Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20151027


Dossier : A‑365‑14

Référence : 2015 CAF 227

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

 

ENTRE :

NICK MANCUSO, THE RESULTS COMPANY INC., DAVID ROWLAND, LIFE CHOICE LTD. (ISSUE DE LA FUSION ET DE L’INCORPORATION D’E.D. MODERN DESIGN LTD. ET D’E.G.D. MODERN DESIGN LTD.) ET

ELDON DAHL, ET

AGNESA DAHL

appelants

et

MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN‑ÊTRE SOCIAL, PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE, GENDARMERIE ROYALE DU CANADA ET SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

intimés

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 9 septembre 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20151027


Dossier : A‑365‑14

Référence : 2015 CAF 227

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

 

ENTRE :

NICK MANCUSO, THE RESULTS COMPANY INC., DAVID ROWLAND, LIFE CHOICE LTD. (ISSUE DE LA FUSION ET DE L’INCORPORATION D’E.D. MODERN DESIGN LTD. ET D’E.G.D. MODERN DESIGN LTD.) ET

ELDON DAHL, ET

AGNESA DAHL

 

appelants

et

MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN‑ÊTRE SOCIAL, PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE, GENDARMERIE ROYALE DU CANADA ET SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA  

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

[1]               Les présents appel et appel incident découlent d’un jugement de la Cour fédérale, daté du 16 juillet 2014, portant radiation de la déclaration des appelants : 2014 CF 708. En résumé, les appelants ont intenté une action afin de contester la compétence constitutionnelle du législateur fédéral d’adopter un régime réglementaire encadrant la production et la vente de produits de santé naturels, notamment des vitamines, des compléments alimentaires et des suppléments nutritionnels. Si le régime est jugé constitutionnel, les appelants contestent subsidiairement le pouvoir délégué par la loi de prendre des règlements et ils allèguent également divers manquements à la Charte ainsi que le comportement délictueux de certains fonctionnaires dans l’administration et l’application du régime réglementaire. Les appelants sollicitent des jugements déclaratoires portant invalidité de la loi et du règlement ainsi que la suspension de ceux-ci.

[2]               Sous la plume du juge James Russell (le juge), la Cour fédérale a fait droit à la requête en radiation des défendeurs. Les appelants interjettent appel de l’ordonnance de radiation de la déclaration. Si la Cour devait conclure que le juge n’a pas radié la déclaration dans son intégralité, les intimés ont formé un appel incident soutenant que le juge a eu tort de ne pas le faire.

[3]               Par les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel et l’appel incident.

I.                   La déclaration

[4]               Dans leur déclaration, les demandeurs allèguent être consommateurs, distributeurs et producteurs de « produits de santé naturels » au Canada. Ils sont des personnes physiques et des entreprises. Les « produits de santé naturels » sont réglementés à titre de « drogues » au sens de l’article 2 de la Loi sur les aliments et drogues (L.R.C. 1985, ch. F‑27) (la LAD) et du Règlement sur les produits de santé naturels, (DORS 2003‑196) (le Règlement). L’inobservation de ces dispositions est passible de sanctions réglementaires et pénales.

[5]               Par leur déclaration, les demandeurs soutiennent que le paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 ne confère pas au législateur fédéral la compétence législative de réglementer les produits de santé naturels. Ils soutiennent que la compétence du législateur fédéral se limite à la réglementation des substances qui comportent des risques pour la santé et qu’il ne peut élargir cette compétence aux produits qui ne posent pas de risque pour la santé, ou qui ne présentent que peu de risques, comme les produits de santé naturels. Subsidiairement, les demandeurs affirment que le Règlement définissant le mot « drogue » est de portée excessive, que le législateur fédéral n’avait pas l’intention d’englober les produits de santé naturels dans la définition de ce mot défini à l’article 2 de la LAD, et qu’en conséquence le Règlement excède les pouvoirs délégués par la LAD.

[6]               Les demandeurs soutiennent aussi que le Règlement dans son ensemble, ainsi que certaines de ses dispositions spécifiques (comme celles interdisant la fabrication et la vente d’un « produit de santé naturel » sans la détention d’un « numéro de produits naturels » ou NPN) portent atteinte aux alinéas 2a), 2b), et aux articles 7, 9 et 15 de la Charte. Des manquements à l’article 8 découleraient aussi des perquisitions et des saisies dont certains des demandeurs ont fait l’objet aux termes de la LAD et du Règlement ainsi que de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (L.C. 1996, ch. 19).

[7]               Les demandeurs soutiennent également que lors de la mise en œuvre et de l’application du régime réglementaire, des agents et fonctionnaires des défendeurs ont commis des actes délictueux dans l’exercice des pouvoirs de l’État, dont le fait d’avoir porté des accusations malveillantes et d’avoir commis le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique. Ils demandent des dommages‑intérêts pour perte de profit, atteinte à la réputation, préjudice moral ainsi que des dommages‑intérêts punitifs et exemplaires et des dommages‑intérêts aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte. Ils demandent à ce que l’action soit jugée par jury.

II.                Analyse

A.                Norme de contrôle

[8]               Notre jurisprudence Imperial Manufacturing Group Inc. c. Decor Grates Incorporated, 2015 CAF 100, enseigne que la norme de contrôle habituelle en matière d’appel s’applique aux décisions rendues par un juge de première instance sur des questions de procédure, et qu’en conséquence, les conclusions portant sur des questions de fait et des questions mélangées de fait et de droit (où les faits dominent) ne doivent être modifiées que lorsqu’elles sont entachées d’une erreur manifeste et dominante. Les conclusions portant sur des questions de droit et sur des questions de droit dont il est possible de cerner la nature à partir de questions mélangées de fait et de droit n’appellent aucune retenue judiciaire, et elles sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[9]               Je conclus que le juge a correctement énoncé et appliqué les principes directeurs en matière de requête en radiation et qu’il n’a commis aucune erreur en concluant que la déclaration ne respectait pas les règles relatives aux actes de procédure.

B.                 Question préliminaire – La portée de la décision du tribunal de première instance

[10]           Au premier paragraphe de sa décision, le juge observe que la Cour « [r]adie la déclaration en vertu de l’article 221 des Règles des Cours fédérales conformément aux motifs qui ont été exposés ». Les appelants soutiennent que cette conclusion devrait être interprétée comme signifiant que la déclaration est radiée, mais que certains paragraphes ne le sont pas en raison de certaines parties des motifs qui permettent de les maintenir. Je ne crois pas qu’est bien fondé cet argument. Le juge voulait radier la totalité de la déclaration et autoriser les demandeurs à présenter une « nouvelle déclaration modifiée » épurée des vices qui entachent l’acte de procédure qui lui a été présenté.

[11]           Il est exact que le juge a conclu que certains paragraphes de la déclaration étaient inattaquables. Il a reconnu, par exemple, que les demandeurs étaient en mesure d’obtenir, dans le cadre d’une action devant la Cour fédérale, des jugements déclaratoires d’invalidité fondés sur des moyens puisés dans le droit constitutionnel et administratif, ainsi que des dommages‑intérêts et la restitution de sommes d’argent. Il a également reconnu que les faits allégués à l’appui de la contestation générale de la validité du régime [réglementaire] puissent aussi servir pour les demandes de réparation individuelle. Le juge a en outre reconnu que certains paragraphes et alinéas de la déclaration étaient également inattaquables (voir, par exemple, les alinéas 1a), 1b) et 1d), le sous‑alinéa 1e)(i) ainsi que les paragraphes 2, 3 et 18).

[12]           L’interprétation du jugement faite par les demandeurs ne trouve cependant aucun appui dans les termes clairs du jugement : « Radie la déclaration […] ». En outre, à la lecture de ses motifs, il ne peut y avoir aucun doute que le juge a radié la déclaration dans son ensemble. Il s’est dit d’avis que la demande exigeait d’entamer un vaste débat sur la pertinence et la manière de réglementer les produits de santé naturels. Le juge a fait allusion à plusieurs reprises à l’incapacité des défendeurs de faire état de moyens de défense, compte tenu de la portée ou de l’ampleur des allégations et de l’absence de faits essentiels sous‑jacents ou de précisions; lorsqu’il a examiné la question des dépens, le juge a qualifié les actes de procédures [traduction« d’extrêmement lourds » et les a jugés [traduction] « non conformes ». Compte tenu du nombre de paragraphes et d’alinéas radiés, et de leur répartition dans la déclaration, ceux qui subsisteraient donneraient lieu à une lecture difficile et décousue qui serait en plus complètement dépourvue de faits essentiels.

[13]           Même si certains paragraphes dans lesquels un jugement déclaratoire est sollicité ne sont pas précisément visés par la radiation, ces observations doivent être interprétées à la lumière de l’examen approfondi effectué par le juge quant à l’existence d’un faisceau de faits comme condition préalable nécessaire pour statuer sur la question de constitutionnalité. Le juge a conclu que les demandeurs tentaient de contester l’ensemble du système de classification et d’inspection auquel les aliments, les compléments alimentaires et les vitamines sont assujettis, ainsi que les mesures d’application de la loi dont ils font l’objet. Il a signalé que l’acte de procédure n’indiquait pas avec précision lesquels des 55 000 produits de santé naturels étaient en cause et qu’il n’établissait pas de lien entre les produits et les demandeurs. Il a conclu que les actes de procédure ne fournissaient aucun fondement factuel pouvant justifier le prononcé d’un jugement déclaratoire d’une aussi large portée.

[14]           La thèse portant que le juge a autorisé que le volet de l’action relatif aux jugements déclaratoires ne soit pas modifié va également à l’encontre du mémoire des faits et du droit des appelants dans lequel ceux‑ci reconnaissent eux‑mêmes, au paragraphe 21, que [traduction« la Cour a commis une erreur en radiant la déclaration dans son entièreté ».

[15]           En conséquence, l’appel incident n’est pas nécessaire et doit être rejeté.

C.                L’exigence des faits matériels (substantiels)

[16]           L’instruction d’un procès requiert du demandeur qu’il allègue des faits matériels suffisamment précis à l’appui de la déclaration et de la mesure sollicitée. Comme le juge l’a relevé, les « actes de procédure jouent un rôle important pour aviser les intéressés et définir les questions à trancher, et la Cour et les parties adverses n’ont pas à émettre des hypothèses sur la façon dont les faits pourraient être organisés différemment pour appuyer diverses causes d’action ».

[17]           La dernière partie de cette exigence, soit l’exposé de faits matériels suffisamment précis, constitue le fondement des actes de procédure correctement rédigés. Si un juge autorisait les parties à avancer de simples affirmations de fait, ou de simples conclusions de droit, les actes de procédure ne rempliraient pas le rôle qui leur revient, soit celui de cerner les questions en litige. Il est essentiel que le défendeur ait en main des actes de procédure correctement rédigés de façon à préparer son système de défense. Les faits matériels servent à encadrer les interrogatoires préalables et permettent aux avocats de conseiller leur client, à préparer leurs moyens et à établir une stratégie en vue du procès. Qui plus est, les actes de procédure permettent de définir les paramètres d’appréciation de la pertinence d’éléments de preuve lors des interrogatoires préalables et de l’instruction du procès.

[18]           Il n’existe pas de démarcation très nette entre les faits matériels et les simples allégations ni entre l’exposé de faits matériels et l’interdiction de plaider certains éléments de preuve. Ce ne sont que deux points d’un même ligne continue, et il appartient au juge de première instance, lequel dispose d’une vue d’ensemble des actes de procédure, de voir à ce que les actes de procédure cernent les questions en litige avec une précision suffisante pour assurer la saine gestion et l’équité de l’instruction et des phases préparatoires à l’instruction.

[19]           La pertinence des faits est établie en fonction du moyen et des dommages‑intérêts réclamés. Le demandeur doit énoncer, avec concision, mais suffisamment de précision, les éléments constitutifs de chacun des moyens de droit ou de fait soulevé. L’acte de procédure doit indiquer au défendeur par qui, quand, où, comment et de quelle façon sa responsabilité a été engagée.

[20]           L’exigence des faits substantiels est consacrée par les règles de pratique des Cours fédérales et d’autres juridictions : voir Règles des Cours fédérales, article 174; Alta. Reg. 124/2010, art. 13.6; B.C. Reg. 168/2009, par. 3‑1(2); N.S. Civ. Pro. Rules, art. 14.04; L.R.O. 1990, Règl. 194, art. 25.06. Bien qu’il appartienne au juge de première instance de déterminer ce qui constitue des faits substantiels en fonction des moyens invoqué et des dommages‑intérêts demandés, l’exigence de faire état de faits substantiels de manière suffisante a un caractère impératif. Le demandeur ne peut déposer des actes de procédures qui ne sont pas suffisants et ensuite compter sur le défendeur pour présenter une demande de précisions, pas plus qu’il ne peut les compléter au moyen de précisions visant à les rendre suffisants : AstraZeneca Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2010 CAF 112.

D.                Moyens tirés de violations de la Charte

[21]           Il n’existe pas de règles distinctes visant les actes de procédure dans les affaires relatives à la Charte. L’exigence des faits substantiels vise autant les moyens tirés de violations de la Charte qu’aux moyens tirés de la common law. La Cour suprême du Canada a défini par sa jurisprudence l’essence de chaque droit garanti par la Charte, et le demandeur est tenu d’alléguer des faits substantiels suffisants pour répondre au critère applicable à la disposition en cause. Il ne s’agit pas là d’une simple formalité, « au contraire, elle est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte » : Mackay c Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, à la page 361.

[22]           En ce qui concerne l’ensemble des moyens tirés de la Charte, le juge a conclu que les demandeurs n’avaient précisé aucun produit de santé naturel auquel ils n’avaient pu avoir accès pas plus qu’ils n’avaient allégué comment la situation découlant de cette entorse à leurs droits aurait pu faire l’objet d’une protection garantie par les dispositions de la Charte invoquées. Par exemple, si est avancée une violation de l’alinéa 2a), il faut que la pratique ou la croyance du demandeur ait un lien avec une croyance ou pratique religieuse, ou une morale laïque : Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, 2004 CSC 47, à la page  56. En l’espèce, aucun fait pertinent n’a été allégué permettant d’affirmer que la consommation de produits de santé naturels ou la vente, par les demandeurs, se reportait, de quelque façon que ce soit, avec une telle pratique ou croyance religieuse. De façon similaire, dans la mesure où les demandeurs affirment qu’il a été porté atteinte à leur liberté d’expression, aucun fait pertinent n’a été allégué en ce qui a attrait aux communications que les demandeurs ont eu l’intention de transmettre ou recevoir, et auxquelles l’application du régime réglementaire aurait porté atteinte, cette atteinte étant une condition préalable à l’existence d’une violation à l’alinéa 2b).

[23]           En ce qui a trait aux moyens tirés de sur l’article 7, les demandeurs doivent alléguer des faits pertinents pour affirmer que des restrictions sur la disponibilité de produits de santé naturels ont porté atteinte à leur droit à la sécurité de la personne ou à leur liberté. Là encore, comme le juge l’a fait remarquer, les demandeurs n’ont pas désigné de produits précis dont l’accès leur aurait été refusé, ni expliqué comment ce refus aurait pu constituer une atteinte à l’article 7. Une atteinte aux droits garantis par l’article 7 touche normalement un choix de vie fondamental de la personne qui l’allègue ou à des questions intrinsèquement liées à son bien‑être : Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.‑B.), [1985] 2 R.C.S. 486; R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30. En l’absence d’allégation visant spécifiquement une drogue réglementée à laquelle les demandeurs n’ont pu avoir accès, ou d’un exposé de la manière dont l’usage qu’ils en font a été restreint, de sorte que les droits garantis par l’article 7 puissent jouer, le défendeur aurait à deviner la teneur de la thèse qu’il doit réfuter pour répondre à une atteinte aux droits garantis par l’article 7.

[24]           De façon similaire, pour établir une violation de l’article 15, le demandeur doit premièrement établir que la discrimination dont il allègue avoir été victime repose sur un des motifs recensés à l’article 15 ou sur un motif analogue. Bien que les appelants aient allégué que le choix en matière de nourriture, suppléments et vitamines constitue un motif analogue, ils n’ont pas invoqué de faits à l’appui de cette allégation ni de faits étayant les autres éléments constitutifs d’une violation à l’article 15, comme la manière dont l’application de la réglementation au produit perpétue un désavantage ou un préjudice équivalant à une discrimination véritable : Withler c. Canada (Procureur général), [2011] 1 R.C.S. 396, 2011 CSC 12, aux paragraphes 30 et 31.

E.                 Les personnes morales demanderesses

[25]           Le juge a, à juste titre, radié les allégations de violations de la Charte formulées par les personnes morales demanderesses. Une personne morale ne peut présenter une contestation fondée sur l’article 7 de la Charte pour une mesure prévue au paragraphe 24(1) ou à l’article 52, à moins d’agir en tant que défenderesse dans une poursuite de nature pénale ou réglementaire, ou qu’elle fasse l’objet de mesures de contrainte, comme une injonction, appliquées à l’initiative de l’État dans le cadre d’une procédure relative à une infraction réglementaire : R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295; Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, [1998] 3 R.C.S. 157. Les allégations formulées par les personnes morales défenderesses sont également entachées des mêmes vices que le juge a relevés à l’égard des personnes physiques demanderesses. Les allégations formulées par les personnes morales demanderesses pour atteinte au « droit à l’égalité, en tant qu’impératif structurel du principe sous-jacent de la Loi constitutionnelle de 1867 », ainsi que celles concernant des violations aux droits que l’alinéa 2b) confère aux personnes morales, ne reposaient sur aucun fondement factuel dans les actes de procédure. De toute manière, une personne morale ne peut invoquer les droits garantis par l’article 15.

F.                 Les moyens tirés de la responsabilité civile délictuelle

[26]           La rédaction adéquate de moyens tirés de la responsabilité civile exige que le délit civil spécial reproché soit énoncé et que les faits pertinents nécessaires pour établir les éléments du délit soient exposés. Comme le juge l’a souligné, bien que les appelants aient invoqué plusieurs délits, dont la commission d’une faute dans l’exercice d’une charge publique, ils n’ont établi aucun lien entre une conduite donnée et les éléments constitutifs du délit. Par exemple, dans le cas du délit de faute dans l’exercice d’une charge publique, il est nécessaire d’alléguer l’existence d’un état mental particulier chez un fonctionnaire, c’est‑à‑dire qu’il doit avoir agi délibérément d’une manière qu’il savait incompatible avec ses obligations juridiques : Succession Odhavji c. Woodhouse, 2003 CSC 69; Administration portuaire de St. John’s c. Adventure Tours Inc., 2011 CAF 198; Merchant Law Group c. Canada (Agence du revenu), 2010 CAF 184. La déclaration en l’espèce ne satisfait pas à cette exigence.

[27]           La simple assertion d’une conclusion ne constitue pas une allégation d’un fait important. Le juge a radié à bon droit plusieurs paragraphes qui sous‑tendent les allégations en responsabilité civile délictuelle au motif que, à eux seuls, ils ne contenaient que des déclarations catégoriques. Il a aussi conclu que les allégations de mauvaise foi et d’abus de pouvoir étaient composées d’une série d’affirmations et de conclusions, et qu’elles ne satisfaisaient pas aux normes applicables aux actes de procédure énoncées aux paragraphes 34 et 35 de l’arrêt Merchant Law.

[28]           Le juge a examiné les allégations de comportement délictueux dans la mise en œuvre et l’application du Règlement à la lumière de ces principes et il a conclu que la justesse des méthodes d’application ne pouvait être appréciée que si l’on connaît tous les faits ainsi que le contexte d’une mesure ou d’une série de mesures données. Or, l’on ne s’est borné qu’à invoquer l’existence d’un usage courant sans citer de cas concrets, ce qui ne permet pas d’établir clairement si le comportement « est exigé par la Loi ou par le Règlement ou par une politique ou une directive administrative ou s’ils font allusion à ce que des fonctionnaires ont choisi de faire » (motifs de la Décision, au paragraphe 106).

G.                Dommages‑intérêts

[29]           Citant la jurisprudence, Mackin et Ward, le juge a rejeté à bon droit la demande de réparation fondée sur le paragraphe 24(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 : Mackin c. Nouveau‑Brunswick (Ministre des Finances); Rice c. Nouveau‑Brunswick, [2002] 1 R.C.S. 405, 2002 CSC 13; Vancouver (Ville) c. Ward, [2010] 2 R.C.S. 28, 2010 CSC 27; Henry c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2015  CSC 24. En règle générale, la jurisprudence n’accorde pas de dommages‑intérêts simplement pour un préjudice découlant de l’application d’une loi subséquemment déclarée inconstitutionnelle. Les demandeurs ont allégué que les actes accomplis par les défendeurs étaient « clairement fautifs ou entachés de mauvaise foi ou d’abus de pouvoir » – un des éléments qui sont habituellement requis en matière d’actions en dommages‑intérêts fondées sur le paragraphe 24(1) de la Charte –, mais ils n’ont pas fait état de faits substantiels illustrant de quelle manière le Règlement et sa mise en application constituent une grave erreur, de la mauvaise foi ou un abus de nature à donner ouverture au droit à des dommages‑intérêts accordés en vertu de la Charte. Ils n’ont également fourni aucun détail sur un quelconque comportement susceptible d’aller dans le sens d’une action en dommages‑intérêts.

H.                Jugement déclaratoire

[30]           Comme nous l’avons déjà souligné, le juge n’a pas expressément radié les paragraphes de la déclaration par lesquels des jugements déclaratoires étaient sollicités concernant la constitutionnalité du régime, soit aux termes de la Loi constitutionnelle de 1867, soit aux termes de la Charte. Il n’a pas non plus expressément radié les demandes de jugement déclaratoire concernant les contestations fondées sur le droit administratif quant à la portée de la définition du mot « drogue » énoncée à l’article 2 de la LAD et dans le Règlement.

[31]           Les appelants avancent qu’il est néanmoins possible d’instruire leur action en fonction des paragraphes non radiés. Selon eux, l’absence de fait pertinent dans la déclaration ne pose aucun problème, ni l’absence de lien entre le régime contesté et les effets qu’il produit sur eux en tant que demandeurs. Leur thèse repose sur le principe selon lequel il est en tout temps possible de présenter des demandes de jugement déclaratoire distinctes relativement à la constitutionnalité des lois ou des pouvoirs délégués par la loi.

[32]           Sur ce dernier point, il n’y a nul doute. Il est possible d’accorder des jugements déclaratoires distincts en matière de constitutionnalité : Canadian Transit Company c. Windsor (Corporation of the City), 2015 CAF 88. Toutefois, le droit d’obtenir une mesure ne permet pas de contourner les règles de procédure. Même les purs jugements déclaratoires de validité constitutionnelle exigent que des faits pertinents suffisants soient allégués à l’appui de la demande. Les questions relatives à la Charte ne peuvent être tranchées dans l’abstrait (Mackay c. Manitoba, précité), pas plus que des questions de compétence législative en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867 ne peuvent être tranchées sans fondement factuel adéquat, lequel doit être exposé dans la déclaration. Cela est d’autant plus vrai lorsque le contentieux porte sur les effets de la loi contestée : Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086, à la page 1099.

[33]           La Cour suprême du Canada a formulé au paragraphe 46 de l’arrêt Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44, les conditions préalables à la reddition d’un jugement déclaratoire : le juge a compétence sur l’objet du litige et la question dont il est saisi est réelle et non simplement théorique en ce que la personne qui la soulève a un intérêt véritable à le faire.

[34]           Appliquant la jurisprudence Khadr, la Cour a insisté, aux paragraphes 77 à 79 de l’arrêt Canada (Affaires indiennes) c. Daniels, 2014 CAF 101 (autorisation d’appel accordée), sur les risques que comporte la contestation générale d’une loi non fondée sur des faits – en d’autres termes, une contestation qui ne remplit pas la deuxième condition formulée par la jurisprudence Khadr. La juge Dawson a signalé qu’il est possible de confirmer la validité d’une loi lorsqu’elle vise certaines circonstances, et de conclure à son inconstitutionnalité lorsqu’elle vise d’autres cas. Le juge doit saisir la portée d’une loi de façon à être en mesure d’apprécier si, et dans quelle mesure, cette loi excède la compétence du législateur. Il ne peut décider que le Parlement a outrepassé les limites de sa compétence législative et qu’il s’en est suivi des effets qui ne sont pas simplement accessoires sur des matières réservées aux provinces, sans examiner ce que sa loi accomplit réellement. Les faits sont essentiels pour délimiter les compétences législative et constitutionnelle. En l’espèce, ces risques sont particulièrement élevés; comme le juge l’a signalé, la loi en cause vise littéralement des milliers de suppléments de santé naturels.

[35]           Cela ne constitue pas une règle de droit nouveau. Les demandeurs citent la jurisprudence Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821 laquelle reconnaîtrait l’existence du droit général de demander un jugement déclaratoire, mais cette jurisprudence enseigne également qu’il doit y avoir « une “véritable question” à trancher concernant [les] intérêts respectifs [des parties] ». Notre Cour ne peut conclure que cette exigence est remplie en l’absence d’allégations de faits qui précisent cette véritable question ainsi que son lien avec les demandeurs et leur demande.

[36]           En conclusion, même si la Cour fédérale a jugé à bon droit que les demandes de jugement déclaratoire n’étaient pas intrinsèquement erronées (sous‑alinéas 1a)(ix) à 1b)(v)), l’action ne pouvait être instruite en ce qui a trait aux questions d’ordre constitutionnel sur le seul fondement des demandes. La Cour a radié les paragraphes sur lesquels reposeraient les violations constitutionnelles alléguées, faisant ainsi disparaître le fondement qui aurait rendu possible l’instruction de ces demandes.

I.                   Les atteintes à l’article 8

[37]           La dernière question en litige concerne la thèse portant que les perquisitions faites par des agents des défendeurs auprès de certains des appelants ont enfreint l’article 8 de la Charte. Le juge a radié ces allégations au motif qu’elles avaient déjà été soulevées et tranchées dans le cadre de procédures criminelle et réglementaire : R v. Dahl, 120998, le 26 mars 2004 (Cour provinciale de la C.‑B.); R v. Eldon Garth Dahl, Agnesa Dahl and EDG Modern Design Ltd, 100237221Q3 (B.R. de l’Alb.)). Le juge a donc conclu que la demande fondée sur l’article 8 de la Charte constituait une attaque indirecte des décisions de la Cour provinciale et de la Cour du Banc de la Reine, et aussi un abus de procédure.

[38]           Les appelants ont avancé trois arguments. Selon leurs premier et deuxième arguments, ces doctrines ne jouent pas parce que le for et la mesure demandée sont différents. En outre, selon eux, le juge a eu tort de radier l’allégation pour cause d’abus de procédure et de contestation indirecte au stade de la requête préliminaire. Sur cette dernière question, ils ont déclaré qu’ils produiraient des éléments de preuve au procès qui sont différents des faits sous‑jacents aux décisions rendues par les cours de la C.‑B. et de l’Alberta, ou qui les expliciteraient, et les appelants ont également expliqué pourquoi le présent moyen ne constitue pas une remise en cause inadmissible. Étant donné que ce moyen exige du juge qu’il apprécie des éléments de preuve, la question de la contestation indirecte et de l’abus de procédure ne peut être tranchée par voie de requête en radiation et doit être suspendue jusqu’au procès.

[39]           La règle interdisant les contestations indirectes et la doctrine de l’abus de procédure sont connexes, mais constituent des doctrines différentes : Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77, 2003 CSC 63. La contestation indirecte constitue une tentative inadmissible d’annulation de la décision résultant d’une autre instance hors des voies de recours appropriées. L’objet de cette doctrine est de prévenir les tentatives visant à faire infirmer des décisions rendues par d’autres juridictions, et sa portée est étroite.

[40]           En revanche, l’abus de procédure est une doctrine résiduelle et discrétionnaire dont l’application et la portée sont larges, et en vertu de laquelle la remise en cause de questions déjà tranchées n’est pas autorisée. Son objectif est d’éviter que les mêmes points soient débattus de nouveau et d’empêcher les abus que peuvent entraîner des décisions incohérentes rendues par des juridictions différentes, lesquelles, pour leur part, porteraient atteinte aux principes de l’irrévocabilité et du respect de l’administration de la justice. Cette doctrine est donc plus souple que celle de la contestation indirecte. Elle permet au juge d’empêcher la remise en cause d’une condamnation criminelle devant un for différent, comme ce fût le cas dans l’affaire SCFP.

[41]           La mesure sollicitée par les appelants dans la présente action est différente de celle demandée lors des instances instruites en C.‑B. et en Alberta. En l’espèce, des dommages‑intérêts sont demandés en raison d’une perquisition dont la constitutionalité est contestée et de délits qui auraient été commis à l’occasion de cette perquisition. Devant les juridictions de compétence provinciale, l’objectif consistait à exclure, dans le cadre d’un procès pénal, des éléments de preuve obtenus lors de la perquisition. Ces différences excluent l’application de la règle de la contestation indirecte. Il demeure toutefois possible de recourir à la doctrine de l’abus de procédure, car, en effet, contrairement aux premier et deuxième arguments avancés par les appelants, cette doctrine prévoit expressément l’existence d’une demande de mesures et d’un for différents.

[42]           Il reste à rechercher s’il convient de radier une déclaration au motif qu’il s’agit d’un abus de procédure au stade de la requête en radiation. Il importe de signaler dès le départ que cette situation est spécifiquement prévue par les règles de pratique des Cours fédérales (alinéa 221f)). Notre Cour a, en outre, approuvé le principe de radiation d’une déclaration au stade des actes de procédure lorsqu’elle constitue un abus de procédure lorsque le demandeur cherche à remettre en cause dans une action intentée devant la Cour fédérale une déclaration de culpabilité prononcée dans un autre ressort : Sauvé c. Canada 2011 CAF 141 (où la Cour approuve la radiation par le tribunal d’instance inférieure de paragraphes qui ne sont pas visés par l’appel).

[43]           Dès les toutes premières phases d’une requête en radiation, le juge a le droit de prendre connaissance du fait qu’une question donnée a déjà été tranchée par une juridiction. Le juge peut fonder l’exercice de son pouvoir discrétionnaire sur les faits ayant résulté en cette autre décision. Autoriser que la doctrine de l’abus de procédure soit invoquée au stade des actes de procédure est tout à fait cohérent avec l’objectif d’assurer le respect de l’administration de la justice et de la volonté des juges de se comporter avec courtoisie et de faire preuve de respect mutuel entre juridictions. Plus concrètement, cela signifie que le défendeur a droit à la radiation d’une déclaration abusive avant même d’être soumis à un processus d’interrogatoire intrusif et coûteux. Même si les demandeurs ne sont pas tenus d’intégrer une réponse à tous les moyens de défense possibles dans leurs actes de procédure, il ne serait pas trop lourd pour eux – qui soulèvent sciemment une question déjà été tranchée ‑ d’alléguer dans leurs actes de procédure les faits pertinents sur lesquels ils s’appuient afin d’expliquer pourquoi il ne serait pas opportun pour le juge d’exercer son pouvoir discrétionnaire de juger la déclaration abusive.

[44]           Or, en l’espèce, de tels faits ne peuvent être allégués parce que si les demandes fondées sur la Charte ou en responsabilité civile délictuelle étaient autorisées en ce qui a trait à la perquisition contestée, la Cour fédérale serait alors nécessairement tenue de tirer des conclusions de fait différentes de celles qu’ont tirées par leurs décisions définitives la Cour provinciale de la C.‑B. et la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta dans le cadre des procédures pénales, où la légalité de la perquisition attaquée a été confirmée.

[45]           Par conséquent, même si le juge a eu tort de qualifier la déclaration de contestation indirecte, il a conclu à juste titre qu’elle constituait un abus de procédure. Le fait que le for et la mesure soient différents n’affecte en rien le caractère abusif de la déclaration; il convenait que le juge tranche cette question au stade de la requête en radiation, et aucune erreur susceptible de contrôle ne ressort de son application de la doctrine de l’abus de procédure à la déclaration dont il était saisi.

III.             Conclusion

[46]           Je rejetterais l’appel et l’appel incident avec dépens. J’accorderais aux appelants soixante jours à compter de la date du jugement de la Cour pour signifier et déposer leur nouvelle déclaration modifiée.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord

David Stratas »

« Je suis d’accord

Mary J.L. Gleason »

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR FÉDÉRALE DATÉ DU 16 JUILLET 2014, NUMÉRO DE DOSSIER T‑17‑54‑12 (2014 CF 708)

DOSSIER :

A‑365‑14

 

INTITULÉ :

NICK MANCUSO et autres c. MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN‑ÊTRE SOCIAL et autres

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 SEPTEMBRE 2015

mOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

DATE DES MOTIFS :

LE 27 OCTOBRE 2015

COMPARUTIONS :

Rocco Galati

pOUR L’APPELANT

Sean Gaudet

Andrew Law

POUR L’INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Law Firm Professional Corporation

Toronto (Ontario)

POUR L’APPELANT

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

 

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