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Date : 20160405


Dossier : A-131-15

Référence : 2016 CAF 102

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

SYLVIO THIBEAULT

appelant

et

MINISTRE DES TRANSPORTS,

DE L'INFRASTRUCTURE ET DES COLLECTIVITÉS

et

LA MARINA DE LA CHAUDIÈRE INC.

intimés

Audience tenue à Montréal (Québec), le 23 novembre 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 avril 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20160405


Dossier : A-131-15

Référence : 2016 CAF 102

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

SYLVIO THIBEAULT

appelant

et

MINISTRE DES TRANSPORTS,

DE L'INFRASTRUCTURE ET DES COLLECTIVITÉS

et

LA MARINA DE LA CHAUDIÈRE INC.

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DE MONTIGNY

[1]               Le présent appel vise un jugement rendu par le juge Luc Martineau de la Cour fédérale (le juge), dans le contexte de trois demandes de contrôle judiciaire présentées par M. Thibeault (l’appelant). Ce dernier cherchait à faire annuler trois approbations ministérielles données en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. 1985, ch. N-22 (la Loi) eu égard à des ouvrages connus comme étant le quai « B », le quai « D » et l’aire de mouillage – zone 4 de la Marina de la Chaudière Inc. (la Marina). Ces trois dossiers (T-1068-13, T-1087-13 et T-1086-13) ont fait l’objet d’un seul jugement (2015 CF 163). D’autre part, l’appelant recherchait également l’annulation de l’ordre ministériel lui ordonnant de retirer son installation flottante située à l’entrée de la rivière Chaudière. Ces deux affaires ont fait l’objet de jugements distincts (la deuxième étant répertoriée à 2015 CF 162), bien qu’elles aient été entendues consécutivement.

[2]               Devant notre Cour, les deux appels ont été entendus le même jour. Ils font l’objet de décisions distinctes, et les présents motifs ne se rapportent qu’aux approbations visant les structures de la Marina. Les motifs de la Cour relatifs à l’appel de la décision portant sur l’installation de l’appelant portent le numéro de référence 2016 CAF 101.

[3]               Dans sa décision, le juge s’est dit d’avis que le ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités (le ministre) pouvait raisonnablement conclure que les quais « B » et « D », de même que l’aire de mouillage – zone 4, sont des ouvrages au sens de la Loi et non des bateaux. Il a également estimé qu’il était raisonnable pour le ministre de ne pas considérer les allégations de droits de propriété sur le lit de la rivière Chaudière faites par l’appelant, et que l’évaluation faite par le ministre de l’impact des ouvrages projetés sur la navigation et les droits riverains était également raisonnable. Enfin, il a rejeté les allégations de partialité formulées par l’appelant.

[4]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que l’appel doit être rejeté.

I.                   Les faits

[5]               L’appelant est propriétaire d’un lot au bord du bassin de la rivière Chaudière depuis 1972. Comme l’a noté le juge, les présentes procédures s’inscrivent dans une saga judiciaire qui perdure depuis les années 1980 entre l’appelant et la Marina, laquelle exploite une marina à l’embouchure du bassin de la rivière Chaudière depuis plus de 35 ans. La Marina prétend détenir des baux valides de la Ville de Lévis et de l’Administration portuaire de Québec afin d’exploiter une marina à cet endroit, tandis que plusieurs propriétaires riverains ont intenté des procédures devant les tribunaux du Québec alléguant qu’ils étaient propriétaires du lit de la rivière Chaudière en front de leurs propriétés. La Cour supérieure du Québec (la Cour supérieure) a rejeté la prétention des propriétaires en 1988 (Marchand et al. c. Marina de la Chaudière et al., [1988] R.J.Q. 2733, EYB 1988-83449 (C.S.)), et la Cour d’appel du Québec a confirmé ce jugement ([1998] R.J.Q. 1971, REJB 1998-07251 [Marchand]). Au terme de cette décision, la Cour d’appel du Québec a précisé que les demandeurs bénéficient de droits riverains (« riparian rights »), mais a refusé de se prononcer sur la propriété du lit de la rivière faute de preuve suffisante. Par la suite, les tribunaux québécois ont été saisis de plusieurs litiges entre les mêmes parties visant à faire respecter leurs droits respectifs.

[6]               En 2013, la Marina a déposé des demandes d’approbation au ministre en vertu de l’article 5 de la Loi pour construire plusieurs ouvrages, dont les quais flottants « B » et « D » ainsi que l’aire de mouillage – zone 4 (la Zone 4). Le 12 avril 2013, la Marina a déposé les plans au bureau d’enregistrement, conformément au paragraphe 9(4) de la Loi, et un avis concernant ces demandes a été publié dans la Gazette du Canada le 20 avril 2013 et dans plusieurs journaux locaux. L’avis indiquait que le ministre prendrait en considération les commentaires écrits adressés au gestionnaire du Programme de protection des eaux navigables (PPEN) reçus dans un délai de 30 jours, tel que le prescrit le paragraphe 9(5) de la Loi.

[7]               Par l’entremise de son avocate, l’appelant a envoyé le 13 mai 2013 une lettre de « mise en demeure » au gestionnaire du PPEN, M. Richard Jones, alléguant que les quais « B » et « D », et une partie de la Zone 4, se situaient sur sa propriété privée, et que le ministre n’avait pas la juridiction pour émettre les approbations demandées puisque les quais et zones de mouillage n’étaient pas des ouvrages, mais plutôt des bateaux au sens de l’article 2 de la Loi. En annexe à cette lettre, l’appelant a déposé un acte de vente et l’avis d’inscription d’un bail immobilier datés du mois d’avril 2013 qui lui conféraient apparemment certains titres sur des parcelles du lit de la rivière Chaudière, à l’embouchure du bassin, là où la Marina prévoyait l’emplacement des quais « B » et « D » ainsi que certaines bouées dans la Zone 4. La lettre indiquait également que l’appelant avait placé un « navire » à l’ancre aux environs de l’endroit prévu par la Marina pour l’emplacement du quai « B », soit sur la parcelle C dont il allègue avoir la propriété exclusive, et ce pour effectuer des travaux sur son terrain. Plusieurs autres propriétaires riverains ont également présenté des observations par écrit au Ministre.

[8]               Le 16 mai 2013, le ministre a émis un ordre ministériel en vertu de l’alinéa 6(1)(a) de la Loi enjoignant l’appelant d’enlever la structure qu’il avait installée au motif qu’elle n’était pas autorisée et était susceptible de nuire à la navigation. Cette décision faisait l’objet de l’autre demande de contrôle judiciaire traitée par le juge et dont l’appel est répertorié au dossier 2016 CAF 101.

[9]               Les 12 et 14 juin 2013, le ministre a émis des approbations pour l’installation des quais « B » et « D » et la Zone 4, assorties de conditions relatives notamment à l’éclairage, l’amarrage des bouées et l’émission d’avis à la navigation dans certains cas. Tel que mentionné précédemment, c’est la décision rendue par le juge rejetant les demandes de contrôle judiciaire relatives à ces trois dossiers qui fait l’objet du présent appel.

[10]           Parallèlement aux procédures entamées par l’appelant devant la Cour fédérale, la Marina a déposé le 9 juillet 2013 une requête introductive d’instance en Cour supérieure afin d’obtenir une injonction permanente à l’encontre de l’appelant et d’un autre propriétaire riverain. Les représentants de la Marina allèguent également que l’appelant et l’autre propriétaire riverain ont enlevé les ancrages des quais installés par la Marina, que les titres acquis par l’appelant en avril 2013 ne lui conféraient pas de droits dans le bassin ou le lit de la rivière Chaudière, et enfin que leurs quais avaient été dûment autorisés par le ministre. D’autre part, l’appelant et deux autres propriétaires riverains ont intenté une action en dommages contre la Marina, au montant d’environ 200 000 $, pour les troubles de voisinage que leur causent les plaisanciers utilisant les quais de la Marina ainsi que pour la pose d’ancrages de ces quais sur leur propriété.

[11]           Le 9 février 2015, le juge a rendu jugement dans les deux affaires qui lui étaient soumises et a rejeté toutes les demandes de contrôle judiciaire. S’agissant plus particulièrement des approbations données à la Marina par le ministre, le juge a tout d’abord conclu qu’il était raisonnable de considérer les quais « B » et « D » ainsi que la Zone 4 comme étant des ouvrages au sens de la Loi. S’appuyant sur les définitions des termes « bateau » et « ouvrage » que l’on trouve à l’article 2 de la Loi, le juge s’est dit d’avis que les quais « B » et « D » ne peuvent être automatiquement considérés comme des « bateaux » du seul fait qu’il s’agit de « constructions flottantes ». Puisque l’intention de la Marina était évidente et consistait à se servir de ces quais ancrés de façon fixe pour amarrer des bateaux, le ministre pouvait raisonnablement conclure que les quais n’étaient ni conçus ni utilisés pour la navigation.

[12]           Quant à la prétention de l’appelant à l’effet que le ministre aurait commis une erreur révisable en ne considérant pas qu’il était le propriétaire du lit de la rivière Chaudière, le juge en a disposé en indiquant que les approbations accordées par le ministre n’ont aucun impact direct sur les droits de propriété du lit de la rivière Chaudière, comme le stipule d’ailleurs expressément les approbations. Ces dernières précisent en effet qu’« [i]l incombe au demandeur d’obtenir toute autre approbation, ou permis de construction, en vertu de toute loi applicable ». Le rôle du ministre est d’assurer le respect de la Loi et de ses textes d’application, et non de déterminer les droits de propriété et d’en assurer le respect. La propriété et les droits civils qui en découlent relèvent de façon exclusive du pouvoir législatif des provinces, et c’est aux tribunaux provinciaux qu’il revient de trancher ces questions.

[13]           Enfin, le juge a considéré l’argument de l’appelant fondé sur ses droits riverains, qui ne comprennent pas la propriété du lit mais sont plutôt intimement liés à la propriété du terrain riverain. D’après la décision rendue par la Cour d’appel du Québec en 1998 dans l’affaire Marchand, ces droits comprendraient notamment le droit d’accès, le droit d’usage domestique général, le droit d’ancrage et d’amarrage et le droit d’approvisionnement et de détournement à des fins non commerciales. L’appelant prétendait que le ministre avait commis plusieurs erreurs en ne prenant pas en considération dans ses calculs la grandeur réelle des bateaux qui passent sur la rivière Chaudière, le trafic double des bateaux, et les vents et courants; au surplus, le ministre n’aurait pas effectué la projection des lignes de lots riverains en accord avec les principes reconnus par l’Ordre des arpenteurs-géomètres du Québec, et n’aurait pas suivi une directive de Transports Canada (Aids and Waterways Navigation Protection – Navigational Impact Assessment Guidelines, TP 10387E) quant aux distances à respecter. À ce chapitre, le juge a encore une fois donné raison au ministre, se disant d’avis que ce dernier avait évalué les effets sur la navigation des ouvrages projetés par la Marina et qu’il avait pris en considération les droits riverains. Cette évaluation était raisonnable, et il n’appartenait pas à la Cour de substituer sa propre évaluation de la preuve et des facteurs techniques considérés par le ministre dans l’exercice de sa discrétion.

[14]           En ce qui concerne les arguments de partialité invoqués par l’appelant, le juge les a rejetés au motif que ces arguments expriment essentiellement un désaccord sur les faits et les méthodes utilisées par le ministre. À ses yeux, il n’existait aucune preuve de mauvaise foi, ni aucune preuve que le ministre aurait, par ses agissements, incité à penser que les approbations allaient être émises avant qu’elles ne le soient.

[15]           Il convient de mentionner en terminant que la Cour supérieure a rendu son jugement dans les deux litiges opposant l’appelant et la Marina le 4 décembre dernier, donc postérieurement à l’audition du présent appel. Après avoir fait une analyse exhaustive de la chaîne de titres, la Cour supérieure en est arrivée à la conclusion que l’appelant détient un bon et valable droit de propriété sur des parcelles de lot situées dans le lit de la rivière Chaudière, telles que décrites en annexe au jugement. Elle a également conclu que l’appelant et d’autres propriétaires riverains possèdent des droits riverains face à leur propriété leur permettant d’installer leur quai et d’en faire un usage normal avec leurs bateaux.

[16]           La Cour supérieure a cependant précisé qu’il ne lui appartenait pas de décider de l’à-propos des endroits pour l’installation des ancrages pour les quais de la Marina, et que cette responsabilité revient à Transports Canada. L’une de ses conclusions se lit comme suit :

ACCUEILLE l’intervention du Procureur Général du Canada aux seules fins de déclarer que la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont juridiction exclusive pour émettre les approbations requises en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables et ses règlements.

[17]           Cette décision a été portée en appel par l’Administration portuaire de Québec le 22 décembre 2015, et par la Marina le 29 décembre 2015. L’appelant a de son côté déposé deux déclarations d’appel incident le 30 décembre 2015.

II.                Questions en litige

[18]           Les parties au présent appel ont soulevé les trois questions suivantes :

a)         Le juge a-t-il erré en concluant que le ministre n’avait pas à considérer les droits de propriété sur le lit de la rivière Chaudière que détiendrait l’appelant, lors de l’émission des approbations contestées?

b)        Le juge a-t-il erré en concluant que l’évaluation faite par le ministre de l’impact des ouvrages projetés sur la navigation et les droits riverains était raisonnable?

c)         Le juge a-t-il erré en concluant qu’aucune crainte raisonnable de partialité n’avait été démontrée dans le processus d’émission des approbations contestées?

III.             Analyse

[19]           Les parties s’entendent sur la norme de contrôle applicable en cette Cour. Dans le cadre de l’appel d’une décision relative au contrôle judiciaire d’une décision administrative, la Cour d’appel doit déterminer si le tribunal de première instance a retenu la norme de contrôle appropriée et l’a appliquée correctement. C’est-à-dire que cette Cour doit, à toutes fins pratiques, se mettre à la place du juge de première instance et se concentrer sur la décision administrative qui fait l’objet du contrôle judiciaire : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 au para. 46; Agnaou c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 29, [2015] A.C.F. no 116 au para. 26.

[20]           L’appelant et le ministre s’entendent également sur le fait que le juge a bien identifié les normes de contrôle appropriées. En ce qui concerne les deux premières questions, qui font intervenir des éléments factuels et des principes juridiques, la norme applicable est celle de la décision raisonnable. Cette norme commande la déférence. Comme la Cour suprême du Canada le précisait dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 au para. 59 [Khosa]: « Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles-mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle-ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.S.C. 190 au para. 47) ». En ce qui concerne la troisième question, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique dans la mesure où la crainte raisonnable de partialité a été abordée pour la première fois par le juge et soulève essentiellement une question de droit : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 aux paras 8 et 9.

[21]           Avant d’aborder les trois questions soumises à l’attention de la Cour, il convient de reproduire les dispositions législatives pertinentes :

Définitions

Definitions

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

2. In this Act,

[…]

« bateau » Toute construction flottante conçue ou utilisée pour la navigation en mer ou dans les eaux internes, qu’elle soit pourvue ou non d’un moyen propre de propulsion. Est compris dans la présente définition tout ce qui fait partie des machines, de l’outillage de chargement, de l’équipement, de la cargaison, des approvisionnements ou du lest du bateau.

“vessel” includes every description of ship, boat or craft of any kind, without regard to method or lack of propulsion and to whether it is used as a sea-going vessel or on inland waters only, including everything forming part of its machinery, tackle, equipment, cargo, stores or ballast;

« ouvrage » Sont compris parmi les ouvrages :

“work” includes

a) les constructions, dispositifs ou autres objets d’origine humaine, qu’ils soient temporaires ou permanents, susceptibles de nuire à la navigation;

(a) any man-made structure, device or thing, whether temporary or permanent, that may interfere with navigation; and

b) les déversements de remblais dans les eaux navigables ou les excavations de matériaux tirés du lit d’eaux navigables, susceptibles de nuire à la navigation.

(b) any dumping of fill in any navigable water, or any excavation of materials from the bed of any navigable water, that may interfere with navigation.

Approbation des ouvrages

Approval of works

5. (1) Il est interdit de construire ou de placer un ouvrage dans des eaux navigables ou sur, sous, au-dessus ou à travers celles-ci à moins que, préalablement au début des travaux, l’ouvrage ainsi que son emplacement et ses plans n’aient été approuvés par le ministre.

5. (1) No work shall be built or placed in, on, over, under, through or across any navigable water without the Minister’s prior approval of the work, its site and the plans for it.

Conditions : obstacle important

Terms and conditions — substantial interference

(2) S’il estime que l’ouvrage gênera sérieusement la navigation, le ministre peut assortir son approbation des conditions qu’il juge indiquées et, notamment, exiger que la construction de celui-ci commence dans les six mois et se termine dans les trois ans qui suivent la date de l’approbation ou dans tout autre délai qu’il précise.

(2) If the Minister considers that the work would substantially interfere with navigation, the Minister may impose any terms and conditions on the approval that the Minister considers appropriate, including requiring that construction of the work be started within six months and finished within three years of the day on which approval is granted or within any other period that the Minister may fix.

Conditions : autre obstacle

Terms and conditions — other interference

(3) S’il estime que l’ouvrage gênera la navigation sans toutefois la gêner sérieusement, le ministre peut assortir son approbation des conditions qu’il juge indiquées et, notamment, exiger que la construction de celui-ci commence et se termine dans le délai qu’il précise.

(3) If the Minister considers that the work would interfere, other than substantially, with navigation, the Minister may impose any terms and conditions on the approval that the Minister considers appropriate, including requiring that construction of the work be started and finished within the period fixed by the Minister.

Prorogation

Extension of period

(4) Le ministre peut proroger la date du début ou de la fin de la construction de l’ouvrage.

(4) The Minister may, at any time, extend the period by changing the day on which construction of the work shall be started or finished.

Respect des plans, règlements et conditions

Compliance with plans, regulations and terms and conditions

(5) La construction, l’emplacement, l’entretien, l’exploitation, l’utilisation et l’enlèvement de l’ouvrage doivent être conformes aux plans, aux règlements et aux conditions prévues dans l’approbation du ministre.

(5) The work shall be built, placed, maintained, operated, used and removed in accordance with the plans and the regulations and with the terms and conditions in the approval.

Ordres ministériels à l’égard d’ouvrages non autorisés

Ministerial orders respecting unauthorized works

6. (1) Dans les cas où un ouvrage visé par la présente partie est construit ou placé sans avoir été approuvé au titre de la présente loi ou est construit ou placé sur un emplacement non approuvé au titre de celle-ci ou n’est pas construit ou placé conformément aux plans et conditions approuvés au titre de la présente loi et aux règlements ou, après avoir été construit ou placé conformément à l’approbation, n’est pas entretenu, exploité, utilisé ou enlevé conformément à ces plans et conditions et aux règlements, le ministre peut :

6. (1) If any work to which this Part applies is built or placed without having been approved under this Act, is built or placed on a site not approved under this Act, is not built or placed in accordance with the approved plans and terms and conditions and with the regulations or, having been built or placed as approved, is not maintained, operated, used or removed in accordance with those plans, those terms and conditions and the regulations, the Minister may

a) ordonner au propriétaire de l’ouvrage de l’enlever ou de le modifier;

(a) order the owner of the work to remove or alter the work;

b) lorsque le propriétaire de l’ouvrage n’obtempère pas à un ordre donné sous le régime de l’alinéa a), enlever et détruire l’ouvrage et aliéner — notamment par vente ou don — les matériaux qui le composent;

(b) where the owner of the work fails forthwith to comply with an order made pursuant to paragraph (a), remove and destroy the work and sell, give away or otherwise dispose of the materials contained in the work; and

c) enjoindre à quiconque d’arrêter la construction de l’ouvrage lorsqu’il est d’avis qu’il gêne ou gênerait la navigation ou que sa construction est en contravention avec la présente loi.

(c) order any person to refrain from proceeding with the construction of the work where, in the opinion of the Minister, the work interferes or would interfere with navigation or is being constructed contrary to this Act.

(2) [Abrogé, 2009, ch. 2, art. 322]

(2) [Repealed, 2009, c. 2, s. 322]

Frais d’enlèvement, de destruction ou d’aliénation

Costs of removal, destruction or disposal

(3) Les frais entraînés par l’enlèvement, la destruction ou l’aliénation d’un ouvrage par le ministre en application de l’alinéa (1)b) sont, après déduction du montant qui peut être réalisé notamment par vente, recouvrables du propriétaire, ainsi que les frais de recouvrement, au nom de Sa Majesté.

(3) Where the Minister removes, destroys or disposes of a work pursuant to paragraph (1)(b), the costs of and incidental to the operation of removal, destruction or disposal, after deducting therefrom any sum that may be realized by sale or otherwise, are recoverable with costs in the name of Her Majesty from the owner.

Approbation après le début des travaux

Approval after construction started

(4) Le ministre peut, sous réserve de dépôt et d’avis comme dans le cas d’un ouvrage projeté, approuver un ouvrage, ainsi que ses plans et son emplacement, et assortir son approbation des conditions qu’il estime indiquées, après le début de sa construction; l’approbation a alors le même effet que si elle avait précédé le début des travaux.

(4) The Minister may, subject to deposit and notice as in the case of a proposed work, approve a work, its site and the plans for it and impose any terms and conditions on the approval that the Minister considers appropriate after the start of its construction. The approval has the same effect as if it was given before the start of construction.

Préavis et dépôt des plans

Notice and deposit of plans

9. (1) L’autorité locale, la compagnie ou le particulier qui se propose d’établir un ouvrage dans des eaux navigables peut déposer auprès du ministre les plans portant sur la conception et la construction de l’ouvrage, avec la description de l’emplacement projeté, et lui en demander l’approbation.

9. (1) A local authority, company or individual proposing to construct any work in navigable waters may apply to the Minister for approval by depositing the plans for its design and construction and a description of the proposed site with the Minister.

Plans de gestion et d’exploitation

Plans for management and operation

(2) S’il estime que l’ouvrage gênera sérieusement la navigation, le ministre peut exiger de l’autorité locale, de la compagnie ou du particulier qu’il dépose en outre des plans de gestion et d’exploitation relativement à l’ouvrage.

(2) If the Minister considers that the work would substantially interfere with navigation, the Minister may also require that the local authority, company or individual deposit the plans for the management and operation related to the work.

Dépôt des plans et avis de la demande : obstacles importants

Deposit and notice — substantial interference

(3) S’il estime que l’ouvrage gênera sérieusement la navigation, le ministre ordonne à l’autorité locale, à la compagnie ou au particulier :

(3) If the Minister considers that the work would substantially interfere with navigation, the Minister shall direct the local authority, company or individual to

a) d’en déposer tous les plans au bureau d’enregistrement ou au bureau des titres de biens-fonds du lieu en cause ou à tout autre lieu qu’il précise;

(a) deposit all plans in the local land registry or land titles office or any other place specified by the Minister; and

b) de donner avis du projet de construction et du dépôt des plans par annonce insérée dans la Gazette du Canada et dans un ou plusieurs journaux publiés dans la localité où l’ouvrage doit être construit, ou dans les environs.

(b) provide notice of the proposed construction and the deposit of the plans by advertising in the Canada Gazette and in one or more newspapers that are published in or near the place where the work is to be constructed.

Le dépôt est effectué et l’avis est donné conformément aux modalités fixées par le ministre.

The plans shall be deposited and notice shall be provided in the form and manner specified by the Minister.

Dépôt des plans et avis de la demande : autres obstacles

Deposit and notice — other interference

(4) S’il estime que l’ouvrage gênera la navigation sans toutefois la gêner sérieusement, le ministre peut ordonner à l’autorité locale, à la compagnie ou au particulier de déposer les plans au bureau d’enregistrement ou au bureau des titres de biens-fonds du lieu en cause — ou tout autre lieu qu’il précise — et de donner avis du projet de construction et du dépôt des plans. Le dépôt est effectué et l’avis est donné de la façon que le ministre estime indiquée.

(4) If the Minister considers that the work would interfere, other than substantially, with navigation, the Minister may direct the local authority, company or individual to deposit the plans in the local land registry or land titles office or any other place specified by the Minister, and to provide notice of the proposed construction and the deposit of the plans as the Minister considers appropriate.

Observations

Comments

(5) Dans les trente jours suivant la publication du dernier avis mentionné aux paragraphes (3) ou (4), les intéressés peuvent présenter par écrit au ministre leurs observations.

(5) Interested persons may provide written comments to the Minister within 30 days after the publication of the last notice referred to in subsection (3) or (4).

A.                Le juge a-t-il erré en concluant que le ministre n’avait pas à considérer les droits de propriété sur le lit de la rivière Chaudière que détiendrait l’appelant, lors de l’émission des approbations contestées?

[22]           L’appelant a fait valoir que le juge avait erré en concluant que le ministre n’était pas tenu de considérer son droit de propriété sur certaines parties du lit de la rivière Chaudière en accordant à la Marina l’autorisation d’installer ses pontons. S’appuyant sur la définition de ce que constitue un « ouvrage légalement construit » et un « propriétaire » au paragraphe 3(1) de la Loi ainsi que sur le paragraphe 5(5), l’appelant soutient que le propriétaire foncier du terrain sur lequel sera construit un ouvrage doit donner son autorisation lorsqu’un ouvrage est construit et installé dans un cours d’eau. L’appelant ajoute d’ailleurs que le gestionnaire du PPEN a tenu compte du fait que Transports Canada considère le lit de la rivière Chaudière comme étant une propriété domaniale de la Couronne et appartenant au port de Québec lorsqu’il a pris sa décision d’émettre les documents d’approbation à la Marina. C’est la raison pour laquelle auraient été consultées la section des Affaires environnementales de Transports Canada et l’Administration portuaire de Québec et la Ville de Lévis.

[23]           Qui plus est, le juge aurait erré en considérant que les droits revendiqués par l’appelant ne constituaient que de simples « allégations de droits de propriété », alors que les titres de propriété acquis par l’appelant avaient été constatés par acte notarié et dûment enregistrés au registre foncier. Or, ces titres n’avaient pas été contestés judiciairement par la Marina au moment où le ministre a été avisé de l’existence des titres de propriété et de location exclusive par l’appelant le 13 mai 2013.

[24]           Enfin, l’appelant conteste l’affirmation du juge selon laquelle les approbations accordées par le ministre n’ont pas d’impact direct sur les droits de propriété du lit de la rivière, dans la mesure où la Marina doit respecter les autres lois et règlements en vigueur. Dans la mesure où les plans d’installation des quais « B » et « D » de la Marina annexés aux documents d’approbation prévoient que des ancrages chimiques à terre doivent être installés à trois endroits dans le lit de la rivière, ce qui nécessite l’insertion de fiches dans le roc, il en résulte nécessairement un empiètement physique sur et dans le sol du terrain loué par l’appelant et du terrain lui appartenant et donc une atteinte directe à son droit de propriété.

[25]           Ces arguments ne me convainquent pas, essentiellement parce qu’il convient de distinguer entre la compétence de légiférer pour protéger le droit public de navigation et les droits de propriété. Il est bien établi en droit constitutionnel canadien que ces deux concepts ne doivent pas être confondus, comme en fait foi l’extrait suivant de la décision rendue par le Comité judiciaire du Conseil privé dans l’affaire Attorney General for the Dominion of Canada v. Attorneys General for the Provinces of Ontario, Quebec and Nova Scotia, [1898] A.C. 700 à la p. 709, (sub. nom. Reference re Provincial Fisheries) 1898 CarswellNat 41:

It must also be borne in mind that there is a broad distinction between proprietary rights and legislative jurisdiction. The fact that such jurisdiction in respect of a particular subject-matter is conferred on the Dominion Legislature, for example, affords no evidence that any proprietary rights with respect to it were transferred to the Dominion. There is no presumption that because legislative jurisdiction was vested in the Dominion Parliament proprietary rights were transferred to it. The Dominion of Canada was called into existence by the British North America Act, 1867. Whatever proprietary rights were at the time of the passing of that Act possessed by the provinces remain vested in them except such as are by any of its express enactments transferred to the Dominion of Canada.

[Voir aussi : Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 5e éd., vol. 1, Scarborough, ON, Thomson Carswell, 2007 aux pp. 819-821.]

[26]           Dans l’exercice de la compétence législative sur la navigation que lui reconnaît le paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., ch.3, reproduite dans L.R.C. 1985, ann. II, no 5 [L.C. de 1867], le Parlement peut donc régir le droit public de navigation sans égard aux droits que peuvent avoir les propriétaires du lit d’un cours d’eau. S’exprimant au nom de la majorité, le juge La Forest a résumé ainsi les principes applicables en cette matière à l’occasion de la décision rendue par la Cour suprême dans l’arrêt Friends of the Oldman River c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3 à la p. 54, 88 D.L.R. (4th) 1 [Friends of the Oldman River] :

La nature du droit public de navigation a donné lieu à beaucoup de jurisprudence au cours des années, mais certains principes sont toujours valables. Premièrement, le droit de navigation n’est pas un droit de propriété, mais simplement un droit public de passage […]. Ce n’est pas un droit absolu, mais il doit être exercé d’une façon raisonnable de manière à ne pas empiéter sur les droits équivalents des autres. Il est tout particulièrement important en l’espèce de préciser que le droit de navigation l’emporte sur les droits du propriétaire du lit, même si le propriétaire est la Couronne. […]

[Voir aussi : Le droit québécois de l’eau, étude réalisée sous la direction de Me Guy Lord, Centre de recherche en droit public, Université de Montréal, 1977, p 914.]

[27]           Il va de soi que le pouvoir de légiférer pour assurer le droit de navigation emporte le pouvoir d’autoriser des obstacles à la navigation. C’est ce que prévoit l’article 5 de la Loi. Lorsqu’il autorise des obstacles à la navigation, le ministre peut tenir compte non seulement de l’incidence que pourra avoir un ouvrage sur la navigation, mais également d’autres critères relevant de la compétence fédérale comme l’impact environnemental d’un tel ouvrage ou ses répercussions sur les Indiens ou les terres réservés pour les Indiens. C’est présumément dans cette perspective que des consultations ont été faites auprès du spécialiste des consultations des groupes autochtones et des agentes en environnement de Transports Canada. À l’inverse, les provinces ne sont pas habilitées à adopter une loi autorisant l’établissement d’un obstacle à la navigation : Friends of the Oldman River à la p. 56.

[28]           Ceci étant dit, le Parlement ne peut porter atteinte aux droits privés d’un individu dans l’exercice de sa compétence législative sur la navigation. Ce principe a été énoncé dans l’arrêt Isherwood v. Ontario and Minnesota Power Co. (1911), 18 O.W.R. 459 (H.Ct. J. Ont.), [1911] O.J. No. 773 au paragraphe 17 et réitéré par la Cour suprême dans l’affaire Friends of the Oldman River à la page 60. Voilà pourquoi les approbations précisent que les ouvrages ne sont autorisés que dans la mesure où ils sont par ailleurs conformes à toutes autres exigences auxquelles ils pourraient être assujettis :

Le présent document approuve l’ouvrage compte tenu de ses effets sur la navigation maritime en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables. La construction, l’emplacement, l’entretien, l’exploitation, l’utilisation et l’enlèvement de l’ouvrage doivent être conformes à cette approbation, incluant les conditions énumérées ci-dessous et les plans ci-joints, ainsi qu’à tout règlement en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables.

Il incombe au demandeur d’obtenir tout autre approbation ou permis de construction, en vertu de toute loi applicable

[Dossier d’appel, volume 4, aux pp. 965, 967 et 969.]

[29]           Ce principe, qui est repris dans les lettres de transmission des approbations (Dossier d’appel, volume 5, aux pp. 1308, 1313 et 1315), est en parfaite harmonie avec le caractère fédéral de la Constitution canadienne et la logique qui sous-tend le partage des compétences entre deux ordres de gouvernement. Il serait contraire à l’esprit du fédéralisme d’accepter que le Parlement puisse soustraire des citoyens à leur obligation de se conformer aux normes par ailleurs validement adoptées par les législatures provinciales.

[30]           Il va donc sans dire que la Marina ne saurait s’autoriser des approbations qu’elle a obtenues en vertu de la Loi pour contrevenir au droit de propriété que pourrait détenir l’appelant. En fait, les approbations obtenues par la Marina pourraient bien se révéler largement théoriques et vidées de tout effet pratique, dans la mesure où les quais doivent effectivement être ancrés dans le lit de la rivière, si le récent jugement de la Cour supérieure confirmant les droits de propriété revendiqués par l’appelant devait être maintenu en appel.

[31]           Est-ce à dire que le ministre aurait dû s’abstenir d’émettre les approbations demandées par la Marina jusqu’à ce que la propriété du lit de la rivière Chaudière soit déterminée judiciairement? Je ne le crois pas. D’une part, la décision de la Cour supérieure est postérieure à l’émission des approbations. Au moment où les quais de la Marina ont été approuvés, la propriété du lit de la rivière à l’endroit où l’installation des quais était projetée était contestée, et la Cour d’appel du Québec avait refusé de se prononcer sur cette question en 1988. Dans ces circonstances, le juge était bien fondé de conclure que le ministre pouvait raisonnablement faire abstraction du droit de propriété sur le lit de la rivière Chaudière lorsqu’il a pris la décision d’émettre les approbations.

[32]           C’est aux tribunaux du Québec qu’il revient de trancher la question de savoir qui, de l’appelant ou de la Marina, est propriétaire des parcelles du lit de la rivière Chaudière où seront ancrés les quais autorisés par le ministre. La Loi n’autorise ce dernier qu’à encadrer le droit à la navigation et à autoriser les ouvrages qui pourraient gêner ce droit. Il ne lui revient pas de s’immiscer dans des questions qui relèvent, au terme de la L.C. de 1867, de la propriété et des droits civils dans la province, et encore moins de trancher un litige entre deux parties, de la même façon qu’« [i]l n’appartient pas à [la Cour supérieure] de décider, aux lieux et places de Transport[s] Canada, de l’à-propos des endroits pour l’installation des ancrages pour les quais de Marina […]  » : Marina de la Chaudière Inc. c. Thibeault, 2015 QCCS 5829, [2015] J.Q. no 14020 au para. 200. La Cour supérieure en était d’ailleurs arrivée à la même conclusion en 2012, dans le cadre d’une décision rejetant la demande d’injonction permanente présentée par l’appelant pour enjoindre la Marina d’enlever toutes ses installations dans le bassin de la rivière Chaudière : Thibeault c. Marina de la Chaudière Inc., 2012 QCCS 2938, [2012] J.Q. no 6267 (requête en rejet d’appel accueillie à 2012 QCCA 1226, [2012] J.Q. no 6393).

[33]           Pour tous les motifs qui précèdent, le premier moyen de l’appelant à l’encontre de la décision rendue par le juge doit donc être rejeté.

B.                  Le juge a-t-il erré en concluant que l’évaluation faite par le Ministre de l’impact des ouvrages projetés sur la navigation et les droits riverains était raisonnable?

[34]           À ce chapitre, l’appelant soutient que l’agent du PPEN n’a pas tenu compte des droits riverains avant d’émettre les approbations contestées. S’appuyant sur une publication de la Garde côtière canadienne intitulée « Aids and Waterways Navigation Protection – Navigational Impact Assessment Guidelines » (Dossier d’appel, vol. 2, à la p. 472 [TP 10387E]), l’appelant allègue que l’agent devait d’abord déterminer la taille du chenal de navigation, et ensuite établir les droits riverains en s’assurant de les respecter.

[35]           D’après l’appelant, l’application de ces lignes directrices aurait dû se traduire par une zone de dégagement approximative de 45 mètres à partir d’une profondeur de 1,8 mètre. Or, l’agent n’a prévu qu’une zone de dégagement de 14,5 mètres, ce qui correspond uniquement à une circulation à sens unique pour des bateaux d’une largeur moyenne de 3 mètres. Selon l’appelant, cela serait non seulement insuffisant mais témoignerait par ailleurs du fait que l’on n’a pas tenu compte des droits riverains lors de l’approbation des demandes déposées par la Marina.

[36]           Pour les motifs qui suivent, je ne peux me ranger à l’argument de l’appelant. Comme le juge, je me permettrai tout d’abord de rappeler que des lignes directrices publiées par un ministère ou un organisme gouvernemental aux fins d’informer les justiciables quant à l’application d’une loi ou d’un règlement n’ont pas force obligatoire. Les lignes directrices n’ont pas force de loi et ne peuvent en aucun cas limiter ou assujettir à des conditions un pouvoir discrétionnaire octroyé par le législateur : voir Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1981] 1 C.F. 500 (C.A.F.), [1980] A.C.F. no 171 au para. 29, conf. par [1982] 2 R.C.S. 2, 137 D.L.R. (3d) 558; Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2016] W.D.F.L. 179 au para. 32.

[37]           D’autre part, la preuve n’étaye pas l’argument de l’appelant voulant que le ministre n’ait pas tenu compte des droits riverains. Ainsi, le dossier certifié du tribunal contient un plan traçant une marge de 14,5 mètres autour des propriétés riveraines à partir d’une profondeur d’environ 1,8 mètre (voir Plan 1 de 5 : Illustration des droits riverains dans le fleuve Saint-Laurent & l’estuaire de la rivière Chaudière, Dossier d’appel A-131-15, vol. 4, à la p. 1010). Au surplus, le document expliquant les décisions qui ont été prises concernant les demandes d’approbation présentées par la Marina témoignent du fait que les droits des riverains ont été pris en considération, comme en fait foi le passage suivant :

Nous avons aussi tenu compte de plusieurs recommandations de nos pairs en ce qui a trait au droit riverain d’accès à l’eau et de sortie de l’eau (droit d’accès) ainsi que de certains énoncés utilisés dans le passé au PPEN. Entre autres, l’un de ces documents mentionne que dans les zones à marées, le droit d’accès raisonnable à l’eau se situe dans 6 pieds (1.8m) d’eau au niveau de la marée basse [suivent deux graphiques tirés du document TP 10387E].

Aussi, pour établir un droit d’accès à l’eau équitable pour chaque riverain, nous avons pris en considération la ligne médiane des terrains riverains à laquelle nous avons tracée des perpendiculaires dans le prolongement des limites de chacun des lots. De ce fait, il a été établi que le droit d’accès à l’eau ne devrait pas excéder les limites de chaque lot dans le prolongement des perpendiculaires de chacun.

Nous avons aussi considéré une zone de manœuvre minimale de 14.5 mètres à partir de l’isobathe de 2 mètres afin de permettre la construction ou le placement d’un quai ou d’un tangon d’amarrage pour chacun des riverains. Cette zone de manœuvre a été établie à l’aide des paramètres mentionnés dans le document de référence AECOM considérant un trafic double dans une zone où les navires sont en manœuvres d’accostage (vitesse minimale).

[Rationnelle des décisions prépublications [La Loi] TC, Dossier d’appel, vol. 5, aux pp. 1296-1298.]

[38]           De fait, les approbations ont été accordées sous réserve de la relocalisation de certains quais et zones de mouillage, de façon à ce que les propriétaires riverains puissent exercer leurs droits d’accès à l’eau et puissent placer des tangons d’amarrage. L’appelant aurait souhaité que les droits riverains soient évalués à une distance supérieure, pour tenir compte notamment d’une circulation dans les deux sens et de bateaux d’une taille supérieure à celle qui a été considérée. Ce désaccord dans l’évaluation de ce qui est nécessaire pour assurer la sécurité de la navigation n’est cependant pas suffisant pour établir que la décision de l’agent était déraisonnable ou qu’il n’a pas été tenu compte des droits riverains. S’il ne fait aucun doute que les droits riverains doivent être pris en considération dans le processus d’approbation des ouvrages pouvant être placés sur des eaux navigables, plusieurs autres facteurs doivent également être soupesés pour assurer la sécurité de la navigation. Le document explicatif mentionne notamment les particularités du bassin en front des propriétés riveraines, ainsi que l’hydraulicité de la rivière Chaudière et le fait que cette zone non cartographiée doit être considérée à risque et naviguée avec prudence. J’estime donc que le juge n’a pas erré en concluant que l’évaluation faite par le ministre de l’impact des ouvrages projetés sur la navigation et les droits riverains était raisonnable. Il n’appartenait pas au juge de substituer sa propre appréciation de la preuve à celle du ministre en l’absence d’erreur manifeste dans l’exercice de sa discrétion.

C.                 Le juge a-t-il erré en concluant qu’aucune crainte raisonnable de partialité n’avait été démontrée dans le processus d’émission des approbations contestées?

[39]           Enfin, l’appelant a tenté de faire valoir que le ministre avait fait preuve de partialité et d’un esprit fermé, et aurait commis plusieurs erreurs qui ne sont pas le fruit du hasard, « mais bien le résultat d’une action concertée, démontrant une décision arbitraire, et l’absence de transparence de la part de Transports Canada » (Mémoire des faits et du droit de l’appelant au para. 208). Il s’agit là d’une accusation très grave qui ne saurait être faite à la légère et qui doit être étayée par une preuve substantielle : Canadian Transit Co. c. Canada (Ministre des Transports), 2011 CF 515, [2011] A.C.F. no 620 au para. 90, conf. par 2012 CAF 70, [2012] A.C.F. no 307.

[40]           Tel que l’a noté le juge, il ne suffit pas de plaider des arguments substantifs en suggérant qu’ils n’auraient pas dû être rejetés pour faire naître une crainte réelle de partialité. En l’absence de toute preuve concrète permettant d’établir ou à tout le moins de soupçonner que les arguments de l’appelant ont été écartés sans considération, la Cour ne saurait faire droit à des allégations de partialité.

[41]           En l’occurrence, l’appelant a eu tout le loisir de présenter ses observations suite à la publication de l’avis du projet de construction et du dépôt des plans dans la Gazette du Canada. Il appert de la preuve que l’on a tenu compte des observations déposées par l’appelant et d’autres propriétaires riverains puisque les approbations ont été accordées sous réserve de certaines modifications aux emplacements projetés des installations de la Marina. Dans ces circonstances, le juge pouvait conclure qu’une personne sensée et raisonnable qui se renseignerait sur le sujet n’éprouverait pas de crainte raisonnable de partialité.

[42]           Le fait que le document TP 10387E n’ait pas été originalement inclus au dossier du tribunal et qu’il n’ait été obtenu par l’appelant que suite à une demande d’accès à l’information ne suffit pas, à mon avis, pour démontrer la mauvaise foi du ministre. Non seulement le document de référence qui se trouvait dans le dossier certifié et qui fournissait les méthodes de calcul pour les distances minimales nécessaires pour le passage sécuritaire d’un bateau (AECOM Canada Ltd., Transports Canada – Developpement of a Guidance Document with Regard to a Safe Navigational Envelope, Dossier d’appel, vol. 5, aux pp. 1483 et s.) ne déroge-t-il pas substantiellement de celui qui avait été omis, mais au surplus il était plus récent. Qui plus est, les graphiques du document manquant sur lesquels on s’appuyait dans le document explicatif de la décision y étaient reproduits.

[43]           Enfin, le fait que ce même document explicatif mentionne erronément que le ministre a calculé une zone de manœuvre pour une circulation dans les deux sens alors qu’il a plutôt tenu compte d’une circulation à sens unique ne me paraît pas déterminant, en l’absence de tout autre indice tendant à démontrer qu’il ne s’agit pas d’une erreur de bonne foi mais bien d’un manque de transparence délibéré, d’autant plus qu’il était loisible au ministre de s’en tenir à une zone de manœuvre pour une circulation à sens unique.

IV.             Conclusion

[44]           Pour tous ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

« Yves de Montigny »

j.c.a.

« Je suis d’accord

Johanne Gauthier j.c.a. »

« Je suis d’accord

Richard Boivin j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-131-15

(APPEL D’UN JUGEMENT DE L’HONORABLE JUGE MARTINEAU DE LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA EN DATE DU 9 FÉVRIER 2015, N° DE DOSSIERS T‑1068‑13, T-1087-13, T-1086-13.)

INTITULÉ :

SYLVIO THIBEAULT c. MINISTRE DES TRANSPORTS, DE L'INFRASTRUCTURE ET DES COLLECTIVITÉS, ET, LA MARINA DE LA CHAUDIÈRE INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 NOVEMBRE 2015

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

la juge gauthier

LE JUGE BOIVIN

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 AVRIL 2016

 

 

COMPARUTIONS :

Isabelle Pillet

Jacques Demers

 

pour l’APPELANT

Mariève Sirois-Vaillancourt

pour L’INTIMÉ

[MINISTRE DES TRANSPORTS, DE L’INFRASTRUCTURE ET DES COLLECTIVITÉS]

 

François Marchand

POUR L’INTIMÉE

[LA MARINA DE LA CHAUDIÈRE INC.]

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

De Man, Pilotte

Montréal (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

pour L’INTIMÉ

[MINISTRE DES TRANSPORTS, DE L’INFRASTRUCTURE ET DES COLLECTIVITÉS]

 

Cabinets d’avocats St-Paul

Québec (Québec)

POUR L’INTIMÉE

[LA MARINA DE LA CHAUDIÈRE INC.]

 

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