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Date : 20160421


Dossier : A-232-15

Référence : 2016 CAF 124

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE SCOTT

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

GANDHI JEAN PIERRE

appelant

et

AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

intimée

Audience tenue à Montréal (Québec), le 12 avril 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 21 avril 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE SCOTT

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20160421


Dossier : A-232-15

Référence : 2016 CAF 124

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE SCOTT

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

GANDHI JEAN PIERRE

appelant

et

AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SCOTT

[1]               La Cour est saisie d’un appel de monsieur Gandhi Jean Pierre (l’appelant) d’une décision (2015 CF 436) par laquelle la Juge Marie-Josée Bédard de la Cour fédérale (la Juge) a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre d’une décision du Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) (2013 TDFP 28). Dans cette décision, le Tribunal rejetait la plainte déposée par l’appelant aux termes de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP). Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites en annexe des présents motifs.

I.                   Contexte

[2]               Dans sa plainte auprès du Tribunal, l’appelant alléguait que son élimination du processus de nomination interne pour pourvoir un poste d’agent d’audience au sein de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) résultait d’un abus de pouvoir du comité d’évaluation.

[3]               Tel qu’expliqué par la Juge dans ses motifs, la compétence du Tribunal lorsqu’il est appelé à statuer sur une plainte formulée aux termes de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP est limitée. Entre autres, le Tribunal ne peut se pencher sur le mérite de la candidature d’un plaignant que dans la mesure où les circonstances de l’affaire tendent à démontrer que cette candidature a été rejetée en raison d’un abus de pouvoir. Le paragraphe 2(4) de la LEFP précise que « pour l’application de la présente loi, on entend notamment par « abus de pouvoir » la mauvaise foi et le favoritisme personnel ».

[4]               Devant le Tribunal, l’appelant soutenait que : i) le comité d’évaluation avait choisi les répondantes de l’appelant de façon inappropriée; ii) les références fournies par les répondantes n’étaient pas fiables; iii) les membres du comité d’évaluation n’étaient pas impartiaux; iv) le comité d’évaluation était tenu de réévaluer l’appelant; et que v) les répondantes et les membres du comité d’évaluation avaient fait preuve de discrimination à son endroit en raison de sa race, de sa couleur, et de son origine ethnique. Le Tribunal a rejeté l’ensemble de ces allégations, estimant que les choix du comité étaient justifiés et ne permettaient pas de conclure à un abus de pouvoir.

[5]               La juge a confirmé ces motifs, répondant en détail et de manière articulée à chacun des arguments de l’appelant.

II.                Norme de contrôle

[6]               Le rôle de cette Cour, lorsque saisie d’un appel d’une décision rendue dans une demande de révision judiciaire est de vérifier si le juge a choisi les normes de contrôle appropriées et de déterminer si il les a appliquées correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 aux paragraphes 45-47, [2013] 2 R.C.S. 559 [Agraira]). Pour ce faire, notre Cour se « met à la place » du juge et se concentre sur la décision administrative (Agraira au paragraphe 46; Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3 au paragraphe 247, [2012] 1 R.C.S. 23).

[7]               Dans ses représentations devant notre Cour, l’appelant soulève des arguments similaires à ceux présentés devant le Tribunal et la Cour fédérale. Les reproches formulés par l’appelant à l’encontre de la décision du Tribunal s’articulent principalement autour des motifs suivants : i) le défaut du Tribunal de respecter les règles d’équité procédurale; ii) le défaut du comité de respecter les règles d’équité procédurale; et iii) des erreurs dans l’application par le Tribunal des notions d’abus de pouvoir au sens de la LEFP et de discrimination au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, ch. H-6 (la LCDP), vu son appréciation des éléments de preuve au dossier.

[8]               La Juge a correctement identifié la norme de contrôle applicable aux deux premières catégories de questions. Toute conclusion d’un décideur administratif portant sur une allégation de manquement à l’équité procédurale commande l’application de la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24 au paragraphe 79, [2014] 1 R.C.S. 502 [Khela]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 au paragraphe 43, [2009] 1 R.C.S. 339). Cette norme s’applique aussi aux conclusions de la Juge traitant de l’allégation de manquement à l’équité procédurale par le Tribunal.

[9]               La Juge ne s’est pas davantage trompée en identifiant la norme de contrôle applicable à la troisième catégorie de questions. Les questions mixtes de fait et de droit qui découlent de l’interprétation et de l’application de la LEFP par le Tribunal sont appréciées selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 53, [2008] 1 R.C.S. 190 [Dunsmuir]; Agnaou c. Canada (Procureur général), 2014 CF 850 aux paragraphes 40-41, [2014] A.C.F. no 1321 (QL), confirmé par Agnaou c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 294, [2015] A.C.F. no 1482 (QL) (demande d'autorisation d'appel déposée le 16 février 2016) [Agnaou]).

[10]           La norme applicable au rejet par le Tribunal des allégations de discrimination formulées par l’appelant est celle de la décision raisonnable, puisque ce dernier remet uniquement en question l’application qu’a faite le Tribunal des principes légaux établis, ce qui soulève une question mixte de fait et de droit.

III.             Analyse

[11]           L’appelant nous a présenté des arguments écrits très détaillés et il s’appuie sur de nombreuses dispositions législatives et décisions judiciaires ou administratives. Tel que mentionné, la Juge a pris soin de traiter chacune des allégations de l’appelant et les a rejetées suite à une analyse en profondeur.

[12]           Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de faire de même ici, et je me limiterai donc aux arguments de l’appelant que j’estime être les plus probants, étant entendu que je suis persuadé que les autres allégations ne justifient aucunement une intervention de notre Cour.

A.                 La Juge a-t-elle correctement conclu que le Tribunal n’avait manqué à aucune obligation en matière d’équité procédurale?

[13]           L’appelant soutient que le rejet par le Tribunal des éléments de preuve CF-32 et CF-53 l’a empêché d’étayer ses allégations de partialité à l’encontre de madame Clément et du contexte de représailles dont il a été victime. La pièce CF-32 réfère à des échanges de courriels concernant une rencontre de médiation. On y confirme également la destruction des notes de préparation de cas de l’appelant dans le cadre d’un autre processus de dotation. Cette pièce contient aussi le protocole de règlement de la plainte signée le 11 décembre 2009 suite à cette médiation. La pièce CF-53 comprend un communiqué annonçant entre autres la nomination de Dianne Clément au poste de Directrice, Examen des risques avant renvoi (ERAR) et Service à la clientèle, ainsi qu’un courriel du 27 juillet 2012 dans lequel madame Clément annonce sa retraire. À ce sujet, tout en reconnaissant la justesse de l’analyse de la Juge contenue aux paragraphes 48 à 60 de sa décision, je tiens néanmoins à y apporter une précision.

[14]           L’appelant allègue que la Juge ne pouvait conclure que le Tribunal était justifié de refuser le dépôt de la pièce CF-53, puisque les règles techniques de preuve ne s’appliquent pas aux tribunaux administratifs. Je suis d’avis que le choix d’admettre un élément en preuve ou non constitue un choix de procédure du Tribunal. La Juge était donc justifiée d’exercer un « certain degré de retenue » à l’égard de l’appréciation de ce choix (Khela au paragraphe 89; Forest Ethics Advocacy Association c. Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245 au paragraphe 70, [2014] 4 R.C.F. 75; Re:Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48 aux paragraphes 37-44, [2015] 2 R.C.F. 170; Commission scolaire de Laval c. Syndicat de l'enseignement de la région de Laval, 2016 CSC 8, [2016] A.C.F. no 8 (QL) aux paragraphes 30-31).

[15]           Par ailleurs, et pour les motifs énoncés par la Juge, le refus d’admettre ces documents était sans conséquence puisque ces documents ne pouvaient établir d’aucune façon l’allégation de partialité de madame Clément à l’endroit de l’appelant. Ce refus n’entache donc pas l’équité du processus devant le Tribunal (Agnaou au paragraphe 110; Syndicat des employés professionnels de l’Université du Québec à Trois-Rivières c. Université du Québec à Trois-Rivières, [1993] 1 R.C.S. 471 au paragraphe 47, 1993 CanLII 162 (CSC)).

B.                 Le Tribunal a-t-il correctement conclu que le comité de sélection n’avait manqué à aucune obligation en matière d’équité procédurale?

[16]           Devant les références contradictoires de mesdames Cathie Giroux (évaluation défavorable) et Sophie Kobrynsky (évaluation favorable), lesquelles avaient toutes deux été identifiées par l’appelant sur le formulaire approprié, le comité d’évaluation a décidé de contacter une troisième répondante, madame Dianne Clément, superviseure de madame Giroux et gestionnaire de la Division d’ERAR où travaillait alors l’appelant.

[17]           L’appelant soutient que le comité aurait dû, s’il considérait que madame Kobrynsky n’était pas une répondante appropriée, lui permettre de fournir un autre répondant avant de contacter une tierce personne de son propre chef. À mon avis, cet argument ne peut être retenu. Le problème auquel le comité a été confronté ne découlait pas des qualifications de madame Kobrynsky comme « répondante appropriée », mais plutôt du besoin de valider si les références défavorables de madame Giroux résultaient d’un conflit personnel avec l’appelant. Rien ne démontre que le comité ait ignoré ou discrédité les références données par madame Kobrynsky.

[18]           L’appelant prétend que la décision du comité d’évaluation de contacter une troisième référence, sans lui avoir fourni l’opportunité de commenter cette initiative ou de réfuter les allégations de cette répondante, a enfreint son droit d’être entendu et de présenter des éléments de preuve pour contredire celle-ci, ce qui a entaché la transparence du processus d’évaluation.

[19]           Reconnaissant qu’il aurait été préférable que le comité informe l’appelant du choix de madame Clément à titre de répondante afin qu’il puisse faire part au comité de ses préoccupations quant à son impartialité, le Tribunal a conclu que le droit de participation de l’appelant avait néanmoins été respecté à l’étape de la discussion informelle. Cette étape est prévue à l’article 47 de la LEFP, lequel indique qu’« [à] toute étape du processus de nomination interne, la Commission peut, sur demande, discuter de façon informelle de sa décision avec les personnes qui sont informées que leur candidature n’a pas été retenue ».

[20]           L’appelant soutient que cette discussion ne permet pas aux candidats de participer réellement à la décision, puisqu’elle se tient après la prise de décision, et vise simplement à en expliquer la teneur aux candidats non-retenus. Le Tribunal a statué que la discussion avait eu lieu avant l’étape de nomination d’un candidat, puisque le comité d’évaluation peut, aux termes du paragraphe 48(3) de la LEFP « changer d’idée au sujet de la candidature d’un candidat », avant l’annonce officielle de la nomination. Je suis d’avis que le texte de la loi confirme l’explication du Tribunal, et que les préoccupations de l’appelant à l’endroit de Mme Clément ont donc pu être exprimées avant la fin du processus de nomination.

[21]           Dans le cas présent, cette conclusion est également validée par le courriel envoyé par monsieur Meniaï le 15 mars 2012 (Pièce CF-74, Dossier d’Appel, Vol. 2 p. 611). Dans ce courriel, monsieur Meniaï confirme que la discussion informelle avec l’appelant a déjà eu lieu, mais que la nomination du candidat retenu restait à venir suivant l’expiration de la période d’attente à laquelle le paragraphe 48(2) de la LEFP fait allusion.

[22]           L’appelant prétend également que le comité a manqué à son obligation de communiquer les motifs de sa décision en omettant de répondre à une demande qu’il qualifie de demande de reconsidération. Ce manque de transparence constituerait, selon l’appelant, une violation des règles d’équité procédurale. Je note que la « demande de reconsidération » à laquelle réfère l’appelant est un document intitulé « Mesures correctives suite à mon élimination du processus de sélection […] », envoyé par l’appelant au comité d’évaluation le 7 mars 2012 après la discussion informelle tenue le 28 février 2012.

[23]           L’appelant soutient que la conclusion du Tribunal voulant qu’il ait obtenu des explications du comité d’évaluation quant au refus de réévaluer ses qualifications est contredite par la preuve. Le document auquel réfère l’appelant est un courriel du 15 mars 2012, que monsieur Meniaï lui a transmis, qui accuse simplement réception du document « Mesures correctives […] » (Pièce CF-74, Dossier d’Appel, Vol. 2 p. 611). En fait, les conclusions du Tribunal reposent plutôt sur les explications fournies à l’appelant lors de la discussion informelle en réponse à sa demande de remplacer les références de mesdames Giroux et Clément par d’autres évaluations du rendement plus favorables, et non au document « Mesures correctives […] ».

[24]           J’estime que le droit de l’appelant à une décision motivée n’a pas été enfreint en l’espèce. L’appelant a eu l’opportunité d’exprimer toutes ses préoccupations lors de la discussion informelle, et la conclusion du Tribunal à l’effet que ces préoccupations avaient été considérées par monsieur Meniaï lors de la rencontre s’appuyait sur la preuve testimoniale de ce dernier.

[25]           De plus, je me dois de souligner que la position de l’appelant concernant son document « Mesures correctives […] », n’a aucun fondement en regard de la LEFP, et que toute attente qu’il avait à cet égard ne pouvait donc donner lieu à une obligation d’équité procédurale pour le comité (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 1999 CanLII 699).

[26]           En effet, la LEFP n’offre aucun recours en réexamen ou reconsidération d’une nomination. L’article 49 indique que toute décision de la Commission « portant nomination ou proposition de nomination est définitive et ne peut faire l’objet d’un appel ou d’une révision que conformément à la présente loi », mais aucune autre disposition ne prévoit un droit de cette nature. L’appelant n’était donc pas réellement habilité à présenter une demande de reconsidération, et les seules obligations du comité portaient sur la réponse qu’il devait fournir aux préoccupations soulevées par l’appelant lors de la discussion informelle. D’ailleurs, je suis d’avis que les inquiétudes soulevées par l’appelant dans son document visaient à alimenter – si ce n’est répéter – les considérations qu’il avait partagées lors de sa discussion informelle, et qu’elles ne soulevaient pas la nécessité d’une justification distincte.

[27]           Finalement, j’adopte les motifs de la Juge au paragraphe 121 de sa décision en ce qui a trait aux allégations de partialité du comité d’évaluation. Le fait que le comité n’ait pas donné suite aux préoccupations « insistantes » de l’appelant quant à l’impartialité de mesdames Giroux et Clément ne signifie pas pour autant que le comité a refusé de s’y pencher, ou a lui-même fait preuve de partialité.

C.                 Le Tribunal pouvait-il raisonnablement rejeter l’allégation d’abus de pouvoir par le comité d’évaluation?

[28]           L’appelant soutient que la décision du Tribunal est déraisonnable pour de multiples raisons qu’il a qualifiées à maintes reprises devant nous comme étant « l’ensemble de l’œuvre ». À mon avis, il s’objecte principalement aux conclusions de fait tirées par le Tribunal, sous prétexte que ce dernier aurait ignoré certains éléments de preuve déterminants ou accordé une trop grande importance à certains éléments qui n’en méritaient pas autant.

[29]           Avant de disposer des principaux arguments soulevés par l’appelant, et comme la Juge l’a fait aux paragraphes 69 et 70 de ses motifs, il convient de rappeler que la norme de la raisonnabilité ne permet pas à cette Cour de réexaminer les éléments de preuve présentés par l’appelant en soupesant à nouveau leur valeur probante (Dunsmuir au paragraphe 47).

[30]           Ainsi, le fait qu’un autre membre du Tribunal aurait pu tirer, dans un dossier similaire au nôtre, une conclusion différente de celle tirée par le Tribunal en l’espèce, ne rend pas la décision devant nous nécessairement déraisonnable. À ce sujet, l’appelant nous a référé au dossier Gabon c. Le sous-ministre d’Environnement Canada (2012 TDFP 29) dans lequel le Tribunal de la dotation de la fonction publique avait accueilli une plainte d’abus de pouvoir. Or, cette affaire se distingue du présent appel puisque dans ce cas, le Tribunal a fait droit à la plainte principalement parce que le processus de nomination contenait plusieurs erreurs : i) les directives fournies aux candidats au sujet des répondants manquaient de clarté; et ii) le guide de vérification des références s’adressait à des superviseurs et gestionnaires sans qu’on exige des répondants qu’ils aient occupés de telles fonctions. Le comité d’évaluation avait retenu l’évaluation négative d’un superviseur sans prendre les précautions nécessaires dans les circonstances. Or, dans le cas présent, le comité d’évaluation a cru bon de prendre des précautions face à l’évaluation négative de madame Giroux, une des répondantes de l’appelant.

[31]           De plus, il n’appartient pas à cette Cour, pas plus qu’il n’appartenait au Tribunal, de réévaluer le mérite de la candidature de l’appelant pour le poste d’agent d’audience. Le Tribunal devait uniquement déterminer si l’appelant avait établi que le comité d’évaluation avait commis un abus de pouvoir dans le processus de nomination en cause. L’appelant ne conteste pas la façon dont le Tribunal a cerné les principes juridiques applicables à la notion d’abus de pouvoir, et je suis d’avis que les critères énoncés par le Tribunal pour trancher la plainte de l’appelant étaient corrects en droit.

(1)               Suffisance des motifs du Tribunal

[32]           L’appelant fait valoir que le Tribunal a omis de considérer certains éléments de preuve (tels que ses décisions à titre d’agent d’ERAR, la preuve présentée devant la Commission de la fonction publique, ou la preuve avancée pour étayer le contexte de représailles dont l’appelant se dit avoir été victime) ou encore aurait omis de traiter de certains arguments ou précédents jurisprudentiels. Je considère que ces reproches concernent la suffisance des motifs du Tribunal.

[33]           À ce sujet, la Cour suprême a énoncé, dans Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [2011] 3 S.C.R. 708, que :

[16] Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., 1973 CanLII 191 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391).

[34]           Ainsi, je suis d’avis que les motifs du Tribunal répondent aux critères établis dans Dunsmuir dans la mesure où cette Cour est en mesure de comprendre le fondement de sa décision et de déterminer que ses conclusions font partie des issues possibles acceptables. J’estime que les « failles » identifiées par l’appelant ne sont pas de nature à remettre en question le caractère raisonnable de la décision du Tribunal.

(2)               Sélection et fiabilité des répondantes

[35]           L’appelant allègue qu’il était déraisonnable pour le Tribunal de conclure que le comité d’évaluation ne s’était pas comporté de manière abusive en contactant madame Clément et en tenant compte de ses références « en dehors de la volonté et de la connaissance de l’appelant ».

[36]           Il fait valoir également que les renseignements fournis par madame Clément étaient protégés par la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21 (la LPRP), et que celle-ci n’était pas autorisée à les divulguer à l’ASFC sans son consentement. L’appelant estime que la conclusion du Tribunal, voulant que cette divulgation soit justifiée aux termes de l’alinéa 8(2)a) de la LPRP, va à l’encontre du principe voulant que les exceptions contenues à la LPRP doivent être interprétées avec retenue. Je suis d’avis que le paragraphe 34 des motifs du Tribunal traite raisonnablement de l’argument soulevé par l’appelant. Les connaissances du rendement de l’appelant cumulées par madame Clément dans le cadre de la supervision de celui-ci, constituaient des renseignements « recueillis » aux fins de l’évaluation de son rendement. La mise à profit de ces connaissances à l’occasion d’un processus de nomination pour lequel l’appelant a lui-même postulé constitue, logiquement, un usage compatible aux fins d’évaluation du rendement. De plus, et contrairement à ce que prétend l’appelant, l’alinéa 8(2)a) ne limite pas la communication au sein d’une seule institution – au contraire.

[37]           D’autre part, le Tribunal a clarifié, au paragraphe 44 de ses motifs, qu’un abus de pouvoir au sens de l’alinéa 77(1)a) serait établi s’il était évident que les renseignements fournis au comité d’évaluation par les répondantes étaient peu fiables, que ce soit en raison d’un manque flagrant d’impartialité de leur part ou pour toute autre raison. Ainsi, la partialité d’un répondant en soi ne signifie pas nécessairement qu’un comité d’évaluation a abusé de son pouvoir; encore faut-il que le comité concerné ait été témoin d’un élément remettant en question la fiabilité des renseignements fournis par un répondant.

[38]           L’appelant soutient que les références fournies par mesdames Giroux et Clément n’étaient pas fiables pour plusieurs raisons, et que le comité d’évaluation a abusé de son pouvoir en leur accordant davantage d’importance. De façon corollaire, l’appelant invoque que la décision du comité de ne pas « retenir » les références fournies par madame Kobrynsky résultait de plusieurs erreurs, et qu’il était déraisonnable pour le Tribunal d’avoir omis d’y donner suite.

[39]           L’appelant affirme que les références de mesdames Giroux et Clément ne pouvaient être fiables en raison de la partialité des deux répondantes à son endroit. Il allègue que ce parti pris est notamment étayé vu : i) son conflit personnel avec madame Giroux; ii) l’absence d’éléments de preuve pour appuyer les propos de mesdames Giroux et Clément; et iii) l’affidavit de Me Darin Jacques, lequel contredisait l’évaluation du travail de l’appelant faite par mesdames Giroux et Clément. Selon l’appelant, le Tribunal aurait dû conclure que le comité avait abusé de son pouvoir en tenant compte des références de mesdames Giroux et Clément en dépit de leur partialité. La conclusion opposée du Tribunal serait attribuable au défaut par celui-ci d’accorder le poids nécessaire aux éléments de preuve avancés par l’appelant.

[40]           Bien qu’il soit vrai que certains propos de madame Giroux, consignés dans les notes d’entrevue recueillies par madame Raymond, puissent laisser croire à des différends d’ordre personnel avec l’appelant (soient les mentions « macho » et « problèmes avec les femmes en autorité »), rien ne soutient d’autre part les allégations de l’appelant. Madame Raymond a expliqué dans son témoignage au Tribunal qu’elle s’était mal exprimée dans son courriel du 16 décembre 2011, où elle affirmait que madame Giroux avait « effectivement eu des problèmes personnels avec le candidat au quotidien ». Madame Giroux a également déclaré dans son témoignage qu’elle n’avait pas de problèmes personnels avec le plaignant. De plus, l’appelant a lui-même consigné dans son « Résumé » de la discussion informelle que les allusions « macho » et « problèmes avec les femmes en autorité » de madame Giroux n’avaient « pas été considérés dans l’évaluation de [s]a candidature » (Pièce CF-78, Dossier d’Appel, Vol. 3 p. 764). Par ailleurs, je tiens à souligner que si l’appelant éprouvait une quelconque inquiétude quant à la capacité de madame Giroux de fournir des références impartiales à son endroit, rien ne l’empêchait de manifester cette appréhension d’emblée, au moment de remplir le formulaire concerné. L’appelant ne l’a pas fait, ce qui pouvait raisonnablement confirmer l’évaluation du comité. Ainsi, nonobstant les mots consignés dans les notes d’entrevues et le courriel du 16 décembre 2011, il était raisonnable pour le Tribunal de conclure que le comité avait adéquatement apprécié l’état de la situation. Cette conclusion est supportée par des éléments de preuve et ne saurait être considérée déraisonnable dans les circonstances.

[41]           L’appelant soutient que les propos de mesdames Giroux et Clément n’étaient pas appuyés (ou étaient même contredits) par des exemples factuels, précis, et spécifiques. Il n’est cependant pas exact qu’aucune preuve n’étayait les propos des deux répondantes. Les évaluations de rendement complétées par madame Giroux avant l’appel de candidature et auxquelles l’appelant réfère, bien qu’encourageantes, font clairement part de lacunes devant être améliorées (pièces CF-28 et CF-29). De plus, le Tribunal a confirmé que le comité avait tenu compte des exemples fournis par les deux répondantes, lesquels étaient plus nombreux et détaillés que ceux cités par madame Kobrynsky. Un examen soigneux des autres éléments de preuve auxquels l’appelant réfère ne me permet pas de conclure que ceux-ci établissent ses allégations de partialité.

[42]           Par ailleurs, l’appelant soutient que madame Clément avait une connaissance insuffisante de son rendement, et que ses propos à son sujet constituaient du ouï-dire en ce qu’ils ne découlaient pas d’observations personnelles, mais plutôt de constats rapportés par les « coachs » de l’appelant. Ce dernier estime que le Tribunal aurait dû, à défaut de rejeter cette preuve par ouï-dire, lui accorder peu de valeur probante. C’est toutefois mal comprendre le rôle du Tribunal. Il revenait au comité de soupeser les références fournies par chacune des répondantes en fonction de la probité de leurs affirmations respectives. Le fait pour le comité d’avoir accordé davantage de poids aux versions de mesdames Giroux et Clément ne constituait pas un abus de pouvoir, et le Tribunal a raisonnablement traité de la question en évitant de réévaluer les éléments de preuve dont le comité disposait. Ceci étant dit, au paragraphe 41 de ses motifs, le Tribunal indique aussi pourquoi, selon lui, madame Clément pouvait raisonnablement agir à titre de répondante. Cette conclusion est fondée sur des éléments de preuve disponibles devant le Tribunal et est donc raisonnable.

[43]           Somme toute, j’estime que la décision du Tribunal portant sur l’appréciation du comité de la fiabilité des références de mesdames Giroux et Clément est raisonnable.

[44]            L’appelant soutient par ailleurs que les références de madame Kobrynsky ont été discréditées par le comité au point de la disqualifier de facto comme répondante. À mon avis, comme l’explique la Juge aux paragraphes 73 à 81 de ses motifs, la conclusion du comité qui a soupesé cette référence par rapport aux autres références de mesdames Giroux et Clément découle d’un exercice intelligible. L’analyse du Tribunal à ce sujet est également raisonnable.

[45]           L’appelant soutient que la conclusion du Tribunal voulant que madame Raymond n’ait pas de parti pris favorable à l’égard de madame Giroux va à l’encontre de la preuve.

[46]           L’appelant a affirmé devant nous que la partialité de madame Raymond s’est traduite par le caviardage de certains de ses propos en réponse à une demande d’accès à l’information qu’il avait déposée. L’appelant prétend que la dissimulation de ces informations visait à miner sa capacité à se décharger de son fardeau de preuve, et que le manquement allégué à la Loi de l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1 [la LAI] constitue une violation de l’ordre et de l’intérêt public.

[47]           J’estime, tout comme la Juge, que la preuve à laquelle l’appelant fait référence est nettement insuffisante pour établir ses allégations de partialité. Je fais ainsi miens les motifs de la Juge aux paragraphes 122 à 128 de ses motifs. À tout événement, les liens que l’appelant tente d’établir entre la partialité de madame Raymond et le traitement de sa demande d’accès à l’information relèvent de la pure spéculation.

(3)               Allégations de discrimination soulevées par l’appelant

[48]           L’appelant estime que le Tribunal a correctement identifié les principes de droit encadrant la preuve prima facie de discrimination. Il conteste toutefois l’application par le Tribunal de ces principes et soutient que le Tribunal lui a imposé un fardeau de preuve plus onéreux que nécessaire. Selon l’appelant, le fait d’avoir établi i) qu’il possédait trois caractéristiques susceptibles de fournir des motifs illicites de discrimination (soient la race, la couleur et l’origine ethnique); ii) que mesdames Giroux, sa supérieure immédiate et Clément, sa directrice, avaient refusé de prolonger son emploi à titre d’agent d’ERAR; et iii) qu’elles avaient accordé des références favorables à sept autres agents d’ERAR autrement dépourvus des caractéristiques intrinsèques de l’appelant, suffisait à démontrer une preuve prima facie de discrimination. De plus, selon l’appelant, on ne saurait raisonnablement lui imputer l’insuffisance de preuve de discrimination systémique alors que l’intimée était la mieux placée pour lui fournir cette preuve.

[49]           Je suis toutefois d’avis que ce n’est pas le cas. Avec respect pour l’inquiétude exprimée par l’appelant concernant le renforcement de la stigmatisation et de l’ostracisme dont les personnes racialisées (minorités visibles) font l’objet suite au rejet d’allégations de discrimination similaires à celles qu’il a formulées, je tiens à souligner que le Tribunal devait trancher la plainte de l’appelant à partir des éléments de preuve disponibles et pertinents qui avaient été déposés devant lui.

[50]           À ce sujet, je fais mien le raisonnement de la Juge que l’on retrouve aux paragraphes 144 à 157 de ses motifs. Contrairement à ce que prétend l’appelant, le Tribunal n’a pas omis de prendre en compte des éléments de preuve pertinents et déterminants. De même, le fardeau de faire une preuve suffisante qu’il y a discrimination incombait à l’appelant, et toute insuffisance dans la preuve doit lui être attribuée.

IV.             Conclusion

[51]           Puisque les normes de contrôle ont été correctement appliquées par la Juge, et que la décision du Tribunal ne comporte aucune erreur justifiant notre intervention, je propose de rejeter cet appel avec dépens fixés à la somme de 1 500$ incluant les taxes et débours.

« A.F. Scott »

j.c.a.

«Je suis d’accord.

Johanne Gauthier, j.c.a.

«Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a.»


ANNEXE I

Dispositions législatives pertinentes

Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13

Public Service Employment Act, S.C. 2003, c. 22, ss. 12, 13

2(4) Il est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par abus de pouvoir la mauvaise foi et le favoritisme personnel.

2(4) For greater certainty, a reference in this Act to abuse of authority shall be construed as including bad faith and personal favouritism.

[…]

47 À toute étape du processus de nomination interne, la Commission peut, sur demande, discuter de façon informelle de sa décision avec les personnes qui sont informées que leur candidature n’a pas été retenue.

47 Where a person is informed by the Commission, at any stage of an internal appointment process, that the person has been eliminated from consideration for appointment, the Commission may, at that person’s request, informally discuss its decision with that person.

48(1) La Commission, une fois l’évaluation des candidats terminée dans le cadre d’un processus de nomination interne, informe, selon les modalités qu’elle fixe, les personnes suivantes du nom de la personne retenue pour chaque nomination :

48(1) After the assessment of candidates is completed in an internal appointment process, the Commission shall, in any manner that it determines, inform the following persons of the name of the person being considered for each appointment:

a) dans le cas d’un processus de nomination interne annoncé, les personnes qui sont dans la zone de sélection définie en vertu de l’article 34 et qui ont participé au processus;

(a) in the case of an advertised internal appointment process, the persons in the area of selection determined under section 34 who participated in that process; and

b) dans le cas d’un processus de nomination interne non annoncé, les personnes qui sont dans la zone de sélection définie en vertu de l’article 34.

(b) in the case of a non-advertised internal appointment process, the persons in the area of selection determined under section 34.

48(2) La Commission peut, pour les processus de nomination internes, fixer la période, commençant au moment où les personnes sont informées en vertu du paragraphe (1), au cours de laquelle elle ne peut ni faire ni proposer une nomination.

48(2) For the purposes of internal appointment processes, the Commission shall fix a period, beginning when the persons are informed under subsection (1), during which appointments or proposals for appointment may not be made.

48(3) À l’expiration de la période visée au paragraphe (2), la Commission peut proposer la nomination d’une personne ou la nommer, que ce soit ou non la personne dont la candidature avait été retenue et, le cas échéant, en informe les personnes informées aux termes du paragraphe (1).

48(3) Following the period referred to in subsection (2), the Commission may appoint a person or propose a person for appointment, whether or not that person is the one previously considered, and the Commission shall so inform the persons who were advised under subsection (1).

49 Toute décision de la Commission portant nomination ou proposition de nomination est définitive et ne peut faire l’objet d’un appel ou d’une révision que conformément à la présente loi.

49 The Commission’s decision to appoint a person or to propose a person for appointment is final and is not subject to appeal or review except in accordance with this Act.

[…]

77(1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement de la Commission des relations de travail et de l’emploi , présenter à celle-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

77(1) When the Commission has made or proposed an appointment in an internal appointment process, a person in the area of recourse referred to in subsection (2) may — in the manner and within the period provided by the Board’s regulations — make a complaint to the Board that he or she was not appointed or proposed for appointment by reason of

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

(a) an abuse of authority by the Commission or the deputy head in the exercise of its or his or her authority under subsection 30(2);

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-232-15

INTITULÉ :

GANDHI JEAN PIERRE c. AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 avril 2016

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE SCOTT

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

lA juge gauthier

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 avril 2016

 

COMPARUTIONS :

Gandhi Jean Pierre

 

Pour l'appelant

(se représentant lui-même)

 

Léa Bou Karam

 

Pour l'intimée

AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour l'intimée

AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

 

 

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