Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20151106


Dossier : A-358-15

Référence : 2015 CAF 248

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

appelant

et

ROBERT MCNALLY

intimé

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 6 novembre 2015.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20151106


Dossier : A-358-15

Référence : 2015 CAF 248

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

appelant

et

ROBERT MCNALLY

intimé

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

[1]               Précédemment, dans des motifs dont la référence est 2015 CAF 195, j’ai demandé aux parties de soumettre des arguments sur la question de savoir si l’appel était devenu théorique et, le cas échéant, si notre Cour devrait tout de même entendre l’appel.

[2]               Les circonstances à l’origine de ma demande sont énoncées dans ces motifs. En bref, le ministre en appelle d’un jugement de la Cour fédérale dont la référence est 2015 CF 767 (le juge Harrington). La Cour fédérale a ordonné au ministre d’examiner la déclaration de revenu de 2012 de l’intimé et de lui délivrer un avis de cotisation dans les 30 jours. Le ministre s’est conformé à cette demande, respectant ainsi le jugement, mais il désire tout de même poursuivre l’appel afin de soulever une question de jurisprudence. Cependant, le contribuable intimé a refusé de participer à l’appel. Il a obtenu ce qu’il voulait, la Cour fédérale ayant rendu un jugement en sa faveur, et le ministre s’y étant conformé.

[3]               Les parties ont maintenant soumis leurs arguments sur la question de savoir si cet appel devrait être entendu. Je les ai lus et pris en considération.

[4]               Le ministre reconnaît à juste titre que [TRADUCTION] « l’appel est sans aucun doute théorique » et, par conséquent, que [TRADUCTION] « la seule question à trancher consiste à savoir si la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et instruire néanmoins l’appel ». Les parties reconnaissent que la décision applicable en la matière est l’arrêt de la Cour suprême Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, 57 D.L.R. (4th) 231. Trois facteurs sont pris en considération par notre Cour dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, soit l’existence d’un débat contradictoire, le souci d’économie des ressources judiciaires et la nécessité pour la Cour de se montrer sensible à sa fonction juridictionnelle dans la structure politique.

[5]               J’aimerais aborder plus en détail le dernier facteur, à savoir la nécessité pour la Cour de se montrer sensible à sa fonction juridictionnelle dans la structure politique. Suivant le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs, la tâche des tribunaux consiste à ne se prononcer sur des principes juridiques que pour résoudre de réels différends. En l’absence d’un réel différend, l’énonciation de principes juridiques par l’appareil judiciaire peut être vue comme un acte gratuit d’élaboration du droit, cette dernière relevant exclusivement de l’organe législatif du gouvernement. On se reportera à ce sujet à l’introduction des articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Bien que l’arrêt Borowski et les décisions qui s’en inspirent n’interdisent pas aux tribunaux de trancher une affaire après que le différend en tant que tel eut cessé d’exister, ce raisonnement sous-jacent nous rappelle que le pouvoir discrétionnaire d’agir de la sorte doit être exercé avec prudence.

[6]               Le ministre souhaite poursuivre cet appel afin de résoudre des questions jurisprudentielles qui revêtent selon lui de l’importance. D’une manière générale, ces questions concernent l’étendue de son pouvoir de mener une vérification dans le contexte du paragraphe 152(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui exige du ministre qu’il examine la déclaration de revenu d’un contribuable pour une année d’imposition et fixe l’impôt, les intérêts et les pénalités payables « avec diligence ». Le ministre s’est livré à une longue vérification de certains abris fiscaux. Il affirme que cela a exigé beaucoup de temps, ce qui a suspendu l’établissement de la cotisation de l’intimé et de nombreux autres contribuables. Le ministre évoque le risque d’une atteinte à son pouvoir de mener des vérifications et d’examiner des déclarations de revenu si la décision de la Cour fédérale est confirmée. De façon générale, la question que le ministre soulève et veut voir tranchée est celle de savoir quels types d’examens ou de vérifications peuvent suspendre l’établissement d’une cotisation.

[7]               S’agissant du premier facteur énoncé dans l’arrêt Borowski, soit l’existence d’un débat contradictoire, la ministre reconnaît que le refus de l’intimé de prendre part à l’appel entraîne la disparition du débat contradictoire. Cela pose en fait un problème. Si notre Cour entend l’appel, y aura‑t‑il une partie adverse dans la salle d’audience? Est‑ce qu’il y aura quelqu’un pour contrer les arguments du ministre?

[8]               Pour remédier à ce problème, le ministre offre de payer les frais raisonnables et justifiés d’un avocat pour qu’il [TRADUCTION] « présente des arguments contraires, peu importe qu’il s’agisse de l’avocat [de l’intimé] … ou d’un autre avocat disposé à s’acquitter de ce rôle ». Cependant, le problème subsiste. Comme l’intimé refuse tout simplement de prendre part à l’appel, on ne peut désigner un avocat pour le représenter contre sa volonté. Et il n’y a devant la Cour aucune autre partie qui pourrait s’opposer aux arguments du ministre.

[9]               Il est vrai que, dans certaines circonstances hautement inhabituelles faisant intervenir l’intérêt supérieur du public, notre Cour peut nommer un ami de la cour afin qu’il défende une thèse qui autrement ne serait pas défendue. Dans le cas présent, il n’existe pas de circonstances faisant intervenir l’intérêt supérieur du public, et la seule partie à comparaître devant la Cour est le ministre. On se reportera à ce sujet à l’arrêt Alliance for Marriage and Family c. A.A., 2007 CSC 40, [2007] 3 R.C.S. 124, cause similaire à celle qui nous occupe et dans laquelle la Cour suprême a refusé d’autoriser la poursuite de l’instance.

[10]           Concernant le deuxième facteur énoncé dans l’arrêt Borowski, à savoir le souci d’économie des ressources judiciaires, le ministre fait valoir que le principe d’économie des ressources est respecté lorsqu’une cour d’appel décide de se pencher sur une question d’importance qui échappe à un examen en appel. En théorie, je souscris à cet argument. Le ministre soutient que la question soulevée ici, concernant les types d’examens ou de vérifications qui peuvent suspendre l’établissement d’une cotisation, échappe à un examen en appel. Je ne suis pas d’accord avec cela.

[11]           Si nous prenons l’espèce comme exemple, le ministre aurait pu en appeler de la décision de la Cour fédérale et demander un sursis d’exécution immédiat en invoquant les principes énoncés dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, 111 D.L.R. (4th) 385. Pour améliorer les chances de réussite de sa requête en sursis, le ministre aurait en outre pu demander une ordonnance portant instruction accélérée de l’appel afin de réduire au minimum le risque de préjudice pour l’intimé.

[12]           Le ministre soutient qu’il ne réussirait jamais à obtenir un sursis dans une cause de ce genre parce qu’il ne pourrait jamais prouver l’existence d’un préjudice irréparable. Une fois encore, je suis en désaccord.

[13]           Imaginons une cause dans laquelle la Cour fédérale aurait conclu, en se fondant sur les faits, que le ministre a manqué à son devoir d’évaluer en temps utile la déclaration de revenu d’un contribuable. Si le ministre interjetait appel au motif que cette conclusion était entachée d’une erreur manifeste et dominante, si le ministre soumettait des preuves montrant qu’un examen détaillé de la déclaration de revenu du contribuable est nécessaire aux fins prévues par la Loi, et si l’établissement ultérieur d’une nouvelle cotisation était peu susceptible, compte tenu des faits, de remédier à tout préjudice subi (par exemple dans un cas où la perception causerait vraisemblablement un problème), le ministre aurait un assez bon argument en faveur d’un sursis.

[14]           De même, dans une cause future, le ministre pourrait soutenir que le défaut de faire examiner en appel une question importante entraînerait pour lui ou pour le Trésor un préjudice quelconque auquel il ne serait pas possible de remédier autrement. Je n’ai aucune opinion catégorique concernant cet argument. Je me contenterai de dire qu’il n’est pas voué à l’échec et que, moyennant les bonnes preuves, son bien-fondé pourrait être reconnu. En l’occurrence, de telles preuves ne sont pas présentes.

[15]           Enfin, concernant le troisième facteur énoncé dans l’arrêt Borowski, je m’inquiète de la possibilité que cet appel, s’il est entendu, donne lieu à un exercice rhétorique détaché de tout fondement plausible sur le plan factuel ou juridique. Notre Cour outrepasserait les limites de sa fonction juridictionnelle dans la structure politique. Cela ressort à l’examen de ce que la Cour fédérale a fait et de la nature de l’appel dont nous a saisis le ministre.

[16]           La Cour fédérale a conclu que le ministre n’avait aucun fondement factuel ou juridique acceptable, c’est‑à-dire aucun fondement autorisé par la Loi, pour justifier le retard dans ce cas. Le ministre a retardé l’établissement de la cotisation dans ce cas afin de décourager d’autres contribuables de tirer parti de certains arrangements comme abris fiscaux. La Cour fédérale a jugé qu’il s’agissait là d’une « fin étrangère » (paragraphe 41). En d’autres termes, en se fondant sur les faits de l’espèce, le ministre a décidé de s’abstenir d’évaluer la déclaration de revenu du contribuable dans un but accessoire, un but illégitime ou un but non autorisé par la Loi. Les décisions de cette nature ne peuvent être considérées comme acceptables ou défendables et elles sont susceptibles d’être annulées ou, lorsque les circonstances s’y prêtent, d’être autrement rectifiées : Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, 16 D.L.R. (2d) 689; Re Multi-Malls Inc. and Minister of Transportation and Communications (1977), 14 O.R. (2d) 49, 73 D.L.R. (3d) 18 (C.A.); Doctors Hospital v. Minister of Health et al. (1976), 12 O.R. (2d) 164, 68 D.L.R. (3d) 220 (C. div.); Paradis Honey Ltd c. Canada, 2015 CAF 89, 382 D.L.R. (4th) 720, au paragraphe 145.

[17]           Est‑ce que le ministre a soumis à la Cour une contestation plausible de ces conclusions de fait et de droit? Le seul document qui m’a été soumis et qui cerne les questions à trancher dans le présent appel est l’avis d’appel du ministre. L’avis d’appel dit simplement que les conclusions sont arbitraires et erronées. Il ne précise pas pourquoi, ni n’offre de précisions. Les avis d’appel aussi succincts ont peu de valeur : Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, aux paragraphes 38 à 48.

[18]           Le ministre souhaite que nous entendions cette cause et lui disions quels types d’examens ou de vérifications peuvent justifier la suspension de l’établissement d’une cotisation. Cependant, il fait cette demande en rapport avec une affaire dans laquelle, au regard des faits et du droit, il n’avait pas de motif valable pour suspendre l’établissement de la cotisation. De plus, tel qu’il a été soumis, l’appel ne met de l’avant aucun motif particulier ou précis susceptible d’ébranler cette conclusion. Nous nous trouverions à répondre à une question dans un contexte complètement abstrait, en nous éloignant considérablement de notre juste rôle juridictionnel, cela dans un contexte où de futures causes pourraient apporter des réponses à la question du ministre.

[19]           Aucun des facteurs énoncés dans l’arrêt Borowski ne milite en faveur de l’instruction de cet appel. Par conséquent, je rejetterais l’appel en raison de son caractère théorique. Comme l’intimé n’a pas réclamé de dépens liés à la présentation d’arguments à la Cour dans cette affaire, je n’en accorderai pas.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

D.G. Near, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-358-15

 

INTITULÉ :

MINISTRE DU REVENU NATIONAL c. ROBERT MCNALLY

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE DE MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :

6 NOVEMBRE 2015

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Arnold H. Bornstein

 

POUR L’APPELANT

Al Meghji

Pooja Samtani

 

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANT

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Toronto, Ontario

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

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