Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20151002


Dossier : A-432-13

Référence : 2015 CAF 211

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

 

 

ENTRE :

LA COMMISSION DES SERVICES POLICIERS DE

NISHNAWBE-ASKI

demanderesse

et

L’ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ONTARIO

intervenant

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 9 septembre 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 octobre 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE WEBB

 


Date : 20151002


Dossier : A-432-13

Référence : 2015 CAF 211

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

 

 

ENTRE :

LA COMMISSION DES SERVICES POLICIERS DE

NISHNAWBE-ASKI

demanderesse

et

L’ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ONTARIO

intervenant

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRATAS

[1]               En 2005, le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) a accrédité, en vertu du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L‑2, l’Alliance de la fonction publique du Canada comme agent négociateur de deux unités de négociation d’employés de la Commission des services policiers de Nishnawbe-Aski. Les ordonnances d’accréditation étaient entre autres fondées sur la prémisse que les relations de travail des services policiers de Nishnawbe-Aski – qui desservent certaines régions de la Nation Nishnawbe-Aski – sont réglementées par le gouvernement fédéral.

[2]               Quelques années plus tard, la Cour suprême a rendu deux arrêts : NIL/TU,O Child and Family Services c. B.C. Government and Service Employees’ Union, 2010 CSC 45, [2010] 2 R.C.S. 696; et Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier c. Native Child and Family Services of Toronto, 2010 CSC 46, [2010] 2 R.C.S. 737. Dans ces deux arrêts, la Cour suprême a jugé que les relations de travail d’employés d’organismes offrant des services à des familles et enfants autochtones étaient réglementées par le gouvernement provincial.

[3]               Après la publication des arrêts NIL/TU,O et Native Child, la Commission des services policiers de Nishnawbe-Aski a été portée à penser que les relations de travail des services policiers de Nishnawbe-Aski pouvaient être réglementées par la province, et a donc demandé au CCRI de rendre une ordonnance annulant les ordonnances d’accréditation.

[4]               Dans une décision datée du 25 novembre 2013, le CCRI a toutefois confirmé les ordonnances d’accréditation qu’il avait rendues et rejeté la demande : 2013 CCRI 701. Il a conclu que les relations de travail des services policiers de Nishnawbe-Aski étaient réglementées par le gouvernement fédéral et qu’il avait donc le pouvoir de rendre les ordonnances d’accréditation en cause.

[5]               Insatisfaite, la Commission des services policiers de Nishnawbe-Aski présente maintenant à la Cour une demande de contrôle judiciaire de la décision du CCRI. Elle fait valoir que les relations de travail des services policiers de Nishnawbe-Aski sont réglementées au niveau provincial et non fédéral, et que le Conseil aurait donc dû annuler les ordonnances d’accréditation qu’il avait rendues. Le procureur général intervient en l’espèce pour appuyer la demande de la Commission des services policiers de Nishnawbe-Aski, alors que l’Alliance de la fonction publique du Canada s’y oppose.

[6]               Toutes les parties sont d’avis que nous devons contrôler la décision du Conseil selon la norme de la décision correcte puisqu’elle intéresse une question de droit constitutionnel. Je suis d’accord : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 58. Il appartient à la Cour de déterminer si les relations de travail des services policiers de Nishnawbe-Aski sont réglementées par le gouvernement fédéral ou provincial, sans avoir à faire preuve de retenue à l’égard de la décision du CCRI.

[7]               À mon avis, les relations de travail des services policiers de Nishnawbe-Aski sont réglementées par le gouvernement provincial, et le CCRI n’avait donc pas le pouvoir de rendre les ordonnances d’accréditation en cause en l’espèce. Par conséquent, je ferais droit à la demande de contrôle judiciaire, j’infirmerais la décision du CCRI et j’ordonnerais à celui‑ci d’accueillir la demande de la Commission des services policiers de Nishnawbe-Aski et d’annuler les ordonnances d’accréditation.

A.        Contexte factuel

[8]               Dans les paragraphes suivants, je présenterai une synthèse des nombreux faits relatés dans les motifs du CCRI ainsi que dans l’exposé conjoint des faits déposé devant le CCRI. Je me référerai également à certains faits législatifs.

[9]               La Nation Nishnawbe-Aski est constituée de quarante-neuf communautés de Premières Nations ayant signé le Traité no 5 (1875) ou le Traité no 9 (1905). Elle couvre une vaste région, correspondant à peu près aux deux tiers de la province de l’Ontario, qui s’étend de la frontière du Manitoba, à l’ouest, à celle du Québec, à l’est, et à la baie James, au nord.

[10]           L’historique des services de maintien de l’ordre dans la région de Nishnawbe-Aski remonte à 1873, époque à laquelle la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a commencé à y assurer ces services. À partir des années 1960, la GRC s’est toutefois graduellement retirée du territoire, laissant la place à la Police provinciale de l’Ontario (PPO).

[11]           À peu près à la même époque, des employés de bande ont commencé à exercer des fonctions d’agents de police des bandes. Sous la direction des chefs et des conseils de bande, ces agents assuraient les services policiers de première ligne pour faire respecter les règlements des bandes et s’occupaient également d’autres affaires locales. Ils n’étaient cependant pas des agents de police au sens de la Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, ch. P.15, et renvoyaient les affaires intéressant le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, et d’autres lois provinciales ou fédérales à la PPO.

[12]           Par la suite, la PPO a également mis sur pied un programme d’agents spéciaux pour remplacer le système des agents des bandes. Dans le cadre de ce programme, des agents autochtones ont été engagés, formés, puis affectés à une communauté donnée des Premières Nations. Ces agents spéciaux étaient employés par la PPO et non par les bandes.

[13]           À la fin des années 1980, après avoir examiné les services de maintien de l’ordre dans les communautés autochtones, le gouvernement fédéral a élaboré une politique sur le maintien de l’ordre au sein des Premières Nations, appelée à s’appliquer à toutes les Premières Nations du Canada. En vertu de cette politique, les Premières Nations ou conseils de bande devaient créer un service de police des Premières Nations, généralement par l’entremise d’une commission de police.

[14]           Conformément à cette politique, le gouvernement fédéral, l’Ontario, la Nation Nishnawbe-Aski et d’autres Premières Nations ont signé, en 1992, une entente intitulée l’Entente sur les services policiers des Premières Nations de l’Ontario. Celle‑ci entérinait et mettait en œuvre le principe selon lequel les Premières Nations de l’Ontario devaient décider des dispositions de maintien de l’ordre qui convenaient le mieux à leurs communautés. L’entente prévoyait notamment certaines options en matière de prestation des services policiers : les Premières Nations pouvaient conclure une entente avec des services policiers municipaux ou régionaux ou avec la PPO pour assurer le travail de police, établir leurs propres services de police, ou créer un service de police régional contrôlé par une autorité policière des Premières Nations desservant un groupe de territoires des Premières Nations.

[15]           La Nation Nishnawbe-Aski a choisi cette dernière option et décidé de confier la gestion des services policiers de Nishnawbe-Aski à la Commission des services policiers de Nishnawbe-Aski. Les services policiers de Nishnawbe-Aski avaient pour mission d’offrir des services de police efficaces et culturellement adaptés à la population de la région de Nishnawbe-Aski.

[16]           L’Ontario, la Nation Nishnawbe-Aski et le gouvernement fédéral ont signé à cette fin l’Entente sur les services policiers de Nishnawbe-Aski, qui a pris effet le 1er avril 1994. D’autres ententes semblables ont été signées subséquemment. L’Entente sur les services policiers de Nishnawbe‑Aski de 1994 prévoyait la composition de la Commission des services policiers de Nishnawbe-Aski ainsi qu’un calendrier de transfert de toutes les responsabilités policières concernant les communautés de la Nation Nishnawbe-Aski de la PPO aux services policiers de Nishnawbe-Aski. Lorsque ce service de police a vu le jour, tous ses agents ont été mutés de la PPO, dont les relations de travail sont réglementées par le gouvernement provincial.

[17]           Les services policiers de Nishnawbe-Aski n’ont assumé aucune des fonctions policières d’un organisme fédéral ou d’un service policier fédéral. Les agents mutés à ce service de police s’acquittent essentiellement des mêmes fonctions qu’ils exerçaient lorsqu’ils étaient employés par la PPO, mais ils doivent le faire dans un esprit d’adaptation culturelle.

[18]           L’Entente sur les services policiers de Nishnawbe-Aski prévoyait également des dispositions en matière de financement : le financement de base était assuré à 48 p. cent par l’Ontario et à 52 p. cent par le gouvernement fédéral. L’Ontario a fourni un financement additionnel pour assurer le recrutement, la mise en œuvre de la stratégie antiviolence de la province et la prestation de services policiers de la communauté.

[19]           Les services policiers de Nishnawbe-Aski assurent la plupart des services de maintien de l’ordre dans une partie de la région de Nishnawbe-Aski occupée par trente-cinq Premières Nations participantes.

[20]           La Commission des services policiers de Nishnawbe-Aski a conclu des ententes opérationnelles avec la PPO. L’article 4 d’une de ces ententes énonce clairement les responsabilités des services policiers de Nishnawbe-Aski :

[traduction]

4(1) Les services policiers de Nishnawbe-Aski ont pour responsabilité première d’appliquer toutes les lois et prennent part à toutes les opérations policières décrites à l’article 3 sur les territoires des Premières Nations qu’ils desservent.

4(2) Les services policiers de Nishnawbe-Aski auront la responsabilité, s’il y a lieu, d’appliquer les lois des Premières Nations, le Code criminel du Canada, les lois provinciales de l’Ontario et d’autres lois fédérales dans la région qu’ils desservent. Les services policiers de Nishnawbe-Aski participeront à toutes les opérations policières menées dans les communautés des Premières Nations de Nishnawbe-Aski.

[21]           Les services policiers de Nishnawbe-Aski comptent environ 150 agents et 38 employés civils, tant des citoyens que des non-citoyens des Premières Nations. Sur ces 188 employés, 66 travaillent à l’extérieur de la réserve, soit au quartier général de Thunder Bay (Ontario), soit aux quartiers généraux de la Région du Nord-Ouest à Sioux Lookout et à Cochrane (Ontario).

[22]           Le service des Ressources humaines des services policiers de Nishnawbe-Aski se trouve à Thunder Bay (Ontario). Il est notamment chargé de recruter des agents de police selon des critères similaires à ceux qu’emploient les services de police municipaux et la PPO.

[23]           Pour l’essentiel, le recrutement s’effectue indépendamment des Premières Nations de Nishnawbe-Aski. Il peut arriver que des chefs et des conseils fournissent des lettres de recommandation pour des candidats précis, mais les Premières Nations de Nishnawbe-Aski ne jouent aucun rôle officiel dans le processus de sélection. Les candidats dont l’embauche a été recommandée sont présentés au chef ou au chef adjoint des services policiers de Nishnawbe-Aski en vue d’une évaluation. Une fois sélectionnées, les recrues doivent compléter une formation au Collège de police de l’Ontario, comme toutes les autres recrues de la province.

[24]           Une fois leur formation terminée au Collège de police de l’Ontario, le commissaire de la PPO peut les nommer agents des Premières Nations en application de l’article 54 de la Loi sur les services policiers. Les agents des Premières Nations possèdent de ce fait tous les pouvoirs d’un « agent de police » aux termes de la Loi : paragraphe 54(3). Cela signifie entre autres qu’ils peuvent appliquer la loi partout en Ontario, comme le confirme l’entente opérationnelle susmentionnée conclue avec la PPO. Tous les agents des services policiers de Nishnawbe-Aski sont des agents des Premières Nations nommés par le commissaire de la PPO en vertu de l’article 54, et ils peuvent veiller à l’application de la loi partout en Ontario.

[25]           L’Entente sur les services policiers de Nishnawbe-Aski la plus récente (2009-2012) figurant au dossier le confirme. Elle définit l’agent des Premières Nations comme [traduction« toute personne nommée en application de l’article 54 de la Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, ch. P‑15, qui, dans le cadre de ses fonctions, exerce les pouvoirs d’un agent de police en Ontario ».

[26]           À titre d’employés des services policiers de Nishnawbe-Aski, les agents des Premières Nations desservent à la fois les citoyens et les non-citoyens des Premières Nations vivant dans les régions visées par l’Entente sur les services policiers de Nishnawbe-Aski, et y appliquent les lois ontariennes et fédérales ainsi que les règlements des bandes.

[27]           Les agents de la Nishnawbe-Aski qui desservent les territoires de cette nation sont assujettis à différentes dispositions de la Loi sur les services policiers et à divers règlements pris en vertu de la Loi : voir, p. ex., Règl. de l’Ont. 268/10 (« Dispositions générales »), R.R.O. 1990, Règl. 926 (« Matériel et usage de la force ») et Règl. de l’Ont. 550/96 (« Formulaires du système d’analyse des liens entre les crimes de violence »). Les agents de Nishnawbe-Aski relèvent en dernier ressort du commissaire de la PPO et de la Commission civile de l’Ontario sur la police, qui ont le pouvoir de les suspendre ou les congédier : paragraphes 54(5) et 54(6) de la Loi sur les services policiers.

B.        La décision du CCRI

[28]           Le CCRI a reconnu que les arrêts de la Cour suprême NIL/TU,O et Native Child déterminaient l’issue de sa décision. C’est l’arrêt NIL/TU,O qui énonce les principes applicables, alors que l’arrêt Native Child les applique.

[29]           Le CCRI a correctement noté que la Cour suprême a réaffirmé dans l’arrêt NIL/TU,O que les relations de travail étaient présumées être réglementées au niveau provincial. Pour déterminer si cette présomption est réfutée, il faut entreprendre un examen en deux étapes.

[30]           Le CCRI a premièrement indiqué qu’il devait appliquer un critère fonctionnel pour examiner la nature, les opérations et les activités courantes de l’entité afin de déterminer si elle constitue une entreprise fédérale. S’il ne parvenait pas à un résultat clair à cette étape, le CCRI devait passer à la seconde étape.

[31]           Le CCRI a déclaré qu’il devait chercher à savoir en second lieu si la réglementation provinciale des relations de travail de l’entité porterait atteinte au « contenu essentiel » du chef de compétence fédérale.

[32]           Après avoir correctement défini le droit applicable, le CCRI a, à mon sens, manqué de s’y conformer.

[33]           Pour commencer, le CCRI n’est pas parti de la présomption en faveur de la réglementation provinciale des relations de travail, mais est directement passé à la première étape du critère énoncé dans l’arrêt NIL/TU,O.

[34]           Ensuite, plutôt que de procéder à un examen fonctionnel de la nature, des opérations et des activités courantes des services policiers de Nishnawbe-Aski pour déterminer s’ils constituent une entreprise fédérale, comme il y était tenu, le CCRI s’est presque exclusivement concentré sur la question plus abstraite de savoir si le maintien de l’ordre était réglementé au niveau fédéral ou provincial (aux paragraphes 32 et 33). Il a conclu que ces services ne relevaient pas de la compétence exclusive du Canada ou des provinces puisqu’il s’agit d’« une fonction de gouvernance qui découle de la nécessité pour les sociétés organisées de maintenir la paix et l’ordre social au sein de leurs communautés » (au paragraphe 33).

[35]           Toujours en suivant prétendument la première étape du critère défini dans l’arrêt NIL/TU,O, le CCRI s’est proposé d’examiner le pouvoir d’une Première Nation d’établir une commission et un service de police. Au mieux, cela ne correspondait que modestement à l’approche fonctionnelle fondée sur les faits prescrite par l’arrêt NIL/TU,O.

[36]           À cet égard, le CCRI a conclu que le pouvoir d’une Première Nation en matière de maintien de l’ordre découlait de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5, loi fédérale et non provinciale. Plus particulièrement, le CCRI a conclu que le pouvoir des services policiers de Nishnawbe-Aski ne découlait pas du tout de la Loi sur les services policiers de l’Ontario (aux paragraphes 34 à 37). En outre, l’article 54 de cette loi autorisait à son avis le commissaire de la PPO à accorder certains pouvoirs aux agents des Premières Nations, mais rien de plus.

[37]           Je ne souscris pas aux conclusions du CCRI sur ce point. À mon avis, la Loi sur les services policiers a beaucoup plus d’importance à l’égard de la nature, des opérations et des activités courantes des services policiers de Nishnawbe-Aski que ne l’a conclu le CCRI. J’y reviendrai plus loin.

[38]           Étant parvenu à ces conclusions, le CCRI a jugé que « la situation [des services policiers de Nishnawbe-Aski] se distingue de la situation en cause dans l’arrêt NIL/TU,O » (au paragraphe 38). À son avis, cet arrêt concernait la prestation de services à des enfants et à des familles, question qui relève de la compétence provinciale (au paragraphe 39). En l’espèce, la question intéressait le maintien de l’ordre, et cette question ne relève exclusivement ni de la compétence fédérale ni de la compétence provinciale. Selon le CCRI, la police s’occupait de « fournir des services policiers aux Indiens et sur les terres réservées pour les Indiens » (au paragraphe 40). Réitérant certaines de ses conclusions précédentes, le CCRI a ajouté (au paragraphe 41) :

Comme il a été indiqué précédemment, les services policiers sont un aspect de la gouvernance. Le fondement de l’existence [des services policiers de Nishnawbe-Aski] se trouve dans la Loi sur les Indiens, une loi fédérale adoptée en vertu de la compétence exclusive du Parlement à l’égard des Indiens et des terres réservées pour les Indiens. Par conséquent, en ce qui concerne les services de police autochtones en général, et les services de police créés aux termes de l’[Entente sur les services policiers de Nishnawbe-Aski] en particulier, le [CCRI] conclut que les activités [des services policiers de Nishnawbe-Aski] relèvent de la compétence fédérale aux termes du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[39]           Il ressort de cet extrait que le CCRI n’a pas cherché à savoir si la présomption voulant que les relations de travail soient réglementées au niveau provincial avait été écartée en raison des fonctions particulières des services policiers en cause. Plutôt que d’analyser en détail les fonctions des services policiers de Nishnawbe-Aski – question fondée sur les faits –, il a grandement restreint son analyse à des aspects juridiques tels que la source en droit du pouvoir policier.

[40]           Le CCRI est ensuite passé à la deuxième étape de l’examen préconisé dans l’arrêt NIL/TU,O et a cherché à savoir si la réglementation provinciale des relations de travail des services policiers de Nishnawbe-Aski portait atteinte au « contenu essentiel » du chef de compétence fédérale, en l’occurrence les « Indiens » au sens du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Cette analyse requiert un examen approfondi et factuel.

[41]           En l’espèce, le CCRI s’est appuyé sur des affirmations générales. Il a déclaré de manière abstraite que les lois sur le travail visent une partie essentielle de la gestion et de l’exploitation de toute entreprise, que l’entreprise en cause en l’espèce fournit des services policiers rattachés à l’autonomie gouvernementale autochtone, matière dont débattent le gouvernement fédéral et de nombreuses Premières Nations. Il s’ensuivait donc, d’après le CCRI, que les services policiers autochtones devaient être réglementés par le gouvernement fédéral.

[42]           L’analyse du CCRI sur ce point figure au paragraphe 42 de sa décision :

En outre, le Conseil est d’avis que la réglementation, par la province, des relations du travail [des services policiers de Nishnawbe-Aski] porterait atteinte au « contenu essentiel » du pouvoir fédéral à l’égard des Indiens et des terres réservées pour les Indiens. Comme il est mentionné plus haut, le gouvernement fédéral est activement engagé dans des négociations sur l’autonomie gouvernementale avec de nombreuses Premières Nations. Par définition, ces négociations vont au cœur même des fonctions de gouvernance, y compris les services policiers. Les lois du travail ont des conséquences sur une partie essentielle de l’administration et de l’exploitation d’une entreprise (voir Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 749). Cela irait à l’encontre de la responsabilité fédérale à l’égard des Indiens et des terres réservées pour les Indiens si les lois provinciales sur le travail devaient s’appliquer aux instruments de gouvernance autochtones tels que les services de police.

[43]           Somme toute, le CCRI a conclu que « [les services policiers de Nishnawbe-Aski] relève[nt] de la compétence fédérale et que le [Code canadien du travail] s’applique à [leurs] relations avec [leurs] employés » (au paragraphe 43).

[44]           Le CCRI a rejeté la demande de la Commission des services policiers de Nishnawbe‑Aski contestant l’accréditation de la défenderesse, l’Alliance de la fonction publique du Canada.

[45]           La Commission des services policiers de Nishnawbe-Aski sollicite à présent le contrôle judiciaire de la décision du CCRI.

[46]           Bien que la décision du CCRI présente un certain nombre de lacunes, il ne s’ensuit pas nécessairement que sa conclusion est erronée. La Cour doit encore répondre à la question fondamentale suivante : les relations de travail des services policiers de Nishnawbe-Aski sont‑elles réglementées au niveau fédéral ou provincial?

C.        Analyse

[47]           La Cour suprême a exposé dans un arrêt relativement récent une méthode utile et complète pour déterminer si une matière législative particulière relève du pouvoir fédéral ou provincial : Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3.

[48]           Cette méthode n’est toutefois pas applicable en l’espèce. Pour des raisons qui m’échappent, le droit du travail est considéré comme un domaine spécial régi par des règles spéciales qui doivent être respectées. Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt NIL/TU,O, précité, au paragraphe 12, pour déterminer si les relations de travail d’une entité sont réglementées par le gouvernement fédéral ou provincial, il faut suivre une « démarche distincte », qui fait appel à « une analyse complètement différente de celle utilisée pour déterminer si une loi en particulier excède les limites du pouvoir constitutionnel du gouvernement qui l’a adoptée ».

[49]           La Loi constitutionnelle de 1867 n’attribue pas explicitement la compétence en matière de droit du travail aux législatures provinciales ou au Parlement fédéral. Cependant, depuis 1925, le droit canadien reconnaît que le droit du travail relève vraisemblablement des législatures provinciales en vertu des paragraphes 92(13) (« Propriété et droits civils ») et 92(16) (« Matières d’une nature purement locale ou privée dans la province ») de la Loi constitutionnelle de 1867 : Toronto Electric Commissioners c. Snider, [1925] A.C. 396 (C.P.). « [L]es provinces ont une compétence exclusive dans ce domaine » : Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115, à la page 132.

[50]           La compétence du Parlement fédéral à l’égard des relations de travail est l’exception : arrêt NIL/TU,O, précité, au paragraphe 11; Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53, [2009] 3 R.C.S. 407, aux paragraphes 27 et 28. De telles exceptions ont « toujours été interprétée[s] de façon restrictive » : arrêt NIL/TU,O, précité, au paragraphe 11.

[51]           La jurisprudence de la Cour suprême indique que les exceptions se divisent en deux catégories : si un objet particulier relève de l’une d’entre elles, la compétence fédérale est établie. Les deux catégories sont les suivantes :

                     les matières « qui sont étroitement liées à l’exploitation d’une entreprise, d’un service ou d’une affaire » ne relèvent plus de la compétence provinciale et ne sont plus assujetties aux lois provinciales s’il s’agit d’une entreprise, d’une affaire ou d’un service « fédéral ». La question de savoir si une entreprise relève de la compétence fédérale « dépend de la nature de l’exploitation » qui est établie à partir « [d]es activités normales ou habituelles de l’affaire en tant qu’“entreprise active”, sans tenir compte de facteurs exceptionnels ou occasionnels ». Il s’agit d’un [traduction] « jugement à la fois fonctionnel et pratique sur le caractère véritable de l’entreprise active »;

                     les matières relevant d’une compétence qui est « partie intégrante de [l]la compétence principale [du Parlement] sur un autre sujet ».

(Voir l’arrêt Northern Telecom, précité, aux pages 132 et 133, le juge Dickson (plus tard juge en chef); voir aussi l’arrêt Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum (1978), [1979] 1 R.C.S. 754, 93 D.L.R. (3d) 641.)

[52]           Peu après l’arrêt de principe Northern Telecom, la Cour suprême a dû examiner si ces exceptions s’appliquaient à une manufacture de souliers appartenant à quatre membres de bandes autochtones, ayant ses activités dans une réserve en vertu d’un permis fédéral, et employant principalement des membres de la bande : Four B Manufacturing c. Travailleurs unis du vêtement (1979), [1980] 1 R.C.S. 1031, 102 D.L.R. (3d) 385. Le contexte autochtone n’a fait aucune différence : la présomption en faveur de la compétence provinciale subsistait et ne pouvait être réfutée que si l’affaire relevait de l’une des deux catégories d’exception.

[53]           Ainsi, dans l’arrêt Four B, la Cour suprême a cherché à savoir si la présomption en faveur de la compétence provinciale était réfutée, c’est-à-dire si l’affaire tombait dans l’une des deux catégories d’exception. Comme dans les arrêts Northern Telecom et Construction Montcalm, précités, il s’agissait dans l’arrêt Four B de répondre à deux questions : (aux pages 1045 à 1047) :

                     D’un point de vue fonctionnel, la nature commerciale et les activités courantes de la manufacture en faisaient-elles une entreprise fédérale? En particulier, étant donné que cette manufacture appartenait à des actionnaires indiens, qu’elle employait une majorité d’employés indiens, qu’elle était exploitée dans une réserve indienne en vertu d’un permis fédéral, ou qu’elle avait bénéficié de certains prêts et subventions fédéraux, ces facteurs, pris ensemble ou séparément, ont‑ils un effet sur la nature de l’exploitation ou la nature fonctionnelle de cette entreprise?

                     Si la réponse à cette question n’est pas concluante, le pouvoir de réglementer les relations de travail de la manufacture fait‑il partie intégrante de la compétence fédérale exclusive à l’égard des « Indiens et [des] terres réservées pour les Indiens » en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867?

[54]           Dans l’arrêt Four B, la Cour suprême a répondu à la première question par la négative et jugé que la présomption générale selon laquelle les relations de travail relevaient de la compétence provinciale n’avait pas été réfutée. Elle a conclu que les relations de travail de la manufacture étaient réglementées au niveau provincial.

[55]           Dans son incursion la plus récente dans ce domaine du droit – l’arrêt NIL/TU,O et l’arrêt connexe Native Child –, la Cour suprême a maintenu ces deux catégories de compétence fédérale exceptionnelle.

[56]           Ainsi, l’examen préconisé reste le même que celui énoncé dans les arrêts précédents. Nous commencerons par présumer que les relations de travail sont réglementées par le gouvernement provincial et, pour déterminer si cette présomption est réfutée, nous examinerons les mêmes deux questions. En bref, nous devons effectuer :

[…] l’examen de la nature, des activités habituelles et de l’exploitation quotidienne de l’entité en question afin de déterminer s’il s’agit d’une entreprise fédérale. Cet examen est appelé le « critère fonctionnel ». C’est uniquement si ce critère ne s’avère pas concluant pour déterminer si une entreprise donnée est « fédérale » que la Cour vérifiera ensuite si la réglementation, par la province, des relations de travail de cette entité porte atteinte au « contenu essentiel » du chef de compétence fédérale.

(NIL/TU,O, précité, au paragraphe 3)

[57]           Dans l’arrêt NIL/TU,O, la majorité de la Cour suprême a pris grand soin de souligner que les deux questions sont distinctes : la question fonctionnelle doit être examinée en premier lieu, puis il faut chercher à savoir s’il a été porté atteinte au « contenu essentiel », mais seulement si la réponse à la première question n’est pas concluante.

[58]           En insistant sur ce point, la Cour suprême a expressément désapprouvé une approche contraire suivie dans certaines décisions où il est question du pouvoir fédéral à l’égard des « Indiens » au sens du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 (au paragraphe 19). À son avis, « rien ne justifie que la compétence relative aux relations de travail d’une entité soit abordée différemment lorsque le par. 91(24) est en cause » (au paragraphe 20). Les affaires autochtones n’appellent pas une approche différente.

[59]           Compte tenu de la jurisprudence susmentionnée, notre première tâche consiste à examiner la nature ou la fonction essentielle des services policiers de Nishnawbe-Aski, en nous concentrant sur leurs activités normales ou habituelles d’entreprise active, sans égard aux facteurs exceptionnels ou occasionnels.

[60]           Les précédents fournissent des enseignements quant à l’approche à adopter. Ils montrent que la méthode est très axée sur les faits, mais pas exclusivement. En appréhendant les faits, nous devons déterminer s’ils indiquent que l’entreprise ou l’organisation est de nature provinciale ou fédérale.

[61]           L’arrêt NIL/TU,O nous enseigne que nous devons examiner minutieusement les services fournis et les fonctions exercées par l’entité, eu égard au contexte légal et aux ententes de base (paragraphes 25 à 33), la source du financement (paragraphe 35) et la question de savoir si la réglementation des activités de l’entité, le pouvoir décisionnel ultime et la « nature essentielle » des activités relèvent de la compétence fédérale ou provinciale (paragraphes 36 à 38 et 40). Dans cet arrêt, la Cour suprême s’est également demandé si la « participation fédérale [était] nécessaire » pour que l’entité soit considérée comme fédérale (au paragraphe 40). Après avoir examiné la nature et les fonctions de l’entité en cause, la Cour suprême a conclu que sa « nature essentielle » et sa fonction consistaient « à fournir des services aux enfants et aux familles », une « question qui relève de la compétence provinciale » (au paragraphe 45).

[62]           Dans l’arrêt Native Child, la Cour suprême a défini et examiné la nature et les fonctions de l’organisme Native Child et a identifié le palier qui exerçait le pouvoir décisionnel final sur ses activités. Elle a ensuite cherché à savoir si l’organisme pouvait être considéré comme une entreprise fédérale ou provinciale (aux paragraphes 5 à 7). La Cour suprême a également tenu compte des ententes que l’organisme Native Child avait signées avec la province ainsi que des dispositions en matière de financement (aux paragraphes 7 et 9), et a conclu qu’il s’agissait, du point de vue fonctionnel, d’une entreprise provinciale, de sorte que la présomption en faveur de la compétence de la province n’était pas réfutée.

[63]           Dans l’arrêt Four B, la Cour suprême a examiné des questions similaires en s’attardant sur la nature et les activités de la manufacture de souliers. Elle a également examiné des questions de réglementation comme celle de savoir si des permis fédéraux importants avaient été octroyés, ou si la participation fédérale prenait d’autres formes qui seraient pertinentes au regard de la fonction de l’entreprise. Elle a conclu que la manufacture était une entreprise provinciale. Comme nous le verrons plus loin, la Cour suprême a également formulé des observations importantes sur la question de savoir si la nature autochtone de l’entreprise était pertinente.

[64]           Gardant les enseignements de ces arrêts bien à l’esprit, j’entamerai mon analyse en présumant que les relations de travail des services policiers de Nishnawbe-Aski sont réglementées par le gouvernement provincial. Pour déterminer si cette présomption est réfutée, je dois d’abord examiner la nature et la fonction essentielles de ces services policiers. À mon avis, cette fonction et cette nature consistent à fournir des services de maintien de l’ordre comme toutes les autres forces policières provinciales et municipales en Ontario, question qui relève de la compétence provinciale. La présomption voulant que ses relations de travail soient réglementées par la province n’a pas été réfutée.

[65]           Une grande partie des arguments jurisprudentiels et législatifs appuyant cette conclusion figurent aux paragraphes 9 à 27 des présents motifs, mais je les résumerai en ces termes :

                     L’Ontario a le pouvoir constitutionnel d’établir et de réglementer les services policiers provinciaux et municipaux et les agents de police aux termes des paragraphes 92(8) (« Les institutions municipales dans la province ») et 92(16) (« Matières d’une nature purement locale ou privée dans la province ») de la Loi constitutionnelle de 1867. Depuis 1895, ces chefs de compétence ont été interprétés comme incluant les pouvoirs policiers : Re Provincial Jurisdiction to pass Prohibitory Liquor Laws (1895), 24 R.C.S. 170; De Iorio c. Montréal (Ville) (1976), [1978] 1 R.C.S. 152; O’Hara c. Colombie-Britannique, [1987] 2 R.C.S. 591, 45 D.L.R. (4th) 527. L’Ontario l’a fait principalement par l’entremise de la Loi sur les services policiers.

                     Comme le démontre l’analyse aux paragraphes 24 et 25 ci-dessus, la source législative de la nomination des agents des Premières Nations est la Loi sur les services policiers provinciale, comme l’a confirmé la Cour suprême elle-même dans l’arrêt R. c. Decorte, 2005 CSC 9, [2005] 1 R.C.S. 133, au paragraphe 24. La Cour d’appel de l’Ontario est allée dans le même sens, déclarant que [traduction] « le statut d’agent des Premières Nations découle directement des dispositions qui le régissent dans la Loi sur les services policiers » : R. c. Stephens (1995), 26 O.R. (3d) 417, [1996] 1 C.N.L.R. 200.

                     Le CCRI a conclu que les services policiers de Nishnawbe-Aski tiraient leur pouvoir de l’alinéa 81(1)c) de la Loi sur les Indiens, qui prévoit que les conseils de bande peuvent adopter des règlements administratifs aux fins de « l’observation de la loi et [du] maintien de l’ordre ». Je ne suis pas d’accord. Cette disposition accorde aux conseils de bande le pouvoir d’adopter des règlements aux fins du respect de la loi et de l’ordre, rien de plus. L’une des fonctions des services policiers de Nishnawbe-Aski est d’appliquer les règlements pris en vertu de l’alinéa 81(1)c) de la Loi sur les Indiens, mais sa fonction globale est de fournir des services policiers autorisés par la Loi sur les services policiers. Comme l’ont conclu la Cour suprême et la Cour d’appel de l’Ontario, le statut d’agent des Premières Nations découle directement de la Loi sur les services policiers, et non d’une loi fédérale.

                     L’article 54 de la Loi sur les services policiers confère aux agents de Nishnawbe-Aski les pouvoirs d’agents de police aux fins de l’exercice de leurs fonctions. Ces pouvoirs incluent celui de détenir, d’arrêter et, si nécessaire, de recourir à la force.

                     L’article 54 de la Loi sur les services policiers réglemente également certains aspects des relations de travail au sein des services policiers de Nishnawbe-Aski. Cette disposition autorise le commissaire de la PPO à suspendre ou à congédier un agent des Premières Nations et prévoit la procédure applicable.

                     Les agents des Premières Nations employés par la Commission des services policiers de Nishnawbe-Aski sont assujettis à plusieurs dispositions de la Loi sur les services policiers et des règlements pris en vertu de celle-ci. Ils sont assujettis aux mêmes organismes réglementaires que les agents d’autres services policiers en Ontario.

                     La nature essentielle des services policiers de Nishnawbe-Aski consiste à fournir des services de police à toute la population, autochtone ou non, qui se trouve dans la région de Nishnawbe-Aski. Les agents des Premières Nations sont tenus d’appliquer la loi à tous. Il en va de même de tous les agents de police en Ontario.

                     La nomination des agents des Premières Nations de Nishnawbe-Aski en application de l’article 54 de la Loi sur les services policiers les autorise à exercer un pouvoir policier partout en Ontario, mais non à l’extérieur de cette province. L’article 7.1 de l’entente de 1998 le confirme : il confère aux agents des Premières Nations de Nishnawbe-Aski le pouvoir d’appliquer [traduction] « toutes les lois, principalement dans la région de Nishnawbe-Aski et partout ailleurs dans la province de l’Ontario, au besoin ».

                     Les services policiers de Nishnawbe-Aski ne se limitent pas au maintien de l’ordre dans les réserves. Près d’un tiers de son personnel est affecté à l’extérieur de la réserve.

                     Les recrues des services policiers de Nishnawbe-Aski doivent suivre une formation au Collège de police de l’Ontario, comme tous les autres agents de police réglementés par la province.

                     Lorsque les services policiers de Nishnawbe-Aski ont été créés, tous leurs agents ont été mutés de la PPO. Les agents de Nishnawbe-Aski continuent de remplir essentiellement les mêmes fonctions que lorsqu’ils étaient agents de la PPO.

                     Du point de vue fonctionnel, les services policiers de Nishnawbe-Aski sont intégrés à plusieurs égards à d’autres services de police ontariens, comme la PPO. Par exemple, les services policiers de Nishnawbe-Aski utilisent souvent des installations provinciales et municipales pour détenir des contrevenants. Les services policiers de Nishnawbe-Aski et la PPO s’offrent une assistance mutuelle pour le transport de contrevenants. Les services policiers de Nishnawbe-Aski suivent des protocoles s’appliquant aux demandes d’assistance de la PPO dans certaines circonstances. Lorsqu’il y a poursuite d’un contrevenant, les services policiers de Nishnawbe-Aski relèvent de la supervision de la PPO. Les superviseurs de la police de Nishnawbe-Aski se soumettent à des tests provinciaux normalisés. Enfin, les services policiers de Nishnawbe-Aski et la PPO sont liés par une entente de réciprocité non officielle les autorisant à s’aider mutuellement dans certaines circonstances.

                     Les services policiers de Nishnawbe-Aski sont financés à 48 p. cent par l’Ontario et à 52 p. cent par le gouvernement fédéral, mais le financement de l’Ontario est plus important dans le cadre de certains programmes.

                     Les services policiers de Nishnawbe-Aski sont autonomes et indépendants de la Nation Nishnawbe-Aski et des membres des bandes des Premières Nations qui la composent.

                     L’article 2 de la Loi sur les services policiers exclut de la définition d’« agent de police » les agents des Premières Nations. Cela signifie qu’un grand nombre de dispositions générales de la Loi visant les agents de police partout en Ontario ne s’appliquent pas aux agents des Premières Nations. Cette situation a pour effet pratique de permettre aux communautés des Premières Nations, en consultation avec le gouvernement fédéral et celui de l’Ontario, d’élaborer des ententes policières tripartites, telles que l’Entente sur les services policiers de Nishnawbe-Aski, afin de spécifier le type de services policiers qui convient aux communautés autochtones. Ainsi, toute caractéristique particulière des services policiers de Nishnawbe-Aski qui permet d’adapter le maintien de l’ordre à la région de Nishnawbe-Aski est autorisée par la Loi sur les services policiers provinciale. Ces caractéristiques ne découlent aucunement du pouvoir fédéral à l’égard des « Indiens » visé au paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[66]           Comme je l’ai indiqué, les services policiers de Nishnawbe-Aski doivent offrir leurs services de maintien de l’ordre principalement à des peuples autochtones, dans un esprit d’adaptation culturelle. À l’occasion, ils doivent appliquer et faire respecter des règlements des bandes. Ces éléments réfutent-ils la présomption selon laquelle les relations de travail des services policiers de Nishnawbe-Aski sont réglementées par la province? Je ne le pense pas.

[67]           Dans l’arrêt NIL/TU,O, l’organisme en cause exerçait ses activités au sein d’une communauté autochtone. Ses services étaient destinés au bien-être des familles et touchaient ainsi le cœur même de la vie et de la culture autochtones. Il devait fournir ses services d’une manière qui soit culturellement adaptée. La Cour suprême a toutefois jugé que ces facteurs ne modifiaient pas la nature provinciale de ses activités. D’un point de vue fonctionnel, la Cour suprême a conclu que « [l]a communauté visée par les activités de NIL/TU,O à titre d’agence d’aide à l’enfance ne change pas ce qu’elle fait, soit offrir des services d’aide à l’enfance », à savoir une entreprise provinciale (au paragraphe 45).

[68]           De même, dans l’arrêt Native Child, après avoir examiné la fonction de l’organisme, la Cour suprême a conclu qu’il s’agissait également d’une entreprise provinciale. Même s’il devait offrir ses services dans la réserve d’une manière efficace et culturellement adaptée à la communauté autochtone, cela ne modifiait pas la nature essentielle de ses activités. Pour citer la Cour suprême, « l’identité des clients de Native Child influence, et devrait influencer, la façon dont l’agence dispense ses services, mais cela ne modifie pas la nature essentielle de ses activités » (au paragraphe 11).

[69]           De même, dans l’affaire Four B, le fait que la manufacture de souliers appartenait à des actionnaires autochtones, qu’elle employait des travailleurs autochtones et qu’elle menait ses activités dans la réserve n’a pas eu d’incidence sur la nature fonctionnelle de l’entreprise, qui était provinciale (à la page 1046) :

Rien dans l’affaire ou l’exploitation de Four B ne pourrait permettre de la considérer comme une affaire de compétence fédérale : la couture d’empeignes sur des souliers de sport est une activité industrielle ordinaire qui relève nettement du pouvoir législatif provincial sur les relations de travail.

Encore une fois, il faut s’attarder sur les activités de l’entité, et non sur la communauté qui bénéficie de ces activités.

[70]           Le fait que les services policiers de Nishnawbe-Aski présentent la caractéristique distinctive de desservir des communautés autochtones n’enlève rien à sa nature essentielle de force policière réglementée à tous égards par la province. Ce que notait la Cour suprême dans l’arrêt NIL/TU,O, précité, au paragraphe 39, s’applique tout aussi bien aux services policiers de Nishnawbe-Aski :

Ni l’identité culturelle des clients et des employés de NIL/TU,O, ni son mandat qui consiste à fournir à ses clients autochtones des services adaptés à leur culture, ne réfute la présomption selon laquelle les relations de travail sont réglementées par le gouvernement provincial. Comme l’a souligné la Cour d’appel, les services sociaux doivent, pour être efficaces, cibler une clientèle. Cette tentative de fournir des services utiles à une communauté en particulier ne peut toutefois pas écarter la compétence provinciale principale sur les relations de travail des fournisseurs de services. La fonction de NIL/TU,O est incontestablement provinciale.

[71]           Il est vrai que les agents de police de Nishnawbe-Aski appliquent, entre autres choses, des règlements pris par les bandes, quoiqu’il ne s’agisse que d’une partie négligeable de leurs fonctions : [traduction] Rapport annuel de la Commission des services policiers de Nishnawbe-Aski 2011-2012 (0,6 p. cent seulement des incidents totaux durant l’année d’exploitation). Il est vrai aussi que l’application des règlements des bandes peut aider la Nation Nishnawbe-Aski à gouverner ses régions, et qu’un objectif important des services policiers de Nishnawbe-Aski est de promouvoir l’autonomie gouvernementale autochtone et d’y contribuer. Ces éléments n’ont toutefois rien à voir avec le caractère factuel des activités véritables de ces services policiers. Comme les organismes de protection de l’enfance qui étaient en cause dans les affaires NIL/TU,O et Native Child, au vu du présent dossier, les fonctions et les activités des services policiers de Nishnawbe-Aski ne peuvent qu’être qualifiées de provinciales par nature : il s’agit de fonctions et d’activités adaptées à une communauté particulière, sans plus.

[72]           Comme je l’ai déjà indiqué, si et seulement si la réponse à la première étape de l’examen – concernant la nature, les activités habituelles et quotidiennes de l’entité en cause – n’est pas concluante, nous passons à l’étape suivante de déterminer si la réglementation provinciale de l’entité porte atteinte au « contenu essentiel » du chef de compétence fédérale. En l’espèce, la première réponse est concluante. La nature, les activités habituelles et quotidiennes des services policiers de Nishnawbe-Aski sont de nature provinciale. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’aller plus loin.

[73]           Compte tenu de ce qui précède, les relations de travail des services policiers de Nishnawbe-Aski sont réglementées par le gouvernement provincial et non fédéral. Par conséquent, le CCRI n’avait pas le pouvoir de rendre les ordonnances en cause et d’accréditer l’Alliance de la fonction publique du Canada comme l’agent négociateur des deux unités de négociation d’employés de la Commission des services policiers de Nishnawbe-Aski. Le CCRI aurait dû faire droit à la demande de la Commission des services policiers de Nishnawbe-Aski et annuler les ordonnances d’accréditation.

D.        Dispositif proposé

[74]           Pour les motifs qui précèdent, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire, j’annulerais la décision rendue par le Conseil canadien des relations industrielles le 25 novembre 2013 dans le dossier numéro 29211‑C, et j’ordonnerais au Conseil de faire droit à la demande de la Commission des services policiers de Nishnawbe-Aski et d’annuler les ordonnances d’accréditation. J’adjugerais à la Commission des services policiers de Nishnawbe-Aski ses dépens liés à la demande.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-432-13

DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE D’UNE DÉCISION DU CONSEIL CANADIEN DES RELATIONS INDUSTRIELLES RENDUE LE 25 NOVEMBRE 2013.

INTITULÉ :

LA COMMISSION DES SERVICES POLICIERS NISHNAWBE-ASKI c. L’ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ONTARIO

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 septembre 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE WEBB

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 OCTOBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

David G. Cowling

 

POUR LA demanderesse

 

Andrew Raven

Michael Fisher

 

POUR LA défenderesse

 

Bruce Ellis

Brenda Jones

POUR L’INTERVENANT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Johnstone & Cowling LLP

Toronto (Ontario)

 

pour la demanderesse

 

Raven, Cameron, Ballantyne

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA défenderesse

 

Procureur général de l’Ontario

Toronto (Ontario)

POUR L’INTERVENANT

 

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