Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170804


Dossier : A‑74‑16

Référence : 2017 CAF 164

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NEAR

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS)

appelant

et

SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION

PUBLIQUE et SUNWING AIRLINES INC.

intimés

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 30 mars 2017.

Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le 4 août 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20170804


Dossier : A‑74‑16

Référence : 2017 CAF 164

CORAM :

LE JUGE NEAR

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS)

appelant

et

SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE et SUNWING AIRLINES INC.

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GLEASON

[1]  Le ministre des Transports interjette appel de la décision rendue par la Cour fédérale (le juge Brown) dans l’affaire Syndicat canadien de la fonction publique c. Canada (Transports), 2016 CF 120 [motifs], dans laquelle elle accueille en partie la demande de contrôle judiciaire présentée par l’intimé, le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP).

[2]  Dans sa demande, le SCFP sollicitait l’annulation de ce qu’il considère comme deux décisions, l’une verbale et l’autre écrite, accordant l’approbation ministérielle à l’intimé, Sunwing Airlines Inc., de modifier son Manuel des agents de bord (MAB). La modification en question rendait facultatives plutôt qu’obligatoires certaines mesures prises par les agents de bord dans l’exécution de procédures d’évacuation d’urgence. L’inspecteur de la sécurité des cabines de Transports Canada qui a accordé l’approbation avait conseillé à Sunwing d’entreprendre une évaluation des risques avant d’apporter la modification au MAB, mais il n’a pas examiné l’évaluation avant d’approuver la modification au MAB et il n’a donné aucun motif à l’appui de sa décision d’autoriser la modification.

[3]  La Cour fédérale a annulé la décision écrite de l’inspecteur de la sécurité des cabines du Canada, jugeant qu’elle était déraisonnable, mais elle a rejeté la demande relative à la décision verbale antérieure de l’inspecteur. Bien que je ne souscrive pas à tous les aspects du raisonnement de la Cour fédérale, puisqu’à mon avis, l’inspecteur n’a pris qu’une seule décision dans cette affaire, je suis d’accord pour dire que la décision en question est déraisonnable, car il n’y a aucun moyen d’établir si l’inspecteur a conclu que la modification apportée aux procédures ne compromettrait pas la sécurité des passagers et des membres de l’équipage en cas d’évacuation d’urgence et, le cas échéant, pourquoi il en est arrivé à cette conclusion. Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens que le ministre doit payer en faveur du SCFP au montant convenu par les parties.

I.  Faits et procédures

[4]  Il est utile de commencer par l’examen des faits pertinents.

[5]  Avant les événements ayant donné lieu au présent appel, Sunwing avait un agent de bord par 40 passagers à bord des appareils 737‑800 de sa flotte. À l’époque, il s’agissait du seuil minimal applicable pour ces aéronefs en vertu de l’article 705.104 du Règlement de l’aviation canadien, DORS/96‑433 (RAC) en l’absence d’une exemption ministérielle autorisant la présence d’un moins d’agents de bord. (Le RAC a été modifié par la suite de façon à fixer le ratio entre agents de bord et passagers à au moins 1 pour 50 pour les aéronefs d’une capacité de 50 passagers ou plus.)

[6]  En juin 2013, Sunwing a demandé une exemption des exigences minimales en matière de personnel, cherchant à obtenir l’autorisation d’avoir un seul agent de bord pour 50 passagers. Le 18 octobre 2013, le ministre a exempté Sunwing de l’application de l’article 705.104 du RAC sous réserve de certaines conditions, dont celle que Sunwing démontre qu’elle était en mesure d’effectuer une simulation d’évacuation partielle en 15 secondes.

[7]  Sunwing a mené des simulations d’évacuation partielle les 22 et 27 novembre 2013, en présence dc Transports Canada. Les trois premières simulations ont été menées conformément aux procédures prévues dans le MAB de Sunwing. L’une d’elles exigeait que les agents de bord donnent un « ordre de blocage » visant à faire en sorte que des passagers les aident à contrôler la cohue pendant la procédure d’évacuation. Un passager pouvait, par exemple, recevoir un ordre du genre [traduction] « Vous, avec le gilet jaune, bloquez l’allée » et ainsi indiquer aux passagers de ne pas bloquer les portes de sortie et permettre aux agents de bord d’ouvrir les portes et de déployer les glissières d’évacuation le plus rapidement possible.

[8]  Les agents de bord de Sunwing chargés d’effectuer la simulation d’évacuation partielle ont initialement participé à deux simulations le 22 novembre 2013, et à une troisième tentative le 27 novembre 2013. Dans les trois cas, ils ne sont pas parvenus à exécuter les procédures requises en 15 secondes. À la réunion de compte rendu qui a eu lieu après la troisième simulation non réussie, l’inspecteur de la sécurité des cabines de Transports Canada a proposé de rendre l’ordre de blocage facultatif, en vue de réduire de quelques secondes l’exécution de l’essai par Sunwing. Il a fait remarquer que la délivrance de l’ordre était susceptible de ralentir le processus et qu’à l’époque où il était agent de bord il avait été en mesure d’ouvrir les portes avant qu’un passager ne bloque son passage.

[9]  Sunwing a effectué un dernier essai plus tard, le même jour, durant lequel les agents de bord n’ont pas donné d’ordre de blocage. Cette fois, sans l’ordre, ils ont pu remplir toutes les exigences d’une évacuation partielle dans le délai de 15 secondes. À la suite de cet essai réussi, l’inspecteur de la sécurité des cabines de Transports Canada a conseillé à la direction de Sunwing de présenter une demande formelle d’approbation de cette modification à son MAB et d’effectuer une évaluation des risques interne dans le cadre de ce processus.

[10]  En réponse, Sunwing a fait deux choses. Premièrement, le 29 novembre 2013, elle a rempli un formulaire type d’évaluation des risques. Dans ce formulaire, Sunwing a conclu que les risques pour la sécurité liés au fait de rendre l’ordre de blocage facultatif seraient atténués par le fait qu’il était peu probable que des passagers bloquent les portes auxquelles un agent de bord devait avoir accès pendant une évacuation. L’évaluation est superficielle et n’indique pas comment Sunwing est arrivée à cette conclusion. De plus, il semble, selon le contre‑interrogatoire des représentants de Sunwing, qu’aucun essai fiable n’a été effectué pour vérifier l’exactitude des conclusions tirées dans l’évaluation des risques.

[11]  Deuxièmement, le même jour, soit le 29 novembre 2013, Sunwing a envoyé une demande écrite à l’inspecteur de la sécurité des cabines de Transports Canada pour que ce dernier approuve la modification du MAB en ce qui concerne le protocole relatif à l’ordre de blocage. Cette demande a pris la forme d’un « bulletin sur la sécurité des cabines » décrivant le changement que Sunwing demandait à Transports Canada d’approuver. Bien qu’elle ait été mentionnée dans le bulletin, l’évaluation des risques associés à la modification n’y était ni jointe ni décrite et aucun détail n’était fourni à son sujet dans la lettre à Transports Canada.

[12]  Le même jour (le 29 novembre 2013), Transports Canada a approuvé le bulletin de sécurité des cabines de Sunwing et la modification au MAB de Sunwing. La décision, rédigée par l’inspecteur de la sécurité des cabines de Transports Canada, énonce simplement :

[traduction] Le bulletin de sécurité de l’équipage de bord no 2013‑10 de Sunwing Airlines Inc. satisfait aux exigences de la Norme relative au Manuel des agents de bord (TP12295); par conséquent, conformément au paragraphe 705.139(3) du Règlement de l’aviation canadien, le bulletin est par la présente approuvé.

[13]  Un autre inspecteur de Transports Canada a conclu que Sunwing respectait la condition à laquelle l’approbation de l’exemption en matière de personnel était assujettie et il lui a permis d’appliquer un ratio d’un agent de bord pour 50 passagers. Cette décision a fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire de la part du SCFP, l’agent négociateur des agents de bord, qui a été rejetée en raison de son caractère théorique après que le RAC fut modifié de manière à prévoir un ratio minimal de 1 pour 50 entre agents de bord et passagers pour les aéronefs ayant une capacité de 50 passagers ou plus : Syndicat canadien de la fonction publique c. Canada (Transport), 2015 CF 1421.

[14]  Le SCFP a aussi demandé le contrôle judiciaire de l’approbation verbale de la modification du MAB, donnée le 27 novembre 2013, et de l’approbation écrite qui a suivi, en date du 29 novembre 2013. C’est cette demande qui fait l’objet du présent appel.

II.  Le cadre législatif et réglementaire

[15]  Avant d’examiner les motifs de la Cour fédérale, il convient de décrire brièvement le contexte législatif et réglementaire dans lequel s’inscrit la décision de l’inspecteur de la sécurité des cabines.

[16]  Le RAC a été pris en 1996 en vertu d’un certain nombre de dispositions de la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. 1985, ch. A‑2 (la Loi), dont le paragraphe 4.7(2) de la Loi, libellé comme suit à l’époque :

4.7(2) Pour la protection des aéronefs, de leurs passagers et équipages, des aérodromes et autres installations aéronautiques, ainsi que pour la prévention des atteintes illicites à l’aviation civile et la prise de mesures efficaces lorsque de telles atteintes surviennent ou risquent de survenir, le gouverneur en conseil peut, par règlement, régir la sûreté aérienne.

4.7(2) For the purposes of protecting passengers, crew members, aircraft and aerodromes and other aviation facilities, preventing unlawful interference with civil aviation and ensuring that appropriate action is taken where that interference occurs or is likely to occur, the Governor in Council may make regulations respecting aviation security.

La version actuelle de cette disposition se trouve à l’alinéa 4.71(2)a) :

Règlements sur la sûreté aérienne

Aviation security regulations

4.71 (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, régir la sûreté aérienne.

4.71 (1) The Governor in Council may make regulations respecting aviation security.

Teneur des règlements

Contents of regulations

(2) Les règlements visés au paragraphe (1) peuvent notamment :

(2) Without limiting the generality of subsection (1), regulations may be made under that subsection

(a) régir la sécurité du public, des aéronefs et de leurs passagers et équipages ainsi que des aérodromes et autres installations aéronautiques.

(a) respecting the safety of the public, passengers, crew members, aircraft and aerodromes and other aviation facilities.

[17]  La décision visée par le présent appel a été prise en vertu de l’article 705.139 du RAC reproduit ci‑dessous :

Manuel de l’agent de bord

Flight Attendant Manual

705.139 (1) L’exploitant aérien, autre que l’exploitant aérien qui est autorisé aux termes de son certificat d’exploitation aérienne à transporter uniquement du fret, doit établir et tenir à jour un manuel de l’agent de bord, qui fait partie du manuel d’exploitation de la compagnie, pour aider les agents de bord dans l’utilisation de ses aéronefs.

705.139 (1) Every air operator, other than an air operator that is authorized solely for the transport of cargo in its air operator certificate, shall establish and maintain, as part of its company operations manual, a flight attendant manual for the use and guidance of flight attendants in the operation of its aircraft.

(2) Le manuel de l’agent de bord doit contenir les instructions et les renseignements permettant aux agents de bord d’exercer leurs fonctions en toute sécurité, ainsi que les renseignements qu’exige la Norme relative au manuel des agents de bord.

(2) A flight attendant manual shall contain the instructions and information necessary to enable flight attendants to perform their duties safely and shall contain the information required by the Flight Attendant Manual Standard.

(3) Lorsque la Norme relative au manuel des agents de bord est satisfaite, le ministre approuve les parties du manuel de l’agent de bord portant sur les renseignements visant les procédures de sécurité et les procédures d’urgence contenues dans la partie A de cette norme et toutes les modifications qui sont apportées au manuel.

(3) The Minister shall, where the Flight Attendant Manual Standard is met, approve those parts of a flight attendant manual, and any amendments to those parts, that relate to the safety and emergency information contained in Part A of the Flight Attendant Manual Standard.

(4) L’exploitant aérien doit fournir à chacun de ses agents de bord un exemplaire du manuel de l’agent de bord et toutes les modifications qui y sont apportées.

(4) An air operator shall provide a copy of its flight attendant manual, including any amendments to that manual, to each of its flight attendants.

(5) L’agent de bord qui a reçu un exemplaire du manuel de l’agent de bord en application du paragraphe (4) doit le tenir à jour en y insérant les modifications qui lui sont fournies et s’assurer que les parties applicables sont à portée de la main durant l’exercice des fonctions qui lui sont assignées à bord d’un aéronef.

(5) Every flight attendant who has been provided with a copy of a flight attendant manual pursuant to subsection (4) shall keep it up to date with the amendments provided and shall ensure that the appropriate parts are accessible when the flight attendant is performing assigned duties on board an aircraft.

[18]  La Norme relative au manuel des agents de bord est publiée par Transports Canada. Il s’agit d’un modèle normalisé qui constitue le fondement du MAB des compagnies aériennes commerciales. La partie A de la Norme relative au manuel des agents de bord concerne les mesures de sécurité et les renseignements d’urgence qui doivent figurer dans le MAB de la compagnie aérienne. Les agents de bord doivent pouvoir consulter cette partie A lorsqu’ils travaillent. La partie B est conçue de manière à ce que les compagnies aériennes puissent y insérer d’autres renseignements non obligatoires. La partie A se divise en six sections, et chaque section comprend un certain nombre de rubriques et de sous‑rubriques qui doivent figurer dans le MAB de la compagnie aérienne.

[19]  La section 2 de la partie A porte sur les « Procédures d’urgence » et comporte 27 rubriques. Un certain nombre de rubriques portent sur des sujets liés aux évacuations et aux atterrissages d’urgence, notamment les rubriques 2A.18 et 2A.19, qui traitent des « Ordres d’évacuation d’urgence – Généralités » et des « Ordres d’évacuation d’urgence – Applications » respectivement. Cependant, la Norme relative au manuel des agents de bord n’est normative que dans la mesure où elle vise les sujets dont il est question dans le MAB. À quelques exceptions près (aucune n’étant pertinente en l’espèce), la Norme relative au manuel des agents de bord fait seulement mention des sujets dont un MAB doit traiter (par exemple, « Ordres issues bloquées ou coincées » à la sous‑rubrique 2A.19) sans prévoir de normes de conformité.

[20]  Comme l’indique le paragraphe 705.139(1), le MAB d’une compagnie aérienne fait partie du manuel d’exploitation de la compagnie aérienne, lequel est décrit aux articles 705.134 et 705.135 du RAC :

Exigences relatives au manuel d’exploitation de la compagnie

Requirements relating to Company Operations Manual

705.134 (1) L’exploitant aérien doit établir et tenir à jour un manuel d’exploitation de la compagnie conforme aux exigences de l’article 705.135.

705.134 (1) Every air operator shall establish and maintain a company operations manual that meets the requirements of section 705.135.

(2) L’exploitant aérien doit soumettre au ministre le manuel d’exploitation de la compagnie et toutes les modifications qui y sont apportées.

(2) An air operator shall submit its company operations manual, and any amendments to that manual, to the Minister.

(3) L’exploitant aérien doit modifier le manuel d’exploitation de la compagnie lorsque des changements sont apportés à tout élément de son exploitation ou que le manuel n’est plus conforme aux Normes de service aérien commercial.

(3) Where there is a change in any aspect of an air operator’s operation or where the company operations manual no longer meets the Commercial Air Service Standards, the air operator shall amend its company operations manual.

(3) L’exploitant aérien doit modifier le manuel d’exploitation de la compagnie lorsque des changements sont apportés à tout élément de son exploitation ou que le manuel n’est plus conforme aux Normes de service aérien commercial.

(4) The Minister shall, where the Commercial Air Service Standards are met, approve those parts of a company operations manual, and any amendments to those parts, that relate to the information required by section 705.135.

Contenu du manuel d’exploitation de la compagnie

Contents of Company Operations Manual

705.135 (1) Le manuel d’exploitation de la compagnie, qui peut être publié en parties distinctes portant sur des éléments particuliers de l’exploitation, doit comprendre les instructions et les renseignements permettant au personnel concerné d’exercer ses fonctions en toute sécurité et doit contenir les renseignements qu’exigent les Normes de service aérien commercial.

705.135 (1) A company operations manual, which may be issued in separate parts corresponding to specific aspects of an operation, shall include the instructions and information necessary to enable the personnel concerned to perform their duties safely and shall contain the information required by the Commercial Air Service Standards.

(2) Le manuel d’exploitation de la compagnie doit :

(2) A company operations manual shall be such that

a) d’une partie à l’autre, être uniforme et compatible sur les plans de la forme et du contenu;

(a) all parts of the manual are consistent and compatible in form and content;

b) être facile à modifier;

(b) the manual can be readily amended;

c) contenir une liste des modifications et une liste des pages en vigueur;

(c) the manual contains an amendment control page and a list of the pages that are in effect; and

d) porter, sur chaque page modifiée, la date de la dernière modification apportée à la page.

(d) the manual has the date of the last amendment to each page specified on that page.

[21]  Les Normes de service aérien commercial qui doivent alimenter le contenu du manuel d’exploitation de la compagnie de l’exploitant contiennent diverses normes qui prennent en compte les exigences réglementaires décrites dans le RAC. Comme pour la Norme relative au manuel des agents de bord, ce document n’établit pas de normes de conformité précises en ce qui concerne chacun des points obligatoires.

[22]  Transports Canada a publié un Manuel des inspecteurs de la sécurité des cabines (MISC) qui décrit les rôles et les responsabilités des inspecteurs de la sécurité des cabines du ministère. Ces inspecteurs doivent veiller à ce que les compagnies aériennes respectent diverses exigences ainsi que le RAC. Plusieurs des fonctions que le RAC confie au ministre sont déléguées aux inspecteurs de la sécurité des cabines.

[23]  En vertu de l’article 4.7 du MISC, les inspecteurs de la sécurité des cabines sont expressément chargés de déterminer s’il y a lieu d’approuver les MAB (ou les modifications au MAB) en application du paragraphe 705.139(3) du RAC. Le rôle général de l’inspecteur de la sécurité des cabines en ce qui concerne de telles vérifications est décrit à l’article 4.12. « Examen de la documentation » :

L’inspecteur de la sécurité qui examine [...] le manuel [...] d’agent de bord, le manuel d’exploitation de la compagnie [...] doit bien connaître les différents types d’aéronef composant la flotte de l’exploitant aérien.

Il convient d’entreprendre, rapidement après l’avoir reçue de l’exploitant aérien et avant d’en entreprendre un examen approfondi, un examen préliminaire de la documentation de Sécurité des cabines soumise. Si cet examen préliminaire révèle que cette documentation est complète et d’une qualité jugée acceptable ou que ses lacunes, mineures, peuvent être rapidement corrigées, son examen approfondi peut alors commencer.

Si la documentation soumise est incomplète, d’une qualité inacceptable ou ne peut en aucun cas être approuvée, l’inspecteur de la sécurité des cabines doit interrompre la procédure et renvoyer la documentation soumise accompagnée d’une lettre expliquant les lacunes constatées. Cette dernière étape doit être effectuée avec diligence afin d’éviter que l’exploitant aérien ne se fasse de fausses idées sur la progression de son dossier.

[24]  L’objet global du MISC est énoncé à l’article 1.1 :

Le Manuel des inspecteurs de la sécurité des cabines (MISC) est destiné aux inspecteurs de la sécurité des cabines.

Le MISC règle les activités des inspecteurs de la sécurité des cabines et contient des conseils utiles concernant les tâches courantes d’inspection de la sécurité des cabines.

Tous les inspecteurs de la sécurité des cabines doivent connaître le MISC à fond et suivre les principes et les procédures qu’il contient.

L’application uniforme des procédures et des conseils utiles contenus dans le MISC assurera que toutes les questions liées à la sécurité des cabines seront traitées de la même façon d’un bout à l’autre du pays.

Les inspecteurs pourraient être confrontés à des situations ou à des problèmes uniques ou nouveaux, pour lesquels aucune directive particulière n’a été prévue. On leur recommande alors de consulter la Division des normes relatives à la sécurité des cabines. Ce processus permettra de sensibiliser davantage les inspecteurs de la sécurité des cabines et d’assurer l’uniformité au niveau national.

III.  La décision de la Cour fédérale

[25]  La Cour fédérale a accepté l’argument du SCFP selon lequel, dans la présente instance, l’inspecteur de la sécurité des cabines a pris deux décisions : une décision verbale le 27 novembre 2013 et une décision écrite subséquente le 29 novembre 2013. La Cour a conclu que la norme de la décision raisonnable s’appliquait au contrôle des deux décisions. Après avoir relevé qu’aucune décision ne porte sur le paragraphe 705.139(3) du RAC et son application, la Cour fédérale a conclu que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable, car « le ministre des Transports et ses délégués au sein de Transports Canada sont régis par un régime administratif distinct et particulier [en vertu duquel] [l]es décideurs [...] possèdent une expertise spéciale » (paragraphe 54 des motifs). Étant donné la nature factuelle des décisions contestées en l’espèce, la Cour fédérale s’est dite d’avis que les décisions des inspecteurs de la sécurité des cabines devraient se voir accorder « différentes marges d’appréciation » (paragraphe 55 des motifs). Bien qu’elle ait rejeté la notion selon laquelle l’existence de préoccupations relatives à la sécurité réduit l’étendue de ce qui serait jugé comme raisonnable en droit, la Cour fédérale a reconnu que la sécurité était un facteur contextuel important.

[26]  Dans cette optique, la Cour fédérale a conclu que l’approbation verbale était raisonnable alors que l’approbation écrite ne l’était pas. Pour ce qui est de la première, la conclusion de la Cour fédérale repose en partie sur le fait que l’approbation verbale était de nature préliminaire.

[27]  Pour conclure que l’approbation écrite était déraisonnable, la Cour fédérale a tiré quatre conclusions successives. Premièrement, la Cour a conclu que le MISC, qui constitue des lignes directrices de Transports Canada visant à assurer la sécurité, est le point de référence des inspecteurs de la sécurité des cabines en ce qui concerne le processus d’approbation d’une modification sous le régime du RAC. Deuxièmement, la Cour fédérale a conclu que les approbations ministérielles en vertu du RAC (du moins en ce qui a trait à la sécurité) doivent reposer sur examen approfondi des conséquences de la demande sur la sécurité. La Cour fédérale a fait remarquer que le processus d’examen approfondi prévu dans le MISC constituerait l’examen administratif approfondi nécessaire pour prendre une décision pouvant être tenue pour raisonnable en vertu du paragraphe 705.139(3). Troisièmement, la Cour a conclu qu’il n’y avait pas eu d’examen approfondi en l’espèce. Quatrièmement, la Cour a conclu que la décision approuvant le changement au MAB de Sunwing était déraisonnable vu l’absence d’examen approfondi. La Cour a conclu ceci, au paragraphe 75 des motifs :

[…] Le fait que Transports Canada n’ait pas mené l’« examen approfondi » requis sème le doute sur l’intégrité de la décision finale, au point de pouvoir miner la confiance en l’application de son mandat en matière de sécurité des passagers aériens. Cette lacune pourrait mettre en danger la sécurité des passagers et de l’équipage durant une évacuation d’urgence, ainsi qu’il est énoncé ci‑après. Je suis donc d’avis que le défaut de mener un « examen approfondi » était déraisonnable en l’espèce, notamment du fait que l’évaluation des risques commandée par Transports Canada n’a été ni examinée ni prise en compte par le Ministère lui‑même.

IV.  Analyse

[28]  Étant donné que nous sommes saisis d’un appel à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale relative à une demande de contrôle judiciaire, la Cour doit déterminer si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et, le cas échéant, si elle l’a appliquée correctement : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, aux paragraphes 45 à 47, [2013] 2 R.C.S. 559. La Cour doit se mettre à la place de la Cour fédérale et procéder de nouveau à l’analyse requise.

[29]  À cette étape, il convient de rappeler que je suis d’avis qu’une seule décision susceptible de contrôle a été prise dans la présente affaire, à savoir, l’approbation par l’inspecteur de la sécurité des cabines, le 29 novembre, du changement au MAB proposé par Sunwing. L’approbation donnée à cette date est celle qui était exigée par le paragraphe 705.139(3) du RAC. Tout ce qui se dégage de la séance de compte rendu qui a eu lieu deux jours avant l’approbation c’est que l’inspecteur de la sécurité des cabines a indiqué qu’il approuverait une modification visant à rendre l’ordre de blocage facultatif. Cependant, la demande d’approbation de ce changement n’a effectivement été présentée que le 29 novembre, et la décision à son égard a été prise plus tard le même jour.

[30]  Je suis d’accord avec la Cour fédérale pour dire que la norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle de la décision étant donné que les questions en litige visent l’application du RAC, le règlement spécialisé régissant l’aéronautique pris en application de la Loi. De plus, ces questions sont principalement, sinon entièrement, factuelles et font appel à l’expertise de l’inspecteur de la sécurité des cabines pour ce qui est d’évaluer les conséquences des changements proposés au MAB de Sunwing sur la sécurité. Ces facteurs nous incitent tous à choisir la norme de la décision raisonnable comme norme de contrôle : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 53 à 56, [2008] 1 R.C.S. 190 [Dunsmuir]; Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, aux paragraphes 22 à 24, [2016] 2 R.C.S. 293 [Ville d'Edmonton].

[31]  Comme le précise la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47, le caractère raisonnable d’une décision repose sur la justification, la transparence et l’intelligibilité de la décision en tant qu’issue possible pouvant se justifier au regard du droit applicable et des faits dont est saisi le décideur administratif.

[32]  Pour évaluer si une décision satisfait aux exigences tripartites de la transparence, de l’intelligibilité et de la justification, la cour de révision doit tenir compte à la fois des motifs donnés par le décideur (lorsque ce dernier en donne) et du dossier dont ce dernier était saisi. Au besoin, la cour de révision peut se servir du dossier pour compléter les motifs si elle y trouve des éléments étayant la décision faisant l’objet d’un contrôle : Ville d’Edmonton, aux paragraphes 36 à 38; Dunsmuir, au paragraphe 48; Alberta (Information & Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 56, [2011] 3 R.C.S. 654 [Alberta Teachers]. En effet, pour qu’une décision soit jugée raisonnable et confirmée, il est même possible qu’il ne soit pas nécessaire que le décideur ait fourni des motifs si le dossier permet à la cour chargée d’effectuer le contrôle de déterminer comment et pourquoi la décision a été prise et si la conclusion du décideur peut être défendue à la lumière des faits et du droit applicable : Ville d’Edmonton, aux paragraphes 36 à 38; Alberta Teachers, au paragraphe 55.

[33]  En l’espèce, tout comme le SCFP, j’estime que pour prendre la décision en cause l’inspecteur de la sécurité des cabines de Transports Canada devait être convaincu que le changement proposé au MAB de Sunwing ne compromettrait pas la sécurité des passagers ou de l’équipage sur les vols de Sunwing en cas d’évacuation d’urgence. Bien que le ministre des Transports soutienne le contraire dans son mémoire des faits et du droit, l’avocat du ministre a reconnu pendant l’audience que, pour que la décision soit raisonnable, il fallait que l’inspecteur ait conclu que la modification proposée du MAB ne compromettait pas la sécurité.

[34]  Il était approprié de faire cette concession puisqu’il paraît indéniable que dans le contexte du paragraphe 705.139(3) du RAC l’inspecteur doit déterminer si les modifications proposées au MAB d’un exploitant compromettent la sécurité et non se livrer à un exercice stérile consistant simplement à s’assurer que la modification proposée au MAB respecte les exigences de la Norme relative au manuel des agents de bord du simple fait qu’on fait mention de l’un des points devant être couverts dans un MAB. S’il en était autrement, le rôle de l’inspecteur serait inutile.

[35]  De plus, l’une des dispositions habilitantes en vertu desquelles le RAC a été pris prévoit que le Règlement vise la sécurité aérienne. Qui plus est, il est expressément reconnu que la promotion de la sécurité en vol est un élément clé du manuel d’exploitation de l’exploitant, dont le MAB fait partie, puisque le paragraphe 705.135(1) du RAC prévoit que le manuel doit, outre ce qui est obligatoire, « comprendre les instructions et les renseignements permettant au personnel concerné d’exercer ses fonctions en toute sécurité […] ».

[36]  Dans nombre de décisions, plusieurs tribunaux (y compris notre Cour) ont relevé dans le cadre de l’analyse d’autres dispositions du RAC ou de la Loi qu’au moins un des objets de la Loi et du RAC, et un des rôles du ministre ou de ses délégués dans la prise de décisions en vertu de ceux‑ci, consiste à favoriser la sécurité aérienne : voir, entre autres, R. c. 264544 Alberta Ltd., [1986] 1 W.W.R. 365, au paragraphe 11, 65 A.R. 217 (C.A. Alb.); Aztec Aviation Consulting Ltd. c. Canada, [1990] B.C.W.L.D. 1707, aux paragraphes 5 et 20, 33 F.T.R. 210 (C.F. 1re inst.); Swanson Estate c. Canada, [1992] 1 C.F. 408, au paragraphe 27, 80 D.L.R. (4th) 741; Bahlsen c. Canada (Ministre des Transports), [1997] 1 C.F. 800, au paragraphe 75, 141 D.L.R. (4th) 712 (C.A.F.); R. c. Biller, [1999] 8 W.W.R. 629, au paragraphe 41, 174 D.L.R. (4th) 721 (C.A. Sask.); Gill c. Canada (Ministre des Transports), 2015 BCCA 344, aux paragraphes 26 à 31, 388 D.L.R. (4th) 593; Sierra Fox Inc. c. Canada (Ministre fédéral des Transports), 2007 CF 129, au paragraphe 6, 308 F.T.R. 219.

[37]  En l’espèce, la nécessité que l’inspecteur de la sécurité des cabines de Transports Canada ait été convaincu que la modification proposée au MAB ne compromettait pas la sécurité est confirmée par les exigences du MISC de Transports Canada, selon lequel un examen approfondi des modifications proposées au MAB est requis. Cela suppose que l’inspecteur procédera à un examen du contenu et des incidences des modifications proposées.

[38]  Par conséquent, pour approuver le changement proposé par Sunwing à son MAB visant à rendre l’ordre de blocage facultatif plutôt qu’obligatoire, l’inspecteur de la sécurité des cabines devait être convaincu que la modification ne compromettait pas la sécurité des passagers ou de l’équipage à bord des vols de Sunwing. Et, pour que la décision de l’inspecteur soit confirmée au regard de la norme de la décision raisonnable, la Cour doit être en mesure de vérifier si l’inspecteur a tiré une telle conclusion et, le cas échéant, si sa décision avait un fondement raisonnable. Dans la présente instance, en l’absence de motifs à l’appui de la décision, la Cour doit examiner le dossier pour évaluer le caractère raisonnable de la décision de l’inspecteur.

[39]  À la lumière du dossier, je ne suis pas en mesure de conclure que l’inspecteur a procédé à l’analyse requise, et je ne peux voir comment il aurait pu conclure que la modification proposée au MAB ne compromettrait pas la sécurité. En décrivant les étapes que Sunwing devait suivre pour apporter un changement à son MAB, l’inspecteur a rappelé à Sunwing qu’elle devait mener une évaluation des risques; or, l’inspecteur n’a jamais examiné cette évaluation. De plus, l’évaluation était superficielle, et il semble y avoir peu ou pas d’éléments de preuve pour appuyer les conclusions tirées dans l’évaluation.

[40]  À la lumière de ces faits et de l’importance de s’assurer que les changements aux procédures d’évacuation d’urgence d’un aéronef sont sécuritaires, la décision de l’inspecteur ne peut selon moi être confirmée parce qu’elle ne peut être considérée comme raisonnable. On ne saurait dire que la décision est transparente, intelligible ou justifiable, puisque nous ne savons tout simplement pas si l’inspecteur a conclu que le changement proposé ne compromettait pas la sécurité ni comment ou pourquoi il aurait pu tirer une telle conclusion. Non seulement l’inspecteur a omis d’examiner l’évaluation des risques de Sunwing, mais il n’a aucunement étayé son hypothèse selon laquelle les passagers ne seraient pas susceptibles de bloquer le passage à un agent de bord de Sunwing qui doit ouvrir une issue d’urgence dans le but de faire évacuer un aéronef. Ainsi, il est impossible de déterminer comment l’inspecteur pouvait être convaincu que la modification proposée au MAB ne compromettrait pas la sécurité. En bref, le dossier révèle qu’une exigence de sécurité obligatoire a été abrogée en l’absence d’éléments de preuve étayant l’hypothèse qu’elle n’était pas nécessaire. Par conséquent, la décision de l’inspecteur ne peut être maintenue.

[41]  Je suis donc d’accord avec la Cour fédérale pour dire qu’il y a lieu d’annuler la décision du 29 novembre 2013 de l’inspecteur de la sécurité des cabines et je rejette l’appel avec dépens. Les parties ont fait valoir conjointement que, dans l’éventualité où le SCFP obtiendrait gain de cause, les dépens devraient être supportés par le ministre et fixés à 3 000 $. Cela me paraît approprié et j’ordonne par conséquent au ministre de payer au SCFP des dépens au montant global de 3 000 $.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a

« Je suis d’accord.

D. G. Near j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A‑74‑16

 

 

INTITULÉ :

CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS) c. SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE et SUNWING AIRLINES INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 30 mars 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

LA JUGE GLEASON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :

le 4 août 2017

 

COMPARUTIONS :

Joseph Cheng

 

Pour l’appelant

 

Stephen J. Moreau

 

Pour l’intimé

SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

Paul Michell

POUR L’INTIMÉ

SUNWING AIRLINES INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous‑procureure générale du Canada

 

Pour l’appelant

 

Cavalluzzo Shilton McIntyre Cornish LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour l’intimé

SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE

Lax O’Sullivan Lisus Gottlieb LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

SUNWING AIRLINES INC.

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.