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Date : 20170515


Dossiers : A-78-17 (dossier principal); A-217-16; A-218-16;

A-223-16; A-224-16; A-225-16; A-232-16;

A-68-17; A-73-17; A-74-17; A-75-17;

A-76-17; A-77-17; A-84-17; A-86-17

Référence : 2017 CAF 102

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Présent : LE JUGE STRATAS

ENTRE :

TSLEIL-WAUTUTH NATION, VILLE DE VANCOUVER, VILLE DE BURNABY, NATION SQUAMISH (également appelée BANDE INDIENNE SQUAMISH), XÀLEK/SEKYÚ SIÝ AM, CHEF IAN CAMPBELL pour son propre compte et au nom de tous les membres de la Nation Squamish, BANDE INDIENNE COLDWATER, CHEF LEE SPAHAN à titre de chef de la bande Coldwater et au nom de tous les membres de la bande Coldwater, BANDE INDIENNE MUSQUEAM, AITCHELITZ, SKOWKALE, SHXWHÁ:Y VILLAGE, SOOWAHLIE, PREMIÈRE NATION SQUIALA, TZEACHTEN, YAKWEAKWIOOSE, SKWAH, KWAW-KWAW-APILT, CHEF DAVID JIMMIE pour son propre compte et au nom de tous les membres de la tribu TS’ELXWÉYEQW, BANDE UPPER NICOLA, CHEF RON IGNACE et CHEF FRED SEYMOUR pour leur propre compte et au nom de tous les autres membres de STK’EMLUPSEMC TE SECWEPEMC de la NATION SECWEPEMC, RAINCOAST CONSERVATION FOUNDATION et LIVING OCEANS SOCIETY

demandeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, OFFICE NATIONAL DE L’ÉNERGIE

ET TRANS MOUNTAIN PIPELINE ULC

défendeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

intervenant

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 15 mai 2017.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20170515


Dossiers : A-78-17 (dossier principal); A-217-16; A-218-16;

A-223-16; A-224-16; A-225-16; A-232-16;

A-68-17; A-73-17; A-74-17; A-75-17;

A-76-17; A-77-17; A-84-17; A-86-17

Référence : 2017 CAF 102

Présent : LE JUGE STRATAS

ENTRE :

TSLEIL-WAUTUTH NATION, VILLE DE VANCOUVER, VILLE DE BURNABY, NATION SQUAMISH (également appelée BANDE INDIENNE SQUAMISH), XÀLEK/SEKYÚ SIÝ AM, CHEF IAN CAMPBELL pour son propre compte et au nom de tous les membres de la Nation Squamish, BANDE INDIENNE COLDWATER, CHEF LEE SPAHAN à titre de chef de la bande Coldwater et au nom de tous les membres de la bande Coldwater, BANDE INDIENNE MUSQUEAM, AITCHELITZ, SKOWKALE, SHXWHÁ:Y VILLAGE, SOOWAHLIE, PREMIÈRE NATION SQUIALA, TZEACHTEN, YAKWEAKWIOOSE, SKWAH, KWAW-KWAW-APILT, CHEF DAVID JIMMIE pour son propre compte et au nom de tous les membres de la tribu TS’ELXWÉYEQW, BANDE UPPER NICOLA, CHEF RON IGNACE et CHEF FRED SEYMOUR pour leur propre compte et au nom de tous les autres membres de STK’EMLUPSEMC TE SECWEPEMC de la NATION SECWEPEMC, RAINCOAST CONSERVATION FOUNDATION et LIVING OCEANS SOCIETY

demandeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, OFFICE NATIONAL DE L’ÉNERGIE

ET TRANS MOUNTAIN PIPELINE ULC

défendeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

intervenant

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

[1]               La Cour est saisie de deux requêtes en intervention dans les présentes instances réunies. L’une d’entre elles a été présentée par le procureur général de l’Alberta. La Première Nation Tsartlip et le chef Dom Tom, pour son propre compte et au nom de tous les membres de la Première Nation Tsartlip (collectivement les « Tsartlip »), ont présenté la seconde. Les deux requêtes sont contestées.

[2]               Pour les motifs énoncés ci-après, la requête présentée par le procureur général de l’Alberta est accueillie. La requête présentée par les Tsartlip est rejetée.

A.                Les instances réunies

[3]               Les demandeurs dans les instances réunies cherchent à obtenir l’annulation de certaines décisions administratives ayant approuvé le projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain. Les décisions sont, d’une part, le rapport daté du 19 mai 2016 publié par l’Office national de l’énergie, qui affirme avoir agi en vertu de l’article 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. 1985, ch. N-7, et, d’autre part, le décret C.P. 2016-1069 pris par le gouverneur en conseil le 29 novembre 2016 et publié dans un supplément à la Partie I de la Gazette du Canada, vol. 150, no 50, le 10 décembre 2016.

[4]               En gros, le projet — dont le coût en capital se chiffre à 7,4 milliards de dollars — consiste à construire un nouvel oléoduc, en partie sur de nouveaux droits de passage, ce qui permettra l’expansion de l’oléoduc actuel qui s’étend sur 1 150 kilomètres, grosso modo d’Edmonton, en Alberta, à Burnaby, en Colombie-Britannique. Le projet prévoit également la construction de nouveaux ouvrages, notamment des stations de pompage et des réservoirs, ainsi que l’expansion du terminal maritime actuel. Ce projet aura comme effet immédiat d’accroître la capacité de 300 000 barils par jour à 890 000 barils par jour.

[5]               Les demandeurs contestent les approbations administratives à plusieurs égards. À l’appui de leurs contestations, ils invoquent le droit administratif, les dispositions législatives pertinentes ainsi que l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et la jurisprudence connexe en matière d’obligations envers les Premières Nations et peuples autochtones et les droits de ces derniers. Ils soulèvent également de nombreuses questions concernant les « effets environnementaux », au sens de l’article 5 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), L.C. 2012, ch. 19, art. 52.

[6]               Par une ordonnance datée du 9 mars 2017, à la suite de la réception des observations, notre Cour a réuni 16 demandes distinctes comptant 31 parties, puis a rationalisé la procédure de préparation des demandes en vue de l’audience et fixé un calendrier d’instruction accélérée.

B.                 La requête en intervention du procureur général de l’Alberta présentée en vertu de l’article 110 des Règles

[7]               Le procureur général de l’Alberta présente une requête en intervention en vertu de l’article 110 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. La Tsleil‑Waututh Nation, demanderesse en l’espèce, et les Stól:ō, autres demandeurs en l’espèce, s’opposent à cette requête en intervention. Ils affirment que l’Alberta n’a pas satisfait à certaines conditions prévues aux articles 109 et 110 des Règles.

[8]               Notre Cour n’a jamais analysé en profondeur l’article 110 des Règles. Cette disposition est ainsi libellée :

110. Lorsqu’une question d’importance générale, autre qu’une question visée à l’article 57 de la Loi, est soulevée dans une instance :

110. Where a question of general importance is raised in a proceeding, other than a question referred to in section 57 of the Act,

a) toute partie peut signifier un avis de la question au procureur général du Canada et au procureur général de toute province qui peut être intéressé;

(a) any party may serve notice of the question on the Attorney General of Canada and any attorney general of a province who may be interested;

b) la Cour peut ordonner à l’administrateur de porter l’instance à l’attention du procureur général du Canada et du procureur général de toute province qui peut être intéressé;

(b) the Court may direct the Administrator to bring the proceeding to the attention of the Attorney General of Canada and any attorney general of a province who may be interested; and

c) le procureur général du Canada et le procureur général de toute province peuvent demander l’autorisation d’intervenir.

(c) the Attorney General of Canada and the attorney general of a province may apply for leave to intervene.

[9]               L’alinéa 110c) des Règles habilite le procureur général d’une province à déposer une requête en intervention. Le procureur général de l’Alberta dépose sa requête en vertu de cette disposition.

[10]           La Tsleil-Waututh Nation et les Stól:ō, autres demandeurs, prétendent que le procureur général de l’Alberta peut présenter une requête en intervention uniquement s’il respecte les conditions énoncées à l’article 109 des Règles, s’il a reçu l’avis de requête visé à l’alinéa 110a) des Règles ou si la Cour a demandé à l’administrateur de porter l’instance à son attention en application de l’alinéa 110b) des Règles et s’il existe une « question d’importance générale », comme il est entendu à la phrase liminaire de l’article 110 des Règles.

[11]           Je ne suis pas d’accord. Comme l’a affirmé notre Cour dans Copps (Ministre du patrimoine canadien) c. La première nation crie Mikisew, 2002 CAF 306, au paragraphe 8, « la règle 110 attribue un rôle spécial aux procureurs généraux outre celui que leur confèrent l’article 57 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] et l’article 109 des Règles ». Si notre Cour devait adopter l’interprétation de l’article 110 des Règles préconisée par la Tsleil-Waututh Nation, cette disposition cesserait alors de reconnaître le rôle particulier des procureurs généraux. En fait, une telle interprétation les mettrait dans une pire position que celle des parties privées qui souhaitent intervenir.

[12]           Les procureurs généraux devraient ainsi satisfaire à toutes les conditions énoncées aux articles 109 et 110 des Règles, tandis que les parties privées qui souhaitent intervenir devraient satisfaire uniquement à celles prévues à l’article 109 des Règles. Il faudrait un libellé législatif beaucoup plus clair pour me persuader que le législateur souhaitait que les procureurs généraux — lesquels représentent des intérêts généraux, voire les intérêts de millions de membres du public — aient à surmonter plus d’obstacles que les parties qui ne sont pas publiques pour être autorisés à intervenir.

[13]           En d’autres termes, supposons que notre Cour tienne une audience sur une question d’importance générale touchant les intérêts du gouvernement ou de la population d’une province ou d’un territoire. Accepter la proposition de la Tsleil-Waututh Nation équivaudrait à demander au procureur général de cette province ou de ce territoire d’attendre à l’extérieur de la salle d’audience qu’on lui transmette l’invitation visée à l’alinéa 110a) des Règles ou l’avis de l’administrateur visé à l’alinéa 110b) des Règles avant de pouvoir y entrer. Même dans ce cas, il lui faudrait persuader la Cour qu’il a satisfait aux exigences énoncées à l’article 109 des Règles et à la phrase liminaire de l’article 110 des Règles, et ce, avant de pouvoir présenter ses observations au nom du gouvernement et des personnes qu’il sert.

[14]           Il convient d’interpréter l’article 110 des Règles à la lumière de nos principes fondamentaux et des conventions constitutionnelles bien établies visant les procureurs généraux. Selon les Constitutions inspirées du système Westminster telles que la nôtre, à moins d’une disposition législative à l’effet contraire, les droits du public sont dévolus à la Couronne, et le procureur général, un agent de la Couronne, en assure le respect (Gouriet v. Union of Post Office Workers, [1978] A.C. 435, p. 477). De façon générale, dans les instances judiciaires, les procureurs généraux représentent la Couronne et assurent la défense de l’intérêt public.

[15]           Reconnaître aux procureurs généraux le droit général de présenter des requêtes en intervention dans le but de défendre l’intérêt public — comme le prévoit l’alinéa 110c) des Règles — est conforme à ces principes fondamentaux et à ces conventions constitutionnelles. Il faut un texte législatif exprès pour les écarter.

[16]           Rien dans le libellé de l’article 110 des Règles n’indique que les alinéas 110a) et b) constituent des conditions préalables à l’autorisation d’une requête en intervention présentée en application de l’alinéa 110c) des Règles. De même, rien dans le libellé de l’article 110 des Règles ne laisse entendre que les procureurs généraux doivent également remplir les conditions énoncées à l’article 109 des Règles.

[17]           Le procureur général de l’Alberta mentionne d’autres instances instruites par notre Cour où il avait été autorisé à intervenir en vertu de l’alinéa 110c) même s’il n’avait pas satisfait aux conditions énoncées à l’article 109 et aux alinéas 110a) et b) des Règles (Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2004 CAF 66, [2004] 3 R.C.F. 436; Première nation dakota de Standing Buffalo c. Enbridge Pipelines Inc., 2009 CAF 308, [2010] 4 R.C.F. 500; Canada (Affaires indiennes) c. Daniels, 2014 CAF 101, [2014] 4 R.C.F. 97). Je suis lié par ces précédents à moins qu’ils ne soient manifestement erronés (Miller c. Canada (Procureur Général), 2002 CAF 370). La Tsleil‑Waututh Nation n’avance pas qu’ils le sont.

[18]           Aux termes de l’alinéa 110c) des Règles, un procureur général n’est pas automatiquement admis à l’instance. La phrase liminaire de l’article 110 des Règles précise qu’une « question d’importance générale [doit être] soulevée dans une instance ». La question doit toucher de façon générale les intérêts du gouvernement ou de la population dans la province ou le territoire concerné (Copps, précité, par. 8; Vancouver Wharves Ltd. c. Canada (Labour, Regional Safety Officer) (1996), 107 F.T.R. 306, 41 Admin. L.R. (2d) 137, par. 36, 37, 41 et 42). En outre, il peut également être satisfait à cette exigence lorsque des instances qui revêtent elles-mêmes une importance générale soulèvent de grandes questions.

[19]           L’importance des présentes instances réunies n’est pas à démontrer. Celles-ci sont constituées de 16 instances distinctes intentées par de nombreux demandeurs, dont des Premières Nations, des peuples autochtones et des groupes environnementaux. Ce projet porte sur un oléoduc qui traverse une grande partie de l’Alberta. Celui-ci a pour objet de faciliter l’accès à de nouveaux marchés pour les ressources naturelles de l’Alberta pour le bien de l’économie.

[20]           Le procureur général de l’Alberta soutient que les présentes instances réunies influeront sur d’autres projets d’oléoducs et de gazoducs interprovinciaux et l’exploitation des ressources énergétiques. À ses dires, le gouvernement de l’Alberta s’intéresse à l’évaluation des émissions de gaz à effet de serre en amont. Le procureur général compte encourager notre Cour à adopter [traduction] « des règles et une procédure claires, uniformes et prévisibles afin de faciliter l’examen, dans le respect de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, des projets d’exploitation des ressources dans l’intérêt public ».

[21]           En outre, les questions juridiques soulevées par les demandeurs revêtent une importance générale. Celles-ci portent sur des enjeux intéressant la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), L.C. 2012, ch. 19, art. 52, la Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, ch. 29, ainsi que les droits et les intérêts des peuples autochtones.

[22]           Ensemble, ces considérations révèlent un lien étroit entre les questions soulevées dans l’instance, d’une part, et les intérêts du gouvernement de l’Alberta et de la population qu’il sert, d’autre part.

[23]           En conséquence, le procureur général de l’Alberta satisfait facilement au critère d’intervention prévu à l’article 110 des Règles. Une ordonnance sera rendue pour autoriser le procureur général de l’Alberta à intervenir. L’intitulé des instances réunies sera modifié en conséquence.

[24]           Aux termes du paragraphe 53(1) des Règles, la Cour peut « assortir toute ordonnance qu’elle rend en vertu des présentes règles des conditions et des directives qu’elle juge équitables », y compris l’ordonnance autorisant l’intervention.

[25]           Le procureur général de l’Alberta sera autorisé à déposer un mémoire des faits et du droit; la position qu’il entend adopter dans les instances réunies porte à croire que son mémoire des faits et du droit devrait être déposé avec les mémoires des défendeurs.

[26]           Conformément au paragraphe 8(8) de l’ordonnance établissant le calendrier rendue le 9 mars 2017, le nombre de pages, le délai de dépôt et d’autres questions de procédure seront déterminés à une date ultérieure.

[27]           Le procureur général de l’Alberta sera également autorisé à présenter, à l’audience dans les instances réunies, des observations de vive voix, dont la durée sera déterminée par la formation de juges. Il ne pourra pas ajouter d’éléments au dossier de preuve ou de modifier ce dernier; il n’aura pas non plus droit aux dépens et il ne pourra y être condamné.

C.                La requête en intervention des Tsartlip présentée en vertu de l’article 109 des Règles

[28]           Les Tsartlip demandent, en vertu de l’article 109 des Règles, l’autorisation d’intervenir. Trans Mountain Pipeline ULC, l’un des défendeurs, s’y oppose.

[29]           Les facteurs à prendre en compte dans l’examen d’une requête en intervention présentée en application de l’article 109 des Règles sont énoncés dans la décision Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Canada (Procureur général), [1990] 1 C.F. 84 (conf. dans [1990] 1 C.F. 90) et ont récemment été confirmés dans l’arrêt Sport Maska Inc. c. Bauer Hockey Corp., 2016 CAF 44.

[30]           Pour étayer leur requête, les Tsartlip invoquent Canada (Procureur général) c. Première Nation Pictou Landing, 2014 CAF 21, [2015] 2 R.C.F. 253, une décision rendue avant Sport Maska.

[31]           La Cour dans Pictou Landing a proposé de modifier et de reformuler les facteurs tirés de Rothmans, en partie pour préciser ce qu’il faut entendre par « intérêt de la justice ». Selon la Cour dans Pictou Landing, le facteur de l’« intérêt de la justice » était indésirable s’il n’était pas défini et circonscrit, et certains des facteurs énoncés dans Rothmans étaient illogiques et ne reflétaient pas adéquatement les principes juridiques contemporains tels que ceux énoncés dans l’arrêt Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87. Enfin, elle a souligné dans Pictou Landing que certaines conditions énoncées à l’article 109 des Règles, une disposition d’un règlement appartenant au cadre législatif — et partant impératif — du Canada, sont obligatoires et ne peuvent pas être réduites à de simples facteurs optionnels.

[32]           Cependant, je suis lié à l’heure actuelle par l’arrêt Sport Maska, suivant lequel Rothmans et Pictou Landing sont suffisamment semblables pour qu’il ne soit nullement justifié de s’écarter de Rothmans (par. 41). La Cour a ajouté que les critères issus de Pictou Landing peuvent s’inscrire dans celui, souple, de l’« intérêt de la justice » énoncé dans Rothmans (par. 42).

[33]           J’ai ainsi suivi l’arrêt Sport Maska dans Première nation de Prophet River c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 120, aux paragraphes 2 à 4. Dans cette affaire, quatre des six facteurs énoncés dans Rothmans n’étaient aucunement pertinents dans l’examen de la requête en intervention, comme c’est presque toujours le cas. Les facteurs énoncés dans Pictou Landing relevaient du facteur de l’« intérêt de la justice » et dictaient l’issue de la requête. C’est ainsi que je procéderai en l’espèce, sans oublier que je suis également lié par les Règles des Cours fédérales, celles-ci appartenant au cadre législatif.

[34]           En exerçant mon pouvoir discrétionnaire, j’ai examiné et soupesé soigneusement les facteurs pertinents, comme le veut l’arrêt Sport Maska, et tenu compte des dispositions des Règles des Cours fédérales applicables. Par souci de concision et de célérité, je me limiterai dans les présents motifs aux principaux facteurs ayant joué dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire.

[35]           Trans Mountain soutient que les requérants [traduction] « tentent par ce moyen détourné de devenir partie à la [demande de contrôle judiciaire] sans déposer leur propre demande de contrôle judiciaire ». Je suis d’accord.

[36]           Essentiellement, les Tsartlip n’ont pas présenté de requête en intervention; ils ont présenté une demande de contrôle judiciaire déguisée. Ils ont décidé de ne pas demander le contrôle judiciaire en application de l’article 301 des Règles; ils ne peuvent pas le faire par le biais de l’intervention prévue à l’article 109 des Règles dans le cadre des présentes instances, dont l’instruction est accélérée.

[37]           Même si je pouvais assimiler la requête à une demande tardive de contrôle judiciaire, je n’accorderais pas de prorogation dans le cadre des présentes instances à l’instruction accélérée. Au vu de la preuve, il n’a pas été satisfait au critère (voir, par exemple, Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204).

[38]           Les Tsartlip comptent soutenir que l’Office national de l’énergie a employé une méthodologie déraisonnable, au sens où il faut l’entendre en droit administratif, ou n’a pas pris en considération des questions pertinentes pour eux et, en conséquence, a pris une décision qui n’est pas [traduction] « licite ». Plus précisément, dans leur avis de requête, les Tsartlip affirment avoir l’intention de soulever la question de savoir « si l’évaluation environnementale qui a été effectuée en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) [...] et du paragraphe 52(3) de la Loi sur l’Office national de l’énergie  [...] était licite » ainsi que « la question de l’évaluation des effets environnementaux importants faite en application de [la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012)] ».

[39]           Selon les Tsartlip, s’ils sont autorisés à intervenir, ils aborderont la nature lacunaire de l’évaluation environnementale en [traduction] « présentant leur perspective autochtone sur la manière dont [l’Office national de l’énergie] aurait dû traiter la question des effets environnementaux importants du projet sur [l’épaulard résident du sud] et la question de savoir si les effets environnementaux sont justifiés ». Dans leurs prétentions écrites, les Tsartlip ajoutent qu’ils entendent aborder les répercussions qu’ils subiront en raison des effets négatifs sur l’épaulard résident du sud découlant de l’augmentation du trafic de pétroliers.

[40]           En fait, les Tsartlip prétendent que la décision doit être annulée parce qu’elle a une incidence déraisonnable sur leurs propres droits et intérêts. C’est l’argument que présentent les demandeurs dans leur avis de demande de contrôle judiciaire, pas les intervenants.

[41]           Dans leur affidavit appuyant la requête, les Tsartlip invoquent le [traduction] « coût prohibitif » pour justifier de n’avoir pas présenté leur propre demande de contrôle judiciaire. Ils n’en disent pas plus. Cet argument mérite d’être creusé.

[42]           Dans une affaire comme la présente, où le dossier de preuve est préparé par d’autres, les frais d’avocat du demandeur sont plus ou moins équivalents à ceux de l’intervenant. Les frais de dépôt d’un avis de demande et du mémoire des faits et du droit sur le bien-fondé de la demande correspondent à peu près aux frais de dépôt d’une requête en intervention et du mémoire des faits et du droit sur le bien-fondé de la requête. Par conséquent, qu’est‑ce qui rend le [traduction] « coût prohibitif » pour le demandeur, et non pour l’intervenant? Contrairement à un intervenant, un demandeur peut être tenu de payer des dépens au défendeur.

[43]           L’article 109 des Règles ne saurait permettre à quelqu’un, sciemment ou non, de se soustraire à une condamnation possible aux dépens, ce à quoi s’exposent les demandeurs. Autrement dit, l’intervention ne constitue pas la voie de droit qui permet à une partie, sciemment ou non, de contester une décision exactement comme peut le faire un demandeur, sans risquer la condamnation aux dépens.

[44]           L’article 109 des Règles pourrait servir de moyen détourné à un autre égard. Tous les demandeurs, sans égard à l’importance de leurs intérêts, doivent respecter les délais de prescription (Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, par. 18.1(2)). D’importants intérêts publics en bénéficient (Canada (Procureur général) c. Larkman, précité, par. 86-88). Si une partie a déjà présenté une demande de contrôle judiciaire avant l’expiration du délai de prescription, est-ce qu’une autre personne pourrait recourir à l’article 109 des Règles pour participer à l’instance, essentiellement en tant que codemandeur, une fois le recours prescrit? Tel n’est pas mon avis. Il s’agirait d’un moyen détourné inadmissible.

[45]           Il peut y avoir des explications ou des circonstances particulières justifiant un retard dans le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire. Or, elles devraient être présentées dans une requête en prorogation de délai, avec jurisprudence de notre Cour à l’appui (voir, par exemple, Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 C.F. 263 (C.A.); Larkman, précité).

[46]           En conséquence, dans les présentes circonstances, je conclus que si les Tsartlip avaient un intérêt direct dans l’annulation de la décision de l’organe administratif, ils l’auraient fait valoir en déposant dans le délai prescrit leur propre demande de contrôle judiciaire. Ils ne peuvent pas recourir à l’article 109 des Règles pour arriver à ce résultat.

[47]           Autre point contentieux quant à l’intervention sollicitée par les Tsartlip, je n’estime pas que leur participation, pour reprendre les termes du paragraphe 109(2) des Règles, « aidera à la prise d’une décision sur toute question de fait et de droit se rapportant à l’instance », c’est‑à‑dire les questions soulevées dans les demandes dont la Cour est déjà saisie.

[48]           À cet égard, il convient de rappeler qu’un intervenant ne peut pas produire de nouveaux éléments de preuve ou présenter des observations qui constituent en réalité de nouveaux éléments de preuve sous prétexte qu’il présente un point de vue différent (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ishaq, 2015 CAF 151, par. 14- 27; Zaric c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 36, par. 14). Un intervenant ne saurait transformer l’instance, par exemple en soulevant des questions étrangères aux demandes que la Cour doit trancher (Canada (Procureur général) c. Canadian Doctors for Refugee Care, 2015 CAF 34). Un intervenant potentiel doit fonder sa thèse sur les mêmes éléments de preuve au dossier que les autres et se limiter à voir comment il peut aider la Cour à statuer dans l’instance.

[49]           En conséquence, les requérants à qui l’autorisation d’intervenir est accordée proposent souvent de s’en tenir au cadre de l’instance et du dossier de preuve existants, mais de l’aborder différemment des parties. Par exemple, ils prévoient invoquer une jurisprudence que les parties n’ont pas invoquée, proposer une interprétation différente d’une certaine jurisprudence ou informer la Cour des autres répercussions de sa décision. On trouvera dans Ishaq, au paragraphe 12, et dans Zaric, au paragraphe 18, d’autres exemples de la manière dont les intervenants peuvent habituellement aider la Cour.

[50]           Les Tsartlip ne proposent rien de la sorte. Au contraire, ils comptent présenter les mêmes arguments juridiques que les autres, en particulier la Tsleil‑Waututh Nation, demanderesse, fondés sur le même dossier factuel.

[51]           Par exemple, dans son avis de demande, la Tsleil-Waututh Nation soutient que l’Office national de l’énergie a évalué de manière illégale l’importance des effets environnementaux et la justification de ceux-ci en n’examinant pas bien les effets sur l’épaulard résident du sud, une espèce qui revêt grande importance pour les peuples autochtones de la région, dont les Tsartlip. On peut déduire de l’avis de demande de la Tsleil-Waututh Nation qu’elle entend renvoyer à tous les éléments au dossier qui portent sur la question, y compris ceux que les Tsartlip avaient présentés à l’Office à ce sujet. Au vu de la preuve dont je dispose, il n’y a guère de différence entre les observations que présentera la Tsleil-Waututh Nation et celles que les Tsartlip proposent de présenter.

[52]           Il arrive que l’aide d’un intervenant soit nécessaire pour faire valoir la position d’un demandeur, parce que la Cour ne croit pas que ce dernier exposera adéquatement sa thèse (voir, par exemple, Zaric, précité, par. 18). Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. Les Tsartlip n’ont pas expliqué en quoi la comparution de la Tsleil‑Waututh Nation devant nous est inadéquate et commande son intervention. Les Tsartlip ne remettent pas en question la faculté ou la volonté de la Tsleil-Waututh Nation d’invoquer tous les éléments de preuve au dossier qui sont pertinents pour l’évaluation de l’effet du projet sur l’épaulard résident du sud, y compris les éléments de preuve présentés par les Tsartlip concernant l’importance de cette espèce pour eux.

[53]           Même si les Tsartlip ne sont pas autorisés à intervenir, ils peuvent tout de même se rendre utiles par d’autres moyens moins coûteux, notamment en offrant les services de leur avocat à la Tsleil-Waututh Nation et aux autres demandeurs pour que leurs prétentions soient les plus solides possible et défendent les intérêts des Tsartlip.

[54]           En conséquence, pour les motifs qui précèdent, je ne suis pas persuadé qu’il y a lieu d’autoriser l’intervention. Je rejette donc la requête des Tsartlip avec dépens.

[55]           Il est entendu que je ne me prononce pas dans les présents motifs sur la pertinence, la valeur probante ou l’importance des éléments de preuve déposés à l’égard des questions juridiques. Cette tâche relève de la formation de juges qui entendra l’appel.

D.                Divers

[56]           Le 28 avril 2017, la Première Nation Kwantlen, Cheam et la Première Nation Chawathil ont abandonné leur demande de contrôle judiciaire dans le dossier A-230-16. Il s’agissait de l’une des demandes faisant partie des instances réunies. Dans mon ordonnance concernant les requêtes en intervention, je modifierai également l’intitulé par radiation de ces parties. L’intitulé sera tel qu’il figure dans le présent document.

« David Stratas »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

A-78-17 (dossier principal); A-217-16; A-218-16; A-223-16; A-224-16; A-225-16; A-232-16; A-68-17; A-73-17; A-74-17; A-75-17; A­76-17; A-77-17; A-84-17;

A-86-17

INTITULÉ :

TSLEIL-WAUTUTH NATION et al. c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et al.

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 MAI 2017

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Me Marta Burns

Me Stephanie C. Latimer

Pour la PARTIE REQUÉRANTE, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

 

Me Eamon Murphy

 

Pour les PARTIES REQUÉRANTES, LA PREMIÈRE NATION TSARTLIP ET LE CHEF DON TOM

 

Me Scott Smith

 

Pour la défenderesse À LA REQUÊTE, LA TSLEIL-WAUTUTH NATION

 

Me Maureen Killoran, c.r.

Me Olivia Dixon

Me Sean Sutherland

 

Pour le défendeur À LA REQUÊTE, TRANS MOUNTAIN ULC

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général de l’Alberta

Edmonton (Alberta)

 

Pour la PARTIE REQUÉRANTE, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

 

Woodward & Company Lawyers LLP

Victoria (Colombie‑Britannique)

 

Pour les PARTIES REQUÉRANTES, LA PREMIÈRE NATION TSARTLIP ET LE CHEF DON TOM

 

Gowling WLG (Canada) LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour la défenderesse À LA REQUÊTE, LA TSLEIL-WAUTUTH NATION

 

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Calgary (Alberta)

Pour le défendeur À LA REQUÊTE, TRANS MOUNTAIN ULC

 

 

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