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Date : 20160304


Dossier : A-169-15

Référence : 2016 CAF 67

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE NEAR

LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

THE TDL GROUP CO.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 4 février 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 4 mars 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20160304


Dossier : A-169-15

Référence : 2016 CAF 67

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE NEAR

LE JUGE BOIVIN

 

 

 

 

 

 

ENTRE :

THE TDL GROUP CO.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]               La principale question soulevée dans le présent appel est de savoir si l'argent emprunté par l'appelante a été utilisé « en vue de tirer un revenu » au sens du sous‑alinéa 20(1)c)(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi). Le cas échéant, une question subsidiaire se pose : le montant des intérêts payés sur l'argent emprunté était-il raisonnable?

[2]               Pour les motifs dont la référence est 2015 CCI 60, la Cour canadienne de l'impôt a déterminé que l'argent emprunté avait été utilisé par la contribuable uniquement pour faciliter un prêt sans intérêt à sa société mère, tout en créant pour elle une déduction pour frais d'intérêt. Par conséquent, l'appel interjeté par la contribuable relativement à la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi a été rejeté.

[3]               C'est sur ce jugement que porte le présent appel. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Cour canadienne de l'impôt a commis une erreur de droit lors de son application du sous‑alinéa 20(1)c)(i) de la Loi, de sorte que j'accueillerais l'appel et j'annulerais la cotisation en cause.

I.                   Les faits

[4]               Comme l'a souligné la Cour de l'impôt, la plupart des faits pertinents ne sont pas contestés. Une série d'opérations a commencé quand Wendy's International Inc. (Wendy's), la société mère du groupe de sociétés Wendy's, a prêté 234 millions de dollars canadiens à une filiale américaine, Delcan Inc., à un taux d'intérêt ne devant pas dépasser 7 %. Le même jour, Delcan Inc. a prêté le montant total à la contribuable appelante, à un taux d'intérêt de 7,125 %. Ensuite, l'appelante a utilisé la totalité du montant du prêt pour acheter des actions ordinaires supplémentaires de sa filiale américaine en propriété exclusive, Tim Donut US Limited, Inc. (Tim's U.S.). Le lendemain, le 27 mars 2002, Tim's U.S. a prêté les sommes reçues au titre de l'achat de ses actions par l'appelante à Wendy's sans intérêt, comme en fait foi un billet à ordre.

[5]               L'avocat de l'appelante a qualifié avec raison ces faits d'un cas [TRADUCTION] « d'argent circulant en rond ». Ainsi, l'argent qui provenait de Wendy's, et qu'elle avait prêté à un taux de rendement de 7 %, a refait son chemin vers Wendy's sans intérêt.

[6]               Il est pertinent, à mon avis, que le prêt accordé à Wendy's devait d'abord porter intérêt, bien qu'aucun taux d'intérêt n'ait été établi. Cependant, des préoccupations ont été soulevées au sujet de l'incidence qu'un billet portant intérêt aurait sur l'impôt de l'état des États‑Unis et sur les règles relatives à la capitalisation restreinte et sur les règles relatives au revenu étranger accumulé tiré de biens au Canada. Par conséquent, il a été décidé que le prêt serait fait sans intérêt jusqu'à ce que ces préoccupations puissent être résolues.

[7]               Par la suite, un plan révisé a été présenté en mai 2002, environ deux mois plus tard. Conformément au plan révisé, Tim's U.S. a constitué en société une nouvelle filiale américaine, Buzz Co., et lui a cédé le billet à ordre de Wendy's à titre de paiement pour l'acquisition des actions de Buzz Co. En fin de compte, conformément au billet à ordre, Buzz Co. a exigé que Wendy's rembourse le prêt. Celle‑ci a remboursé le billet à ordre intégralement en remettant un nouveau billet à ordre à Buzz Co., le 4 novembre 2002, pour le même montant, portant intérêt au taux de 4,75 %.

[8]               La Cour canadienne de l'impôt a constaté que le retard de mai 2002 à novembre 2002 était attribuable « à d'autres préoccupations du groupe », notamment le rachat des actions de l'un des fondateurs du groupe Tim Hortons. La Cour de l'impôt a conclu que la preuve expliquant le retard de la mise en œuvre du plan révisé laissait entendre que les fonds étaient censés être prêtés sans intérêt à Wendy's pour une période encore plus courte.

[9]               La Cour de l'impôt a également noté que le ministre du Revenu national avait refusé que l'appelante déduise les intérêts pour la période pendant laquelle Tim's U.S. avait prêté le produit de l'achat d'actions à Wendy's sans intérêt. Une fois que le prêt accordé à Wendy's a été remboursé et remplacé par un prêt portant intérêt, le ministre a permis que l'appelante déduise les intérêts.

II.                La décision de la Cour de l'impôt

[10]           Au début de ses motifs, la Cour de l'impôt a précisé que les intérêts dont la déduction était réclamée par la contribuable et rejetée par le ministre étaient des intérêts payés au cours de la période du 28 mars au 3 novembre 2002. Le ministre a refusé la déduction des frais d'intérêt conformément au sous‑alinéa 20(1)c)(i) de la Loi au motif que les sommes empruntées n'étaient pas utilisées en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien (motifs, au paragraphe 1).

[11]           La Cour de l'impôt a commencé son analyse en faisant remarquer qu'il n'y avait aucun différend à propos de l'utilisation directe des fonds empruntés. Ainsi, la seule question qui se posait était de savoir si les actions ordinaires que l'appelante avait acquises en utilisant les fonds empruntés l'avaient été dans le but de tirer un revenu non exonéré, comme l'exige le sous‑alinéa 20(1)c)(i) de la Loi.

[12]           La Cour de l'impôt a ensuite examiné le critère pour déterminer le but de la contribuable lors de l'utilisation des fonds empruntés pour acheter des actions ordinaires, critère énoncé dans l'arrêt Entreprises Ludco Ltée c. Canada, 2001 CSC 62, [2001] 2 R.C.S. 1082. Dans l'arrêt Ludco, au paragraphe 54, la Cour suprême a décrit le critère applicable comme étant celui‑ci : « Compte tenu de toutes les circonstances, le contribuable avait‑il, au moment de l'investissement, une expectative raisonnable de tirer un revenu? »

[13]           Selon la Cour de l'impôt, l'exigence selon laquelle on doit tenir compte de « toutes les circonstances » lui permettait d'analyser l'utilisation par Tim's U.S. des sommes reçues à la suite de l'achat par l'appelante de ses actions et de tenir compte « d'une série de transactions liées à l'investissement direct » (motifs, au paragraphe 26).

[14]           La Cour de l'impôt a ensuite examiné les éléments de preuve qui l'ont conduite à conclure que l'appelante n'avait aucune expectative raisonnable de tirer un revenu au moment où elle avait acquis les actions supplémentaires de Tim's U.S. (motifs, au paragraphe 31).

III.             La norme de contrôle

[15]           Les conclusions de la Cour de l'impôt sur les faits et sur les inférences de fait ne peuvent être annulées que s'il y a une erreur manifeste et dominante. Toutefois, l'application adéquate du critère énoncé dans l'arrêt Ludco est une question de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Ludco, au paragraphe 34).

[16]           Je rejette la thèse de l'avocate de l'intimée que, sur ce point, l'arrêt Ludco a été supplanté par l'arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. Les deux décisions sont cohérentes entre elles. Toute erreur lors de l'application du critère juridique est une erreur de droit isolable, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

IV.             Application de la norme de contrôle

[17]           Depuis l'arrêt Ludco, il est établi en droit qu'il faut tenir compte de l'intention du contribuable au moment où il utilise des fonds empruntés. En l'espèce, il faut se demander ce qu'était l'intention de l'appelante au moment où elle a acheté des actions supplémentaires de Tim's U.S.

[18]           Puisqu'il faut tenir compte de l'intention de l'appelante à ce moment donné, un paradoxe sans réponse se trouve dans les motifs de la Cour de l'impôt : comment se fait‑il qu'il n'y ait pas eu d'objectif de tirer un revenu au cours des sept premiers mois pendant lesquels l'appelante a détenu les actions ordinaires supplémentaires, mais qu'il y en ait eu un par la suite?

[19]           À mon avis, ce paradoxe provient de deux erreurs de droit commises par la Cour de l'impôt.

[20]           La première erreur a été commise lorsque la Cour a ajouté au sous‑alinéa 20(1)c)(i) une exigence selon laquelle l'appelante devait avoir une expectative raisonnable de tirer un revenu des actions nouvellement acquises au cours des sept premiers mois après leur acquisition. Si on n'ajoute pas cette exigence, on ne peut pas expliquer comment, par la suite, les actions ont été acquises en vue de tirer un revenu.

[21]           La deuxième erreur de droit découle de la préoccupation de la Cour de l'impôt à l'égard de l'évitement fiscal, d'où sa conclusion que, pendant la période de sept mois en question (une période qui, selon la Cour de l'impôt, devait d'abord être plus courte), « les fonds ont été prêtés à seule fin de faciliter un prêt sans intérêt à Wendy's tout en créant une déduction d'intérêts pour l'appelante ».

[22]           Dans Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, la Cour suprême a conclu, au paragraphe 47, que la « préoccupation première de la Cour d'appel fédérale en ce qui concerne l'évitement fiscal a non seulement influé sur sa démarche générale en l'espèce, mais elle a aussi pu l'amener à interpréter incorrectement le libellé même du sous‑al. 20(1)c)(i), bien qu'il soit clair et non équivoque ». À mon avis, la même erreur a conduit la Cour de l'impôt à sa conclusion quant à l'objectif pour lequel les sommes empruntées ont été utilisées.

V.                Le caractère raisonnable du montant des intérêts

[23]           La Cour de l'impôt n'a pas abordé le quatrième élément pertinent à la question de la déductibilité des intérêts parce que, compte tenu de sa conclusion sur l'objectif pour lequel les sommes empruntées avaient été utilisées, il n'était pas nécessaire d'examiner cet élément final.

[24]           L'intimée soutient que, pendant la période initiale de sept mois, les intérêts perçus sur les fonds empruntés n'étaient pas raisonnables, puisque le même montant a été immédiatement prêté à Wendy's sans intérêt.

[25]           Dans l'arrêt Shell, au paragraphe 28, la Cour suprême du Canada a fait observer qu'il faut évaluer le caractère raisonnable du montant payé en tenant compte des trois premières exigences pour que l'intérêt soit déductible. Autrement dit, le caractère raisonnable doit être évalué en fonction des modalités du prêt et de la façon dont l'emprunteur a utilisé l'argent.

[26]           J'ai conclu que l'utilisation temporaire du produit de l'achat d'actions par Tim's U.S. n'a pas porté atteinte à la raison pour laquelle l'appelante a acheté les actions supplémentaires de Tim's U.S., soit tirer un revenu. Le ministre a reconnu que le taux d'intérêt du prêt de Delcan Inc. était raisonnable après que le prêt sans intérêt eut été remplacé par un prêt portant intérêt. Sur ce fondement, je reconnais que les intérêts payés pendant la période en cause étaient également raisonnables.

VI.             Conclusion

[27]           Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel et j'annulerais la décision de la Cour canadienne de l'impôt. En prononçant le jugement qui aurait dû être rendu, j'accueillerais l'appel à l'encontre de la nouvelle cotisation et j'annulerais la nouvelle cotisation du 11 novembre 2008 pour l'année d'imposition terminée le 29 décembre 2002. J'adjugerais également à l'appelante les dépens devant notre Cour et devant la Cour canadienne de l'impôt.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

D. G. Near, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Richard Boivin, j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-169-15

 

 

INTITULÉ :

THE TDL GROUP CO. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 4 février 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 MARS 2016

 

COMPARUTIONS :

Al Meghji

Ilana Ludwin

 

Pour l'appelante

 

Samantha Hurst

Elizabeth Chasson

Rishma Bhimji

 

Pour l'intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour l'appelante

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour l'intimée

 

 

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