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Date : 20170216


Dossier : A-425-16

Référence : 2017 CAF 35

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Présent: JUGE STRATAS

ENTRE :

ELIZABETH BERNARD

demanderesse

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA et CONSEIL DU TRÉSOR

intimés

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance prononcée à Ottawa (Ontario), le 16 février 2017.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20170216


Dossier : A-425-16

Référence : 2017 CAF 35

En présence du JUGE STRATAS

ENTRE :

ELIZABETH BERNARD

demanderesse

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA et CONSEIL DU TRÉSOR

intimés

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

[1]               La demanderesse a sollicité le contrôle judiciaire d’une décision de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique. Elle a demandé par voie de requête la transmission de documents par la Commission en vertu de l’article 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. La Commission s’est opposée à la transmission de certains documents, invoquant l’article 318 des Règles. Elle affirme que le secret professionnel des avocats s’applique à ces documents.

[2]               Un autre juge de la Cour a donné pour directive aux parties de lui présenter des observations permettant de décider si la transmission de ces documents était nécessaire au dépôt par la demanderesse d’un affidavit à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. Les parties ont soumis leurs observations, et la Cour les en remercie.

[3]               La demanderesse et le procureur général du Canada (représentant la Commission) ont tous les deux raison de dire que, si les documents sont visés par le secret professionnel des avocats, ils ne peuvent pas être vus par la demanderesse. Il appert des observations des parties, particulièrement celles de la demanderesse, que la véritable question en litige est de savoir si les documents sont bel et bien protégés par le privilège.

[4]               La Commission a simplement affirmé que les documents sont visés par le privilège. Selon elle, [traduction« la demanderesse n’a avancé aucun motif plausible ou convaincant permettant de douter de la véracité ou de la légitimité de la prétention au privilège invoquée par la Commission sur la foi de la description donnée par ses avocats ». La Commission dit en fait à la demanderesse qu’elle devrait simplement se fier à la description donnée par ses avocats.

[5]               La demanderesse laisse entendre, en réponse, que cela ne suffit pas. Elle demande essentiellement : [traduction« Quel élément de preuve étaye la prétention quant à l’existence du privilège? »

[6]               La question de la demanderesse est primordiale et bien fondée en droit. La règle générale, c’est qu’une cour ne peut agir qu’en fonction de la preuve. Le secret professionnel de l’avocat peut s’avérer fort important et il « doit demeurer aussi absolu que possible » (voir Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 61, [2002] 3 R.C.S. 209). Or, il faut quand même que les parties prouvent son existence dans une affaire donnée.

[7]               Dans Canada c. Kabul Farms, 2016 CAF 143, la Cour l’a expliqué ainsi (par. 38) :

[traduction] La règle générale veut que, sauf si une exception s’applique, la Cour ne peut agir qu’en fonction de la preuve au dossier. Deux exceptions découlent, d’une part, des dispositions législatives qui créent des présomptions de fait et, d’autre part, de la doctrine de la connaissance d’office dont traite la jurisprudence dans des arrêts comme R. c. Spence, 2005 CSC 71, [2005] 3 R.C.S. 458.

[8]               Dans Pfizer Canada Inc. c. Teva Canada Limited, 2016 CAF 161, la Cour a exprimé le même principe en ces termes (par. 79-80) :

[traduction]
Nous partons d’un principe général fondamental : les faits doivent être prouvés au moyen d’éléments admissibles (voir R. c. Schwartz, [1988] 2 R.C.S. 443, aux p. 476-477; Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) c. Alberta, 2015 CAF 268, au par. 20; Canada c. Kabul Farms Inc., 2016 CAF 143, au par. 38). Autrement dit, une cour ne peut se fonder pour agir que sur des faits établis au moyen d’éléments de preuve admissibles ou dont l’admissibilité n’a pas été contestée (Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30, [2015] 2 R.C.S. 548, aux par. 26-27).

De rares exceptions existent. Il s’agit notamment des faits connus d’office (voir, p. ex., R. c. Spence, 2005 CSC 71, [2005] 3 R.C.S. 458), des faits dont l’existence est réputée par la loi, des faits établis dans des décisions antérieures qui lient la cour (voir, p. ex., Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460) ainsi que des faits énoncés ou convenus.

Voir également Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ishaq, 2015 CAF 151, aux par. 18-23; Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) c. Alberta, 2015 CAF 268, [2016] 3 R.C.F. 19, au paragraphe 20.

[9]               Ce type de question s’est déjà posé dans une affaire intéressant une opposition soulevée en vertu de l’article 318 des Règles (Lukács c. Canada (Office des Transports), 2016 CAF 103, un arrêt qui démontre la souplesse dont la Cour dispose, lorsqu’il y a opposition, en matière de réparation; voir également Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) c. Alberta, 2015 CAF 268, [2016] 3 R.C.F. 19, qui présente des indications générales sur la procédure entourant les articles 317 et 318 des Règles dans le cadre plus général d’un contrôle judiciaire).

[10]           C’est l’arrêt Lukács qui est le plus pertinent pour nos fins. Suivant ce dernier, il suffit parfois d’un simple échange de lettres renfermant des observations pour régler une opposition à la transmission de documents soulevée en vertu de l’article 318 des Règles. Dans ces cas, point n’est besoin de produire de preuve. Parfois, par exemple, les parties conviennent des faits pertinents concernant l’opposition, et la production de preuve n’est pas nécessaire; parfois, les faits énoncés dans leurs observations sur l’opposition soulevée en vertu de l’article 318 des Règles ne sont pas contestés; parfois, la nature de l’opposition fait en sorte que, hormis la requête même présentée en application de l’article 317 des Règles, le cadre factuel n’a pas à être établi.

[11]           Or, l’arrêt Lukács nous apprend aussi que, parfois, les faits sont contestés et une preuve doit ainsi être présentée.

[12]           Dans l’arrêt Lukács, la Cour explique en ces termes les principes applicables (aux par. 8-10) :

Examinons maintenant les oppositions en vertu du paragraphe 318(2). Lorsque le décideur administratif (ici l’Office) s’oppose, aux termes du paragraphe 318(2), à la transmission d’une partie ou de l’intégralité des documents demandés en vertu de l’article 317 et que le demandeur ne conteste pas cette opposition, ceux‑ci ne sont pas transmis. Cependant, dans les cas où, comme en l’espèce, le demandeur conteste une telle opposition, le demandeur ou le décideur administratif peut demander à la Cour de fournir des directives sur la façon de procéder pour présenter des observations : voir le paragraphe 318(3).

En réponse à une demande de directives, la Cour peut, à la lecture des motifs d’opposition du décideur administratif, juger que l’opposition ne peut être retenue. Dans ce cas, elle peut rejeter l’opposition de façon sommaire et exiger du décideur administratif qu’il transmette les documents en vertu du paragraphe 318(1) dans le délai qu’elle fixe.

Lorsque l’opposition aux termes du paragraphe 318(2) a une certaine légitimité, la Cour peut demander aux parties de présenter des observations selon un échéancier précis. Il peut cependant arriver que la Cour n’ait pas besoin que d’observations; il peut y avoir un doute réel ou une certaine complexité, ou il se peut que les parties doivent présenter des éléments de preuve pour étayer ou contester l’opposition. Dans de tels cas, la Cour peut obliger le décideur administratif à procéder par voie de requête écrite aux termes de l’article 369. Cet article prévoit un dossier de requête, un dossier de réponse et des prétentions en réponse au dossier de réponse, ainsi que les délais pour déposer ces documents. Les dossiers de requête doivent comprendre des affidavits et des prétentions écrites.

[13]           Selon la demanderesse, les documents ne sont pas protégés par un privilège en l’espèce. Il incombe à la Commission de prouver qu’ils le sont. En affirmant simplement qu’ils le sont, la Commission ne s’acquitte pas de son fardeau de preuve.

[14]           Même si la simple affirmation de la Commission était admise, elle ne va pas suffisamment loin. La Commission déclare que les documents ont été reçus et envoyés par ses services juridiques. C’est bien, mais ce fait ne permet pas à lui seul d’établir l’existence du secret professionnel des avocats. Par exemple, l’objectif principal ayant présidé à la création des documents doit être établi. Il peut concerner autre chose que la prestation de conseils juridiques, comme des communications sur les affaires générales de la Commission.

[15]           En l’espèce, la Commission était tenue de présenter des observations, rien de plus. Elle ne pouvait produire de preuve. De plus, la question à l’égard de laquelle il lui était demandé de soumettre des observations était celle de savoir si les documents étaient nécessaires pour permettre à la demanderesse de préparer l’affidavit à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. Essentiellement, ni la Commission ni la demanderesse n’ont eu l’occasion de produire une preuve sur l’existence du privilège, et la demanderesse n’a pu contre‑interroger la Commission, au besoin, à l’égard de sa preuve.

[16]           La solution que propose l’arrêt Lukács consiste pour la Commission à demander par voie de requête, en vertu de l’article 369 des Règles, une ordonnance faisant droit à son opposition aux termes de l’article 318 des Règles, c.‑à‑d. sa prétention quant à l’existence du secret professionnel des avocats. La Commission est la partie à qui il revient de présenter cette requête, comme c’est à elle de démontrer le bien‑fondé de sa prétention. Procéder par requête règle les problèmes mentionnés au paragraphe précédent : chaque partie aura l’occasion de produire sa preuve et, au besoin, de contester la preuve adverse.

[17]           Une ordonnance enjoindra à la Commission de présenter une requête si elle entend toujours s’opposer à la transmission aux termes de l’article 318 des Règles. L’ordonnance réglera aussi des questions accessoires. Une fois que tous les documents requis auront été déposés, la requête pourra m’être soumise pour décision.

[18]           Je relève avant de conclure que l’intitulé ne semble pas conforme. Aux termes du paragraphe 303(2) des Règles, l’intimé est le procureur général du Canada, et non le Conseil du Trésor. À moins que les parties ne me persuadent du contraire dans leurs prétentions écrites accompagnant la requête, je procéderai également à la modification de l’intitulé.

« David Stratas »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-425-16

 

INTITULÉ :

ELIZABETH BERNARD c. ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA ET CONSEIL DU TRÉSOR

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 FÉVRIER 2017

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Elizabeth Bernard

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Caroline Engmann

POUR LE CONSEIL DU TRÉSOR, INTIMÉ

Amanda Montague-Reinholdt

 

POUR L’ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA, INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE CONSEIL DU TRÉSOR, INTIMÉ

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA, INTIMÉE

 

 

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