d’avis qu’il faut supposer que la Commission s’est implicitement assurée de respecter ces exigences lorsqu’elle a fait l’évaluation environnementale et rédigé son rapport d’EE. En appliquant à cette question la norme de contrôle de la décision raisonnable, nous devons examiner la décision de la Commission dans son ensemble et dans le contexte du dossier original pour déterminer si la conclusion implicite de la Commission selon laquelle elle s’est acquittée des exigences d’examen qui lui étaient imposées est raisonnable (arrêt Agraira, au paragraphe 53).

Les exigences d’examen

[124]       Les exigences d’examen imposées par les alinéas 16(1)a) et b) de la Loi ont été interprétées par les tribunaux.

[125]       Dans l’arrêt Friends of the West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [2000] 2 C.F. 263, 248 N.R. 25 (CA) [Friends of the West Country Assn.], le juge Rothstein observe, au paragraphe 26 :

L’utilisation du mot « portent » au paragraphe 16(1) indique que chaque [élément] doit être examiné. [Non souligné dans l’original.]

[126]       Nous souscrivons également à la conclusion formulée par le juge Pelletier au paragraphe 71 du jugement Inverhuron & District Ratepayers’ Assn. c. Canada (Ministre de l’Environnement), [2000] A.C.F. no. 682 (QL), 191 F.T.R. 20, [Inverhuron] :

[71] Rappelons encore une fois que la fonction de la Cour dans le contrôle judiciaire n’est pas d’agir comme une « académie des sciences » ou comme une « Haute assemblée ». Pour chacun des éléments prévus par la loi, la gamme des possibilités de fait est pratiquement illimitée. Peu importe le nombre de scénarios envisagés, il est toujours possible d’en concevoir un autre qui ne l’a pas été. Il est de la nature de la science que des personnes raisonnables puissent être en désaccord sur la pertinence et l’importance. À propos de ces questions, la fonction de la Cour n’est pas d’assurer l’exhaustivité, mais d’évaluer, quant à la forme plutôt qu’au fond, s’il y a eu quelque examen des éléments que l’étude approfondie doit, selon la Loi, prendre en compte. S’il y a eu un certain degré d’examen, il importe peu qu’on ait pu procéder à un examen plus poussé ou de meilleure qualité. [Non souligné dans l’original.]

[127]       Eu égard à cette jurisprudence et étant donné que ni l’Entente, ni le cadre de référence, ni les Lignes directrices de l’EIE n’indiquent explicitement le contraire, il est évident que la Commission était libre de décider quel type et quel degré d’examen elle était tenue d’effectuer en ce qui touche les effets environnementaux des émissions de substances dangereuses dans son évaluation environnementale et dans son rapport d’EE.

[128]       Le juge de première instance semble être parvenu à la même conclusion sur les exigences qu’imposent les paragraphes 16(1) et (2) de la Loi en ce qui touche le type ou le degré d’examen. Il a reconnu que « la forme et l’étendue » de l’examen n’étaient pas précisées dans la Loi et que la Commission était « tenue d’appliquer son expertise pour mesurer l’étendue et la forme de la « prise en compte » exigée dans chaque cas particulier » (au paragraphe 195 des motifs).

[129]       En outre, au paragraphe 198 des motifs, le juge de première instance a confirmé qu’il n’appartenait pas à la Cour d’évaluer et de soupeser la méthodologie et les conclusions d’une commission spécialisée :

[198] En contestant le rapport d’évaluation environnementale pour son insuffisance, les demanderesses demandent dans une très large mesure à la Cour d’évaluer et de soupeser à nouveau la méthodologie utilisée par une commission spécialisée ainsi que ses conclusions. Ce n’est pas le rôle de la Cour. Il est vrai que les paragraphes 16(1) et (2) de la LCEE prévoient que l’examen « porte » sur certains éléments, mais il appartient à la commission spécialisée d’examiner la façon de le faire et de soupeser chaque élément conformément à l’objet de la Loi. [Non souligné dans l’original.]

[130]       Aucune des parties aux appels n’a affirmé que l’Entente, le cadre de référence ou les Lignes directrices de l’EIE exigeaient ou que la Commission elle-même précisait quel type ou quel degré d’examen elle effectuerait à l’égard des effets environnementaux des émissions de substances dangereuses. Ainsi, à notre avis, le type ou le degré d’examen auquel la Commission était tenue en cette matière était simplement ce qu’imposent les jugements Friends of the West Country Assn. et Inverhuron, à savoir « un certain degré d’examen ». Il s’ensuit, à notre avis, qu’on ne peut conclure que la Commission a omis d’étudier les effets environnementaux des émissions de substances dangereuses que s’il est démontré qu’elle n’a pas étudié du tout ces effets.

La Commission a-t-elle étudié les effets environnementaux des émissions de substances dangereuses ?

[131]       Dans la demande de contrôle judiciaire, quelque 25 lacunes présumées quant aux renseignements dont la Commission disposait et qui rendraient l’évaluation environnementale et le rapport d’EE non conformes à la Loi ont été exposées au juge de première instance. En ce qui touche tous les points sauf trois, le juge de première instance a conclu que les lacunes alléguées ne rendaient pas l’évaluation environnementale ou le rapport d’EE non conformes. Il a exprimé en ces termes ses préoccupations relatives à ces trois points au paragraphe 228 de ses motifs :

  • La prétendue omission de la Commission d’insister sur la réalisation d’une analyse portant sur un scénario limitatif concernant les émissions de matières dangereuses, plus particulièrement les effluents liquides et le ruissellement des eaux pluviales dans le milieu des eaux de surface, et concernant les sources, les types et les quantités de déchets non radioactifs que produirait le projet;
  • le traitement de la question de la gestion des déchets radioactifs par la Commission;
  • la conclusion de la Commission selon laquelle une analyse des effets d’un accident grave de cause commune survenant à l’installation n’était pas nécessaire à cette étape, mais devrait être réalisée avant la construction.

Dans nos motifs, nous traitons seulement du premier point, car nous sommes d’accord avec les conclusions de notre collègue le juge Rennie sur les deuxième et troisième points.

[132]       Dans la formulation de sa préoccupation quant aux effets environnementaux des émissions de substances dangereuses, le juge de première instance met l’accent sur le fait que la Commission n’a pas exigé qu’un type de preuve particulier – une analyse portant sur un scénario limitatif – soit présenté pour former la base de son examen de ces effets environnementaux.

[133]       À notre avis, cette décision du juge de première instance constituait l’imposition d’une exigence quant au type et au degré d’examen que la Commission aurait dû entreprendre à l’égard des effets environnementaux des émissions de substances dangereuses. Ce faisant, il a imposé son opinion sur la façon dont la Commission aurait dû étudier ces effets. En conséquence, nous sommes d’avis que le juge de première instance a appliqué incorrectement la norme de la décision raisonnable pour ce qui est de savoir si la Commission avait commis une erreur en omettant d’étudier ces effets environnementaux.

[134]       Au paragraphe 187 des motifs, la conclusion du juge de première instance selon laquelle aucun élément du projet n’avait été totalement exclu de l’évaluation environnementale signifie forcément que les effets environnementaux des émissions de substances dangereuses ont été pris en compte par la Commission dans son évaluation environnementale. La préoccupation du juge de première instance concernant le type ou le degré d’examen fait par la Commission à l’égard de ces effets est confirmée dans sa formulation du problème des émissions de substances dangereuses, au paragraphe 228 des motifs, où il mentionne l’« omission de la Commission d’insister sur la réalisation d’une analyse portant sur un scénario limitatif concernant les émissions de matières dangereuses ».

[135]       La préoccupation du juge de première instance concernant le caractère suffisant des renseignements qui permettaient à la Commission d’évaluer les effets environnementaux des émissions de matières dangereuses produites par le projet semble naître de l’utilisation par OPG de l’approche fondée sur l’EPC dans la préparation de l’EIE qu’elle a présenté à la Commission. Le choix de l’approche fondée sur l’EPC était le résultat de la décision de la province de l’Ontario de reporter le choix de la technologie de réacteur qui serait utilisée pour le projet.

[136]       Les raisons invoquées par la province pour justifier cette décision ne sont pas en litige et l’opportunité d’une décision de ce type a été confirmée par la CCSN dans le guide d’information INFO-0756, révision 1, Processus d’autorisation des nouvelles centrales nucléaires au Canada (CCSN 2008d), où on peut lire ce qui suit à la page 9 :

La demande de permis de préparation de l’emplacement ne nécessite pas d’information détaillée ou de renseignement précis sur la conception du réacteur; cependant, l’évaluation environnementale précédant la décision d’autorisation relative à un permis de préparation de l’emplacement nécessite quant à elle des renseignements descriptifs sur la conception de haut niveau.

[137]       La demande de contrôle judiciaire introduite dans le dossier T-1572-11 affirmait que l’évaluation environnementale devait être rejetée au motif que l’utilisation de l’approche fondée sur l’EPC était inacceptable parce qu’elle ne permettait pas de décrire le projet de façon assez détaillée. Le juge de première instance a conclu que, bien que l’approche fondée sur l’EPC ait été envisagée dans le cadre de référence et les Lignes directrices de l’EIE, la Commission n’était pas tenue d’en faire la base de son évaluation environnementale. Il a tout de même conclu que la Commission n’avait pas commis d’erreur susceptible de révision en utilisant cette approche dans son évaluation environnementale et son rapport d’EE.

[138]       L’approche fondée sur l’EPC ayant été acceptée, le juge de première instance a conclu que son analyse devait surtout permettre de dire si la Commission s’était acquittée ou non des obligations que lui imposaient les articles 16 et 34 de la Loi lorsqu’elle a fait son évaluation environnementale et son rapport d’EE. Au paragraphe 187 de ses motifs, il a affirmé ceci :

Les demanderesses n’ont fait mention d’aucune composante du projet (activité ou engagement concernant le projet) qui a été complètement exclue de l’évaluation en l’espèce. Elles se plaignent plutôt du niveau de renseignements disponibles pour évaluer certaines composantes du projet. Ainsi, l’analyse doit véritablement porter en l’espèce sur les attributions énoncées aux articles 16 et 34.

[139]       Comme nous l’avons déjà dit, c’est à la Commission qu’il revient de décider du type et du degré d’examen à effectuer lorsqu’il s’agit des effets sur l’environnement, comme ceux des émissions de substances dangereuses, selon les alinéas 16(1)a) et b) de la Loi et, comme l’a indiqué le juge Pelletier dans la décision Inverhuron, « un certain degré d’examen » des effets environnementaux suffit.

[140]       La question de savoir si la Commission a commis une erreur en n’exigeant pas d’OPG une analyse portant sur un scénario limitatif des émissions de substances dangereuses doit être étudiée dans le contexte de l’approche fondée sur l’EPC, sur laquelle la Commission a fondé son évaluation environnementale. Comme nous l’avons déjà mentionné, cette approche a été envisagée dans le cadre de référence et les Lignes directrices de l’EIE et le juge de première instance a confirmé qu’elle était raisonnable.

[141]       L’approche fondée sur l’EPC était intrinsèquement prospective en ce qu’elle englobait le futur choix de la technologie de réacteur du projet. L’adoption de cette approche a notamment eu pour conséquence que la quantité et la précision des renseignements dont on disposait aux fins d’évaluation risquaient d’être moindres que ce qu’on aurait attendu pour un projet plus défini.

[142]       Certes, OPG a présenté une analyse portant sur un scénario limitatif en ce qui touche certaines substances dangereuses, comme les radionucléides (au paragraphe 258 des motifs) et certains produits chimiques (au paragraphe 260 des motifs), mais elle n’en a pas fait autant pour d’autres matières dangereuses.

[143]       En fait, le dossier montre que la Commission a exigé d’OPG des renseignements supplémentaires sur les valeurs limitatives relatives aux émissions de matières dangereuses :

[traduction] Des valeurs limitatives devraient être indiquées pour les paramètres probables ou les produits chimiques susceptibles d’être rejetés. On peut le faire dans les discussions avec les fournisseurs et en prenant en compte des quantités et des concentrations de substances chimiques typiques présentes dans les centrales nucléaires existantes. Il est possible de traiter des questions des droits d’exclusivité au moyen de divers mécanismes. Ces questions ne devraient pas entraver l’évaluation environnementale du projet.

[…]

Ces renseignements sont nécessaires pour qu’on puisse déterminer si la caractérisation des effluents est exhaustive et acceptable afin d’étayer une évaluation des effets environnementaux. (demandes de renseignements relatives à l’EIE de la commission d’évaluation environnementale conjointe du projet de Darlington, février 2010; dossier d’appel, volume 22, p. 6519 à 6521).

[144]       OPG a répété dans sa réponse à la demande de la Commission qu’on ne disposait pas de ces renseignements avant le choix d’une technologie précise (réponse d’OPG à la demande de renseignements relative à l’énoncé des impacts environnementaux (EIE) présentée par la Commission d’évaluation environnementale conjointe; dossier d’appel, volume 23, p. 6658). La Commission a accepté la réponse d’OPG.

[145]       À la page 80 de son rapport d’EE, la Commission a affirmé qu’en l’absence d’un choix de technologie de réacteur pour le projet, OPG n’avait pas entrepris d’évaluation détaillée des effets des effluents liquides et des eaux de ruissellement pluviales dans l’environnement des eaux de surface, mais s’était plutôt engagée à gérer les rejets d’effluents liquides conformément aux exigences réglementaires applicables et à mettre en œuvre des pratiques de gestion exemplaires des eaux de ruissellement pluviales. Tout en reconnaissant que cette stratégie ne répondait pas aux attentes formulées dans les Lignes directrices de l’EIE, la Commission a néanmoins conclu qu’on pouvait tirer parti de l’expérience d’autres centrales nucléaires en matière de limites et de pratiques de gestion des rejets. La Commission a donc jugé cette stratégie acceptable, sous réserve de recommandations particulières relatives à une évaluation future par la CCSN des rejets d’effluents et des eaux de ruissellement pluviales lorsque la technologie de réacteur serait choisie et qu’on disposerait des renseignements voulus.

[146]       Aucune des parties n’a allégué – et il ne ressort pas du dossier – qu’OPG avait délibérément omis de présenter une analyse limitative de tous les effets environnementaux des émissions de substances dangereuses ou avait montré de l’indifférence à cet égard. Le dossier confirme plutôt qu’OPG a présenté ce qu’elle a pu et que, faute de renseignements précis, elle a compté sur de futures mesures d’atténuation de sa part et sur la surveillance attendue des organismes de réglementation dûment habilités pour apporter, à un moment où cela serait possible, des réponses aux questions non réglées.

[147]       À notre avis, l’absence d’analyse selon un scénario limitatif de tous les effets environnementaux des émissions de substances dangereuses était une conséquence logique de l’utilisation de l’approche fondée sur l’EPC, qui a été adoptée parce que la province de l’Ontario a décidé de reporter le choix de la technologie de réacteur. Nous sommes également d’avis que la conclusion du juge de première instance selon laquelle la Commission a commis une erreur (c.‑à‑d. a agi de manière déraisonnable) en n’exigeant pas des renseignements qu’on ne pouvait pas obtenir constitue une application incorrecte de la norme de la décision raisonnable. Conclure le contraire reviendrait en fait à accepter l’argument que le juge de première instance a rejeté, à savoir qu’il était inapproprié de la part de la Commission de fonder son évaluation environnementale et son rapport d’EE sur l’approche fondée sur l’EPC. Nous sommes d’accord avec le procureur général pour dire qu’il était loisible à la Commission d’étudier les contrôles réglementaires et les mesures d’atténuation proposés et de décider, en sa qualité de spécialiste, qu’on pouvait tabler sur ces mesures pour atténuer les effets négatifs du projet sur l’environnement.

[148]       Cela nous mène à la question de savoir s’il est raisonnable de conclure que la Commission a examiné jusqu’à « un certain degré » les effets environnementaux des émissions de substances dangereuses, comme l’exigent les alinéas 16(1)a) et b) de la Loi.

[149]       Nous reproduisons de nouveau le paragraphe 271 des motifs, où le juge de première instance affirme ceci :

[271] Ainsi, dans l’ensemble, en l’absence de scénario limitatif en ce qui a trait à l’utilisation de substances dangereuses dans le cadre du projet, à leur stockage et à leur rejet, la Commission s’appuie sur une évaluation selon laquelle divers engagements, recommandations et contrôles réglementaires veilleront à ce que le projet ne produise pas d’effets négatifs importants sur le milieu terrestre et l’environnement des eaux de surface.

Ce paragraphe renvoie à plusieurs points, autres que celui des scénarios limitatifs relatifs aux émissions de substances dangereuses, que la Commission a pris en compte et sur lesquels elle a fondé ses conclusions concernant les émissions de substances dangereuses.

[150]       Le juge de première instance a ensuite ajouté, au paragraphe 272 : « Il se peut très bien que la conclusion [énoncée au paragraphe 271] soit raisonnable ». Il est difficile de comprendre comment la Commission aurait pu omettre d’étudier les effets environnementaux des émissions de substances dangereuses tout en parvenant à la conclusion raisonnable que ces émissions n’auraient pas d’effets négatifs importants sur l’environnement.

[151]       Compte tenu du faible degré d’examen exigé par la jurisprudence à laquelle il a été fait référence, le fait que la Commission se soit appuyée sur les points mentionnés au paragraphe 271 des motifs démontre qu’elle a respecté les exigences d’examen que lui imposaient les alinéas 16(1)a) et b) de la Loi en ce qui touche les effets environnementaux des émissions de substances dangereuses.

[152]       Comme nous l’avons déjà souligné, la Commission a fondé son évaluation environnementale et son rapport d’EE sur l’approche fondée sur l’EPC, reconnaissant ainsi que le report du choix de la technologie de réacteur pour le projet rendrait OPG incapable de présenter des évaluations objectivement mesurables de tous les effets environnementaux du projet.

[153]       Cela a abouti à l’absence d’analyse selon un scénario limitatif de certains effets environnementaux des émissions de substances dangereuses. Ainsi, la Commission ne pouvait faire d’évaluation quantitative de tous ces effets avant le choix de la technologie de réacteur. Par la force des choses, la Commission devait effectuer une évaluation qualitative de ces effets, en se penchant notamment sur les actuelles et futures pratiques réglementaires et mesures d’atténuation applicables. De toute évidence, la Commission n’a pas étudié les effets environnementaux des émissions de substances dangereuses avec la même profondeur ou la même portée que les autres effets environnementaux. Nous sommes toutefois d’avis que ce moindre degré d’examen constitue tout de même un certain degré d’examen, par la Commission, des effets environnementaux des émissions de substances dangereuses. À vrai dire, la Commission était en mesure de formuler plusieurs recommandations concernant ces derniers.

[154]       On ne s’attend pas à ce que les effets environnementaux des émissions de substances dangereuses se manifestent avant la troisième phase du projet, soit quelque six à huit ans après son approbation. On s’attend à ce que ces effets durent encore 60 ans après. Dans ce contexte, la Commission a estimé qu’une nouvelle évaluation environnementale pourrait être nécessaire si la technologie de réacteur choisie est fondamentalement différente de celle envisagée dans l’approche fondée sur l’EPC, pourvu qu’on puisse remplacer l’évaluation qualitative des effets environnementaux des émissions de substances dangereuses du projet dans le rapport d’EE par une évaluation quantitative de ces effets, au besoin.

[155]       Dans sa réponse, de même que dans sa réponse à la recommandation 1 de la Commission, le gouvernement du Canada s’est engagé à veiller à la mise en œuvre des programmes de suivi et des mesures d’atténuation adéquats envisagés dans le rapport d’EE et à décider si une nouvelle évaluation environnementale est nécessaire par suite du choix de la technologie de réacteur.

[156]       Étant donné que le projet compte quatre phases après la phase de préparation du site et que chacune d’elles nécessite l’approbation d’une AR, il est raisonnable de penser que le gouvernement du Canada honorera ses engagements et veillera à ce que la recommandation 1 de la Commission soit mise en œuvre.

[157]       En conclusion, nous sommes d’avis que le rapport d’EE, le dossier présenté à la Cour et, à vrai dire, les motifs eux-mêmes démontrent que la Commission a étudié les effets environnementaux des émissions de substances dangereuses dans son évaluation environnementale et son rapport d’EE, comme l’exigeaient les alinéas 16(1)a) et b) de la Loi. Par conséquent, nous sommes d’avis que le juge de première instance a mal appliqué la norme de la décision raisonnable lorsqu’il a conclu que la Commission avait manqué aux obligations que lui imposaient les alinéas 16(1)a) et b) de la Loi à cet égard.

VII.          Dispositif

[158]       Pour les motifs qui ont été exposés, nous sommes d’avis qu’en concluant que la Commission avait manqué aux obligations que lui imposaient les alinéas 16(1)a) et b) de la Loi en ce qui touche les questions des émissions de substances dangereuses, du combustible nucléaire épuisé et de l’accident grave de cause commune, le juge de première instance a incorrectement appliqué la norme de la décision raisonnable. En conséquence, nous accueillerions les appels, annulerions les jugements de la Cour fédérale et, rendant les jugements qui auraient dû être rendus, rejetterions les demandes de contrôle judiciaire introduites dans les dossiers T-1572-11 et T-1723-12 avec dépens en faveur d’OPG dans le dossier A‑282‑14 et devant la Cour fédérale.

[159]       Une copie des présents motifs sera versée au greffe de la Cour pour chacun des appels.

« Johanne Trudel »

j.c.a.

« C. Michael Ryer »

j.c.a.

Traduction


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LA COUR FÉDÉRALE LE 14 MAI 2014 DANS LES DOSSIERS T-1572-11 et T-1723-12

DOSSIER :

A-282-14

 

INTITULÉ :

ONTARIO POWER GENERATION INC. c. GREENPEACE CANADA et autres

et ENTRE

ONTARIO POWER GENERATION INC. c. GREENPEACE CANADA et association canadienne du droit de l’environnement

 

DOSSIER :

A-283-14

 

INTITULÉ :

COMMISSION CANADIENNE DE SÛRETÉ NUCLÉAIRE c. GREENPEACE CANADA et autres

 

DOSSIER :

A-285-14

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et autres c. GREENPEACE CANADA et autres

et ENTRE

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. GREENPEACE CANADA et association canadienne du droit de l’environnement

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 juin 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE TRUDEL

LE JUGE RYER

MOTIFS DISSIDENTS :

LE JUGE RENNIE

DATE DES MOTIFS :

Le 10 septembre 2015

COMPARUTIONS :

John B. Laskin

James Gotowiec

POUR L’APPELANTE

Ontario Power Generation Inc.

Michael A. James

Anna Mazur

POUR L’APPELANTE

Commission canadienne de sûreté nucléaire

Michael H. Morris

Laura Tausky

Joël Robichaud

POUR LES APPELANTS

Procureur général du Canada

Ministre de l’Environnement

Ministre des Pêches et des Océans Ministre des Transports

Theresa A. McClenaghan

Richard D. Lindgren

Kaitlyn Mitchell

Laura Bowman

POUR LES INTIMÉES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Torys, s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR L’APPELANTE

Ontario Power Generation Inc.

Commission canadienne de sûreté nucléaire

Ottawa (Ontario)

POUR L’APPELANTE

Commission canadienne de sûreté nucléaire

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LES APPELANTS

Procureur général du Canada

Ministre de l’Environnement

Ministre des Pêches et des Océans Ministre des Transports

Richard Lindgren et Theresa McClenaghan

Toronto (Ontario)

POUR LES INTIMÉES

Justin Duncan et Kaitlyn Mitchell

Centre for Green Cities

Toronto (Ontario)

POUR LES INTIMÉES

 

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