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Date : 20170616


Dossiers : A-78-17 (dossier principal); A-217-16; A-218-16;

A-223-16; A-224-16; A-225-16; A-232-16;

A-68-17; A-73-17; A-74-17; A-75-17;

A-76-17; A-77-17; A-84-17; A-86-17

[TRADUCTION FRANÇAISE]                                                          Référence : 2017 CAF 128

Présent: LE JUGE STRATAS

ENTRE :

TSLEIL-WAUTUTH NATION, VILLE DE VANCOUVER, VILLE DE BURNABY, NATION SQUAMISH (également appelée BANDE INDIENNE SQUAMISH), XÀLEK/SEKYÚ SIÝ AM, CHEF IAN CAMPBELL pour son propre compte et au nom de tous les membres de la Nation Squamish, BANDE INDIENNE COLDWATER, CHEF LEE SPAHAN à titre de chef de la bande Coldwater et au nom de tous les membres de la bande Coldwater, BANDE INDIENNE MUSQUEAM, AITCHELITZ, SKOWKALE, SHXWHÁ:Y VILLAGE, SOOWAHLIE, PREMIÈRE NATION SQUIALA, TZEACHTEN, YAKWEAKWIOOSE, SKWAH, KWAW-KWAW-APILT, CHEF DAVID JIMMIE pour son propre compte et au nom de tous les membres de la tribu TS’ELXWÉYEQW, BANDE UPPER NICOLA, CHEF RON IGNACE et CHEF FRED SEYMOUR pour leur propre compte et au nom de tous les autres membres de STK’EMLUPSEMC TE SECWEPEMC de la NATION SECWEPEMC, RAINCOAST CONSERVATION FOUNDATION et LIVING OCEANS SOCIETY

demandeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, OFFICE NATIONAL DE L’ÉNERGIE ET TRANS MOUNTAIN PIPELINE ULC

intimés

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

intervenant

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 16 juin 2017.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20170616


Dossiers : A-78-17 (dossier principal); A-217-16; A-218-16;

A-223-16; A-224-16; A-225-16; A-232-16;

A-68-17; A-73-17; A-74-17; A-75-17;

A-76-17; A-77-17; A-84-17; A-86-17

Référence : 2017 CAF 128

Présent: LE JUGE STRATAS

ENTRE :

TSLEIL-WAUTUTH NATION, VILLE DE VANCOUVER, VILLE DE BURNABY, NATION SQUAMISH (également appelée BANDE INDIENNE SQUAMISH), XÀLEK/SEKYÚ SIÝ AM, CHEF IAN CAMPBELL pour son propre compte et au nom de tous les membres de la Nation Squamish, BANDE INDIENNE COLDWATER, CHEF LEE SPAHAN à titre de chef de la bande Coldwater et au nom de tous les membres de la bande Coldwater, BANDE INDIENNE MUSQUEAM, AITCHELITZ, SKOWKALE, SHXWHÁ:Y VILLAGE, SOOWAHLIE, PREMIÈRE NATION SQUIALA, TZEACHTEN, YAKWEAKWIOOSE, SKWAH, KWAW-KWAW-APILT, CHEF DAVID JIMMIE pour son propre compte et au nom de tous les membres de la tribu TS’ELXWÉYEQW, BANDE UPPER NICOLA, CHEF RON IGNACE et CHEF FRED SEYMOUR pour leur propre compte et au nom de tous les autres membres de STK’EMLUPSEMC TE SECWEPEMC de la NATION SECWEPEMC, RAINCOAST CONSERVATION FOUNDATION et LIVING OCEANS SOCIETY

demandeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, OFFICE NATIONAL DE L’ÉNERGIE ET TRANS MOUNTAIN PIPELINE ULC

intimés

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

intervenant

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

A.                Introduction

[1]               La Cour est saisie de deux requêtes :

                     La requête du 2 juin 2017 présentée par la Tsleil-Waututh Nation, l’une des demanderesses. Elle s’oppose à l’insuffisance du dossier de preuve présenté à la Cour pour l’instruction des demandes de contrôle judiciaire réunies. Elle réclame notamment la production de certains documents par le Canada.

                     La requête du 6 juin 2017 présentée par le procureur général du Canada. Le procureur général demande l’autorisation de déposer un affidavit complémentaire au dossier de preuve. Cet affidavit corrige les erreurs et omissions contenues dans un affidavit antérieur.

B.                Les demandes de contrôle judiciaire devant la Cour

[2]               La Cour est saisie de quinze demandes de contrôle judiciaire réunies en l’espèce, dans lesquelles vingt-sept parties sollicitent collectivement l’annulation de certaines décisions administratives visant à approuver le projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain. Les décisions sont, d’une part, le rapport daté du 19 mai 2016 publié par l’Office national de l’énergie, qui affirme avoir agi en vertu de l’article 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7, et, d’autre part, le décret C.P. 2016-1069 pris par le gouverneur en conseil le 29 novembre 2016 et publié dans la Gazette du Canada, Partie I, vol. 150, no 50, le 10 décembre 2016.

[3]               En gros, le projet — dont le coût en capital se chiffre à 7,4 milliards de dollars — consiste à construire un nouvel oléoduc, en partie sur de nouveaux droits de passage, ce qui permettra l’expansion de l’oléoduc actuel qui s’étend sur 1 150 kilomètres, grosso modo d’Edmonton, en Alberta, à Burnaby, en Colombie-Britannique. Le projet prévoit également la construction de nouveaux ouvrages, notamment des stations de pompage et des réservoirs, ainsi que l’expansion du terminal maritime actuel. Ce projet aura comme effet immédiat d’accroître la capacité de 300 000 barils par jour à 890 000 barils par jour.

[4]               Les demandeurs contestent les approbations administratives à plusieurs égards. À l’appui de leurs contestations, ils invoquent le droit administratif et des textes législatifs pertinents. Les demandeurs autochtones invoquent également l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et la jurisprudence connexe portant sur les obligations à leur égard, entre autres l’obligation de consultation et, dans certains cas, l’obligation d’accommodement. Ils soulèvent également de nombreuses questions concernant les « effets environnementaux », au sens de l’article 5 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), L.C. 2012, ch. 19, art. 52, du projet.

[5]               Ces demandes réunies avancent rapidement. En plus ou moins trois mois, les avocats ont mis beaucoup d’efforts à préparer le nécessaire en vue de l’audience, et ce en suivant les consignes contenues dans trois séries de motifs détaillés, huit ordonnances et quatorze directives (y compris les motifs de l’ordonnance tranchant les présentes requêtes). L’audience aura lieu au début du mois d’octobre 2017.

C.                La requête du procureur général du Canada

[6]               En réponse aux demandes de contrôle judiciaire et au dépôt de plusieurs affidavits à l’appui de ces demandes, le procureur général du Canada a déposé l’affidavit de M. Gardiner. Ce document démontrait les mesures prises en vue du respect de l’obligation de consulter les groupes autochtones et de les accommoder.

[7]               M. Gardiner a présenté un affidavit assermenté complémentaire pour corriger les dates contenues dans son affidavit original et fournir des éléments manquants. Selon lui, ces erreurs et omissions n’étaient pas intentionnelles.

[8]               Le procureur général du Canada sollicite à présent l’autorisation de déposer l’affidavit complémentaire. Trans Mountain y consent.

[9]               Les demandeurs autochtones s’abstiennent de prendre position ou ne contestent pas la requête du procureur général. Cependant, quatre demandeurs autochtones font remarquer que certaines parties de l’affidavit complémentaire sont étrangères à l’objet des demandes réunies. Le procureur général consent à supprimer les parties non pertinentes.

[10]           L’article 312 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, autorise une partie à déposer un affidavit complémentaire dans le cadre d’un contrôle judiciaire. La règle ne fait que permettre le dépôt lorsque la Cour l’y autorise et ne prévoit pas de critères d’autorisation.

[11]           Cela dit, la jurisprudence portant sur l’article 312 nous vient en aide. Le dépôt d’affidavits complémentaires n’est autorisé que si ces éléments « vont dans le sens des intérêts de la justice » (voir la décision Rosenstein c. Atlantic Engraving Ltd., 2002 CAF 503, par. 8 et 9). Il ressort de la jurisprudence que la Cour doit tenir compte des éléments suivants :

                     les éléments de preuve aideront la Cour, notamment par leur pertinence et leur valeur probante;

                     l’admission des éléments de preuve causera un préjudice important à l’autre partie;

                     les éléments de preuve étaient connus au moment du dépôt des affidavits ou auraient pu être découverts si on avait fait preuve d’une diligence raisonnable.

(Holy Alpha and Omega Church of Toronto v. Canada (Attorney general), 2009 FCA 101, par. 2; Forest Ethics Advocacy Association c. Office national de l’énergie, 2014 CAF 88, par. 6; Canada (Pêches et Océans) c. Gwasslaam, 2009 CAF 25, par. 4.) Je constate que notre Cour s’est servie des mêmes facteurs pour décider si elle devait permettre qu’un affidavit soit déposé en réponse à la requête en autorisation d’appeler présentée en application de l’article 355, qui, comme le paragraphe 369(3), n’autorise pas explicitement les affidavits en réponse : Quarmby v. National Energy Board of Canada, 2015 FCA 19.

[12]           Tout bien pesé, ces facteurs militent en faveur de l’admission de l’affidavit complémentaire de M. Gardiner dans les présentes demandes réunies.

[13]           L’élément déterminant qui m’incite à exercer mon pouvoir discrétionnaire dans ce cas est qu’un dossier plus complet et plus exact favorise une décision équitable des demandes sur le fond, ce qui est conforme à l’article 3 des Règles des Cours fédérales. Ce dernier prévoit que les règles « sont interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ».

[14]           Les demandeurs n’ont pas démontré la possibilité de préjudice et, dans les faits, ne s’opposent pas à la requête. Le contre-interrogatoire de M. Gardiner n’a pas encore eu lieu. Les erreurs auraient été corrigées, et un complément d’information aurait été fourni à cette étape de toute façon. La Cour est disposée à permettre la prolongation des contre-interrogatoires, si les demandeurs en font la requête, dans la mesure où l’audience sur les demandes réunies se tient à la date fixée par la Cour.

[15]           Des renseignements plus complets et plus exacts étaient certainement disponibles auparavant et auraient dû, idéalement, figurer dans le premier affidavit de M. Gardiner. La présente requête aurait pu être déposée plus tôt, mais elle a été retardée par l’absence de M. Gardiner, qui se trouvait à l’étranger. Le procureur général a déposé cette requête juste avant le début des contre-interrogatoires. Ce retard est malheureux, d’autant plus que la Cour ordonnait le 9 mars 2017 l’accélération de l’instruction, fixait un échéancier strict et avertissait les parties que [traduction] « ce calendrier ne sera modifié que si cela est absolument nécessaire ». Cela dit, la requête du procureur général ne ralentit pas vraiment l’instruction.

[16]           Par conséquent, le procureur est autorisé à déposer l’affidavit complémentaire de M. Gardiner (délesté des parties non pertinentes) dans les présentes instances.

D.                La requête de la Tsleil-Waututh Nation

(1)               Introduction

[17]           La Tsleil-Waututh Nation sollicite une ordonnance pour régler ce qu’elle considère comme étant de graves lacunes dans le dossier de preuve présenté à la Cour. Les demandeurs autochtones soutiennent la Tsleil-Waututh Nation.

[18]           La Tsleil-Waututh Nation dit avoir présenté une demande en vertu de l’article 317 des Règles des Cours fédérales pour obtenir des documents à laquelle il n’a pas été donné suite. Elle affirme en outre que les documents ayant fondé la décision du gouverneur en conseil d’approuver le projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain n’ont pas tous été versés au dossier. Elle ajoute, de façon générale, que le Canada a en sa possession des éléments de preuve qui devraient être produits.

[19]           S’intègrent à sa requête des questions portant sur l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, une disposition qui autorise le Canada à attester que certains renseignements examinés par le gouverneur en conseil, communément appelé le Cabinet, sont confidentiels. Le Canada a délivré en l’espèce une attestation en application de l’article 39. Comme nous allons le voir, le Canada a également procédé ainsi lors d’une récente contestation réussie devant notre Cour dans l’affaire du projet d’oléoduc Northern Gateway (voir Nation Gitxaala c. Canada, 2016 CAF 187 (« Nation Gitxaala (2016) »)). Par conséquent, certains des renseignements consultés par le gouverneur en conseil avant de prendre sa décision ne seront pas soumis à la Cour.

(2)               Les questions en litige

[20]           La requête présentée par la Tsleil-Waututh Nation soulève plusieurs questions concernant le dossier présenté à la cour saisie du contrôle judiciaire :

                     l’exhaustivité de l’attestation délivrée par le Canada en application de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada et l’effet de cette attestation, qui interdit de communiquer aux parties et à la cour les éléments de preuve examinés par le gouverneur en conseil;

                     l’importance et le rôle du dossier présenté à la cour saisie du contrôle;

                     l’objet de l’article 317 des Règles des Cours fédérales et les limites de son application. Cette disposition prévoit qu’un requérant peut demander la transmission de la preuve dont disposait le décideur administratif. La question connexe, qui ne se pose pas en l’espèce, est de savoir comment le requérant place les éléments ainsi obtenus devant le décideur administratif;

                     l’admissibilité devant la cour saisie du contrôle d’éléments de preuve autres que ceux dont disposait le décideur administratif;

                     sans égard à ce qui précède, la question de savoir si le requérant, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, peut forcer le décideur administratif ou d’autres entités à produire des éléments de preuve et peut présenter ces derniers à la cour saisie du contrôle. Dans quelles circonstances la cour saisie du contrôle devrait-elle en ordonner la production?

                     en cas de lacunes dans le dossier de preuve présenté à la cour saisie du contrôle, la façon dont la cour procède au contrôle judiciaire, si c’est possible.

Les observations qui m’ont été présentées abordent ces questions, qui ont trait, dans une certaine mesure, à l’objet de la requête présentée par la Tsleil-Waututh Nation.

(3)               La Cour doit-elle trancher maintenant cette requête?

[21]           La requête est une requête interlocutoire. Dans le cas d’une requête interlocutoire présentée dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour doit décider s’il faut la trancher maintenant ou en laisser le soin à la formation qui présidera l’audience.

[22]           La Cour est saisie de questions portant sur le contenu et l’exhaustivité du dossier de preuve présenté à la cour saisie du contrôle. Dans le cas d’une demande de contrôle judiciaire, la formation saisie du contrôle peut traiter ces questions, et c’est souvent ce qu’elle fait.

[23]           À mon avis, le droit en la matière est suffisamment fixé, et l’issue de la requête sur les faits de l’espèce assez certaine, pour que la requête soit tranchée maintenant. De plus, résoudre un certain nombre de points soulevés par la requête et régler les situations des parties au présent litige permettront à ces dernières de procéder de façon ordonnée aux contre-interrogatoires préalables à l’audience et à l’audience elle-même. En effet, j’estime que les présents motifs aideront les parties à orienter les plaidoiries qu’elles présenteront à la formation qui présidera l’audience sur les demandes réunies. De manière générale, voir Collins c. Canada, 2014 CAF 240, par. 6 et 7; Nation Gitxaala c. Canada, 2015 CAF 27, par. 7 et 12; Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, [2015] A.C.F. no 1396, par. 9 à 12 (« Bernard (2015) »); McConnell c. Commission canadienne des droits de la personne, 2004 CF 817, conf. par 2005 CAF 389; Canadian Tire Corp. Ltd. c. P.S. Partsource Inc., 2001 CAF 8, [2001] A.C.F no 181.

(4)               Le Canada a-t-il respecté l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada?

[24]           Le Canada a délivré l’attestation prévue à l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada. Le Canada a édicté l’article 39 « pour répondre au besoin d’établir un mécanisme assurant l’exercice responsable du pouvoir d’invoquer la confidentialité des délibérations du Cabinet dans le contexte d’une instance judiciaire ou quasi judiciaire » (voir Babcock c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 57, [2002] 3 R.C.S. 3, par. 21).

[25]           La délivrance d’une attestation vise à protéger les renseignements confidentiels du conseil des ministres, sans plus. Elle ne peut servir à « entraver les enquêtes publiques » ni à « obtenir des avantages tactiques dans un litige » (voir Babcock, par. 25).

[26]           Suivant l’arrêt Babcock de la Cour suprême (au par. 27), l’attestation est valide si elle émane du greffier ou d’un ministre, vise des renseignements décrits au paragraphe 39(2), est délivrée de bonne foi et vise à empêcher la divulgation de renseignements demeurés jusque-là confidentiels.

[27]           Le rôle de notre Cour lorsqu’il s’agit d’examiner une attestation délivrée en application de l’article 39 dans le cadre d’un contrôle judiciaire est limité. Nous sommes tenus de refuser la communication d’un renseignement protégé par l’attestation « sans l’examiner ni tenir d’audition à son sujet » (voir Babcock, par. 38). Nous ne pouvons que vérifier si la décision de délivrer l’attestation et l’attestation elle-même relèvent « d’un pouvoir clairement conféré par la loi et exercé de façon régulière » (voir Babcock, par. 39, renvoyant à Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121).

[28]           En pratique, la Cour pourra donc décider si le renseignement dit confidentiel relève bel et bien du champ d’application du paragraphe 39(2) ou si le greffier ou le ministre ont exercé de façon irrégulière le pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 39(2) leur confère (voir Babcock, par. 39). La Cour suprême ajoute les précisions suivantes (par. 40) :

Le tribunal, l’organisme ou la personne qui contrôle la délivrance de l’attestation prévue à l’art. 39 doit composer avec l’inconvénient de ne pas pouvoir examiner les renseignements contestés. Une contestation fondée sur l’argument que les renseignements ne sont pas des renseignements confidentiels du Cabinet au sens de l’art. 39 se limitera donc généralement au contrôle du degré de précision de la liste et de la preuve de divulgation. Une contestation fondée sur l’exercice abusif du pouvoir de délivrer une attestation se limitera de la même manière aux renseignements qui figurent sur l’attestation et à toute preuve externe que la partie qui la conteste sera en mesure d’apporter. Il ne fait aucun doute que ces restrictions peuvent, dans les faits, rendre difficile l’annulation de l’attestation délivrée en application de l’art. 39.

[29]           L’attestation vise les documents suivants :

No 1 : Lettre adressée en novembre 2016 à l’honorable Scott Brison, président du Conseil du Trésor, de la part de l’honorable Jim Carr, ministre des Ressources naturelles, au sujet de la mise à l’ordre du jour de l’examen de la proposition d’un décret portant sur le projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain.

Il s’agit des communications entre ministres fédéraux à propos de l’ordre du jour du Conseil. Ce document tombe sous le coup des alinéas 39(2)c) et 39(2)d) de la Loi sur la preuve au Canada.

No 2 : Présentation au gouverneur en conseil en novembre 2016, en anglais et en français, par l’honorable Jim Carr, ministre des Ressources naturelles, concernant la proposition d’un décret portant sur le projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain, y compris la recommandation ministérielle signée, le résumé et les documents connexes.

Ce document et toutes les pièces jointes, qui en font partie intégrante, constituent un mémoire destiné à soumettre des propositions ou recommandations au Conseil. Ce document tombe sous le coup de l’alinéa 39(2)a) de la Loi sur la preuve au Canada.

[30]           La Tsleil-Waututh Nation prétend que le Canada ne s’est pas conformé à l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, car la description des documents serait trop sommaire. Selon elle, l’attestation ne précise pas la date à laquelle les documents nos 1 et 2 ont été livrés aux destinataires. De plus, elle affirme qu’il manque une énumération et une description précise des documents connexes au document no 2.

[31]           L’arrêt Babcock guide la Cour dans les cas comme celui qui nous occupe où la description des documents est dite insuffisante (voir le par. 28) :

Il serait peut-être utile d’expliquer les aspects formels de l’attestation. Comme nous l’avons déjà souligné, le greffier doit vérifier deux aspects : (1) Les renseignements constituent-ils des renseignements confidentiels au sens de l’art. 39? (2) Est-il souhaitable d’en préserver la confidentialité compte tenu des intérêts opposés voulant, d’une part, que les renseignements soient divulgués et, d’autre part, que la confidentialité soit préservée? Quelles sont les exigences de forme de l’attestation qui en découlent? On peut considérer que le deuxième aspect, l’élément discrétionnaire, est établi par l’acte d’attestation. Toutefois, le premier élément de la décision du greffier commande que son attestation établisse que les renseignements sont visés par la Loi. Cela signifie que le greffier ou le ministre ont l’obligation de donner des renseignements une description suffisante pour établir à la face même de l’attestation qu’il s’agit de renseignements confidentiels du Cabinet et qu’ils appartiennent aux catégories prévues au par. 39(2) [. . .] Ce premier élément résulte du principe qui oblige le greffier ou le ministre à exercer leur pouvoir légal d’une façon régulière en conformité avec la loi. Il suffira généralement à cet égard de fournir une description semblable à celle que les règles de pratique imposent en matière civile dans les demandes visant à protéger le secret professionnel de l’avocat. La date, le titre, l’auteur et le destinataire du document dans lequel se trouvent les renseignements devraient normalement être divulgués. Si des préoccupations touchant à la confidentialité empêchent la divulgation de l’un quelconque de ces indices préliminaires d’identification, ce sera au gouvernement d’en faire la preuve en cas de contestation. Par contre, si les documents dans lesquels se trouvent les renseignements sont correctement identifiés, la personne qui en demande la production et le tribunal doivent accepter la décision du greffier. Une seule argumentation est possible : les documents, au vu de leur description, ne sont pas visés par l’art. 39 ou le greffier a outrepassé les pouvoirs qui lui sont conférés. [Non souligné dans l’original]

[32]           Dans cet extrait, la Cour suprême nous indique que la description doit être « semblable à celle que les règles de pratique imposent en matière civile dans les demandes visant à protéger le secret professionnel de l’avocat ». Cependant, elle ajoute que « normalement », « [l]a date, le titre, l’auteur et le destinataire du document » devraient être indiqués.

[33]           Ces deux affirmations se contredisent quelque peu. Pour que le secret professionnel de l’avocat s’applique à un document, point n’est toujours besoin d’indiquer la date, le titre, l’auteur et le destinataire du document. Il arrive parfois que ces renseignements, notamment le titre du document, révèlent des renseignements visés par le secret. À mon avis, suivant l’interprétation de l’arrêt Babcock dans son ensemble, la considération première dans ce conflit potentiel est que l’attestation doit fournir suffisamment d’information pour permettre au tribunal de décider, au vu de l’attestation, si le greffier a énuméré des documents appartenant bel et bien aux catégories de l’article 39 et qu’il n’a pas outrepassé le pouvoir qui lui a été conféré.

[34]           Le document no 2 satisfait à ce critère global. La présentation d’un ministre au gouverneur en conseil au cours du mois où il s’est réuni (novembre 2016) accompagnée de [traduction] « la recommandation ministérielle signée, d’un résumé et de documents connexes », qui feraient [traduction] « partie intégrante du document [c.-à-d. la présentation] », est visée par la protection prévue à l’alinéa 39(2)a) (« une note destinée à soumettre des propositions ou recommandations au Conseil ») et à l’alinéa 39(2)d) (« un document employé en vue ou faisant état de communications ou de discussions entre ministres sur des questions liées à la prise des décisions du gouvernement ou à la formulation de sa politique »).

[35]           Une description comme celle que nous examinons satisfait-elle au critère du secret professionnel de l’avocat? À mon avis, oui.

[36]           Supposons qu’une avocate adresse un mémoire daté « Novembre 2016 » à son équipe au sujet d’une poursuite à l’encontre de son client concernant un manquement à un contrat. L’équipe doit prendre connaissance du mémoire avant la réunion au cours de laquelle elle doit établir un plan d’action pour son client. L’avocate y énonce ses recommandations et y joint certains documents afin que son équipe puisse bien examiner la question. Au vu de cette seule description, l’ensemble des documents serait protégé. Voir, par exemple, l’analyse relative au secret professionnel dans l’arrêt Slansky c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 199, [2015] 1 R.C.F. 81.

[37]           Ce qui ne veut pas dire que les pièces qui sont jointes à un document sont protégées en tout temps, peu importe le contexte. Supposons que l’un des documents examinés par l’équipe d’avocats est un contrat intervenu entre le client et la partie adverse dans le litige. Dans la mesure où il fait partie de l’ensemble des documents fournis à l’équipe d’avocats, il est protégé. La partie adverse n’a aucunement le droit de connaître les tactiques envisagées par l’équipe d’avocats au cours de la réunion concernant les affaires de son client. Or, le contrat lui-même est admissible en preuve à l’instance.

[38]           La Tsleil-Waututh Nation avance que la date et le titre exacts des documents ne sont pas indiqués, ce qui entraîne la conséquence suivante : suivant l’arrêt Babcock (par. 28), dans un tel cas, c’est « au gouvernement d’en faire la preuve [que les documents sont protégés par l’article 39] en cas de contestation ». Soit, mais, pour les raisons que j’ai énoncées, il a été satisfait au critère, ne serait-ce que par la description même de l’attestation, description qui m’a convaincu que les pouvoirs conférés n’ont pas été outrepassés.

[39]           En outre, en ce qui a trait à l’absence de dates et titres exacts, je signale que, dans un cas où le secret professionnel de l’avocat est invoqué — la norme envisagée par la Cour suprême dans l’arrêt Babcock —, la communication de ce genre d’information peut dévoiler des renseignements protégés. Dans l’exemple précédent, si l’équipe d’avocats communiquait le titre, les auteurs et la date du contrat à la partie adverse, cette dernière saurait que l’équipe d’avocats examinait le contrat. Si l’équipe d’avocats communiquait le titre, les auteurs, les dates et les destinataires de toutes les pièces jointes, la partie adverse pourrait peut-être en déduire ce que l’équipe d’avocats examinait. En effet, à partir de ces renseignements, il lui serait possible de deviner la nature des travaux de l’équipe d’avocats.

[40]           Selon la description du document no 2, il s’agit d’un [traduction] « mémoire destiné [. . .] au gouverneur en conseil », dont [traduction] « toutes les pièces jointes [. . .] font partie intégrante ». Il s’ensuit qu’une description plus précise des pièces jointes, qui mentionnerait par exemple la date, les auteurs ou le titre exacts des pièces — comme le contrat dans l’exemple — serait susceptible de faire transparaître la teneur du mémoire et, de ce fait, de révéler un renseignement confidentiel du Cabinet.

[41]           Dans ses prétentions déposées en réponse, la Tsleil-Waututh Nation demande à la Cour d’en conclure que le greffier a choisi de ne pas communiquer les dates exactes afin d’obtenir un avantage tactique dans l’affaire. Au vu des éléments à ma disposition, je ne vois aucune raison de tirer pareille conclusion, ni de preuve de mauvaise foi. Comme je l’ai expliqué, il est plus probable que les dates exactes et d’autres renseignements précis, s’ils étaient communiqués, permettraient aux parties de déduire exactement la teneur des documents présentés au gouverneur en conseil et des discussions, ce qui minerait la protection prévue à l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada.

[42]           En l’espèce, j’estime que la description du document no 2 est adéquate. Si des précisions y étaient apportées, il serait très probable que les renseignements — qui répondent à la description de ce que l’article 39 vise à protéger — seraient dévoilés dans une certaine mesure. Les renseignements communiqués au sujet du document no 2 suffisent à me convaincre que la décision de délivrer l’attestation et l’attestation elle-même relèvent, pour reprendre le libellé de l’arrêt Babcock, « d’un pouvoir clairement conféré par la loi et exercé de façon régulière ».

[43]           Il en va autrement pour le document no 1. Il s’agit d’une lettre qu’un ministre a fait parvenir à un autre en novembre 2016 [traduction] « au sujet de la mise à l’ordre du jour » de l’examen de la proposition d’un décret portant sur le projet. Nous savons que le décret a été pris le 29 novembre 2016. Le moment envisagé pour la réunion constitue-t-il en soi un renseignement confidentiel visé par le paragraphe 39(2)? Le procureur général n’invoque aucune jurisprudence sur ce point précis, et je n’en ai pas trouvé moi-même.

[44]           La description ne se limite pas à une question de date, mais concernerait également [traduction] « [l’] ordre du jour » du Conseil. Voilà qui rend la description vague et incohérente. Le document no 1 porte-t-il sur autre chose que le choix d’une date et révèle-t-il des points importants susceptibles d’influer sur la date, comme la préparation du mémoire au gouverneur en conseil? Le seul fait qu’il y ait discussion sur la date révèle-t-il quelque chose qui devrait être protégé par le paragraphe 39(2)? Est-ce que la communication concerne la teneur de l’ordre du jour, comme les sujets dont le gouverneur en conseil devrait, pourrait ou entend discuter? Si ces deux questions appellent une réponse affirmative, je conclurais que le document no 1 tombe sous le coup du paragraphe 39(2) et que le pouvoir législatif n’a pas été outrepassé. Or, je ne puis tirer pareille conclusion.

[45]           Bref, la description du document no 1 ne me mène pas à conclure qu’il est visé par le paragraphe 39(2).

[46]           De même, je ne suis pas convaincu qu’un document de novembre 2016 dans lequel il est seulement question de dates — ce que laisse entendre la première partie de la description du document no 1 — tombe sous le coup du paragraphe 39(2). Compte tenu d’arrêts comme Babcock et Carey c. Ontario, [1986] 2 R.C.S. 637, je ne suis pas persuadé, au vu de la preuve et des prétentions lapidaire du procureur général sur ce point, qu’un document dont l’auteur ne fait que demander laquelle de deux dates convient le mieux, et qui est dépourvu d’argumentation, de débat ou de motifs, constitue un renseignement confidentiel du Cabinet qui tombe sous le coup de l’un ou l’autre des alinéas du paragraphe 39(2).

[47]           Même si la description du document no 1 ne me convainc pas qu’il est visé par le paragraphe 39(2), je n’accorderais pas de réparation à la Tsleil-Waututh Nation. Si le document no 1 ne concerne que des dates, il n’est pas pertinent et, de ce fait, il n’est pas admissible en preuve en l’espèce. Aucune des questions que soulèvent les présentes demandes réunies ne concerne les dates de l’examen par le Cabinet. La légalité du décret est la seule question qui importe, et nous savons tous qu’il est daté du 29 novembre 2016.

[48]           La Tsleil-Waututh Nation avance un argument plus large à l’encontre de l’attestation. Selon elle, le certificat est vicié parce qu’il [traduction] « nuit à la faculté [pour la Tsleil-Waututh Nation] d’examiner la ou les décisions contestées ». Plus particulièrement, le défaut d’identifier les documents concernés avec précision — et, en l’occurrence, je crois que la Tsleil-Waututh Nation a les annexes du document no 2 à l’esprit — l’empêche de savoir si certaines questions soulevées par elle, aussi tard que le 28 novembre 2016, ont été examinées par le gouverneur en conseil au moment où il a approuvé le projet.

[49]           Je rejette cette prétention. La Cour suprême, dans l’arrêt Babcock, précité, précise que l’incidence qu’une attestation délivrée en application de l’article 39 pourrait avoir sur un litige ne constitue pas un facteur pertinent lorsqu’il s’agit de décider si l’attestation est valide et sa description suffisante.

[50]           Avant d’aller plus loin, j’estime que la préoccupation de la Tsleil-Waututh Nation en ce qui concerne l’absence de contrôle importe et je ne souhaite aucunement la minimiser. Je crois bon d’ouvrir une parenthèse, car la question intervient plus loin dans mes motifs à propos de la demande de la Tsleil-Waututh Nation en vue d’obtenir une ordonnance de communication à l’encontre du Canada, et les parties pourraient en bénéficier dans leurs préparatifs en vue de l’audience.

[51]           Comme on le verra plus loin, en vertu de notre droit, l’exercice des pouvoirs publics n’est pas à l’abri d’un contrôle véritable. Je ne partage toutefois pas la préoccupation de la Tsleil-Waututh Nation selon laquelle cette attestation avait nécessairement pour effet de mettre à l’abri d’un contrôle la mesure prise par le gouverneur en conseil.

[52]           D’une certaine manière, ce genre d’effet de l’attestation n’est pas nouveau. Les tribunaux administratifs bénéficient du secret du délibéré et, partant, il se peut que des renseignements importants ne soient pas communiqués au requérant dans le cadre d’un contrôle judiciaire (voir Tremblay c. Québec (Commission des affaires sociales), [1992] 1 R.C.S. 952, p. 965). Le secret professionnel de l’avocat peut aussi s’appliquer, même à des questions importantes pour le contrôle judiciaire (Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2004 CSC 31, [2004] 1 R.C.S. 809). Dans ces affaires, le contrôle des décisions administratives est tout de même allé de l’avant. Le fait de ne pas communiquer quelques éléments à la cour saisie du contrôle ne signifie pas nécessairement en soi que le décideur administratif est à l’abri du contrôle de ses décisions.

[53]           Alors que la conséquence de l’attestation visée à l’article 39 sur le litige ne constitue pas une considération pertinente lorsqu’il s’agit d’en évaluer la validité, la délivrance de l’attestation peut certes favoriser la partie qui conteste la décision. La délivrance d’une attestation n’est pas anodine. Dans l’arrêt Nation Gitxaala (2016), notre Cour décrit sa préoccupation concernant la délivrance d’une attestation en ces termes (au paragraphe 319) :

Le reste du dossier susceptible d’apporter des éclaircissements sur la question, c.-à-d. les recommandations du personnel découlant de la phase IV du processus de consultation, la recommandation ministérielle au gouverneur en conseil et les renseignements qu’il possédait au moment de prendre sa décision, sont tous assujettis au secret du Cabinet, selon le Canada, en vertu de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, et ne font donc pas partie du dossier. Le Canada n’était même pas prêt à fournir un sommaire général des types de recommandations et informations communiqués au gouverneur en conseil.

[54]           Est-ce que ce type de préoccupation peut mener à une conclusion défavorable? On peut soutenir que oui. Dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, les juges majoritaires de la Cour suprême ont conclu qu’une interdiction de publicité sur le tabac était contraire à la Charte et, partant, inopérante. En concluant que l’interdiction n’était pas justifiée au regard de l’article premier de la Charte, la juge McLachlin (tel était alors son titre), qui rédigeait des motifs distincts au nom de trois juges, a semblé avoir tenu compte de la délivrance de l’attestation (par. 165 à 166) :

Il appert de ces réflexions que l’interdiction de publicité imposée par l’art. 4 de la Loi pourrait bien porter davantage atteinte à la liberté d’expression qu’elle n’a à le faire pour que ses objectifs soient atteints. En fait, le ministère de la Santé et du Bien-être social a proposé un règlement moins attentatoire en remplacement d’une interdiction totale de la publicité. Alors, pourquoi le gouvernement a-t-il adopté une interdiction si générale? Le dossier ne renferme rien sur cette question. Le gouvernement n’a pas présenté d’éléments de preuve pour défendre l’interdiction totale ni de données établissant une comparaison entre les effets d’une interdiction totale et des interdictions moins attentatoires.

Cette omission est d’autant plus flagrante que le gouvernement avait effectué au moins une étude des solutions de rechange avant d’opter pour l’interdiction totale. Le gouvernement a privé les tribunaux des résultats de cette étude. Le procureur général du Canada a refusé de divulguer ce document, de même qu’environ 500 autres dont la production avait été demandée en première instance; il a, à cette fin, invoqué l’art. 39 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, faisant ainsi échec à une demande de divulgation présentée par les compagnies de tabac puisque les tribunaux n’ont pas compétence pour examiner les documents selon lesquels un privilège est réclamé en vertu de cette disposition. Les mentions de cette étude ont été biffées des documents produits : motifs de la première instance, à la p. 2311. Face à cette attitude, il est difficile de ne pas inférer que les résultats de ces études font échec à la prétention du gouvernement qu’une interdiction moins attentatoire n’aurait pas donné lieu à un résultat tout aussi valable.

[55]           Dans ses prétentions, le procureur général suggère que l’attestation délivrée en application de l’article 39 n’a pas l’effet radical que suggère la Tsleil-Waututh Nation. Finalement, il appartiendra à la formation de la Cour saisie du contrôle de se prononcer à ce sujet, mais certains points soulevés par le procureur général ou qui en découlent valent la peine d’être mentionnés.

[56]           Premièrement, il y a un dossier de preuve, qui est décrit en partie ci-après. Ce dossier prend de l’ampleur. Il semble être au moins équivalent à celui qui avait été présenté à la Cour dans l’arrêt Nation Gitxaala (2016). Dans cette affaire, la Cour n’a pas conclu que l’attestation empêchait indûment le contrôle de l’approbation par le gouverneur en conseil du projet Northern Gateway. En fait, dans cette affaire, la Cour a pu procéder à un contrôle véritable du décret, qu’elle a annulé au motif que les consultations des groupes autochtones avaient été insuffisantes.

[57]           Deuxièmement, le procureur général fait valoir que la réponse à la question de savoir si la Couronne a satisfait à son obligation de consulter les demandeurs autochtones [traduction] « est fonction de la preuve déposée par les parties concernant la teneur réelle du processus de consultation », et non de conjectures sur ce que le gouverneur en conseil a envisagé. C’est ce qui ressort d’une décision rendue par la Cour fédérale dans une affaire où une attestation avait été délivrée en application de l’article 39 et où elle était appelée à décider s’il avait été satisfait à l’obligation de consulter.

Le dossier ne révèle pas un manque de transparence; au contraire, il montre que la Couronne a systématiquement partagé des informations, répondu aux lettres de la [Première Nation], rencontré les représentants de la [Première Nation] et pris des décisions de principe en tenant compte des préoccupations de la [Première Nation]. Le demandeur n’a pas eu droit à la communication de l’avis du ministre au Cabinet : comme il le reconnaît, le ministre a invoqué à juste titre un privilège (Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C-5, paragraphe 39(2)). De plus, l’obligation de consultation est déterminée par les mesures que le Canada a prises lors du processus de consultation, et non par les éléments que le gouverneur en conseil peut avoir pris en considération.

(Adam c. Canada (Environnement), 2014 CF 1185, par. 79)

[58]           Dans la même veine, notre Cour a déclaré dans Nation Gitxaala (2016) que l’obligation de consulter entre en jeu dans ce genre d’affaire de deux façons. Elle peut permettre de conclure au caractère déraisonnable de la décision du gouverneur en conseil compte tenu de la preuve dont il disposait. Toutefois, sans égard au dossier soumis au gouverneur en conseil, si l’obligation de consulter qui incombe à la Couronne n’a pas été remplie, l’approbation ne peut être maintenue (Nation Gitxaala (2016), par. 159; et, semble-t-il, Adam, précité).

[59]           Les parties soumettront sans doute leurs observations à cet égard et sur les questions connexes à l’audience sur les demandes réunies.

[60]           C’est suffisant pour trancher la partie de la requête de la Tsleil-Waututh Nation qui traite de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada. Je me penche ensuite sur la question concernant l’article 317 des Règles que la Tsleil-Waututh Nation a soulevée dans sa requête ainsi que dans sa demande en vue d’obtenir une ordonnance obligeant le Canada à produire plus de documents.

[61]           Pour préparer le terrain, il convient de procéder à une analyse juridique de la teneur du dossier dont dispose la cour saisie du contrôle.

[62]           Premièrement, il me faut examiner le rôle du dossier de preuve soumis à la cour saisie du contrôle judiciaire et les principes qui régissent l’interprétation par la cour des dispositions législatives et des règles de procédure. J’examinerai aussi les grands principes de l’admissibilité des éléments de preuve dans un contrôle judiciaire.

[63]           J’aborderai ensuite les considérations de nature pratique et technique concernant le dossier soumis à la cour saisie du contrôle, à savoir comment les demandeurs peuvent obtenir les éléments de preuve pertinents pour une demande de contrôle judiciaire et comment présenter la preuve à la cour saisie du contrôle. Ces deux concepts, ainsi que les questions relatives à l’admissibilité de la preuve, sont bien souvent confondus. Ils sont pourtant distincts.

[64]           Je ne m’excuse pas d’aborder la question à la racine. Lorsqu’on explore de telles questions, il se peut que l’on se perde dans la forêt dense que représente la jurisprudence, préoccupé par de multiples questions et diverses règles de procédure susceptibles d’entrer en jeu, comme le prédateur embusqué attendant sa proie. Mais avec un peu de recul et d’élévation, on peut embrasser la forêt entière du regard et retrouver le sentier.

[65]           En l’espèce, la forêt représente le rôle important joué par le dossier dans le contrôle judiciaire, certains principes fondamentaux en matière de contrôle judiciaire, les dispositions législatives que fait intervenir le problème et la façon dont les cours procèdent au contrôle. En gardant ces notions à l’esprit, nous serons mieux en mesure de comprendre les différentes composantes de la forêt et leurs rapports.

[66]           C’est seulement si l’on procède ainsi que l’article 317 des Règles — qui régit l’obtention de documents en la possession de décideurs administratifs — peut être adéquatement replacé dans son contexte et compris. Il sera alors possible d’examiner la plainte de la Tsleil-Waututh Nation à l’égard du non-respect de cette disposition et sa demande en vue d’obtenir une ordonnance obligeant le Canada à produire d’autres documents.

(5)               Le dossier de preuve présenté à la cour saisie du contrôle : le contexte

(a)               Le rôle du dossier de preuve présenté à la cour saisie du contrôle et les principes pertinents

[67]           Sous réserve des considérations d’ordre constitutionnel susceptibles d’entrer en jeu, il faut respecter les dispositions législatives et les règles qui régissent et définissent la teneur du dossier de preuve présenté à la cour saisie du contrôle. Interprétées correctement selon leur texte, contexte et objet, elles laissent parfois à la cour saisie du contrôle de la latitude pour exercer son pouvoir discrétionnaire. Il faut donc garder à l’esprit le rôle que joue le dossier de preuve dont dispose la cour saisie du contrôle, qui est au cœur du véritable contrôle judiciaire. On ne peut sous-estimer son importance.

[68]           Premièrement, mentionnons le rôle que joue le dossier de preuve dans l’analyse des motifs du décideur administratif par la cour saisie du contrôle. Dans le cas où ces motifs sont laconiques, voire inexistants sur un point important, il est parfois possible de les déduire par comparaison du dispositif avec le dossier de preuve (voir, par exemple, Alliance de la fonction publique du Canada c. Société canadienne des postes, 2011 CSC 57, [2011] 3 R.C.S. 572).

[69]           Même dans le cas où les motifs sont étoffés, le dossier dont disposait le décideur peut jouer un rôle important lorsqu’il s’agit d’interpréter ses motifs. Voir, généralement, Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 15; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Emerson Milling Inc., 2017 CAF 86, par. 39.

[70]           Les motifs du décideur administratif — et, partant, le dossier de la preuve qui y est intimement lié — ne sont pas négligeables. Ils constituent le point de départ et l’orientation de l’analyse effectuée par la cour saisie du contrôle judiciaire (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 48 et 56; Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, par. 26).

[71]           D’autre part, le dossier de preuve soumis au décideur administratif est essentiel pour que la cour s’acquitte de sa responsabilité de procéder à un véritable contrôle judiciaire. Dans la plupart des cas, la cour saisie du contrôle doit évaluer la décision administrative au fond pour voir si elle est correcte ou acceptable et justifiable. La Cour doit être à l’affût des erreurs et des vices susceptibles de rendre la décision déraisonnable. Bien souvent, le caractère erroné ou inacceptable et injustifiable ressort d’une comparaison des motifs avec le dispositif effectuée à la lumière du régime législatif et — surtout, pour les fins qui nous occupent — avec le dossier de preuve soumis au décideur administratif.

[72]           Par exemple, la décision du tribunal qui a tiré une conclusion importante nécessitant une preuve peut être jugée déraisonnable en l’absence d’élément probant à cet égard dans le dossier (Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c. Jagjit Singh Farwaha, 2014 CAF 56, par. 100; Delios, précité, par. 27). Il en va de même pour une conclusion totalement incompatible avec le dossier de preuve. Lorsqu’il s’agit d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, si une partie clé du dossier — par exemple, la preuve d’un élément essentiel — manque et que la cour saisie du contrôle ne peut, de ce fait, juger si la décision fait partie des issues acceptables et justifiables et, donc raisonnables, elle n’a parfois d’autre choix que d’annuler la décision administrative (voir, par exemple, Edw. Leahy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 227, [2014] 1 R.C.F. 766, par. 137; Canada c. Kabul Farms Inc., 2016 CAF 143, par. 31 à 39).

[73]           Dans la même veine, le rôle du dossier de preuve est d’empêcher de mettre les décideurs administratifs et leurs décisions à l’abri d’un contrôle judiciaire.

[74]           Si le dossier présenté à la cour saisie du contrôle est lacunaire, certains motifs d’annulation d’une décision administrative peuvent être exclus. Pour utiliser un exemple extrême, si la cour saisie du contrôle ne dispose pas du dossier de preuve qui avait été présenté au décideur administratif, comment cette cour pourra-t-elle dire si la décision de ce dernier repose sur quelque preuve que ce soit?

[75]           Ce point a été exprimé de différentes façons. La Cour d’appel de la Saskatchewan a choisi la formule suivante :

[traduction] Afin d’exercer véritablement leur droit de contester une décision administrative au motif qu’elle est déraisonnable, les demandeurs doivent être assurés que la cour saisie du contrôle examinera les éléments de preuve présentés au tribunal administratif.

(Hartwig c. Commission of Inquiry into matters relating to the death of Neil Stonechild, 2007 SKCA 74, 284 D.L.R. (4th) 268, par. 24.)

[76]           Un universitaire s’exprime ainsi sur cette question :

[traduction] S’il ne sait pas quel raisonnement a fondé une décision, le juge ne peut décider si elle est arbitraire ou non. Pour que le juge saisi du contrôle puisse établir si un décideur a agi de manière légitime, il faut que ce dernier ait rédigé des motifs suffisants qui permettront au juge de comprendre les raisons qui ont présidé à la décision et de décider s’il a suivi des prescriptions légales expresses [ou le fondement de la décision doit ressortir du dossier]. Si le juge ne peut vérifier ce qui a mené à la décision [même à la lumière du dossier de preuve], il ne peut s’acquitter de cette tâche. Toute décision qui contrevient à la primauté du droit risque alors l’annulation de la part de la cour.

(Paul A. Warchuk, « The Role of Administrative Reasons in Judicial Review: Adequacy and Reasonableness », 2016, C.J.A.L.P., vol. 29, no 87, p. 113.)

[77]           L’argument invoqué vigoureusement à plus d’une reprise par la Tsleil-Waututh Nation au soutien de sa requête concerne la possibilité que des décisions administratives soient à l’abri du contrôle. Elle cite les motifs dissidents de la Cour dans la décision Slansky, précitée, en soulignant avec justesse que les juges majoritaires n’étaient pas en désaccord avec les juges minoritaires à ce sujet. Pour reprendre le libellé de l’arrêt (par. 276) :

Si la cour de révision n’a pas devant elle le document montrant ce que le tribunal a fait ou sur quoi il s’est appuyé, elle peut ne pas être en mesure de détecter une erreur justifiant l’infirmation de sa décision. Autrement dit, l’insuffisance du dossier de preuve soumis à la cour de révision peut immuniser le tribunal contre le contrôle pour certains motifs.

[78]           La cour saisie d’un contrôle judiciaire a pour mandat d’assurer la primauté du droit, dont un aspect consiste à assurer « la responsabilité de l’exécutif devant l’autorité légale » et à constituer « un rempart contre l’arbitraire [de l’exécutif] » (Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 70). Autrement dit, ceux à qui des pouvoirs publics ont été conférés doivent pouvoir répondre de l’exercice de tels pouvoirs, un principe qui est au cœur de notre gouvernement démocratique et de la primauté du droit (Slansky, par. 313 à 315). À moins de préoccupations concernant la justiciabilité, lorsque le contrôle judiciaire d’un acte de l’exécutif est demandé, les cours sont habilitées, tant sur le plan institutionnel que pratique, à décider si l’exécutif a agi de manière raisonnable ou non, c’est-à-dire, si sa décision appartient aux issues acceptables et justifiables. Ce rôle relève des cours, conformément à la Constitution et au principe du partage des compétences (Crevier c. P.G. (Québec) et autres, [1981] 2 R.C.S. 220; Dunsmuir, précité; Première Nation des Hupacasath c. Canada (Affaires étrangères et Commerce international Canada), 2015 CAF 4, par. 66; Habtenkiel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 180, par. 38; Paradis Honey Ltd. c. Canada, 2015 CAF 89, par. 140). Toutefois, à tout le moins dans la situation où la cour saisie du contrôle ne dispose pas du dossier de preuve qui était devant le décideur administratif, c’est-à-dire en l’absence de résumé ou de toute indication sur la preuve soumise au décideur administratif, ou que le dossier est muet sur un élément essentiel, il se peut qu’émergent des préoccupations concernant la possibilité que des décisions administratives se trouvent de ce fait à l’abri du contrôle.

[79]           Les décideurs administratifs dont les décisions ne peuvent être évaluées en raison de l’absence complète, dans le dossier, de renseignements sur un élément essentiel — comme s’ils disaient à propos d’un élément essentiel « Faites-nous confiance, nous avons raison » —, voient leurs décisions annulées par la Cour (voir, par exemple, Leahy, précité, au par. 137; Kabul Farms Inc. par. 31 à 39; Association canadienne des radiodiffuseurs c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2006 CAF 337, par. 17). Il semble que le critère soit le suivant : si le dossier de preuve, malgré toute inférence autorisée et présomption de preuve, empêche la cour saisie du contrôle de déterminer si la décision est raisonnable suivant une méthodologie acceptable (comme celle envisagée dans des affaires telles que Delios, précitée, et Canada (Procureur général) c. Boogaard, 2015 CAF 150), la décision doit être annulée.

[80]           Certains autres principes interviennent dans l’examen, par la cour saisie du contrôle, visant à évaluer la qualité du dossier de preuve soumis.

[81]           Dans un monde idéal, dans des affaires complexes comme celle qui nous occupe, le contrôle judiciaire ne devrait pas commencer tant que tous les éléments de preuve, si infimes soient-ils, n’ont pas été soumis à la cour qui en est saisie. Toutefois, cela est tout simplement impossible.

[82]           Aux termes du paragraphe 18.4(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, la Cour doit statuer sur les contrôles judiciaires « à bref délai et selon une procédure sommaire ». Il s’agit d’un commandement du Parlement qui a été érigé en loi. Dans la hiérarchie des sources, une disposition législative l’emporte sur toute règle subordonnée prévue dans les Règles des Cours fédérales et la jurisprudence de la Cour (Stratas, David, The Canadian Law of Judicial Review: Some Doctrine and Cases, p. 10 à 15 (version du 20 avril 2017, accessible en ligne à l’adresse https://ssrn.com/abstract=2924049)). La Cour explique l’importance de la célérité dans Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204, aux paragraphes 86 à 88 (quoique dans le contexte du court délai de prescription prévu au paragraphe 18.1(2)).

[83]           En outre, l’article 3 des Règles des Cours fédérales prévoit que les règles « sont interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ». Les concepts abordés dans l’article 3 ont été soulignés par la Cour suprême qui exhortait récemment les tribunaux et les plaideurs à favoriser un virage culturel en matière de litiges (Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87).

[84]           Des valeurs et principes généraux de droit administratif (primauté du droit, bonne administration, démocratie et séparation des pouvoirs) méritent également à l’occasion d’être pris en compte dans les décisions concernant le contenu du dossier soumis à la cour saisie du contrôle (voir, généralement, Paul Daly, « Administrative Law: A Values-Based Approach » dans John Bell, Mark Elliott, Jason Varuhas et Philip Murray éd., Public Law Adjudication in Common Law Systems: Process and Substance (Hart, Oxford, 2015)).

[85]           Dernier point, et probablement le plus important, les cours saisies de contrôles judiciaires ne sont pas des cours de première instance, qui montent le dossier de preuve initial, tirent des conclusions de fait et se prononcent sur le bien-fondé. Les cours saisies de contrôles judiciaires examinent les décisions des décideurs administratifs. Le législateur a habilité ces derniers, et non les cours, à trancher les questions. Les décideurs administratifs jugent sur le fond, alors que les cours se limitent à revoir ces décisions issues d’un examen au fond. Voir, par exemple, Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, par. 14 à 19; Bernard (2015), précité, par. 22 à 28. Ce seul facteur a une grande incidence sur les règles en matière d’admissibilité des éléments de preuve devant la cour saisie du contrôle, que j’aborde ci-après.

(b)               Règle générale en matière d’admissibilité aux fins du contrôle judiciaire : le dossier soumis au décideur administratif est le dossier faisant l’objet du contrôle

[86]           En règle générale, seul le dossier de preuve soumis au décideur administratif est admissible en preuve aux fins du contrôle judiciaire (Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22).

[87]           Le grand principe qui sous-tend cette règle générale est celui que nous venons d’aborder : la distinction entre le rôle du décideur administratif à titre de juridiction désignée par le législateur pour trancher les questions et le rôle des Cours fédérales comme simples cours chargées du contrôle judiciaire.

(c)                Comment les demandeurs qui présentent une demande de contrôle judiciaire obtiennent-ils le dossier soumis au décideur administratif?

[88]           Généralement, ceux qui demandent le contrôle judiciaire ont pleinement participé à l’instance devant le décideur administratif dont la décision est soumise au contrôle. Il arrive parfois qu’ils aient déjà le dossier en leur possession.

[89]           Dans d’autres cas, cependant, les demandeurs n’ont pas en main le dossier complet ou ne sont pas certains de l’avoir. C’est dans ces situations que l’article 317 entre en jeu. Aux termes de cette disposition, les demandeurs peuvent demander au décideur administratif « des éléments matériels pertinents quant à la demande [que les demandeurs n’ont pas] mais qui sont en la possession [du décideur administratif], en signifiant [à ce dernier] une requête à cet effet puis en la déposant ».

[90]           Aux termes de l’article 318, le décideur administratif peut s’opposer à la production de ces éléments matériels. Généralement, cette objection est fondée sur la pertinence, la confidentialité des délibérations, le secret professionnel de l’avocat ou un privilège d’intérêt public. L’objection est alors examinée par la cour de la manière précisée dans des affaires comme Lukács c. Canada (Office des transports), 2016 CAF 103 et Bernard c. Alliance de la Fonction Publique du Canada et Conseil du Trésor, 2017 CAF 35.

[91]           Notons que l’article 317 prévoit simplement un mécanisme par lequel les demandeurs peuvent obtenir le dossier déposé devant le décideur administratif et non un moyen de soumettre le dossier à la cour saisie du contrôle.

(d)               Comment le dossier déposé devant le décideur administratif est-il soumis à la cour saisie du contrôle?

[92]           Dans le système des cours fédérales, le demandeur peut soumettre le dossier qui était à la disposition du décideur administratif (qu’il l’ait obtenu par sa participation à l’instance ou en vertu des articles 317 et 318) à la cour saisie du contrôle en déposant un affidavit à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire (art. 306 des Règles). Le dossier du décideur administratif y est annexé en une ou plusieurs pièces.

[93]           En ce qui concerne la soumission du dossier du décideur administratif à la cour de révision, les défendeurs qui estiment que l’affidavit du demandeur est incomplet ou inexact peuvent soumettre leurs propres éléments (art. 307 des Règles).

[94]           Par la suite se tient le contre-interrogatoire des auteurs des affidavits (art. 308 des Règles).

[95]           Les parties versent au dossier déposé devant la cour leurs affidavits, les transcriptions des contre-interrogatoires et les pièces des contre-interrogatoires (art. 309 et 310 des Règles).

[96]           Le processus de soumission complet du dossier du décideur administratif est décrit plus en détail dans Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) c. Alberta, 2015 CAF 268, [2016] 3 R.C.F. 19.

(e)                Exceptions à l’admissibilité des éléments de preuve aux fins du contrôle judiciaire

[97]           Il existe des exceptions à la règle générale selon laquelle seuls les éléments de preuve dont disposait le décideur administratif sont admissibles devant la cour saisie du contrôle. Ces exceptions ne vont pas à l’encontre de la distinction entre le rôle du décideur administratif comme juge du fond et celui de la cour saisie du contrôle, dont le rôle se limite à l’examen de la décision. Voir, par exemple, Association des universités, précité; Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 116; Bernard (2015), précité; Delios, précité, par. 41 et 42.

[98]           Ces affaires démontrent qu’il existe trois exceptions reconnues et que cette liste n’est pas exhaustive :

                     Il arrive parfois que la Cour reçoive un affidavit fournissant des renseignements généraux dans des circonstances où ces renseignements pourraient l’aider à comprendre les questions que soulève le contrôle judiciaire.

                     Parfois, un affidavit est nécessaire pour signaler à la cour saisie du contrôle les manquements à l’équité procédurale sur lesquels le dossier de preuve est muet, pour que la cour puisse procéder à un véritable examen et décider s’il y a bel et bien eu manquement à l’équité procédurale.

                     Parfois, un affidavit est recevable dans le cadre d’un contrôle judiciaire pour faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une certaine conclusion.

Les deux dernières exceptions n’en forment en fait qu’une seule : lorsqu’un motif de contrôle défendable ne peut être établi qu’à partir d’éléments de preuve qui ne figurent pas au dossier du décideur administratif, la preuve est recevable.

[99]           Supposons par exemple qu’un décideur administratif reçoit un paiement d’une partie après une audience. Devant la cour saisie du contrôle, le demandeur soutient, avec une certaine crédibilité, que ce paiement constituait un pot-de-vin. Cette affirmation ne peut être prouvée que par la production d’un élément de preuve ultérieur à l’audience, c’est-à-dire une preuve dont ne disposait pas le décideur administratif. Supposons maintenant que, devant la cour saisie du contrôle, le demandeur souligne un but illégitime du décideur administratif et que cette assertion a un certain fondement et ne se veut pas simplement l’amorce d’une recherche à l’aveuglette. Souvent, les éléments de preuve d’un but illégitime ne figurent pas au dossier soumis au décideur administratif, et d’autres éléments de preuve doivent être fournis pour le démontrer. Il s’agit d’un autre exemple où la cour saisie du contrôle admettra des éléments de preuve qui ne figuraient pas au dossier devant le décideur administratif. Voir, par exemple, Roncarelli v. Duplessis, précité; Re Multi-Malls Inc. and Minister of Transportation and Communications (1977), 14 O.R. (2d) 49, 73 D.L.R  (3d) 18 (C.A.); Doctors Hospital v. Minister of Health et al. (1976), 12 O.R. (2d) 164, 68 D.L.R. (3d) 220 (Cr. Div.).

[100]       Dans les présents motifs, je désigne ce type de preuve, qui est admise par le jeu de l’application d’une exception à la règle générale d’admissibilité, par le terme « élément de preuve exceptionnel ».

(f)                Comment obtient-on un élément de preuve exceptionnel pour le déposer devant la Cour?

[101]       Les éléments de preuve exceptionnels peuvent être recueillis auprès de témoins. La façon normale, qui permet d’entendre et de trancher les contrôles judiciaires « à bref délai et selon une procédure sommaire » (comme l’exige le paragraphe 18.4(1) de la Loi sur les Cours fédérales et l’article 3 des Règles des Cours fédérales), consiste à produire un affidavit; en raison du paragraphe 18.4(1), il s’agit de la méthode à privilégier en tout temps. On présente les affidavits à la Cour en les versant aux dossiers déposés, et il est possible d’en soumettre les auteurs à un contre-interrogatoire.

[102]       On peut également recueillir des éléments de preuve exceptionnels en contre-interrogeant un déclarant dans le cadre du contrôle judiciaire. Dans les circonstances qui le justifient, la Cour peut demander la prise d’engagements pour obliger la production d’éléments de preuve exceptionnels.

[103]       Dans certains cas, il arrive que les témoins ne se montrent pas coopératifs. Dans de rares cas, on peut assigner des témoins à produire un document ou d’autres éléments matériels dans le cadre d’un contrôle judiciaire (paragraphe 41(1) et alinéa 41(4)c) des Règles). Le pouvoir d’assignation conféré par l’article 41 des Règles s’applique à une « instance », et suivant l’article 300 des Règles, une demande de contrôle judiciaire constitue une « instance ». La Cour peut délivrer le subpoena dans les circonstances suivantes :

                     la preuve est nécessaire;

                     il n’y a aucun autre moyen d’obtenir la preuve;

                     il est évident que le demandeur ne se livre pas à une recherche à l’aveuglette, mais a soulevé un motif crédible qui justifie un contrôle et n’est pas fondé uniquement sur ses dires;

                     il est probable qu’un témoin détient des éléments de preuve pertinents.

[104]       De même, la demande de contrôle judiciaire peut être  instruite comme s’il s’agissait d’une action; ainsi, l’interrogatoire préalable et des dépositions orales sont permis (par. 18.4(2) et 28(2) de la Loi sur les Cours fédérales). Toutefois, les situations où cela est permis sont très rares (voir, par exemple, les exigences énoncées dans l’arrêt Association des Crabiers Acadiens Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 357).

[105]       Finalement, plutôt que de procéder de la manière décrite plus haut pour obtenir des éléments de preuve exceptionnels, les parties peuvent convenir des faits et les soumettre à la cour saisie du contrôle. Toutefois, la prudence s’impose : la cour doit, en tout temps, respecter le principe selon lequel, au sein du régime administratif, le décideur administratif est le juge exclusif des faits.

(g)               Limites d’une demande présentée en vertu de l’article 317 des Règles

[106]       L’article 317 joue un rôle limité. Comme il a été mentionné, cette disposition habilite les demandeurs à obtenir d’un décideur administratif « des documents ou des éléments matériels pertinents quant à la demande qu’[ils] n’[ont] pas mais qui sont en la possession [du décideur] ».

[107]       L’article 317 a l’effet que prévoit son libellé. Les seuls documents accessibles en vertu de cet article sont ceux qui sont « pertinents quant à la demande » et « en la possession » du décideur administratif, et de lui seul. Le paragraphe 318(1) dispose que les documents visés par l’article 317 doivent venir d’un décideur administratif, et non d’une autre source.

[108]       Les documents doivent être pertinents. Le document qu’un demandeur sollicite, car il « pourrait être pertinent dans l’espoir d’en établir la pertinence par la suite », n’est pas visé par l’article 317 (Access Information Agency Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 224, par. 21). Les principes abordés plus haut — tout particulièrement ceux qui sont prévus au paragraphe 18.4(1) de la Loi sur les Cours fédérales et à l’article 3 des Règles des Cours fédérales quant à la célérité et à la bonne marche des contrôles judiciaires découragent les recherches à l’aveuglette.

[109]       La pertinence dépend des motifs invoqués en faveur du contrôle dans l’avis de demande :

Un document intéresse une demande de contrôle judiciaire s’il peut influer sur la manière dont la Cour disposera de la demande. Comme la décision de la Cour ne portera que sur les motifs de contrôle invoqués par l’intimé, la pertinence des documents demandés doit nécessairement être établie en fonction des motifs de contrôle énoncés dans l’avis de requête introductif d’instance et l’affidavit produits par l’intimé.

(Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak (C.A.), [1995] 2 C.F. 455, p 460).

[110]       La Cour doit faire des motifs de contrôle une « appréciation réaliste » de leur « nature essentielle » en s’employant à en faire une lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme (Canada (Revenu National) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557, par. 50 et 102; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Emerson Milling Inc., 2017 CAF 79, par. 29).

[111]       Il ressort manifestement du texte de l’article 317 qu’on ne peut l’invoquer pour obtenir des documents détenus par des tiers.

[112]       La jurisprudence a établi à maintes reprises que ne sont visés par l’article 317 que les documents devant le décideur administratif avant qu’il rende sa décision (Pathak, précité; 1185740 Ontario Ltd. c. Canada (ministre du Revenu National), 1998 CanLII 7910 (C.F.)).

[113]       Cette norme a été appliquée de façon constante par la Cour. Dans la décision Quebec Port Terminals Inc. v. Canada Labour Relations Board) (1994), 164 N.R. 60, à la page 66, la Cour opine ainsi :

[traduction] Les articles  1612 et 1613 (à présent  317 et 318) des Règles oblige le tribunal à « fournir » ou « remet[tre]» « sur-le-champ » une « copie certifiée » de « pièces » qui sont en « sa possession » et qui sont désignées « de façon précise ». À mon avis, il s’agit de pièces qui existent au moment où la demande en est faite, dont le tribunal s’est servi à l’audience, au cours de ses délibérations ou dans sa décision, qui font partie du dossier et dont il est en mesure de fournir une copie certifiée.

[114]       Lorsqu’une entité publique a fourni des renseignements à un décideur administratif, seuls les renseignements dont disposait réellement le décideur administratif peuvent être obtenus en vertu de l’article 317 :

Ces dispositions, à n’en pas douter, font référence à des « pièces » ayant été présentées devant l’office fédéral dont la décision fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale et non au contenu d’un dossier du ministre lorsque sa décision ne fait pas l’objet d’un contrôle judiciaire.

(Eli Lilly and Co. c. Nu-Pharm Inc., [1997] 1 C.F. 3 (C.A.), p. 29). Voir dans le même sens Comité canadien des ressources arctiques c. Diavik Diamond Mines Inc., [2000] A.C.F. no 910, au paragraphe 27.

En se livrant à l’examen de tous les documents dont disposaient les autorités responsables, on contesterait en fait l’exhaustivité du rapport d’étude approfondie, voire des données scientifiques sous-jacentes sur lesquelles se sont fondées les autorités responsables et on mettrait en doute les connaissances spécialisées de ces dernières. On est loin du contrôle judiciaire de la décision prise par le ministre à la lumière d’un rapport rédigé à la suite de nombreux mois d’enquête menée par les autorités responsables.

[115]       L’article 317 « ne sert pas la même fonction que la communication de la preuve dans une action » (Access Information Agency Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 224, par. 17; Atlantic Prudence Fund Corp. c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1156, par. 11).

[116]       À la lumière de ce qui précède, il est difficile de voir comment l’article 317 pourrait servir à obtenir des éléments de preuve exceptionnels. La seule situation qu’il m’est possible d’imaginer est celle où les éléments de preuve exceptionnels se trouvent par hasard en la possession de l’office fédéral, ce que je suppose être assez rare.

[117]       La Tsleil-Waututh Nation fait valoir que des pièces autres que celles dont disposait le décideur administratif peuvent être jugées pertinentes et devoir être produites en vertu de l’article 317 dans les cas où le décideur administratif aurait manqué à son obligation d’équité procédurale. Peut-être qu’elle confond l’admissibilité (c’est-à-dire la notion selon laquelle les éléments de preuve exceptionnels peuvent parfois être produits pour démontrer un manquement à l’équité procédurale) et les exigences de fond de l’article 317. Ces deux notions doivent être abordées de façon distincte. En effet, tous les éléments de preuve admissibles ne peuvent pas nécessairement être obtenus en vertu de l’article 317. D’une part, cette prétention ne tient pas compte du point précédemment établi selon lequel les pièces doivent être en la possession de l’office fédéral.

[118]       Au soutien de son argument, la Tsleil-Waututh Nation invoque les décisions de la Cour fédérale rendues dans les affaires Compagnie des chemins de fer Nationaux du Canada c. Louis Dreyfus Commodities Ltd, 2016 CF 101, et Gagliano c. Canada (Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires), 2006 CF 720. Dans la décision Dreyfus, la Cour fédérale laisse entendre que les documents qui auraient dû être soumis au décideur administratif pouvaient être produits en vertu de l’article 317. Elle renvoie aux décisions Access Information Agency et Gagliano, précitées, au soutien de cet argument. Rien dans la décision Access Information Agency n’indique que les documents qui auraient dû être soumis au décideur administratif peuvent être produits aux termes de l’article 317. Quant à la décision Gagliano, il convient de la considérer comme un rare cas où des éléments de preuve exceptionnels jugés admissibles se trouvaient en la possession du décideur administratif.

[119]       Tant la décision Dreyfus que cette prétention de la Tsleil-Waututh Nation démontrent la nécessité de séparer des notions analytiques distinctes comme l’obtention d’éléments de preuve, leur dépôt devant la Cour, leur admissibilité, les prescriptions de certaines dispositions (l’article 317 par exemple) et la méthode suivie par la Cour pour décider si une décision est raisonnable.

(6)               Analyse de la demande formulée en l’espèce en vertu de l’article 317

(a)               Actes de procédure relatifs à l’article 317

[120]       La Tsleil-Waututh Nation  a inclus dans sa demande de contrôle judiciaire sa demande présentée en vertu de l’article 317.

[121]       Aux termes du paragraphe 318(1) des Règles, le procureur général devait répondre à cette demande dans un délai de vingt jours.

[122]       Le procureur général n’en a rien fait. La Tsleil-Waututh Nation, pour sa part, n’a inscrit son opposition à l’égard de l’inaction du procureur général qu’environ deux mois plus tard.

[123]       Ni l’un ni l’autre ne peuvent être tenus en défaut. Dans son ordonnance du 9 mars 2017, la Cour a autorisé le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire pour neuf dossiers, a joint ces neuf demandes à sept autres puis a prévu un calendrier détaillé pour ces demandes réunies. L’ordonnance du 9 mars 2017 prévoyait que le procureur général produirait le dossier du gouverneur en conseil.

(b)               Demande formulée en l’espèce en vertu de l’article 317

[124]       J’ai examiné les motifs formulés dans la demande de contrôle judiciaire de la Tsleil-Waututh Nation.

[125]       Voici un résumé des arguments de la Tsleil-Waututh Nation relativement aux questions concernant l’obligation de consulter et d’accommoder :

                     La décision du gouverneur en conseil ne peut être maintenue compte tenu de la preuve dont il disposait.

                     L’obligation de consulter et d’accommoder n’ayant pas été respectée, la décision du gouverneur en conseil doit être annulée.

[126]       Ces arguments reprennent les motifs qui ont été examinés dans l’arrêt Nation Gitxaala (2016) précité. Dans cette affaire, la Cour a mentionné que la question de l’obligation de consulter peut être soulevée de deux façons. D’abord, si le gouverneur en conseil a déclaré à tort ou déraisonnablement qu’il avait été satisfait aux obligations de la Couronne au moment où il a pris sa décision, son décret pourrait être annulé. Deuxièmement, de façon plus générale, « si cette obligation [de la Couronne] n’était pas remplie, le décret ne pouvait pas être maintenu » (Nation Gitxaala (2016), par. 159).

[127]       Dans son avis de demande dans le dossier A-78-17, la Tsleil-Waututh Nation a demandé d’obtenir [traduction] « tout document soumis au [gouverneur en conseil] ou dont il a tenu compte pour prendre son décret ».

[128]       Pour déterminer s’il a été satisfait aux prescriptions de l’article 317, il est d’abord nécessaire d’examiner les documents produits relativement à l’état actuel du dossier sur ces questions. La Tsleil-Waututh Nation m’a-t-elle convaincu qu’à l’exception des documents visés par l’attestation délivrée en vertu de l’article 39, le décideur administratif, en l’occurrence le gouverneur en conseil, possède toujours des documents qui lui ont été présentés et qui sont pertinents au regard des motifs soulevés par la Tsleil-Waututh Nation ?

(c)                État actuel du dossier : a-t-il été satisfait aux prescriptions de l’article 317?

[129]       En ce qui concerne la consultation, le décret qui a approuvé le projet et qui est contesté par le présent recours prévoit ce qui suit :

Attendu que, par le décret C.P. 2016-435 du 3 juin 2016, le gouverneur en conseil, en vertu du paragraphe 54(3) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, a prorogé de quatre mois le délai visé à ce paragraphe afin de permettre la tenue de consultations supplémentaires de la Couronne auprès des groupes autochtones potentiellement touchés, la participation du public et une évaluation des émissions de gaz à effet de serre en amont associées au projet;

Attendu que le gouverneur en conseil est convaincu, après examen des préoccupations et des intérêts des groupes autochtones cernés dans le rapport sur la consultation de la Couronne intitulé Rapport fédéral-provincial sur les consultations et les accommodements pour le projet d’agrandissement de Trans Mountain du 21 novembre 2016, que le processus de consultation est compatible avec l’honneur de la Couronne et que les préoccupations et intérêts ont fait l’objet de mesures d’accommodement appropriées;

[130]       Il existe une note explicative de ce décret, publiée dans la Gazette du Canada, vol. 150, no 50, le 10 décembre 2016, aux pages 4 à 23. Cette note explicative traite de la participation des peuples autochtones aux audiences de l’Office national de l’énergie, des inquiétudes qu’ils ont fait valoir ainsi que d’autres opinions. La note explicative indique ce qui suit pour ce qui est de l’évaluation des répercussions sur les groupes autochtones (à partir de la page 14) :

Les enjeux sociaux et environnementaux mentionnés par les groupes autochtones ont été examinés et pris en compte dans le cadre du processus d’examen de l’Office. Les 157 conditions recommandées par l’Office exigeront de Trans Mountain qu’elle mette en œuvre tous les engagements qu’elle a pris tout au long du processus, et qu’elle applique en plus les mesures pour atténuer les autres répercussions éventuelles sur les personnes et l’environnement, y compris en ce qui concerne la qualité de l’air et les GES; la qualité de l’eau; le sol, la végétation et les terres humides; la faune et son habitat; le poisson et son habitat; et les mammifères marins. Plusieurs conditions portent spécifiquement sur les intérêts autochtones comme celle imposée de continuer de rendre compte de la disponibilité et des résultats des études sur les usages traditionnels, le recrutement de surveillants autochtones au cours de la construction, et le dépôt régulier de rapports relatifs à la consultation des autochtones. Des conditions particulières sont également prévues pour tenir compte des préoccupations soulevées par la bande Coldwater et le collectif Stó:lō.

En ce qui a trait aux droits visés au paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, après examen de tous les éléments de preuve présentés dans le cadre du processus, de la consultation menée avec les groupes autochtones, des effets sur les intérêts autochtones, des mesures d’atténuation proposées et des conditions imposées pour minimiser les effets négatifs sur les intérêts autochtones, et des exigences de l’Office relatives à la consultation continue, l’Office a conclu qu’il était convaincu que la recommandation et les décisions de l’Office relativement au projet respectent le paragraphe 35(1) de Loi constitutionnelle de 1982.

[131]       Ces paragraphes pourraient faire la lumière sur ce que le gouverneur en conseil avait à l’esprit en approuvant le projet; des observations seront nécessaires à l’audience devant la Cour dans les demandes réunies. Des documents contextuels comme cette note explicative peuvent donner un aperçu des éléments dont le gouverneur en conseil a tenu compte (N.B. Broadcasting Co., Limited c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1984] 2 C.F. 410, (C.A.)).

[132]       À cet égard, faisons remarquer qu’aucune des parties n’a plaidé la mauvaise foi dans son avis de demande ou ses affidavits, mettant en doute la véracité de la note explicative, de préambules ou d’énoncés factuels. De telles déclarations sont généralement visées par une présomption réfutable de régularité et, pour autant que je sache, rien ne permet de penser qu’elles ne le sont pas (voir Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181, par. 38, en plus des décisions qui y sont mentionnées; Ellis-Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [2001] 1 R.C.S. 221).

[133]       Il ressort également de ces extraits de la note explicative que le gouverneur en conseil avait connaissance des instances devant l’Office national de l’énergie et de son rapport. La teneur de cette connaissance est une question sur laquelle des observations devront être présentées à la formation de la Cour qui entendra les demandes conjointes.

[134]       Une ordonnance modifiant l’ordonnance de l’Office national de l’énergie CPCN OC-49 et l’ordonnance modifiant le Certificat d’utilité publique OC-2 approuvées par le gouverneur en conseil peuvent également revêtir une certaine importance (Gazette du Canada, vol. 150, no 50, le 10 décembre 2016, p. 23 à 247 et 248 à 501). Ces documents font référence à un ensemble de renseignements que devait posséder le gouverneur en conseil. Lesquels? Il s’agit d’une question sur laquelle des observations devront être présentées à la formation de la Cour qui entendra les demandes réunies.

[135]       Le premier affidavit de M. Gardiner mentionne d’autres éléments de preuve de la tenue de consultations avant la prise du décret. Les documents présentés à la Cour dans le cadre de la présente requête ne permettent toutefois pas de savoir si ces éléments ont été examinés directement ou indirectement par le gouverneur en conseil. L’affidavit de M. Gardiner mentionne également des consultations survenues après la prise du décret. J’ai traité de la pertinence possible de cette preuve dans la décision Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général) 2017 CAF 116.

[136]       De plus, l’affidavit complémentaire de M. Gardiner corrige certaines erreurs que contenait son premier affidavit et ajoute des renseignements à propos des activités de consultation. Les documents qui ont été présentés à la Cour dans le cadre de la présente requête ne permettent pas de savoir si ces éléments ont été examinés directement ou indirectement par le gouverneur en conseil.

[137]       Il ressort de plusieurs passages de ses prétentions que la Tsleil-Waututh Nation semble méconnaître les limites de l’article 317 des Règles. Par exemple, elle semble croire que l’article 317 peut lui permettre d’obtenir des documents détenus par d’autres entités que le gouverneur en conseil. Toutefois, pour les motifs qui précèdent, ce n’est pas le cas.

[138]       Dans l’ensemble, je ne suis pas convaincu que le Canada a retenu des renseignements en réponse à la demande présentée en vertu de l’article 317, à l’exception de ceux visés par l’attestation délivrée en vertu de l’article 39. Cette conclusion pourra être vérifiée par la Tsleil-Waututh Nation en contre-interrogatoire.

[139]       La Tsleil-Waututh Nation fait valoir que, si le procureur général a produit un affidavit complémentaire souscrit par M. Gardiner pour corriger des erreurs et des omissions lors de la communication, c’est que lui et d’autres ont négligé cette procédure de façon générale et pour ce qui est de l’application de l’article 317 en particulier. Cette prétention ne tient pas compte de la portée et de la complexité des présentes instances. Bien qu’elles ne soient pas souhaitables, des erreurs peuvent se glisser même dans les meilleures conditions. Je crois que ce nouvel affidavit démontre que le procureur général et ses avocats reconnaissent leurs responsabilités éthiques ainsi que celles qui leur incombent à titre de fonctionnaires judiciaires et ont souligné l’importance de la communication aux détenteurs de documents. La preuve contenue dans l’affidavit complémentaire ne démontre pas le contraire. Au paragraphe 151 des présents motifs, je renvoie à un engagement supplémentaire pris par le procureur général en matière de communication. J’en conclus que le procureur général prend des mesures continues pour faire en sorte que les documents qu’il est tenu de communiquer sont complets et exacts.

[140]       Ces mesures ne permettent pas à elles seules de trancher la requête de la Tsleil-Waututh Nation, qui cherche à faire ordonner l’application de l’article 317 des Règles. Elles rassurent cependant la Cour que de véritables efforts ont été faits pour veiller à ce que les documents répondant aux critères énoncés à l’article 317, outre ceux visés par l’attestation délivrée en vertu de l’article 39, ont été produits.

[141]       En vertu de l’alinéa 7(3)b) de l’ordonnance de la Cour datée du 9 mars 2017, le procureur général devait produire les [traduction] « documents en la possession du gouverneur en conseil et étayent sa décision », sauf, ipso facto, ceux visés par l’attestation, s’il en est, délivrée en vertu de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada. Vu la preuve qui lui a été présentée, la Cour n’est pas convaincue que le procureur général du Canada a enfreint cette ordonnance.

[142]       Si les documents fournis par la Tsleil-Waututh Nation n’avaient pas été présentés au gouverneur au conseil, l’avocat peut présenter des observations à la formation de la Cour chargée d’entendre les demandes réunies. En revanche, si les documents avaient été examinés par d’autres personnes au sein d’autres entités publiques et que seuls des résumés avaient été présentés au gouverneur en conseil, l’exhaustivité d’une telle preuve peut être débattue à l’audience devant la formation de la Cour sur les demandes réunies.

(7)               La requête de la Tsleil-Waututh Nation concernant la production de preuve par le Canada

[143]       Comme je l’ai mentionné plus haut, je ne suis pas convaincu qu’il y ait eu dissimulation de quelque élément de preuve que ce soit à laquelle l’article 317 des Règles pourrait remédier. Ainsi que je l’ai expliqué, cette disposition, sauf dans la rare circonstance décrite précédemment, autorise seulement l’obtention des documents pertinents pour le contrôle judiciaire qui étaient en la possession du décideur administratif et étayant sa décision.

[144]       En l’espèce, d’autres documents (qui ne peuvent être obtenus en vertu de l’article 317 des Règles) pourraient être pertinents. Ainsi qu’il a été mentionné, sans égard à la question des documents dont disposait le gouverneur en conseil pour démontrer que sa décision était raisonnable, la décision du gouverneur en conseil (c.-à-d. son décret) ne peut être maintenue si l’obligation de consulter n’a pas été respectée en général. Par conséquent, des éléments de preuve autres que les documents dont il disposait sont pertinents dans l’analyse portant sur ce motif de contrôle. Il s’agit de ce que j’ai appelé les éléments de preuve exceptionnels.

[145]       En l’espèce, la Cour devrait-elle rendre une ordonnance obligeant le Canada à produire d’autres éléments de preuve, y compris des éléments de preuve exceptionnels? C’est justement ce que demande la Tsleil-Waututh Nation. Comme je l’ai mentionné précédemment, cette dernière demande la production de documents qui concernent les motifs invoqués par elle concernant la question de savoir si les consultations tenues par le Canada au sujet du projet étaient adéquates.

[146]       À la lumière des documents qui m’ont été présentés, je suis d’avis qu’une telle ordonnance ne devrait pas être rendue.

[147]       Premièrement, il ressort des prétentions de la Tsleil-Waututh Nation que l’article 317 des Règles peut être invoqué pour obtenir des éléments de preuve exceptionnels. Or, comme je l’ai expliqué, ce n’est le cas que dans la rare situation décrite au paragraphe 116 plus haut.

[148]       Deuxièmement, aucune disposition des Règles des Cours fédérales ne prévoit la délivrance d’une « ordonnance de production » visant des éléments de preuve exceptionnels. Comme je l’ai déjà expliqué, des éléments de preuve exceptionnels peuvent être obtenus au contre-interrogatoire, par l’affidavit d’un témoin (ce qu’ont fait les demandeurs autochtones), en vertu d’une requête présentée en application de l’article 41 des Règles ou lorsqu’une demande est instruite comme s’il s’agissait d’une action en application des paragraphes 18.4(2) et 28(2) de la Loi sur les Cours fédérales.

[149]       Même si la Tsleil-Waututh Nation présentait à ce stade-ci une requête en vue d’utiliser de telles méthodes, je rejetterais la requête.

[150]       Je crois comprendre que M. Gardiner doit faire l’objet sous peu d’un contre-interrogatoire. Une grande quantité d’éléments de preuve exceptionnels est susceptible d’être alors révélée, sous réserve de leur recevabilité.

[151]       Qui plus est, le procureur général a pris l’engagement suivant :

[traduction] [. . .] Le Canada est prêt à aider officieusement [la Tsleil-Waututh Nation] à obtenir les documents de consultation pertinents qui, par inadvertance, pourraient avoir été omis de l’affidavit et de l’affidavit complémentaire de Timothy Gardiner. Si [la Tsleil-Waututh Nation] (ou un autre demandeur) a connaissance de l’existence de tels documents, l’avocat du Canada aimerait en être informé dans les plus brefs délais, étant donné l’échéance imminente prévue pour la fin des contre-interrogatoires des auteurs des affidavits.

[152]       De plus, je ne suis pas convaincu à ce stade qu’il existe des éléments de preuve exceptionnels que le contre-interrogatoire ne pourra révéler. Le procureur général a présenté la preuve de M. Gardiner concernant les activités de consultation menées par le Canada avant et après le décret. Ces éléments s’inscrivent dans la catégorie des éléments de preuve exceptionnels. Les demandeurs autochtones ont présenté des éléments de preuve sur leurs activités de consultation, sur la décision du Canada de tenir compte ou non des documents qui lui avaient été présentés ainsi que sur les réponses ou l’absence de réponse de sa part. Ces renseignements constituent également des éléments de preuve exceptionnels intéressant globalement l’obligation de consulter.

[153]       La Tsleil-Waututh Nation prétend que le Canada n’a pas produit toute la preuve dont il disposait sur son examen des éléments présentés par les demandeurs autochtones. Cependant, les lacunes dans la preuve n’appellent pas toujours la délivrance d’ordonnances de production. Le Canada peut subir les conséquences de ces lacunes s’il le mérite, au regard du droit et du dossier de preuve lacunaire. En préparant leurs arguments en vue de l’audience devant la formation de la Cour qui entendra les demandes réunies, les parties pourraient vouloir revoir les circonstances dans lesquelles la Cour peut tirer des inférences défavorables des éléments de preuve manquants (voir, par exemple, Pfizer Canada Inc. c. Teva Canada Limited, 2016 CAF 161, par. 169 et 170, et la jurisprudence qui y est citée). Si la Tsleil-Waututh Nation a présenté des éléments importants au Canada, mais que la preuve sur la réponse du Canada à cette information est lacunaire, le Canada pourrait avoir à donner des explications. En l’absence d’éléments de preuve sur la réponse du Canada, la formation de la Cour pourrait être encline à conclure que le Canada n’a pas réagi. En outre, j’ai déjà mentionné certains désavantages dont le Canada pourrait souffrir qui découlent de l’attestation délivrée en vertu de l’article 39.

[154]       Il convient également de souligner que des lacunes dans la preuve sur les réponses du Canada n’emportent pas que la Cour donnera tort au Canada sur les consultations. Les erreurs et les omissions commises dans l’acquittement de l’obligation de consulter et d’accommoder peuvent être tolérées, mais seulement jusqu’à un certain point. Autrement dit, il n’est pas nécessaire que l’obligation de consulter et d’accommoder soit respectée de manière rigoureuse. Ainsi, comme l’a déclaré la Cour dans l’arrêt Nation Gitxaala (2016) (par. 182 et 183) :

Le Canada n’est pas tenu à une norme de perfection lorsqu’il s’acquitte de son obligation de consulter. En l’espèce, les sujets à l’égard desquels des consultations étaient nécessaires étaient nombreux, complexes, dynamiques et mettaient en cause un bon nombre de parties. Parfois, en tentant de s’acquitter de cette obligation, il peut se produire des omissions, des malentendus, des accidents et des erreurs. En tentant de s’acquitter de cette même obligation, il y aura des questions de jugement difficiles sur lesquelles des personnes raisonnables ne s’entendront pas.

Pour déterminer si l’obligation de consulter a été satisfaite, « la perfection n’est pas requise », seulement des efforts raisonnables : Ahousaht c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2008 CAF 212, 297 D.L.R. (4th) 722, au paragraphe 54; Canada c. Première nation de Long Plain, 2015 CAF 177, 388 D.L.R. (4th) 209, au paragraphe 133; Yellowknives Dene First Nation c. Canada (Ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2015 CAF 148, 474 N.R. 350, au paragraphe 56; Clyde River (Hamlet) c. TGS-NOPEC Geophysical Co. ASA, 2015 CAF 179, 474 N.R. 96, au paragraphe 47.

[155]       À l’appui de sa prétention selon laquelle la preuve présentée par le procureur général comporte de graves lacunes, la Tsleil-Waututh Nation mentionne des demandes de renseignements qu’elle a présentées en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A-1. Elle a adressé ces demandes à Ressources naturelles Canada, à Transports Canada, à Pêches et Océans Canada et à Environnement et Changement climatique Canada. Ces ministères ont tous demandé d’importantes prorogations de délai pour répondre, la plus longue prorogation, soit 510 jours, ayant été demandée par Ressources Naturelles Canada.

[156]       Or, ces requêtes ont une portée exceptionnellement vaste et visent à recueillir le moindre fragment d’information, certains renseignements n’ayant absolument aucun rapport réaliste avec la question en litige.

[157]       Les quatre requêtes sont semblables. Pour en illustrer la portée, je reproduis la requête qui a été adressée à Ressources naturelles Canada :

[traduction] Veuillez fournir les documents suivants : tout renseignement, tout document ou toute correspondance produits entre août et novembre 2016 et échangés entre les cadres ou le personnel du Bureau de gestion des grands projets (Ressources naturelles Canada) et ceux d’Environnement Canada, de Pêches et Océans Canada ou de Transports Canada au sujet du projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain, y compris mais non exclusivement : les procès-verbaux des réunions et les notes des représentants présents aux réunions; tout document ou renseignement concernant le projet de décret; toute note d’information préparée avant ou après une réunion; ainsi que toute correspondance, incluant les courriels datant des mois d’août, septembre, octobre et novembre 2016 à l’attention ou en provenance de Mme Erin O’Gorman, sous-ministre adjointe, Bureau de gestion des grands projets, et les courriels à ce sujet datant des mois d’août, septembre, octobre et novembre 2016 à l’attention ou en provenance de Timothy Gardiner, directeur général – Secrétariat des projets stratégiques, Bureau de gestion des grands projets.

Veuillez en outre fournir les documents suivants : courriels, documents et notes d’information concernant toutes modalités, conditions, mesures de migration ou mesures d’accommodement proposées ou envisagées par Ressources naturelles Canada au sujet du projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain; toute note d’information adressée au ministre Carr, rédigée par des cadres, le personnel du Bureau de gestion des grands projets ou le sous-ministre de Ressources naturelles Canada au sujet de la décision prise par le gouverneur en conseil en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie et de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) au sujet du projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain; toute note d’information adressée au cabinet fédéral, au premier ministre ou au gouverneur en conseil, rédigée par des fonctionnaires ou le personnel du Bureau de gestion des grands projets, le sous-ministre de Ressources naturelles Canada ou le ministre Carr au sujet de la décision du gouverneur en conseil concernant le projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain; ainsi que toute note d’information, tout courriel ou tout autre document traitant de l’engagement du Canada ou des consultations avec la Tsleil-Waututh Nation dans le cadre du projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain.

[158]       Sans aucun doute, une partie de l’information demandée est visée par l’attestation délivrée en vertu de l’article 39. Sans aucun doute, une partie de cette information est déjà connue. Sans aucun doute, d’autres renseignements émergeront durant les contre-interrogatoires. Or, il ne faut pas négliger les notions d’importance et de proportionnalité (et ne pas seulement tenir compte de la simple pertinence).

[159]       J’ai mentionné l’article 3 des Règles qui souligne la nécessité « d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible », ainsi que le commandement du Parlement, énoncé au paragraphe 18.4(1) de la Loi sur les Cours fédérales, selon lequel la Cour doit statuer sur les contrôles judiciaires « à bref délai et selon une procédure sommaire ». Sans compter la mise en garde prononcée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hryniak, précité.

[160]       Ces préoccupations sont significatives en l’espèce.

[161]       Avant que la Cour rende son ordonnance du 9 mars 2017 établissant le calendrier d’instruction des demandes réunies, elle en a distribué une version préliminaire à toutes les parties. Cette ébauche contenait les énoncés suivants :

[traductionET ATTENDU qu’il convient que la Cour délivre une ordonnance pour assurer l’instruction ordonnée, équitable et rapide de ces instances;

ET ATTENDU que la présente ordonnance vise à mettre en application, dans les présentes instances, le principe énoncé à l’article 3 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, selon lequel l’instance doit être instruite d’une manière qui permette d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible;

[…]

ET ATTENDU que, au sujet de la question du calendrier :

(a)        sans exprimer quelque préjugé sur la question, un rapport, un décret et une attestation ont été produits en vertu de l’autorité qu’est censée accorder une loi favorisant l’intérêt public et qu’eux-mêmes ont été produits dans l’intérêt public, et que tous sont exécutoires jusqu’à ce qu’ils soient annulés; de plus, compte tenu des intérêts substantiels de toutes les parties aux présentes instances, celles-ci devraient être instruites rapidement; il faut donc réduire au minimum les retards dans l’instruction des présentes instances réunies;

(b)        en conséquence, la Cour établira un calendrier assurant l’instruction rapide et ordonnée des instances réunies, et ce calendrier ne sera modifié que si cela est absolument nécessaire;

[162]       Aucune partie n’a contesté ces énoncés.

[163]       L’ordonnance du 9 mars 2017 avait également établi un calendrier d’instruction accéléré jusqu’au dépôt du dossier électronique global et du mémoire des faits et du droit. De même, le calendrier a été distribué à l’avance, et aucune objection n’a été formulée. De plus, dans le cadre d’une directive émise le 29 mai 2017, la Cour a demandé aux parties de commenter le calendrier qu’elle proposait pour la poursuite des instances et la date de l’audience. Les parties ont accepté le calendrier proposé sous réserve de modifications mineures.

[164]       Dans leurs observations sur les présentes requêtes, toutes les parties ont exhorté la Cour à statuer maintenant sur les requêtes afin que le calendrier ne soit pas perturbé.

[165]       Pour tous ces motifs, la Cour ne retardera ni n’ajournera l’instruction des demandes réunies, afin que chaque élément visé par les demandes d’information, aussi infime soit-il, puisse être obtenu. Je ne crois pas non plus qu’une partie envisagerait sérieusement un tel scénario.

[166]       La principale question à trancher en l’espèce est celle de savoir si l’état de la preuve est tel qu’il donne l’impression que les décisions publiques sont à l’abri de tout contrôle. Je ne suis pas convaincu qu’il en soit ainsi en l’espèce. Même si je n’ai pas à ma disposition la transcription et les pièces des contre-interrogatoires, je peux conclure que le dossier de preuve en l’espèce est aussi étoffé, sinon plus, que celui présenté à la Cour dans Nation Gitxaala (2016). Dans cette affaire où des arguments essentiellement semblables étaient soulevés par des demandeurs autochtones, la Cour a été en mesure de procéder à un véritable contrôle, contrôle qui tenait compte des lacunes du dossier de preuve et qui a mené à l’annulation du décret du gouverneur en conseil.

[167]       Dans l’ensemble, la Cour est convaincue que le dossier, y compris les éléments de preuve exceptionnels, sera suffisant et que toute lacune pourra être dûment prise en compte. La Cour n’est pas convaincue que son aide soit nécessaire à ce stade-ci pour étoffer le dossier de preuve dont disposera la formation saisie du contrôle.

[168]       Au moment où les parties s’apprêtent à procéder aux contre-interrogatoires, il va sans dire que la Cour demeure prête à continuer de faciliter les progrès réalisés par ces dernières, en vue de parvenir à une solution qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

E.                Décision

[169]       La requête du procureur général du Canada est accueillie. L’affidavit complémentaire de M. Gardiner fera partie du dossier électronique, mais le procureur général devra au préalable en supprimer les portions jugées non pertinentes par les parties. Les dépens suivront l’issue de l’instance.

[170]       La requête de la Tsleil-Waututh Nation est rejetée. Les dépens suivront l’issue de l’instance.

« David Stratas »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS


DOSSIERS :

A-78-17 (dossier principal); A-217-16; A­218-16; A-223-16; A-224-16; A­225-16; A-232-16; A-68-17; A­73-17; A-74-17; A-75-17; A­76­17; A-77-17; A-84-17; A­86­17

INTITULÉ :

TSLEIL-WAUTUTH NATION ET AL. c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AL.

 

REQUÊTES JUGÉES SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 juin 2017

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Me Scott A. Smith

Me Paul Seaman

POUR LA DEMANDERESSE, TSLEIL-WAUTUTH NATION

Me F. Matthew Kirchner

Me Emma K. Hume

POUR LES DEMANDEURS, NATION SQUAMISH (également appelée BANDE INDIENNE SQUAMISH), XÀLEK/SEKYÚ SIÝ AM, CHEF IAN CAMPBELL pour son propre compte et au nom de tous les membres de la Nation Squamish, BANDE INDIENNE COLDWATER ET CHEF LEE SPAHAN à titre de chef de la Bande Coldwater et au nom de tous les membres de la Bande Coldwater

Me Crystal Reeves

 

POUR LA DEMANDERESSE, BANDE UPPER NICOLA

Me Jana McLean

POUR LES DEMANDEURS, AITCHELITZ, SKOWKALE, SHXWHÁ:Y VILLAGE, SOOWAHLIE, PREMIÈRE NATION SQUIALA, TZEACHTEN, YAKWEAKWIOOSE, SKWAH, KWAW-KWAW-APILT et CHEF DAVID JIMMIE pour son propre compte et au nom de tous les membres de la TRIBU TS’ELXWÉYEQW

Me Sarah D. Hansen

Me Megan E. Young

POUR LE DEMANDEUR, CHEF FRED SEYMOUR pour son propre compte et au nom de tous les autres membres de STK’EMLUPSEMC TE SECWEPEMC de la NATION SECWEPEMC

Me Chery Sharvit

POUR LA DEMANDERESSE, BANDE INDIENNE MUSQUEAM

Me Jan Brongers

POUR LE DÉFENDEUR, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Me Maureen Killoran, c.r.

POUR LA DÉFENDERESSE, TRANS MOUNTAIN PIPELINE ULC

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE, TSLEIL-WAUTUTH NATION

Ratcliff & Company LLP

Vancouver Nord (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS, NATION SQUAMISH (Également appelée BANDE INDIENNE SQUAMISH), XÀLEK/SEKYÚ SIÝ AM, CHEF IAN CAMPBELL pour son propre compte et au nom de tous les membres de la Nation Squamish, BANDE INDIENNE COLDWATER ET CHEF LEE SPAHAN à titre de chef de la Bande Coldwater au nom de tous les membres de la Bande Coldwater

Mandell Pinder LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES DEMANDERESSES, BANDE INDIENNE MUSQUEAM ET BANDE UPPER NICOLA

Miller Titerle + Company LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES DEMANDEURS, AITCHELITZ, SKOWKALE, SHXWHÁ:Y VILLAGE, SOOWAHLIE, PREMIÈRE NATION SQUIALA, TZEACHTEN, YAKWEAKWIOOSE, SKWAH, KWAW-KWAW-APILT et CHEF DAVID JIMMIE pour son propre compte et au nom de tous les membres de la TRIBU TS’ELXWÉYEQW

Ecojustice

Calgary (Alberta)

 

Pour les demandeurs, Raincoast Conservation Foundation et Living Oceans Society

 

Miller Thomson LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR, CHEF FRED SEYMOUR pour son propre compte et au nom de tous les membres de STK’EMLUPSEMC TE SECWEPEMC de la NATION SECWEPEMC

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Services juridiques de l’Office national de l’énergie

Calgary (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR, L’OFFICE NATIONAL DE L’ÉNERGIE

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Calgary (Alberta)

POUR LA DÉFENDERESSE, TRANS MOUNTAIN PIPELINE ULC

Ministre de la Justice et Solliciteur général de l’Alberta

Edmonton (Alberta)

POUR L’INTERVENANT

 

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