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Date : 20151103


Dossiers : A-267-15

A-268-15

Référence : 2015 CAF 241

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE SCOTT

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

SUPERIOR PLUS CORP.

intimée

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 3 novembre 2015.

Jugement rendu à l'audience à Ottawa (Ontario), le 3 novembre 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE EN CHEF NOËL

 


Date : 20151103


Dossiers : A-267-15

A-268-15

Référence : 2015 CAF 241

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE SCOTT

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

SUPERIOR PLUS CORP.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l'audience à Ottawa (Ontario), le 3 novembre 2015)

LE JUGE EN CHEF NOËL

[1]               La Cour est saisie de deux appels interjetés par Sa Majesté la Reine (la Couronne) d'ordonnances interlocutoires de la Cour canadienne de l'impôt (2015 CCI 132) rendues par le juge Hogan. Par un seul jeu de motifs, le juge a accueilli la requête présentée par Superior Plus Corp. (Superior Plus) demandant au représentant de la Couronne à l'interrogatoire préalable de répondre à des questions précises ayant fait l'objet d'une opposition lors de l'interrogatoire préalable et de produire certains documents ou des copies non caviardées de ceux‑ci; le juge a rejeté la requête présentée par la Couronne afin d'obliger Superior Plus à communiquer certains passages de documents protégés par le secret professionnel de l'avocat sur le fondement de la règle de la renonciation implicite.

[2]               Les appels ont été entendus ensemble et les motifs qui suivent disposent des deux appels.

[3]               Les documents dont on exige la production ainsi que les documents qui ont été déclarés protégés par le secret professionnel de l'avocat ont été remis à la Cour dans des enveloppes scellées et les membres de la formation les ont examinés.

[4]               Les cotisations sous‑jacentes ont été délivrées par l'Agence du revenu du Canada (ARC) sur le fondement des règles de restriction de pertes aux paragraphes 111(4), 111(5), 37(6.1) et 127(9.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), et de la règle générale anti‑évitement à l'article 245 de la Loi. Les faits pertinents sont énoncés dans la décision portée en appel aux paragraphes 1 à 10; il est donc inutile de les répéter.

[5]               Il est maintenant établi que les décisions interlocutoires discrétionnaires doivent être révisées selon le régime d'appel énoncé dans la décision Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 : voir Cameco Corporation c. La Reine, 2015 CAF 143, au paragraphe 39, citant l'arrêt Imperial Manufacturing Group Inc. c. Decor Grates Incorporated, 2015 CAF 100, aux paragraphes 18 et 19. Les questions que le juge de la Cour de l'impôt devait trancher étant des questions mixtes de fait et de droit, sa décision doit être maintenue en l'absence d'une erreur de droit sur une question de droit isolable ou d'une erreur de fait manifeste et dominante.

[6]               Au soutien du premier appel (A‑267‑15), la Couronne reprend essentiellement les arguments exposés au juge de la Cour de l'impôt et nous demande d'en arriver à une conclusion différente.

[7]               Nous concluons qu'aucune erreur de droit ou de fait n'a été commise. En particulier, il n'a pas été démontré que le juge de la Cour de l'impôt a indûment élargi le critère de la pertinence lors de l'interrogatoire préalable. Sa décision d'exiger que l'on produise les documents en cause et qu'on réponde aux questions est plutôt attribuable au fait qu'on invoque la règle générale anti‑évitement dans des circonstances mettant en cause un changement à la politique sous‑jacente de la Loi (motifs, aux paragraphes 27 à 35).

[8]               Comme l'a conclu la Cour dans l'arrêt R. c. Lehigh Cement Limited, 2011 CAF 120 (Lehigh), dans des circonstances analogues, les renseignements relatifs à la politique de la Loi, même s'ils ne portent pas sur un contribuable donné, peuvent être pertinents lors de l'interrogatoire préalable. Nous admettons qu'une considération importante dans cet arrêt était que la Couronne avait elle‑même établi la pertinence des documents dont la communication était demandée en produisant une note de service interne sur le sujet (arrêt Lehigh, au paragraphe 41). Cependant, la pertinence en l'espèce est établie par la conclusion du juge de la Cour de l'impôt que les documents en cause ont été soit préparés lors de la vérification de Superior Plus, soit examinés par des fonctionnaires qui participaient à la vérification (motifs, au paragraphe 19). Nous ne voyons aucune raison de faire une distinction avec l'arrêt Lehigh. Comme toujours, le juge de première instance sera l'arbitre ultime des renseignements recueillis lors de la communication préalable.

[9]               On ne saurait non plus dire que la communication de ces renseignements constitue une intrusion injustifiée dans le processus de délibération de l'ARC, ce qui empêcherait les fonctionnaires de donner des conseils de manière ouverte et franche. Bien que la Cour suprême ait exprimé des préoccupations analogues dans l'arrêt Untel c. Ontario (Finances), 2014 CSC 36, [2014] 2 R.C.S. 3, aux paragraphes 43 à 46, elle l'a fait lors de l'examen de l'objectif de la législation sur l'accès à l'information. Aucune analogie utile ne peut être établie entre l'accès à l'information et la communication préalable. Il convient de se reporter à la décision du juge Rothstein dans l'affaire Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1993] 3 C.F. 320 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 58 à 61, conf. par [1995] 2 C.F. 110 (C.A.F.), pour une conclusion similaire obtenue dans un contexte différent.

[10]           Quant au second appel (A‑268‑15), la Couronne soutient que, bien que le juge de la Cour de l'impôt ait affirmé évaluer si la communication partielle par Superior Plus de renseignements confidentiels était source d'iniquité et d'incohérence, il a en fait décidé qu'aucune renonciation n'avait été faite parce que les renseignements supplémentaires demandés par la Couronne n'étaient pas « vitaux ou nécessaires » à son argumentation.

[11]           La question sous‑jacente vise essentiellement le lien ou la relation qui existe entre l'avis juridique à l'égard duquel Superior Plus a renoncé au secret professionnel de l'avocat et les autres avis juridiques qu'elle a reçus de son avocat et à l'égard desquels elle n'a pas renoncé au secret professionnel. La Couronne admet qu'eu égard à l'objet de l'avis juridique communiqué, le juge de la Cour de l'impôt était fondé à conclure qu'il avait trait à une question distincte et qu'ainsi il s'agissait d'un document autonome.

[12]           La Couronne fait valoir cependant que le juge de la Cour de l'impôt n'a pas traité de son argument selon lequel, eu égard à la raison pour laquelle il y a eu renonciation au secret professionnel, il existe un lien évident entre les avis juridiques respectifs. En particulier, la Couronne soutient que les éléments de preuve consignés au dossier indiquent que Superior Plus a renoncé au secret professionnel à l'égard de l'avis qui soutient sa prétention selon laquelle les opérations en cause n'avaient pas de motivations fiscales, alors qu'elle a maintenu le secret professionnel à l'égard des avis juridiques qui vont dans le sens contraire (réponses de suivi du 30 janvier 2015, dossier d'appel, volume 2, onglet 7, page 473, question 1). Selon la Couronne, cela porte atteinte au principe d'équité et de cohérence (Mahjoub (Re), 2011 CF 887, au paragraphe 10), car Superior Plus [TRADUCTION] « tente d'obtenir un avantage injuste ou de donner une idée trompeuse au moyen d'une communication sélective » (Transamerica Life Insurance Co. of Canada c. Canada Life Assurance Co. (1995), 46 C.P.C. (3d) 110 (C.j. Ont., Div. gén.), au paragraphe 42). La Couronne sollicite par conséquent l'accès aux passages des avis juridiques non communiqués qui démontrent la motivation de Superior Plus.

[13]           Nous sommes d'accord que le juge de la Cour de l'impôt était effectivement saisi de cette question (argumentation de la Couronne, dossier d'appel, volume 2, page 491, au paragraphe 52; argumentation de la Couronne en réplique, dossier d'appel, volume 2, aux pages 509 et 511, aux paragraphes 8 et 14) et qu'il ne l'a pas tranchée. Cependant, nous n'estimons pas que cette situation doive modifier le résultat étant donné le contexte de la renonciation au secret professionnel.

[14]           Superior Plus a renoncé au secret professionnel pour respecter un engagement qu'elle avait pris lors de l'interrogatoire préalable (réponses aux engagements, dossier d'appel, volume 2, onglet 7, page 413, réponse 64). En particulier, l'avocat de la Couronne a demandé au représentant de Superior Plus d'indiquer le document ou les documents sur lesquels se fonde Superior Plus pour justifier son affirmation de motivations non fiscales (réponses aux engagements, dossier d'appel, volume 2, onglet 7, page 420, réponse 93). En renonçant au secret professionnel et en produisant l'avis juridique divulgué, Superior Plus s'est elle-même mise en situation de produire ce document en preuve au procès. Il s'agit là du contexte dans lequel la Couronne sollicite un accès immédiat à des passages choisis des avis juridiques qui sont encore protégés par le secret professionnel de l'avocat.

[15]           Il est évident que l'iniquité et l'incohérence qu'allègue la Couronne ne se réaliseront que si Superior Plus s'exécute et produit l'avis juridique divulgué en preuve, auquel cas il incombera au juge du procès de décider s'il y a eu renonciation au secret professionnel de l'avocat.

[16]           Il ne fait aucun doute que l'accès immédiat aux avis juridiques réclamés permettrait à la Couronne de mieux se préparer pour le procès. Cependant, ce problème peut facilement être réglé au moyen d'un ajournement et Superior Plus ne devrait pas courir le risque de ne pas être protégée par le secret professionnel de l'avocat avant que l'iniquité alléguée par la Couronne ne se réalise, situation que la règle de la renonciation implicite est censée traiter.

[17]           Si l'on envisage la question d'un autre angle, on peut voir que, tant que Superior Plus n'a pas produit en preuve le document communiqué, l'accès aux autres avis juridiques protégés par le secret professionnel n'est pas « vital ou nécessaire » pour que la Couronne puisse répondre (cf. Procon Mining & Tunnelling Ltd. c. McNeil, 2009 BCCA 281 (C.A. C.‑B.) (Procon), aux paragraphes 15 à 19).

[18]           Dans l'arrêt Procon, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a conclu que les avis juridiques dont la communication était demandée n'avaient pas à être communiqués parce qu'ils n'étaient d'aucune façon pertinents à l'état d'esprit allégué par la demanderesse et qui constituait supposément une renonciation implicite (arrêt Procon, au paragraphe 17). Tel est le contexte qui a permis à la Cour de décider : [TRADUCTION] « Pour établir l'existence d'une renonciation, la communication demandée doit être “vitale” ou nécessaire pour permettre à la partie [qui la demande] de répondre à une allégation » (Procon, au paragraphe 19).

[19]           Il est entendu que ce critère ne constitue pas une norme différente ou plus sévère à appliquer pour décider si la communication de renseignements confidentiels a donné lieu à une renonciation implicite, mais qu'il vise plutôt à garantir qu'une renonciation implicite ne soit déclarée que s'il devient nécessaire de le faire pour éviter l'iniquité et l'incohérence que la règle de la renonciation implicite vise à éviter.

[20]           Il s'ensuit que l'argument de la Couronne ne peut pas être accueilli à l'étape actuelle des procédures et que la décision prise par le juge de la Cour de l'impôt de refuser l'accès aux documents confidentiels doit par conséquent être maintenue.

[21]           Pour ces motifs, les deux appels seront rejetés, avec dépens dans chaque cas.

« Marc Noël »

Juge en chef

Traduction


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

A-267-15 ET A-268-15

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE c. SUPERIOR PLUS CORP.

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 3 NOVEMBRE 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE SCOTT

LE JUGE DE MONTIGNY

 

PRONONCÉS À L'AUDIENCE PAR :

LE JUGE EN CHEF NOËL

COMPARUTIONS :

Me Perry Derksen

Me Raj Grewal

 

POUR L'APPELANTE

 

Me Joanne Vandale

Me Al Meghji

 

POUR l'INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L'APPELANTE

Osler, Hoskin & Harcourt, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR l'INTIMÉE

 

 

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