Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170704


Dossiers : A-155-17

A-156-17

Référence : 2017 CAF 144

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

MOHAMED ZEKI MAHJOUB

appelant

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

intimés

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2017.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20170704


Dossiers : A-155-17

A-156-17

Référence : 2017 CAF 144

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

MOHAMED ZEKI MAHJOUB

appelant

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

intimés

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

[1]               Les ministres intimés ont demandé, par voie de requête en vertu de l’article 74 des Règles, le retrait des avis d’appel dans deux dossiers d’appel et la fermeture de ces derniers. Ils soutiennent que la Cour n’a pas compétence pour se prononcer sur ces appels.

[2]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’accord avec les ministres et j’accueillerais la requête.

A.                 Contexte

[3]               M. Mahjoub est nommé dans un certificat de sécurité délivré à son égard en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Du fait de ce certificat de sécurité, il a été arrêté et détenu. Par la suite, il a été libéré sous conditions.

[4]               La Cour fédérale révise périodiquement ces conditions.

[5]               La présente affaire découle d’une de ces révisions de la Cour fédérale, réalisée par le juge Brown : 2016 CF 808. M. Mahjoub en fait appel. Il fait également appel d’une décision de la Cour fédérale (motifs prononcés par le juge Brown) concernant les questions formulées en vue de leur certification : 2017 CF 334.

[6]               Par conséquent, la Cour a été saisie de deux dossiers d’appel : A-155-17 et A-156-17. Une copie de ces motifs sera versée dans chaque dossier.

[7]               Le mécanisme employé par les ministres pour annuler ces appels est énoncé à l’article 74 des Règles. Dans les situations où la Cour n’a pas la compétence sur un appel, l’article 74 des Règles lui permet d’ordonner que l’avis d’appel soit retiré du dossier et que celui-ci soit clos.

[8]               La mesure de redressement demandée par les ministres relativement à ces requêtes ne peut être accordée que par une formation de trois personnes de la Cour : arrêt Rock-St-Laurent c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 192, 434 N.R. 144. Par conséquent, une formation de trois juges de la Cour a été constituée afin de statuer sur les requêtes.

[9]               Les ministres affirment que l’article 74 des Règles s’applique parce que la Cour n’a pas compétence pour se prononcer sur ces appels. Ils invoquent l’article 82.3 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui dispose que les décisions relatives au contrôle de la détention ne sont susceptibles d’appel devant notre Cour que si la Cour fédérale certifie que l’affaire soulève une « question grave de portée générale ».

[10]           En l’espèce, après avoir reçu les observations, la Cour fédérale a décidé qu’il n’y avait aucune question grave de portée générale que notre Cour devait examiner. Elle a refusé de certifier une question.

B.                 Analyse

[11]           Étant donné que la Cour fédérale n’a certifié aucune question grave de portée générale, l’interdiction au paragraphe 82.3 s’applique, à moins que nous ne soyons persuadés que cet appel correspond à l’une des exceptions limitées reconnues dans la jurisprudence.

[12]           La question en litige dans ces requêtes est de savoir si ces exceptions s’appliquent. M. Mahjoub ne m’a pas persuadé qu’elles s’appliquent.

– I –

[13]           M. Mahjoub prétend que la Cour fédérale a omis d’exercer sa compétence. Notre Cour a reconnu que l’omission par la Cour fédérale d’exercer sa compétence est susceptible d’appel nonobstant une interdiction d’interjeter appel prévue par la Loi : arrêt Canada (Solliciteur général) c. Subhaschandran, 2005 CAF 27, [2005] 3 R.C.F. 255, au paragraphe 13. Mais en l’espèce, il n’est pas question d’une omission d’exercice de compétence. Plutôt, M. Mahjoub conteste la façon dont la Cour fédérale a exercé sa compétence.

[14]           De plus, M. Mahjoub affirme que la Cour fédérale a omis d’examiner des questions constitutionnelles qui lui ont été soumises. Ce n’est pas exact.

[15]           Premièrement, la Cour fédérale a déclaré que « [p]lutôt que de débattre de celles-ci [les questions constitutionnelles] à même la requête, [M. Mahjoub] a choisi, avec permission, de les plaider à une date ultérieure » : 2017 CF 334, au paragraphe 1.

[16]           Deuxièmement, aux paragraphes 4 et 5 de cette même décision, la Cour fédérale a noté que M. Mahjoub « a proposé 37 questions numérotées à certifier, dont 19 questions à certifier et 18 questions constitutionnelles » et que « plusieurs questions se répètent et se recoupent ». Par conséquent, la Cour fédérale a regroupé plusieurs d’entre elles et les a examinées.

[17]           Le fond de l’affaire doit être examiné. Si la cour procédait autrement, cela inciterait les avocats à soulever des dizaines de questions étroitement liées, énoncées de façon confuse et se chevauchant, dans l’espoir que la Cour fédérale, dans un sens purement technique, en omette une. Dans l’examen du contenu du travail de la Cour fédérale, je ne vois aucun manquement de sa part dans l’examen des questions qui lui ont été soumises.

– II –

[18]           M. Mahjoub allègue que les questions que la Cour fédérale a examinées étaient des [traduction] « questions de compétence ». Il ajoute que les [traduction] « questions de compétence » constituent l’une des exceptions reconnues aux interdictions prévues par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés : voir, p. ex., l’arrêt Sellathurai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 223 [2012] 2 R.C.F. 243.

[19]           Dans le cas de certaines questions, comme une allégation crédible de partialité contre un juge qui a tranché l’affaire en Cour fédérale, les interdictions prévues par la Loi peuvent être contournées. Il en est ainsi parce qu’il s’agit de questions très fondamentales — des questions exceptionnelles qui touchent directement la primauté du droit : arrêt Narvey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1999) 235 NR 305 (CAF); arrêt Horne c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CAF 337, 414 NR 97, au paragraphe 4; arrêt Zundel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 394. Dans certains cas, le terme « question de compétence » est utilisé pour décrire ces types de questions.

[20]           Le terme « question de compétence » doit être utilisé avec prudence. La Cour suprême a formulé à maintes reprises des mises en garde invitant à « éviter de qualifier trop rapidement un point de question de compétence, et ainsi de l’assujettir à un examen judiciaire plus étendu, lorsqu’il existe un doute à cet égard » : arrêt Smith c. Alliance Pipeline Ltd., [2011] 1 RCS 160, 2011 CSC 7, au paragraphe 36; arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du NouveauBrunswick, [1979] 2 RCS 227, au paragraphe 233, cité dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, 2008 CSC 9, au paragraphe 35.

[21]           Cela est conforme à de nombreuses affaires tranchées par cette Cour. Les erreurs de droit alléguées — même celles qui sont importantes — ne permettent pas de contourner les interdictions d’interjeter appel en vertu de la Loi, comme celle en litige, article 82.3 de la Loi : arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Goodman, 2016 CAF 126, aux paragraphes 5 à 9; arrêt Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 294, au paragraphe 12. Essentiellement, dans ses appels, M. Mahjoub soutient que la Cour fédérale a commis une erreur de droit, rien de plus. L’interdiction à l’article 82.3 de la Loi s’applique.

– III –

[22]           M. Mahjoub insiste sur la nature constitutionnelle des décisions de la Cour fédérale dont il souhaite faire appel.

[23]           Notre Cour n’a jamais conclu que le rejet par la Cour fédérale d’arguments constitutionnels peut faire l’objet d’un appel malgré l’interdiction d’interjeter appel. En fait, comme cette Cour l’a noté dans l’arrêt Wong c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 229, au paragraphe 15, il existe de nombreux cas confirmant que l’interdiction d’interjeter appel s’applique :

Les appelants soutiennent que l’alinéa 72(2)e) [une autre interdiction d’interjeter appel dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés] ne s’applique pas lorsque l’appel soulève des [traduction] « questions constitutionnelles » ou qu’il porte sur [traduction] « le rôle de la Cour fédérale lors de la tenue d’un contrôle judiciaire ». Aucune décision n’étaye cette affirmation. En fait, la décision de la Cour dans l’arrêt Chung c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 31, va à son encontre. Le fait qu’un appel soulève des questions constitutionnelles ou des questions sur le rôle de la Cour lors d’un contrôle judiciaire ne constitue pas une exception reconnue aux interdictions d’interjeter appel prescrites par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés : voir l’arrrêt Mahjoub [c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 294]; et l’arrêt Es-Sayyid c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CAF 59, [2013] 4 R.C.F. 3.

– IV –

[24]           Enfin, M. Mahjoub conteste la constitutionnalité du principe selon lequel une question doit être certifiée avant qu’un appel puisse être interjeté. Il ne fait pas mention de la jurisprudence dans laquelle un tel argument a été rejeté : voir, dans la jurisprudence récente, l’arrêt Wong, précité, au paragraphe 16; l’arrêt Krishnapillai c. Canada, 2001 CAF 378, [2002] 3 C.F. 74; l’arrêt Huntley c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 273 426 N.R. 152, au paragraphe 14; l’arrêt Huynh c. Canada, [1996] 2 CF 976, 197 N.R. 62. Le principe selon lequel une question doit être certifiée est constitutionnel.

C.                 Conclusion

[25]           En substance, ces appels ne représentent rien d’autre que des désaccords avec le bien-fondé de deux décisions de la Cour fédérale. Cette dernière n’a pas estimé qu’une question grave de portée générale méritait d’être examinée par notre Cour.

[26]           En vertu du droit fédéral, en l’absence d’une question certifiée de portée générale, les décisions de la Cour fédérale sont définitives : ces appels sont interdits par l’article 82.3 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

D.                Dispositif proposé

[27]           Par conséquent, conformément à l’article 74, j’accueillerais les requêtes et j’ordonnerais que les avis d’appel soient retirés des dossiers de la Cour et que ces derniers soient clos.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

A-155-17 et A-156-17

 

INTITULÉ :

MOHAMED ZEKI MAHJOUB c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

REQUÊTES JUGÉES SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

DATE DES MOTIFS :

Le 4 juillet 2017

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Patil Tutunjian

Paul Slansky

 

Pour l’appelant

 

Bernard Assan

Marianne Zoric

 

Pour les intImés

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Doyon, Nguyen, Tutunjian et Cliché-Rivard

Montréal (Québec)

Slansky Law Professional Corporation

Toronto (Ontario)

Pour l’appelant

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour les intimés

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.