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Date : 20170110


Dossier : A-543-15

Référence : 2017 CAF 5

CORAM :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

L. BILODEAU ET FILS LTÉE

et

PATRICE GUILLEMETTE

défendeurs

Audience tenue à Montréal (Québec), le 10 janvier 2017.

Jugement rendu à l’audience à Montréal (Québec), le 10 janvier 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20170110


Dossier : A-543-15

Référence : 2017 CAF 5

CORAM :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

L. BILODEAU ET FILS LTÉE

et

PATRICE GUILLEMETTE

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Montréal (Québec), le 10 janvier 2017.)

LE JUGE BOIVIN

[1]               Le procureur général du Canada (le demandeur), demande à cette Cour le contrôle judiciaire d’une décision de la Commission de révision agricole du Canada (la Commission), rendue le 18 novembre 2015 (2015 CRAC 22). La décision de la Commission annule les procès-verbaux émis à l’encontre de L. Bilodeau et Fils Ltée et Patrice Guillemette (les défendeurs) pour la violation prévue au paragraphe 138(4) du Règlement sur la santé des animaux, C.R.C., c. 296 (le Règlement) étant d’avis que les défendeurs n’avaient pas commis l’infraction d’avoir transporté une vache devenue inapte au transport.

[2]               Les faits au soutien de la présente affaire commencent le 15 février 2012 lorsque M. Patrice Guillemette, employé de L. Bilodeau et Fils Ltée (Bilodeau et Fils), prend en charge un transport contenant vingt vaches et une soixantaine de jeunes veaux laitiers (Interrogatoire de M. Guillemette, Transcription de l’audition du 11 juin 2015, Dossier d’Appel, Vol. 1, Onglet 22, p. 410, lignes 13-17). La première partie du transport est effectuée à partir de la Nouvelle-Écosse par un autre employé de Bilodeau et Fils et c’est à St-Jean-Port-Joli que M. Guillemette prend le contrôle du camion pour effectuer la deuxième partie du voyage. Au moment du transfert de contrôle des animaux, M. Guillemette tente de faire lever deux vaches qui étaient couchées sur leur côté mais sans succès (Interrogatoire de M. Guillemette, Transcription de l’audition du 11 juin 2015, Dossier d’Appel, Vol. 1, Onglet 22, p. 410-411). Étant d’avis que les vaches étaient indolentes, quoiqu’en bonne santé et aptes au transport, M. Guillemette conduit le transport jusqu’à l’abattoir Levinoff-Colbex, situé à St-Cyrille-de-Wendover, Québec.

[3]               Une fois arrivé à l’abattoir, la docteure Geneviève Comeau, vétérinaire en chef de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’Agence), constate que les deux vaches ayant voyagé couchées ont de la difficulté à se lever. Toutefois, après quelques minutes d’encouragement, elles se lèvent et elles quittent le transport sans aide (Rapport d’inspection du transport sans cruauté des animaux en date du 15 février 2014, Dossier d’Appel, Vol. 1, Onglet 12, p. 85).

[4]               Après une inspection plus soignée des vaches, la Dre Comeau constate qu’une d’entre elles, soit celle ayant mené à la présente demande de contrôle judiciaire, a subi des piétinements et souffre de tremblements musculaires (Interrogatoire de la Dre Comeau, Transcription de l’audition du 11 juin 2015, Dossier d’Appel, Vol. 1, Onglet 22, p. 207, lignes 16-19), c’est-à-dire qu’elle a l’apparence d’une vache qui est restée couchée très longtemps sur son côté. Cet état est confirmé par l’état souillé et compressé de sa litière dans le transport (Interrogatoire de la Dre Comeau, Transcription de l’audition du 11 juin 2015, Dossier d’Appel, Vol. 1, Onglet 22, p. 195, lignes 10-14). La Dre Comeau conclut que la vache était inapte au transport et qu’elle aurait dû être acheminée pour obtenir des soins vétérinaires durant son voyage (Interrogatoire de la Dre Comeau, Transcription de l’audition du 11 juin 2015, Dossier d’Appel, Vol. 1, Onglet 22, p. 223-224).

[5]               Le 7 février 2014, un procès-verbal assorti d’une sanction de 7 800 $ est émis à l’encontre de Bilodeau et Fils (no 1213QC0003, Dossier d’Appel, Vol. 1, Onglet 6, p. 24) et un procès-verbal avec avertissement est émis à l’encontre de M. Guillemette (no 1213QC0003-2, Dossier d’Appel, Vol. 1, Onglet 8, p. 28), tous deux pour avoir contrevenu au paragraphe 138(4) du Règlement, qui se lit comme suit:

138. (4) Une compagnie de chemin de fer ou un transporteur routier cesse le transport d’un animal blessé, malade ou autrement inapte au transport en cours de voyage, au plus proche endroit où il peut recevoir des soins.

138. (4) No railway company or motor carrier shall continue to transport an animal that is injured or becomes ill or otherwise unfit for transport during a journey beyond the nearest suitable place at which it can receive proper care and attention.

[6]               Le 18 novembre 2015, la Commission annule les deux procès-verbaux, statuant que « l’Agence n’a pas établi, selon une prépondérance des probabilités, que la vache en question était inapte au transport pendant le voyage » (Décision de la Commission, paragraphe 40).

[7]               La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable.

[8]               Au soutien de sa demande, le demandeur allègue essentiellement que la Commission a commis deux erreurs: elle a, d’une part, mal saisi l’ensemble de la preuve - plus particulièrement en omettant de traiter des témoignages non contredits de deux vétérinaires - et aussi en ne tenant pas compte de la Politique sur les animaux fragilisés (Politique) qui définit l’inaptitude au transport. D’autre part, la Commission aurait mal interprété le texte du paragraphe 138(4) du Règlement.

[9]               Quant à la première erreur alléguée, nous sommes d’avis que le demandeur n’a pas démontré l’existence d’une « conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose » selon les exigences de l’alinéa 18.1(4)(d) de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7. La Commission a mentionné avoir des préoccupations par rapport à la preuve présentée par l’Agence. Une Cour d’appel doit faire preuve de déférence par rapport à l’appréciation et l’évaluation de la preuve faite par un décideur de première instance, en l’occurrence, la Commission. Cela est d’autant plus vrai qu’en l’espèce, la tâche principale de la Commission était de décider si l’Agence a prouvé les éléments essentiels d’une infraction définie par cette Cour comme étant « draconienne » (Doyon c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 152, 395 N.R. 176 (Doyon)). Dans Doyon, notre Cour a fait remarquer que le décideur doit « être circonspect dans l’administration et l’analyse de la preuve de même que dans l’analyse des éléments constitutifs de l’infraction et du lien de causalité » compte tenu de la sévérité des pénalités prévues par ce régime (paragraphes 27-28).

[10]           Le demandeur s’appuie sur Doyon afin de soutenir que la Commission a erré en omettant de considérer une preuve pertinente, notamment la Politique qui définit l’inaptitude au transport. Nous sommes plutôt d’avis que la Commission l’a examinée, mais qu’elle a décidé que la Politique n’avait qu’une valeur probante très faible en l’espèce (Décision de la Commission, paragraphe 27). Il était loisible pour la Commission de conclure ainsi puisque, comme le notent les défendeurs, la Politique n’a pas force de loi et ne lie pas la Commission. Le demandeur ne nous a pas convaincus que la Commission a tiré une conclusion de faits erronée.

[11]           Au soutien de son deuxième argument, le demandeur allègue que la Commission a en fait requis qu’un animal doit présenter des « blessures graves », une exigence que l’on retrouve au paragraphe 138 (2) du Règlement et non au paragraphe 138 (4), pour conclure à l’inaptitude au transport de cet animal. Selon le demandeur, il s’agit d’une interprétation erronée du paragraphe 138(4) du Règlement, qui prévoit qu’une blessure ou une maladie ou une autre inaptitude déclenche la responsabilité du conducteur d’arrêter le transport d’un animal.

[12]           Or, nous ne sommes pas convaincus que la Commission a imposé une telle exigence. La Commission a considéré cinq décisions portant également sur l’interprétation du paragraphe 138(4) du Règlement (Décision de la Commission, paragraphes 29-37). Bien que deux d’entre elles portent sur l’inaptitude au transport basée sur des blessures visibles, la Commission a tout de même considéré d’autres symptômes et caractéristiques qui l’ont menée à conclure à l’inaptitude d’un animal au transport, par exemple la présence d’un mélange liquide d’urine et d’excréments sur la vache (Décision de la Commission, paragraphes 33, 35). La Commission a également considéré une affaire dans laquelle le procès-verbal avait été annulé parce que le contrevenant n’aurait pu savoir que l’animal était malade, et qu’il a raisonnablement conclu « qu’une vache couchée était dans un tel état à cause de l’indolence » (Décision de la Commission, paragraphe 30 citant David Mytz c. Canada (ACIA), [2003] CanLII no 71515, RTA no 60084). En l’espèce, la Commission a mis en balance les éléments de preuve et la jurisprudence pertinente pour conclure que l’Agence n’avait pas établi la responsabilité des défendeurs selon une prépondérance des probabilités (Décision de la Commission, paragraphe 40).

[13]           En dernière analyse, le législateur au paragraphe 138 (4) du Règlement n’a pas retenu la capacité pour une vache de se lever de façon autonome comme étant le seul critère pour déterminer son aptitude au transport. Il revient donc au transporteur au cours du transport ainsi qu’ultérieurement à la Commission d’évaluer si la vache est inapte au transport compte tenu du contexte particulier à chaque affaire. C’est ce que la Commission a fait en l’occurrence.

[14]           Compte tenu des présentes circonstances, nous sommes d’avis que la décision de la Commission appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphe 47, [2008] 1 R.C.S. 190).


[15]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens.

« Richard Boivin »

j.c.a.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-543-15

INTITULÉ :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. L. BILODEAU ET FILS LTÉE ET PATRICE GUILLEMETTE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 janvier 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE :

LE JUGE BOIVIN

 

COMPARUTIONS :

Sarom Bahk

Pascale-Catherine Guay

 

Pour le demandeur

 

Jean-Claude Beauchamp

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le demandeur

 

Me Jean-Claude Beauchamp

Montréal (Québec)

 

Pour les défendeurs

 

 

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