Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170705


Dossier : A-467-16

Référence : 2017 CAF 147

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

LA CONSEILLÈRE DORIS JOHNNY

appelante

et

LA BANDE INDIENNE D’ADAMS LAKE

intimée

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 19 juin 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20170705


Dossier : A-467-16

Référence : 2017 CAF 147

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

LA CONSEILLÈRE DORIS JOHNNY

appelante

et

LA BANDE INDIENNE D’ADAMS LAKE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]  L’appelante, Doris Johnny, a été élue conseillère de la bande indienne d’Adams Lake en février 2015 pour un mandat de trois ans. Sa destitution a pris effet le 9 décembre 2015 et on lui a interdit de se présenter à l’élection des postes de chef et de conseillers devant être tenue en 2018, parce que l’on a jugé qu’elle avait contrevenu à son serment professionnel. La Cour fédérale a rejeté la contestation par l’appelante de la décision de la destituer de ses fonctions. La Cour fédérale a conclu que la décision était à la fois conforme à l’équité procédurale et raisonnable (2016 CF 1399). C’est sur ce jugement de la Cour fédérale que porte le présent appel.

[2]  Avant d’aborder le bien-fondé de l’appel, il est important de consigner la position de l’intimée, la bande indienne d’Adams Lake, concernant le présent appel.

[3]  La bande s’est opposée à la demande de contrôle judiciaire que l’appelante a présentée à la Cour fédérale et a commencé par déposer un avis de comparution dans lequel elle indiquait son intention de s’opposer à l’appel. La bande a déposé un mémoire des faits et du droit dans lequel elle demandait le rejet de l’appel avec dépens. Cependant, peu avant l’audition de l’appel, un avis de changement d’avocat a été déposé. À l’audience de l’appel, le nouvel avocat a déclaré que la bande ne prenait pas position concernant le présent appel, et qu’en disposant de l’appel, la Cour ne devrait pas prendre en considération le mémoire des faits et du droit que la bande avait déposé. La Cour a instruit l’affaire en conséquence.

[4]  Je vais maintenant passer en revue les faits pertinents.

[5]  L’article 24.1 des 2014 Adams Lake Secwépemc Election Rules (les règles électorales) indique qu’un conseiller de bande [traduction] « peut être destitué » s’il enfreint les règles électorales de la bande ou son serment professionnel. Le serment professionnel des conseillers de la bande comprend plusieurs engagements, entre autres, [traduction] « Je m’acquitterai des fonctions de mon poste de façon honnête, impartiale et entière, avec dignité et respect » et [traduction] « Je maintiendrai la vision de la collectivité de la bande indienne d’Adams Lake. »

[6]  Les procédures de destitution d’un conseiller de bande commencent par la signature d’une pétition par dix électeurs, accompagnée d’un affidavit étayant les motifs de la destitution (articles 24.2 et 24.3 des règles électorales). La décision de destituer un conseiller doit être prise par un tribunal de révision de la collectivité composé de membres élus (article 9.2 des règles électorales et annexe E).

[7]  En novembre 2015, une pétition a été présentée pour demander de destituer l’appelante de son poste de conseillère de bande. Cette pétition était accompagnée d’un affidavit qui exposait en détail de nombreuses plaintes à son sujet. Le tribunal de révision de la collectivité a jugé qu’un seul des motifs de plainte était fondé.

[8]  Le motif de la plainte est ainsi libellé :

[traduction]

Le 9 sept. 2015 – J’ai assisté à une réunion sur la taxation à Pierre’s Point Hall, à laquelle je suis arrivée en retard (j’étais très malade) et je m’en suis excusée. La famille Kenoras m’avait demandé d’assister à ces réunions afin de connaître les répercussions fiscales sur les biens culturels. Après que l’on m’a donné la parole et pendant que je posais mes questions, Doris Johnny m’a interrompue à trois reprises en formulant des commentaires grossiers à mon égard. Elle m’a entre autres dit « Nous ne voulons rien savoir de votre maladie. » « Nous ne voulons pas entendre parler de vos problèmes » et un autre commentaire. Après qu’elle a formulé son dernier commentaire, je lui ai répondu « Qu’est‑ce qui ne va pas chez vous ? Arrêtez cela ».

Après la réunion, je lui ai dit « Doris, s’il‑vous‑plaît ne soyez pas insolente avec moi en public ». Nous avons échangé des remarques et Carolyn Johnny est intervenue. J’ai indiqué à Carolyn « Vous n’avez pas entendu les commentaires grossiers que votre fille m’a dits et vous intervenez uniquement parce qu’il s’agit de votre fille. Peut‑être ma mère devrait‑elle être ici. » Carolyn Johnny m’a poussée et m’a dit « Sortez d’ici ». Je ne me suis pas lancée dans une querelle avec elle. Mes aînés m’ont conseillé vivement de me rendre à la police, ce que j’ai fait le lendemain. Un dossier a été ouvert sur cet incident. Dossier de la Gendarmerie royale du Canada no 2015-4798. Gendarme McLean. J’aurais dû déposer des accusations; l’agent a plutôt parlé à Carolyne Johnny, qui a changé l’histoire et qui a affirmé que je l’avais poussée et que j’étais en état d’ébriété à la réunion sur l’imposition. Ce n’est pas vrai. Des témoins ont vu Carolyn me pousser. Doris Johnny a créé cette situation. Il ne s’agit pas d’une conduite professionnelle adéquate de la part d’un membre du conseil. Doris Johnny et Carolyne Johnny ont été très violentes pendant cette situation. Violation du serment professionnel 2, 3, 4, 5, 6, 8 et 10.

[9]  Voici le texte intégral des brefs motifs invoqués par le tribunal de révision de la collectivité :

[traduction]

·  Le tribunal de révision de la collectivité a terminé son enquête et il conclut que Doris Johnny a enfreint les serments professionnels qui suivent :

o  Serment professionnel no 2 – Je m’acquitterai des fonctions de mon poste de façon honnête, impartiale et entière, avec dignité et respect;

o  Serment professionnel no 5 – Je maintiendrai la vision de la collectivité de la bande indienne d’Adams Lake.

·  L’enquête a porté sur les déclarations de témoins et la correspondance liée à l’incident.

·  À la suite de l’enquête, le tribunal de révision de la collectivité a conclu que Doris Johnny ne s’est pas acquittée entièrement des fonctions de son poste avec dignité et respect et qu’elle n’a pas maintenu l’énoncé de vision de la bande indienne d’Adams Lake de « faire en sorte de vivre dans une collectivité sécuritaire, saine et autosuffisante où les valeurs culturelles et l’identité sont constamment promues et embrassées par tous. »

·  Nos dirigeants doivent se conduire selon une norme élevée en tout temps.

(Caractères gras dans l’original omis)

[10]  Le tribunal de révision de la collectivité a conclu en déclarant que [traduction« Doris Johnny a contrevenu aux articles nos 2 et 5 de son serment professionnel. Par conséquent, conformément aux règles électorales, le tribunal de révision de la collectivité destitue cette membre du conseil de bande et déclare la charge vacante. » En guise de pénalité, le tribunal de révision de la collectivité a ensuite interdit à l’appelante de se porter candidate avant l’élection du conseil de bande prévue en 2021.

[11]  Dans le présent appel du jugement de la Cour fédérale, l’appelante affirme que la Cour fédérale a commis une erreur de droit dans sa détermination du contenu de l’obligation d’équité procédurale ainsi que dans son application de la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[12]  Comme je l’explique ci-après, je reconnais que la Cour fédérale a commis une erreur dans son application de la norme de la décision raisonnable. Puisque cette conclusion est susceptible de permettre de trancher l’appel, je n’ai pas à prendre en considération, et je ne prends pas en considération, l’analyse de la question de l’équité procédurale effectuée par la Cour fédérale. Cela étant dit, il ne faudrait pas interpréter ces motifs comme avalisant les motifs de la Cour fédérale relativement à la question de l’équité procédurale.

[13]  En ce qui concerne le choix et l’application par la Cour fédérale de la norme de la décision raisonnable, en appel, notre Cour doit déterminer si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et l’a appliquée correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile) 2013 CSC 36 [2013] 2 RCS 559).

[14]  Je reconnais que la Cour fédérale a choisi à juste titre la norme de contrôle de la décision raisonnable. À l’exception de certaines circonstances qui ne s’appliquent pas en l’espèce, il faut supposer que, lorsqu’un décideur administratif applique sa loi constitutive, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654). Cette présomption d’examen selon la norme de la décision raisonnable n’a pas été réfutée en l’espèce.

[15]  En ce qui concerne l’application de cette norme, il ne faut pas perdre de vue que les conseillers élus de la bande sont des dirigeants issus du processus démocratique de leur collectivité. Choisis par les membres de la bande, ils sont chargés de veiller sur les intérêts de la bande et sur ceux de ses membres. Les conseillers de la bande sont censés traiter toutes les questions qui touchent les intérêts ou le bien‑être de la bande et de ses membres, questions qui peuvent être politiquement chargées et polarisantes.

[16]  À cette fin, les conseillers de la bande doivent pouvoir s’exprimer et agir de manière franche et audacieuse, sans crainte de sanction, à condition de s’exprimer et d’agir honnêtement, de bonne foi et dans les limites de la marge d’appréciation conférée aux dirigeants élus démocratiquement qui sont actifs dans le milieu politique.

[17]  À mon avis, les règles électorales reconnaissent ce besoin, étant donné qu’elles disposent, entre autres, qu’un conseiller peut – et non doit – être destitué s’il contrevient à son serment professionnel.

[18]  À titre d’exemple, le serment professionnel oblige les conseillers à s’acquitter de leurs fonctions « avec dignité et respect ». Avec le recul, et en dehors du feu de l’action, une absence de civilité momentanée et regrettable peut fort bien manquer de dignité et de respect, sans pour autant constituer une conduite qui entraîne la perte de foi ou de confiance dans le jugement du conseiller en cause ou encore une perte de respect pour le conseiller qui est suffisante pour justifier sa destitution.

[19]  Inversement, certaines conduites peuvent s’avérer tellement répugnantes, indignes et irrespectueuses qu’elles démontrent clairement l’inaptitude du conseiller à s’acquitter de sa charge élective.

[20]  Dans tous les cas, il incombe aux membres élus du tribunal de révision de la collectivité de déterminer si le comportement reproché atteint le point où la destitution d’un conseiller élu démocratiquement est justifiée. Il s’agit d’une décision que le tribunal de révision de la collectivité doit prendre en s’appuyant sur sa connaissance des coutumes et des normes de la bande, en tenant compte d’attentes réalistes et en faisant preuve de gros bon sens, afin de déterminer si la conduite d’un conseiller a amené les électeurs à perdre leur foi et leur confiance dans son jugement ou à perdre leur respect pour lui, au point de justifier sa destitution. Il faut que les attentes soient réalistes et que l’on fasse preuve de bon sens, car une norme de conduite fondée sur la perfection absolue a peu de chance d’être respectée en tout temps et donnera vraisemblablement lieu à de fréquentes pétitions en vue de destituer les conseillers.

[21]  Durant la période de dix mois et demi s’étendant du 9 décembre 2015 au 22 octobre 2016, le tribunal de révision de la collectivité a destitué quatre conseillers de la bande indienne d’Adams Lake, y compris le successeur élu de l’appelante (voir l’arrêt 2017 FCA 146). Le conseil de la bande indienne d’Adams Lake est constitué du chef et de cinq conseillers. Au moment d’examiner une pétition visant à destituer un conseiller de la bande, le tribunal de révision de la collectivité doit également évaluer la gravité du comportement reproché par rapport aux perturbations et aux autres conséquences qui découlent de la destitution d’un membre dûment élu.

[22]  En l’espèce, les motifs invoqués par le tribunal de révision de la collectivité n’indiquent aucunement si la conduite alléguée a atteint le point où la destitution de la conseillère était justifiée. Le raisonnement du tribunal de révision de la collectivité veut que toutes les violations du serment professionnel, quelles qu’elles soient, justifient une destitution. Or, il s’agit d’une interprétation déraisonnable des règles électorales. Si tel était l’intention des règles électorales, l’article 24.1 indiquerait qu’un conseiller « doit », et non « peut », être destitué de sa charge élective s’il contrevient à son serment professionnel.

[23]  Le tribunal de révision de la collectivité a omis d’expliquer pourquoi des commentaires tels que « Nous ne voulons rien savoir de votre maladie » et « Nous ne voulons pas entendre parler de vos problèmes » justifiaient la destitution de l’appelante, ce qui rend sa décision déraisonnable selon le sens conféré au terme « déraisonnable » dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47. Autrement dit, la décision du tribunal de révision de la collectivité n’est pas justifiée, transparente ou intelligible, parce qu’elle n’explique aucunement en quoi ces commentaires justifiaient la destitution. Il s’ensuit que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que la décision était raisonnable.

[24]  La prochaine question à trancher, dans les circonstances particulières de l’espèce, porte sur la réparation qui devrait découler du présent jugement. L’article 27.1 des règles électorales indique qu’une élection partielle doit être tenue dans les 60 jours suivant la date à laquelle la charge élective devient vacante. Comme l’a expliqué le directeur général de la bande dans son affidavit, après la diffusion de la décision du tribunal de révision de la collectivité, l’appelante disposait de 30 jours pour présenter à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de sa décision. Cependant, elle ne l’a pas fait. Si l’appelante a pu présenter sa demande de contrôle judiciaire, cela tient uniquement au fait que la Cour fédérale, par voie d’ordonnance datée du 3 juin 2016, lui avait accordé une prolongation pour le faire.

[25]  Entre-temps, comme l’appelante n’avait pas contesté rapidement la décision visant sa destitution et qu’elle n’avait pas obtenu l’ordonnance en sursis de l’exécution de la décision, une élection partielle a eu lieu le 13 février 2016 et un nouveau conseiller a été élu. Cela limite la réparation que notre Cour devrait accorder dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire; l’avocate de l’appelante n’a pu citer aucun précédent qui nous permettrait de destituer un conseiller dûment élu.

[26]  Dans les circonstances particulières de l’espèce, j’accueillerais l’appel et j’infirmerais le jugement de la Cour fédérale avec dépens, tant devant notre Cour que devant la Cour fédérale. Prononçant le jugement qui aurait dû être prononcé par la Cour fédérale, j’infirme intégralement la décision du tribunal de révision de la collectivité, y compris l’interdiction pour l’appelante de poser sa candidature aux élections devant avoir lieu en 2018. Comme la charge élective devenue vacante à la suite de la destitution de l’appelante a été pourvue et que l’appelante n’est plus conseillère, il est inutile de renvoyer l’affaire au tribunal de révision de la collectivité.

[27]  Conformément à la demande présentée par l’avocat de la bande, si les parties ne peuvent s’entendre sur le montant des dépens engagés devant notre Cour dans les 14 jours des présents motifs, elles pourront signifier et déposer leurs observations écrites sur les dépens, chaque observation ne devant pas avoir plus de trois pages de longueur. L’appelante doit signifier et déposer ses observations dans les 21 jours des présents motifs. L’intimée doit signifier et déposer ses observations dans les 28 jours des présents motifs.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-467-16

 

 

INTITULÉ :

LA CONSEILLÈRE DORIS JOHNNY c. LA BANDE INDIENNE D’ADAMS LAKE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 juin 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 juillet 2017

 

COMPARUTIONS :

Priscilla Kennedy

 

Pour l’appelante

 

Scott Nicoll

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DLA Piper (Canada) S.E.N.C.R.L.

Edmonton (Alberta)

 

Pour l’appelante

 

Panorama Legal LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour l’intimée

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.