Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20170705


Dossier : A-42-17

Référence : 2017 CAF 146

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

LES CONSEILLÈRES GEORGINA JOHNNY ET BRANDY JULES ET LE CONSEILLER RONALD JULES

appelants

et

LA BANDE INDIENNE D’ADAMS LAKE

intimée

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 19 juin 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20170705


Dossier : A-42-17

Référence : 2017 CAF 146

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

LES CONSEILLÈRES GEORGINA JOHNNY ET BRANDY JULES ET LE CONSEILLER RONALD JULES

appelants

et

LA BANDE INDIENNE D’ADAMS LAKE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]  Les appelants ont été dûment élus aux postes de conseillers de la bande indienne d’Adams Lake. Ils ont tous les trois été destitués à compter du 23 octobre 2016, et on leur a interdit de poser leur candidature aux deux élections suivantes de la bande, au motif que chacun avait contrevenu à son serment professionnel.

[2]  La Cour fédérale a rejeté la contestation par les appelants des décisions de les destituer, concluant que ces décisions respectaient l’équité procédurale (2017 CF 156). Le présent appel porte sur ce jugement de la Cour fédérale.

[3]  Avant d’aborder l’appel au fond, il importe de noter la thèse de l’intimée, la bande indienne d’Adams Lake, dans l’appel.

[4]  La bande s’opposait à la demande de contrôle judiciaire que les appelants ont présentée à la Cour fédérale et a commencé par indiquer qu’elle comparaîtrait devant nous pour s’opposer à l’appel. La bande a déposé un mémoire des faits et du droit dans lequel elle demandait le rejet de l’appel avec dépens. Cependant, peu avant l’audition de l’appel, elle a déposé un avis de changement d’avocat. À l’audience, le nouvel avocat a informé notre Cour que la bande ne prenait pas position dans l’appel et a demandé à la Cour de faire fi du mémoire des faits et du droit que la bande avait déposé. La Cour a instruit l’affaire en conséquence.

[5]  Je vais maintenant passer en revue les faits pertinents.

[6]  Suivant le paragraphe 24.1 des 2014 Adams Lake Secwépemc Election Rules (règles de 2014 de la Première Nation Secwépemc d’Adams Lake visant les élections) un conseiller de bande [traduction] « peut être destitué » s’il enfreint les règles de la bande visant les élections ou s’il contrevient à son serment professionnel. En prêtant serment, les conseillers de la bande s’engagent, entre autres, [traduction] « à accomplir honnêtement, impartialement et intégralement, ainsi qu’avec dignité et respect, les charges inhérentes à mes fonctions » ainsi qu’à respecter la [traduction] « vision communautaire de la bande indienne d’Adams Lake ».

[7]  Les paragraphes 2, 3 et 4 du serment professionnel que doivent prêter tous les membres du conseil de bande sont pertinents en l’espèce. Ces paragraphes sont ainsi rédigés :

[TRADUCTION]

2.  Je m’engage à accomplir honnêtement, impartialement et intégralement, ainsi qu’avec dignité et respect, les charges inhérentes à mes fonctions.

3.  Je prendrai toujours en compte l’intérêt supérieur de la bande indienne d’Adams Lake.

4.  Je me conformerai aux règles visant les élections de la bande indienne d’Adams Lake et à ses politiques, ainsi qu’au mandat de son chef et des membres de son conseil.

[8]  La procédure de destitution d’un conseiller de bande débute par la signature d’une pétition par dix électeurs, accompagnée d’un affidavit énonçant les motifs de destitution (par. 24.2 et 24.3 des règles visant les élections). La décision de destituer un conseiller est prise par un comité communautaire élu (par. 9.2 des règles visant les élections et Annexe E).

[9]  En septembre 2016, une pétition a été présentée en vue d’obtenir la destitution des appelants de leur poste de conseiller de bande. Cette pétition était accompagnée d’un affidavit souscrit par Valerie Michel, une employée de la bande, dans laquelle la plaignante a formulé les prétentions suivantes :

[traduction]

Ronnie Jules

Violation : J’ai entendu dire que Ronnie militait en vue d’obtenir une maison pour un membre de sa famille immédiate.

Il s’agit d’une contravention au deuxième élément du serment professionnel; comment une personne peut-elle être impartiale lorsqu’elle milite en faveur d’un membre de sa famille immédiate?

Il s’agit d’une contravention au troisième élément du serment professionnel; en militant en faveur d’un membre de sa famille immédiate, comment une personne peut-elle défendre l’intérêt supérieur de la bande?

Il s’agit d’une contravention au quatrième élément du serment professionnel; cette violation flagrante de la politique de la bande en matière de logement témoigne d’un manque de respect pour les politiques de la bande.

Violation :

Ronnie Jules a participé à une discussion qui a eu une incidence directe sur sa famille immédiate. À maintes reprises, il n’a pas déclaré ce conflit d’intérêts.

MÊME QUE PLUS HAUT – VIOLATION AUX ÉLÉMENTS 2 ET 3

Gina Johnny

Violation : Gina a plaidé pour qu’un membre de sa famille immédiate puisse recevoir de l’argent du conseil de bande et a approuvé l’utilisation du budget des déplacements du conseil pour qu’il puisse assister à un atelier.

Il s’agit d’une contravention au deuxième élément du serment professionnel; comment une personne peut-elle être impartiale lorsqu’elle milite en faveur d’un membre de sa famille immédiate?

Il s’agit d’une contravention au troisième élément du serment professionnel; il ne fait aucun doute qu’elle défendait uniquement l’intérêt supérieur de sa famille.

Il s’agit d’une contravention au quatrième élément du serment professionnel; non-respect des procédures et des politiques visant les membres de la bande qui reçoivent de l’argent. Comment le conseil peut-il donner au frère de la conseillère Johnny de l’argent provenant de son budget des déplacements pour lui permettre d’assister à un atelier; est-ce que cela a été offert à d’autres personnes?

Brandy Jules

Violation du deuxième élément du serment professionnel

Brandy Jules est à l’origine du renvoi de Lawrence Lewis, directeur exécutif, pour motifs personnels en lien avec sa famille. Brandy Jules est responsable du portefeuille Administration et, à ce titre, elle a participé à la décision d’embaucher Lawrence Lewis. Les membres du conseil étaient emballés à l’idée que Lawrence Lewis fasse désormais partie de l’équipe; ils vantaient ses antécédents et croyaient qu’il constituerait un atout pour la bande. Le conseil a même organisé une fête d’accueil pour lui. Qu’est-ce qui a changé? Lawrence Lewis a commencé à tenir les chefs de service responsables de leur service, à suivre les politiques et les procédures de la bande, et à tenir les membres du personnel responsables de la violence latérale. S’agit-il du motif de son renvoi?

Brandy Jules et Ronnie Jules menaient leur propre enquête sur ses antécédents afin de trouver des motifs de renvoi. N’aurait-il pas fallu mener cette enquête lors du processus d’embauche?

[10]  La plaignante a ensuite déclaré :

[traduction]

C’est le premier mandat depuis de nombreuses années au cours duquel j’ai du mal à savoir où va la bande. Vu tous les conflits d’intérêts, et vu le fait que les membres du conseil prennent part à des décisions administratives qui ne les regardent pas, il est évident qu’ils se préoccupent davantage de l’administration et de la protection de leur famille que de l’avancement de la bande sur le plan politique. J’ai hâte de rencontrer le comité communautaire et j’ai bon espoir qu’il mènera une enquête approfondie lui permettant de découvrir la vérité et de prendre la décision qui s’impose en fonction des éléments de preuve qu’il aura découverts.

À mon avis, cela pourrait ne représenter que la pointe de l’iceberg, mais j’ai confiance que le comité communautaire saura examiner nos préoccupations et, si cet examen devait révéler d’autres renseignements, qu’il agira en conséquence.

[11]  Le comité communautaire a conclu que toutes les violations reprochées, sauf une, étaient fondées. Il a rejeté l’affirmation voulant que Ronald Jules ait plaidé pour que l’un des membres de sa famille immédiate obtienne une maison.

[12]  Le comité communautaire s’est également penché sur diverses prétentions qui ne figuraient pas dans la pétition ou dans l’affidavit à l’appui. Il a conclu que Ronnie Jules avait émis un [traduction] « commentaire raciste visant directement un membre du personnel » et qu’il s’était livré à « un acte de violence latérale à l’égard d’un autre membre du conseil ». Il a également conclu qu’après avoir participé à des discussions et plaidé, Gina Johnny avait signé « la résolution du conseil de la bande visant à intégrer tous les membres du personnel de sécurité » au sein du personnel de la bande indienne d’Adams Lake, ce qui était avantageux pour sa famille immédiate et qu’elle avait plaidé pour qu’un membre de sa famille immédiate représente la bande au rassemblement « Together Shuswap ». Enfin, il était d’avis que Brandy Jules s’était informée auprès du personnel de la bande à propos d’un poste à pourvoir au nom d’un membre de sa famille immédiate et qu’après avoir participé à des discussions et plaidé, elle avait signé « la résolution du conseil de la bande visant à intégrer tous les membres du personnel de sécurité » au sein du personnel de la bande, ce qui était avantageux pour sa famille.

[13]  Par conséquent, le comité communautaire a constaté que les appelants avaient enfreint les paragraphes nos 2, 3 et 4 de leur serment professionnel, le code de conduite et d’éthique ainsi que le règlement de la bande en matière de gestion financière. De plus, il a jugé que Ronnie Jules avait enfreint la politique de la bande visant le règlement des conflits, les lignes directrices en matière d’emploi et la politique pour un milieu de travail respectueux. Il a également conclu que Brandy Jones avait enfreint la politique pour un milieu de travail respectueux et les lignes directrices en matière d’emploi.

[14]  Par conséquent, les appelants ont été destitués de leurs fonctions de conseillers de la bande à compter du 23 octobre 2016 et on leur a interdit de poser leur candidature aux deux élections suivantes de la bande. Ils ne pourront poser leur candidature qu’aux élections de 2024.

[15]  Les motifs du comité communautaire sont consignés dans le procès-verbal de sa réunion du 22 octobre 2016 et dans trois lettres portant la même date qui ont été transmises aux appelants. Le procès-verbal fait mention, entre autres, des trois motions — présentées, appuyées et adoptées — portant que les appelants avaient enfreint leur serment professionnel. Les lettres précisaient la nature de chacune des violations du serment examinées par le comité communautaire, ainsi que sa conclusion concernant chaque violation présumée. Chaque lettre est signée par tous les membres du comité communautaire.

[16]  À la suite des décisions du comité communautaire, avec le consentement des parties, la Cour fédérale a rendu une ordonnance qui, sous réserve de certaines limites, rétablissait les appelants dans leurs fonctions au sein du conseil de la bande en attendant l’issue de leur contestation de leur destitution. L’élection partielle qui devait désigner les nouveaux conseillers a été annulée. Notre Cour a sursis à l’exécution du jugement de la Cour fédérale en attendant l’issue du présent appel.

[17]  Les appelants font valoir que la Cour fédérale a appliqué à tort la norme de la décision raisonnable à la décision du comité communautaire. Ils font également valoir que la Cour fédérale a fait erreur en ne concluant pas que la décision du comité communautaire avait enfreint l’équité procédurale à certains égards.

[18]  J’aborde les arguments des appelants en rejetant la thèse selon laquelle la Cour fédérale a sélectionné et appliqué la mauvaise norme de contrôle. La Cour fédérale estimait n’être saisie que de la question de savoir si le comité communautaire avait manqué à son devoir d’équité procédurale envers les appelants (motifs, par. 18). Les appelants ne contestent pas cette conclusion et, quoi qu’il en soit, elle représente bien la question à trancher par la Cour fédérale.

[19]  Quant à la norme de contrôle applicable, la Cour renvoie au paragraphe 21 de ses motifs aux arrêts Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43, et Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, au paragraphe 79, pour conclure que la norme de la décision correcte s’applique indubitablement aux questions d’équité procédurale. La Cour fédérale n’a commis aucune erreur en optant pour la norme de la décision correcte.

[20]  En ce qui concerne l’application de cette norme, la Cour fédérale a commis, à mon avis, une erreur donnant lieu à révision en concluant que la décision du comité communautaire était conforme aux exigences de l’équité procédurale. Je n’ai pas à aborder toutes les erreurs que font valoir les appelants. Pour les besoins du présent appel, il suffit d’examiner :

  1. la conclusion de la Cour fédérale sur la teneur de l’obligation d’équité procédurale;

  2. l’application par la Cour fédérale du principe selon lequel [traduction] « celui ou celle qui entend l’affaire doit trancher »;

  3. l’application par la Cour fédérale du critère relatif à la partialité ou à une crainte raisonnable de partialité.

[21]  Comme j’ai conclu que la Cour fédérale avait commis une erreur donnant lieu à révision et comme j’annulerais le jugement de la Cour fédérale, je vais également faire quelques remarques sur les motifs du comité communautaire au cas où il en viendrait à réexaminer les plaintes portées contre les appelants.

[22]  La Cour fédérale a entrepris son analyse en mentionnant à juste titre que le concept de l’équité procédurale est éminemment variable et tributaire des circonstances et du contexte particuliers de chaque cas (motifs, par. 27). La Cour fédérale a conclu, sur le fondement de l’arrêt de notre Cour dans l’affaire Bruno c. Canada (Commission d’appel en matière électorale de la Nation Crie de Samson), 2006 CAF 249, que le comité communautaire devait disposer de la latitude nécessaire pour choisir ses propres procédures. Selon la Cour fédérale, il suffisait que des protections procédurales élémentaires soient en place. Par conséquent, une audience en règle n’était pas requise (motifs, par. 28 et 29).

[23]  Toutefois, l’affaire Bruno émanait d’un contexte totalement différent de celui de la présente espèce. Il était question dans cette affaire d’un candidat élu au sein d’une bande, mais inéligible. L’affaire dont nous sommes saisis porte sur la destitution d’un conseiller dûment élu.

[24]  Dans la décision Testawich c. Duncan’s First Nation, 2014 CF 1052, la Cour fédérale s’est penchée sur la teneur de l’obligation d’équité procédurale applicable à la destitution d’un conseiller dûment élu. Elle a conclu que les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, penchaient en faveur d’une obligation « se situant à l’extrémité la plus rigoureuse du spectre ». Elle opine :

[34]  À mon avis, les facteurs Baker favorisent une obligation se situant à l’extrémité la plus rigoureuse du spectre. Premièrement, le Comité en est arrivé à sa décision au moyen d’un processus ressemblant à celui d’une cour, puisqu’il a la tâche de résoudre des plaintes en se référant au Règlement, lequel établit des droits et des obligations. La Cour suprême du Canada a déclaré que de telles décisions justifiaient un degré élevé d’équité procédurale : Baker, précité, au paragraphe 23. Le fait qu’il n’y a pas d’appel interne dans le régime législatif milite aussi dans cette direction: Baker, au paragraphe 24.

[35]  En soi, la Décision n’a pas d’incidence sur les droits à la liberté et à la sécurité du demandeur et a, par conséquent, une importance moyenne. Toutefois, cela a eu des répercussions sur sa réputation au sein de la collectivité et a aussi privé les membres de la Première nation de leur représentant élu. Le demandeur soutient qu’il s’attendait à ce que l’audience soit équitable sur le plan de la procédure et que le Comité tienne un dossier de l’instance et qu’il fournisse des motifs écrits de sa décision.

[25]  Je suis d’accord. À l’analyse de la Cour fédérale, j’ajouterais seulement au sujet de l’importance de la décision pour les appelants que le poste de conseiller de bande est généralement rémunéré. Aux termes de la Loi sur la transparence financière des Premières Nations, L.C. 2013, ch. 7, les Premières Nations doivent communiquer et afficher sur Internet les rémunérations versées aux membres des conseils de bande et les dépenses qui leur sont remboursées. Cette information est également affichée sur le site Internet du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Les membres du conseil de bande d’Adams Lake touchent une rémunération mensuelle d’environ 4 000 $, ce qui accentue l’importance de la décision pour les appelants. Leur charge publique rémunérée est en jeu.

[26]  L’affaire fait intervenir des éléments de preuve contradictoires et des questions de crédibilité. En bref, le 7 octobre 2016, le chef en poste à l’époque a informé les membres du comité communautaire :

  • qu’il ignorait que Ronnie Jules était en conflit d’intérêts avec des membres de sa famille immédiate;

  • que Ronnie Jules s’était retiré de la discussion concernant le toit de la propriété de Roddy Jules;

  • qu’il n’estimait pas que Ronnie Jules était en conflit d’intérêts en raison de David Jules;

  • que Gina Johnny s’était retirée lorsque le conseil avait discuté de la possibilité de subventionner la participation d’un membre de sa famille à une conférence ou à un atelier.

[27]  Le 7 octobre 2016, un membre actuel du conseil de la bande a informé le comité communautaire qu’il n’y avait [traduction] « aucun doute » que Ronnie Jules avait déclaré un conflit d’intérêts à l’égard de la question du personnel de sécurité.

[28]  Au vu des faits, il n’est pas nécessaire d’énumérer avec précision les droits de participation dont jouissent les conseillers de la bande. Toutefois, en cas de preuve contradictoire et lorsque la crédibilité est mise en doute, comme en l’espèce, les conseillers qui risquent d’être destitués ont droit à une audience en règle devant le comité communautaire ainsi qu’à contre-interroger des témoins.

[29]  En l’espèce, l’application par la Cour fédérale du principe selon lequel « celui ou celle qui entend l’affaire doit trancher » et la démarche de celle-ci relative au critère de partialité soulèvent la question de la teneur de l’obligation d’équité procédurale.

[30]  La maxime « celui ou celle qui entend l’affaire doit trancher » exprime le principe général voulant que, lorsqu’il incombe à un tribunal administratif d’entendre et de trancher une affaire, seuls les membres de ce tribunal ayant siégé à l’audience puissent trancher.

[31]  Le juge Binnie, dissident sur un autre point, a déclaré que « [r]ien n’est plus fondamental en droit administratif que le principe voulant que celui qui entend doit décider » (Ellis-Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), 2001 CSC 4, [2001] 1 R.C.S. 221, par. 66). Lorsque la règle s’applique, elle exige que tous les membres du tribunal administratif qui participent à la prise de décision entendent tant la preuve que les dépositions des parties. La règle ne s’applique pas lorsque la loi, expressément ou par déduction nécessaire, l’écarte (Sitba c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd. [1990] 1 R.C.S. 282, p. 329 et 330).

[32]  En l’espèce, rien ne permet aux membres du comité communautaire de s’abstenir de voir et d’entendre les témoins. Le quorum, fixé à trois de cinq membres, signifie simplement qu’une majorité des membres peut entreprendre l’enquête même si les cinq membres ne sont pas admissibles ou ne peuvent y participer. La disposition visant le quorum n’autorise pas les membres à aller et venir à leur guise ni à prendre part à une décision sans avoir entendu tous les éléments de preuve et toutes les observations des parties.

[33]  Lorsque des témoins présentent des versions divergentes des faits, il est particulièrement important que tous les membres du comité communautaire chargés de l’enquête voient et entendent tous les témoins. Ceux qui étaient présents ne peuvent pas se contenter de transmettre aux autres leur souvenir de la preuve et leur impression du témoin. Un membre absent ne peut pas se contenter non plus d’un résumé du témoignage tiré du procès-verbal.

[34]  Dans la présente instance, le principe de « celui ou celle qui entend l’affaire doit trancher » a été enfreint dans deux types de circonstances.

[35]  D’une part, deux membres du comité communautaire n’ont pas assisté à toutes les réunions. La membre Lund était absente le 3 octobre 2016 et n’a donc pu entendre l’interrogatoire de la plaignante. Elle a également manqué le témoignage de trois témoins le 11 octobre 2016. Le membre Nordquist a raté une séance à huis clos le 5 octobre 2016, pour laquelle aucun procès-verbal n’a été rédigé, et était absent pour l’audition d’un témoin le 21 octobre 2016.

[36]  D’autre part, deux membres du comité communautaire se sont excusés de certains témoignages. La membre Kenoras s’est absentée à deux occasions lorsque sa mère, Norma Manuel, a été interrogée par le comité communautaire. Elle s’est également absentée pendant une partie de l’interrogatoire de deux témoins le 15 octobre 2016 au sujet de faits impliquant sa mère. Elle a également été invitée à se retirer pendant une partie de la réunion du 14 octobre 2016 pendant que le comité communautaire revenait sur l’interrogatoire de sa mère.

[37]  La membre Yarama, gestionnaire de l’entretien et du logement au sein de la bande, était directement responsable du personnel de sécurité et des entrepreneurs indépendants. Par conséquent, elle s’est déclarée en conflit d’intérêts relativement aux plaintes portées contre les appelants au sujet de leur rôle dans la conclusion de contrats de services de sécurité pour la bande. Au vu du dossier, je constate que la membre Yarama s’est retirée pendant une partie seulement de la réunion du 13 octobre 2016.

[38]  La Cour fédérale n’a pas mentionné l’absence des membres Lund et Nordquist à l’audience et elle a jugé que les absences des membres Kenoras et Yarama étaient légitimes vu les conflits déclarés (motifs, par. 46 et 48).

[39]  Je ne souscris malheureusement pas à cette interprétation. Le comité communautaire a interrogé 12 témoins en tout; pourtant, un seul membre a entendu la totalité de l’information présentée. Le comité communautaire s’est vu présenter des renseignements contradictoires concernant des questions cruciales. Dans ce cas, l’équité procédurale exigeait que tous les membres du comité communautaire ayant participé à la décision de destituer les conseillers entendent l’information dans son intégralité présentée par tous les témoins. Comme ce n’était pas le cas, leur décision enfreint l’équité procédurale.

[40]  Même si cette conclusion est déterminante quant à l’issue de l’appel, je voudrais aborder le traitement par la Cour fédérale de la question de la partialité et, plus particulièrement, sa conclusion au paragraphe 50 :

En résumé, compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, notamment le contexte dans lequel fonctionne le Comité, et en gardant à l’esprit l’approche moins sévère de la Cour à l’égard des questions de partialité soulevées dans le contexte des décisions prises par les décideurs détenant un pouvoir conféré par les codes électoraux coutumiers de la bande et sa réticence générale à toucher à ces décisions afin de préserver, autant que possible, l’autonomie des Premières nations à cet égard, je conclus que les demandeurs n’ont pas été en mesure d’établir que le processus donnant lieu à la décision contestée soulève une crainte raisonnable de partialité.

[41]  Les règles visant les élections n’empêchent pas les employés d’une bande de siéger au comité communautaire. Seuls les membres du conseil de bande ou les candidats à une élection ne peuvent pas être élus au comité communautaire. En conséquence, je ne suis pas en désaccord avec la Cour fédérale lorsqu’elle dit que le simple fait qu’un membre du comité communautaire soit un employé de la bande ne soulève pas de crainte raisonnable de partialité. Il faut qu’il y ait un conflit d’intérêt réel dans un cas donné (motifs, par. 41). Une telle conclusion est conforme au raisonnement dans la décision Sparvier c. Bande indienne Cowessess (1re inst.), [1993] 3 C.F. 142, 1993 CanLII 2958, dans laquelle le juge Rothstein écrit, aux pages 167 et 168 :

[...] il ne me semble pas réaliste de s’attendre à ce que les membres du tribunal d’appel qui résident dans la réserve n’aient eu aucun contact social, familial ou commercial avec un candidat à une élection. [...]

Si on devait appliquer rigoureusement le critère de la crainte raisonnable de partialité, la légitimité des membres d’organismes décisionnels comme le tribunal d’appel, dans les bandes peu nombreuses, serait constamment contestée pour des motifs de partialité découlant des liens de parenté qu’un membre de l’organisme décisionnel avait avec l’un ou l’autre des candidats éventuels. Une application aussi rigoureuse des principes relatifs à la crainte de partialité risque de mener à des situations où le processus électoral serait constamment menacé par de telles allégations. Comme l’a affirmé l’avocat des intimés, une telle paralysie de la procédure pourrait compromettre l’élection autonome des gouvernements de bandes.

[42]  Il s’ensuit que si un membre du comité communautaire se trouve en conflit d’intérêts à l’égard d’une question donnée, ce membre ne doit participer d’aucune façon au processus décisionnel relatif à cette question. Dans certains cas, lorsque les plaintes soulèvent plus d’une question et que la nature du conflit est telle qu’une personne raisonnable et bien informée penserait que le membre pourrait, consciemment ou non, être incapable de se prononcer équitablement sur certaines questions, ce membre ne doit nullement prendre part à la décision.

[43]  Cela dit, le comité communautaire ne saurait susciter de crainte raisonnable de partialité. Un tribunal administratif tel que le comité communautaire, dont les fonctions consistent essentiellement à rendre des décisions, doit satisfaire au critère en matière de partialité qui est décrit dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394 :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[44]  En l’espèce, le comité communautaire a pris les décisions de destituer les appelants lors de sa réunion du 22 octobre 2016.

[45]  Le procès-verbal de cette réunion révèle qu’en ce qui concerne Ronnie Jules, la membre Yarama ne s’est pas absentée de la réunion. La membre Kenoras s’est retirée pendant les dix minutes où le comité communautaire discutait du témoignage de sa mère, Norma Manuel. La membre Kenoras a ensuite réintégré la réunion et appuyé la motion en vue de destituer M. Jules. Suivant la motion adoptée, M. Jules avait contrevenu à son serment professionnel, notamment en participant à des discussions et en signant une résolution du conseil de la bande qui avait pour effet d’intégrer tous les membres du personnel de sécurité au sein du personnel de la bande et en manifestant de la [traduction« violence latérale » à l’endroit de la mère de la membre Kenoras.

[46]  La participation de la membre Yarama à une décision concernant la conduite de Ronnie Jules relative au contrat de services de sécurité de la bande, alors qu’elle avait précédemment déclaré se trouver en conflit d’intérêts à cet égard, donne lieu à une crainte raisonnable de partialité.

[47]  De même, une crainte raisonnable de partialité découle de la participation de la membre Kenoras à la décision ayant qualifié d’inconduite la manière dont Ronnie Jules avait traité sa mère. Le fait qu’elle se soit absentée pendant l’interrogatoire de sa mère et ceux concernant cette dernière ne suffisait nettement pas pour écarter la perception de partialité.

[48]  En ce qui concerne Georgina Johnny, la membre Yarama n’a pas quitté la réunion le 22 octobre 2016; pourtant, elle a voté sur une motion visant à destituer Mme Johnny de ses fonctions, notamment parce qu’elle avait participé à des discussions et signé une résolution du conseil en vue d’intégrer tous les membres du personnel de sécurité au sein du personnel de la bande. Dans ce cas également, la participation de la membre Yarama donne lieu à une crainte raisonnable de partialité.

[49]  De même, une crainte raisonnable de partialité découle de la participation de la membre Kenoras à une décision ayant qualifié d’inconduite la manière dont Brandy Jules avait traité la mère de la membre Kenoras.

[50]  Le fait que deux membres du comité communautaire suscitent une crainte raisonnable de partialité constitue un motif distinct d’annulation des décisions concernant la destitution des appelants de leurs fonctions de membres du conseil de bande.

[51]  Comme cette affaire peut être renvoyée au comité communautaire, il importe que je me penche également sur la qualité de ses motifs, que la Cour fédérale n’a pas abordée.

[52]  Comme je l’explique plus haut, les motifs du comité communautaire sont constitués du procès-verbal de la réunion du 22 octobre 2016, ainsi que de trois lettres dans lesquelles le comité expose la nature de la violation du serment professionnel de chaque appelant. Les motifs ne font pas état des renseignements contradictoires fournis au comité communautaire, mais présentent une description générale de chaque violation indiquant la nature des documents que le comité communautaire a examinés au cours de son enquête. À titre d’exemple, mentionnons la déclaration ci-après qui décrit l’enquête menée par le comité relativement à la plainte selon laquelle Ronnie Jules avait participé à des discussions qui avaient une incidence directe sur sa famille immédiate sans déclarer de conflit d’intérêts : [traduction] « Le comité communautaire a terminé son enquête, qui portait sur des éléments de preuve fournis par l’auteure de la pétition, les entrevues avec les témoins, ainsi que les procès-verbaux des réunions du chef et du conseil ».

[53]  Les motifs ont pour objet de permettre à une cour siégeant en révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal administratif et de décider si elle fait partie des issues possibles acceptables (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 16). En l’espèce, aucun élément du dossier ne permet à notre Cour d’établir pourquoi le comité communautaire a préféré les renseignements inculpatoires aux renseignements disculpatoires qu’il avait reçus concernant les plaintes portées contre les appelants. Dans ce cas, notre Cour ne peut juger si la décision était raisonnable.

[54]  Il s’ensuit que j’accueillerais l’appel et que j’infirmerais le jugement de la Cour fédérale, avec dépens tant devant notre Cour que devant la Cour fédérale. En prononçant le jugement qui aurait dû être rendu par la Cour fédérale, j’infirmerais intégralement la décision du comité communautaire, y compris l’interdiction pour les appelants de poser leur candidature lors des élections prévues pour 2018 et 2021.

[55]  Si la pétition visant à destituer les appelants est maintenue, elle sera renvoyée au comité communautaire pour qu’il tranche à nouveau, en tenant compte des motifs de notre Cour. Plus précisément, si les plaintes se rapportant aux tractations des appelants avec Norma Manuel doivent être maintenues, la membre Kenoras ne devra prendre aucune part au processus décisionnel. De même, si les plaintes se rapportant à l’intégration du personnel de sécurité actuel au sein du personnel de la bande indienne d’Adams Lake sont maintenues, la membre Yarama ne devra prendre aucune part au processus décisionnel.

[56]  Conformément à la demande présentée par l’avocat de la bande, si les parties ne peuvent s’entendre sur la liquidation des dépens devant notre Cour dans les 14 jours des présents motifs, elles pourront signifier et déposer chacune un mémoire d’au plus trois pages exposant leurs observations sur les dépens, dans les 21 jours des présents motifs dans le cas des appelants, et dans les 28 jours des présents motifs, dans le cas de l’intimée.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-42-17

 

 

INTITULÉ :

LES CONSEILLÈRES GEORGINA JOHNNY ET BRANDY JULES ET LE CONSEILLER RONALD JULES c.

LA BANDE INDIENNE D’ADAMS LAKE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 juin 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 juillet 2017

 

COMPARUTIONS :

Priscilla Kennedy

 

Pour les appelants

 

Scott Nicoll

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DLA Piper (Canada) LLP

Edmonton (Alberta)

 

Pour les appelants

 

Panorama Legal LLP

Surrey (Colombie-Britannique)

Pour l’intimée

 

 

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