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Date : 20170922


Dossier : A‑156‑16

Référence : 2017 CAF 195

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

ROSETTA WYNTER

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 16 février 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE WOODS

 


Date : 20170922


Dossier : A-156-16

Référence : 2017 CAF 195

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

ROSETTA WYNTER

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

[1]  Rosetta Wynter interjette appel d’un jugement de la Cour canadienne de l’impôt, dont la référence est 2016 CCI 103 (motifs) rendus par le juge Rowe, dans lequel une pénalité imposée par le ministre du Revenu national au titre du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi) a été confirmée. La pénalité avait trait à une perte d’entreprise de 447 148,31 $ demandée par l’appelante dans sa déclaration de revenus de 2009. Si la perte avait été acceptée, l’appelante aurait eu droit à un important remboursement d’impôt pour l’année d’imposition 2009 et les années d’imposition précédentes. Le ministre a initialement accepté la perte, mais a au bout du compte, établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelante et imposé une pénalité de 51 569,49 $.

[2]  L’appelante ne conteste pas le fait qu’il n’existait aucune entreprise et que la demande de perte d’entreprise était sans fondement. Elle conteste seulement la pénalité.

[3]  Les faits pertinents se résument ainsi.

[4]  En 2006, l’appelante, après avoir reçu l’appel d’un inconnu, a décidé ne plus avoir recours aux services de l’expert-comptable qui avait préparé ses déclarations de revenus pendant de nombreuses années et a commencé à recourir aux services de DSC Lifestyle Services (DSC) pour la préparation de ses déclarations de revenus. Au cours des quatre années suivantes, elle a versé à DSC, pour ses services, des honoraires s’élevant à environ 12 000 $, somme dont elle croyait qu’une partie servait à un don de bienfaisance. Au cours de chacune des quatre années d’imposition, elle a reçu des remboursements qui dépassaient largement tout remboursement qu’elle avait reçu au cours des trente années précédentes. En 2006, l’appelante s’est informée auprès de DSC de la raison pour laquelle elle avait droit à un remboursement élevé. On lui a dit que c’était en raison de son don de bienfaisance. À l’exception de cette demande de renseignements, elle ne s’est pas informée, dans les trois années suivantes, de la raison pour laquelle elle avait droit à des remboursements si élevés.

[5]  Le juge a conclu que l’appelante n’avait pas remis en question les chiffres indiquant une perte d’entreprise élevée, même si elle n’avait pas exploité d’entreprise et qu’elle avait néanmoins signé la Demande de report rétrospectif d’une perte. Il a également conclu que son témoignage recelait des contradictions quant à savoir si elle avait en fait constaté la somme, qui dépassait 30 000 $, reçue au titre du remboursement pour l’année 2009.

[6]  Le juge, en confirmant l’imposition de la pénalité, a conclu que l’appelante avait fait preuve d’ignorance volontaire quant à un faux énoncé contenu dans sa déclaration de revenus de 2009, et qu’elle répondait donc aux critères énoncés au paragraphe 163(2).

[7]  L’appelante fait grief au juge de s’être appuyé sur Torres c. La Reine, 2013 CCI 380, 2014 D.T.C. 1028 (Torres), une décision de la Cour canadienne de l’impôt, pour conclure qu’il y avait eu ignorance volontaire. Bien que l’appelante reconnaisse que la Cour a confirmé le jugement Torres dans l’arrêt Strachan c. Canada, 2015 CAF 60, [2015] 3 C.T.C. 87, elle prétend que le critère appliqué par le juge a été « dilué » et que le critère qu’il convient d’appliquer est celui qui a été formulé par la Cour suprême du Canada dans le cadre d’affaires criminelles. L’appelante renvoie plus précisément aux arrêts Sansregret c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 570 (Sansregret), et R. c. Hinchey, [1996] 3 R.C.S. 1128, de la Cour suprême, et prétend que la pénalité ne pouvait pas être imposée parce que le juge n’a tiré aucune conclusion selon laquelle elle avait l’intention de tricher en produisant sa déclaration, et elle souligne la concession de la Couronne selon laquelle elle n’avait pas « décidé de tromper l’administration de la justice ».

[8]  L’appelante conteste également certaines conclusions de fait, en prétendant que le juge ne pouvait avoir conclu qu’elle restait « délibérément dans l’ignorance » de sorte qu’« on p[uisse] presque dire qu[’elle] connaissait réellement » le fait que sa déclaration de revenus de 2009 contenait un faux énoncé.

[9]  Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel avec dépens.

[10]  Le paragraphe 163(2) de la Loi autorise l’imposition de pénalités à un contribuable, dans ces termes :

(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants : […]

(2) Every person who, knowingly, or under circumstances amounting to gross negligence, has made or has participated in, assented to or acquiesced in the making of, a false statement or omission in a return, form, certificate, statement or answer (in this section referred to as a “return”) filed or made in respect of a taxation year for the purposes of this Act, is liable to a penalty of the greater of $100 and 50% of the total of…

[11]  Lorsque le législateur utilise d’autres termes, il est présumé avoir eu l’intention de prêter des sens différents à ces termes. En d’autres mots, le législateur ne se répète pas : voir Ruth Sullivan, Statutory Interpretation, 3e éd. (Toronto : Irwin Law Inc., 2016), à la page 43. L’article 163 permet l’imposition de pénalités dans les cas où le contribuable a connaissance des faits ou dans des circonstances équivalant à faute lourde. L’article n’est pas conjonctif, et ces deux termes sont présumés avoir un sens et une teneur différents.

[12]  La distinction entre la faute lourde — établie par une appréciation objective du comportement du contribuable — et l’ignorance volontaire (également appelée « aveuglement volontaire ») — établie par renvoi à l’état d’esprit subjectif du contribuable — ne date pas d’hier. Il est vrai qu’il s’agit parfois d’une distinction ténue qui n’est pas toujours clairement établie. Néanmoins, le législateur est présumé avoir été au courant de cette distinction.

[13]  Un contribuable fait preuve d’ignorance volontaire lorsqu’il prend conscience de la nécessité de se renseigner, mais refuse de le faire parce qu’il ne veut pas connaître la vérité ou qu’il évite soigneusement de la connaître. Il s’agit de la notion de l’ignorance délibérée : R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, aux paragraphes 23 et 24, [2010] 1 R.C.S. 411 (Briscoe); Sansregret, au paragraphe 24. Dans ces circonstances, la doctrine de l’ignorance volontaire impute une connaissance au contribuable : Briscoe, au paragraphe 21. L’ignorance volontaire est la doctrine ou le mécanisme par lequel l’élément de connaissance requis aux termes du paragraphe 163(2) est établi.

[14]  J’examinerai maintenant la principale prétention de l’appelante. L’appelante prétend que l’ignorance volontaire nécessite la présentation d’éléments de preuve permettant d’établir que le contribuable savait en fait que la déclaration était fausse et que le contribuable avait l’intention « de tromper l’administration de la justice ».

[15]  La jurisprudence ne permet pas de conclure que l’intention de tromper doit être établie pour que l’on puisse conclure à la connaissance et, plus précisément, à l’ignorance volontaire. Les motifs de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 R.C.S. 3 (Guindon), font disparaître tout doute. La Cour suprême a souscrit au jugement de la Cour, dont la référence est Canada c. Guindon, 2013 CAF 153, [2014] 4 R.C.F. 786, et dans lequel il est précisé au paragraphe 37 que « se voir infliger une pénalité en application de l’article 163.2 [portant sur les spécialistes en déclarations de revenus], ce n’est pas l’équivalent d’être “inculpé” ». Même le paragraphe 163(2) comporte un élément moral, je souligne également que la Cour suprême, dans l’arrêt Guindon, aux paragraphes 60 à 62, a souscrit aux motifs du juge Strayer dans le jugement Venne c. Sa Majesté La Reine (1984), 84 D.T.C. 6247, [1984] C.T.C. 223 (Venne), et à ceux de la Cour canadienne de l’impôt dans le jugement Sidhu c. La Reine, 2004 CCI 174, au paragraphe 23, 2004 D.T.C. 2540, selon lesquels « [l]e fardeau de la preuve ne consiste pas à prouver au‑delà du doute raisonnable l’intention coupable de se soustraire au paiement de l’impôt ».

[16]  En somme, le droit imputera une connaissance au contribuable qui, dans des circonstances qui lui commandent de se renseigner sur sa situation fiscale, décide de ne pas le faire. L’élément de connaissance est établi par la décision du contribuable de ne pas se renseigner, et non par la conclusion d’une intention de tromper.

[17]  Bien que la preuve, par exemple, de l’intention réelle de faire un faux énoncé suffirait à satisfaire à l’exigence que la personne doit avoir agi « sciemment » aux termes du paragraphe 163(2), l’exigence que l’intention de tromper soit prouvée pour établir l’ignorance volontaire ne trouve pas appui dans la jurisprudence bien établie selon laquelle l’ignorance volontaire repose sur la conclusion selon laquelle le contribuable a délibérément décidé de ne pas se renseigner afin d’éviter de vérifier ce qui pourrait être une vérité gênante. L’élément factuel essentiel consiste en une conclusion d’« ignorance délibérée », étant donné que cette expression « suggère l’idée d’[traduction] “un processus réel de suppression des soupçons” » : Briscoe, au paragraphe 24. J’ajouterais que, dans le contexte du paragraphe 163(2), les renvois à l’« intention de tromper » créent une distraction. L’élément essentiel de l’infraction visée au paragraphe 163(2) consiste à faire un faux énoncé, sachant (réellement ou implicitement, c’est-à-dire par ignorance volontaire) qu’il est faux.

[18]  La faute lourde se distingue de l’ignorance volontaire. Elle se manifeste lorsque la conduite d’un contribuable se situe considérablement en deçà de la conduite à laquelle on est en droit de s’attendre de la part d’un contribuable raisonnable. En termes simples, alors que le contribuable volontairement ignorant savait, le contribuable coupable d’une faute lourde aurait dû savoir.

[19]  La faute lourde nécessite un plus haut degré de négligence que la simple absence de diligence raisonnable. Elle correspond à un écart marqué ou important par rapport à la conduite à laquelle on est en droit de s’attendre. Elle va au‑delà de l’inattention ou des fausses déclarations. Ce point est expliqué dans le jugement de la Cour dans Zsoldos c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 338, au paragraphe 21, 2004 D.T.C. 6672 :

Lorsqu’il détermine les pénalités pour faute lourde, le ministre doit prouver l’existence d’un degré important de négligence qui correspond à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi. (Voir Venne c. Sa Majesté La Reine [1984], A.C.F. no 314, 84 D.T.C. 6247, p. 6256 (C.F. 1re inst.).)

[20]  Il ne fait pas de doute que la faute lourde et l’ignorance volontaire, malgré leur différence sur le plan conceptuel, peuvent se recouper dans une certaine mesure lorsqu’elles sont appliquées. Un contribuable qui ferme les yeux sur la véracité et l’exactitude des renseignements fournis dans sa déclaration de revenus est volontairement ignorant et commet également une faute lourde. Le contraire n’est toutefois pas forcément vrai. Le contribuable qui commet une faute lourde n’est pas nécessairement volontairement ignorant. Le fait que la même conduite puisse être qualifiée de deux façons peut, dans certains cas, donner lieu à de l’imprécision dans la jurisprudence en ce qui concerne la description des deux moyens par lesquels la Couronne peut s’acquitter de son fardeau. De même, la pratique courante qui consiste à qualifier les pénalités imposées au titre du paragraphe 163(2) de « pénalités pour faute lourde » brouille le fait que ces pénalités peuvent être imposées pour une connaissance ou pour une faute lourde. Il y a lieu d’éviter cette pratique. Le paragraphe 163(2) concerne une pénalité, qui peut être imposée s’il est conclu qu’il y a eu connaissance ou faute lourde.

[21]  Bien que des facteurs subjectifs puissent entrer en jeu dans l’une ou l’autre de ces évaluations, la faute lourde s’établit en recourant à un critère objectif. Plus particulièrement, lorsqu’il y a allégation de faute lourde, je m’attendrais à ce que l’on examine la question de savoir si la conduite en question du contribuable s’écarte de façon tellement marquée de la conduite à laquelle on est en droit de s’attendre qu’elle correspond à un haut degré de négligence qui peut être qualifié d’écart marqué par rapport aux normes, aux pratiques et à la diligence raisonnable attendues de la part d’un contribuable responsable. La mise en garde exprimée par la Cour suprême dans l’arrêt Guindon, au paragraphe 61, s’applique tout autant en l’espèce : ces pénalités « vise[nt] à sanctionner une conduite grave, non la négligence ordinaire ou la simple erreur ».

[22]  Je reviens à l’application de ces principes dans le contexte de la pénalité visée au paragraphe 163(2).

[23]  Bien que le juge emploie parfois les expressions « ignorance volontaire » et « faute lourde » de manière interchangeable, il ressort néanmoins clairement de ses motifs qu’il a conclu, en se fondant sur les éléments de preuve (motifs, aux paragraphes 19 à 21), le cadre analytique (motifs, au paragraphe 14) et la conclusion (motifs, aux paragraphes 23, 30 et 36), que l’appelante avait fait preuve d’ignorance volontaire. Je ne constate aucune erreur dans cette conclusion.

[24]  Le juge a tiré un certain nombre de conclusions de fait qui étayent sa conclusion définitive, notamment que la contribuable « savait mieux que quiconque » (motifs, au paragraphe 36) et « qu[’elle] était déterminée à ne pas effectuer de recherches approfondies dont les résultats l’auraient empêchée de recevoir un remboursement, comme […] promis » (motifs, au paragraphe 27).

[25]  L’appelante savait que les circonstances entourant la préparation de sa déclaration de revenus étaient louches à bien des égards. Elle savait également que le ministre avait rejeté sa déduction pour don de bienfaisance en 2006. Consciente de ces éléments, la contribuable savait qu’elle devait examiner sa déclaration de revenus. Elle a délibérément refusé d’examiner sa déclaration de revenus et a ainsi, peut-on dire, pour reprendre l’arrêt Briscoe, eu « en effet » l’intention de faire un faux énoncé. Le juge a conclu qu’elle « n’a[vait] pas essayé de comprendre un tant soit peu ce qui était déclaré à l’ARC en son nom ».

[26]  La prétention de l’appelante selon laquelle le juge n’a pas tenu compte des faits pertinents relatifs à sa situation personnelle ne saurait être retenue. Ce moyen d’appel soulève des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit auxquelles s’applique la norme de contrôle de l’erreur manifeste et dominante : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. Les motifs du juge sont exhaustifs et témoignent du fait qu’il a tenu compte des faits pertinents et n’a commis aucune erreur manifeste et dominante.

[27]  Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J. Woods j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT LE 22 AVRIL 2016 DANS LE DOSSIER 2012-2348(IT)G

DOSSIER :

A‑156‑16

 

INTITULÉ :

ROSETTA WYNTER c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 16 février 2017

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE WOODS

DATE DES MOTIFS

et DU JUGEMENT :

LE 22 SEPTEMBRE 2017

COMPARUTIONS :

Duane Milot

Pour l’appelante

H. Annette Evans

Tony Cheung

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Milot Law

Toronto (Ontario)

Pour l’appelante

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimée

 

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