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Date : 20000509


Dossier : A-685-96


CORAM:      MADAME LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE ROTHSTEIN

         LE JUGE EVANS


     AFFAIRE INTÉRESSANT une demande fondée sur l"article 42 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21 (la " Loi "), en vue de faire réviser par la Cour fédérale du Canada la décision par laquelle le coordonnateur de la protection des renseignements personnels du Conseil canadien des relations du travail a refusé de communiquer les documents que le commissaire à la protection de la vie privée du Canada a demandés en application de la Loi.

ENTRE :

     COMMISSAIRE À LA PROTECTION

DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA,


appelant

(requérant),


et


CONSEIL CANADIEN DES RELATIONS DU TRAVAIL,


intimé

(intimé),


et


LA COMMISSION DES RELATIONS DE TRAVAIL

DANS LA FONCTION PUBLIQUE,

LE TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE,

LE TRIBUNAL CANADIEN DU COMMERCE EXTÉRIEUR,

L"OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA,


intervenants.





Audience tenue à Ottawa (Ontario), le mardi 9 mai 2000.


Jugement rendu à l"audience à Ottawa (Ontario), le mardi 9 mai 2000.




MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

PRONONCÉS PAR      MADAME LE JUGE DESJARDINS


Traduction certifiée conforme

______________________________





Date : 20000509


Dossier : A-685-96


CORAM:      MADAME LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE ROTHSTEIN

         LE JUGE EVANS


     AFFAIRE INTÉRESSANT une demande fondée sur l"article 42 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21 (la " Loi "), en vue de faire réviser par la Cour fédérale du Canada la décision par laquelle le coordonnateur de la protection des renseignements personnels du Conseil canadien des relations du travail a refusé de communiquer les documents que le commissaire à la protection de la vie privée du Canada a demandés en application de la Loi.

ENTRE :

     COMMISSAIRE À LA PROTECTION

DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA,


appelant

(requérant),


et


CONSEIL CANADIEN DES RELATIONS DU TRAVAIL,


intimé

(intimé),

et


LA COMMISSION DES RELATIONS DE TRAVAIL

DANS LA FONCTION PUBLIQUE,

LE TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE,

LE TRIBUNAL CANADIEN DU COMMERCE EXTÉRIEUR,

L"OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA,


intervenants.




MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(prononcés à l"audience à Ottawa (Ontario),

le mardi 9 mai 2000)


MADAME LE JUGE DESJARDINS

[1]          Il s"agit d"un appel de l"examen par la Section de première instance1, sous le régime de l"article 42 de la Loi sur la protection des renseignements personnels2, de la décision par laquelle le Conseil canadien des relations du travail (le " Conseil ") a refusé de communiquer au commissaire à la vie privée du Canada (le " commissaire ") les notes que les membres du Conseil ont prises au cours de l"audition d"une plainte de manquement à un devoir de juste représentation fondée sur l"article 37 du Code canadien du travail3.

[2]          Le juge de première instance a fait une analyse fouillée des dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de la Loi sur l"accès à l"information4 et a longuement commenté le principe bien établi selon lequel les décideurs, qu"il s"agisse de juges ou de membres de tribunaux administratifs, devraient pouvoir entendre et trancher les affaires dont ils sont saisis de façon indépendante sans avoir à subir l"influence indue d"autrui. Du même coup, il a examiné le principe corollaire selon lequel les procédures que ces décideurs suivent pour en arriver à une décision ne devraient être soumises à aucune ingérence. Il a pris soin d"indiquer que les deux principes, dont le premier est appelé " indépendance judiciaire " et le second, " privilège décisionnel ", appliqués aux cours de justice5 ont été transposés au processus décisionnel des instances administratives au moyen du devoir d"agir équitablement qui est reconnu en common law. Étant donné que les tribunaux administratifs sont liés par ce devoir, leurs membres doivent, à l"instar des juges, être protégés au cours de leurs délibérations de toute ingérence dépassant les éléments qui se retrouvent dans leurs motifs.

[3]          Le juge de première instance a conclu que la demande du commissaire allait à l"encontre de l"alinéa 22(1)b ) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, parce que la communication des notes des membres de la Commission " risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ". Selon le juge de première instance, cette communication porterait atteinte à l"indépendance et à la liberté intellectuelle des décideurs quasi judiciaires exerçant leurs fonctions dans le cadre du Code canadien du travail, en divulguant leur démarche intellectuelle personnelle et en les portant à modifier la manière dont ils parviennent à leurs décisions. Le juge de première instance a également conclu que les notes ne constituaient pas des " renseignements personnels " et qu"elles ne relevaient pas du Conseil au sens de l"alinéa 12(1)b ) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[4]          De nombreuses questions ont été soulevées devant nous. Toutefois, nous avons décidé de trancher la présente affaire en nous limitant à une question préliminaire, soit la question du contrôle des renseignements par une institution fédérale.

[5]          Il n"est pas nécessaire que nous nous prononcions sur la question de savoir si les notes que les membres du Conseil ont prises constituent ou non des " renseignements personnels ", car il nous apparaît évident que ces notes ne " relèvent " pas du Conseil au sens de l"alinéa 12(1)b ) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Ces notes sont prises dans le cadre d"une instance quasi judiciaire non pas par des employés du Conseil, mais par des représentants du gouverneur en conseil investis de fonctions juridictionnelles qu"ils doivent exercer, non pas en qualité de mandataires du Conseil, mais de façon indépendante par rapport aux autres membres de celui-ci, y compris le président dudit Conseil ou d"une institution fédérale. Les membres du Conseil ne sont nullement tenus de prendre des notes, bien qu"ils puissent le faire. Les notes ne font pas partie des archives officielles du Conseil et ne sont versées dans aucun autre système de tenue de registres sur lequel celui-ci exercerait un contrôle.

[6]          Le juge de première instance a formulé les remarques suivantes auxquelles nous souscrivons6:

... Il est évident que ni le Code canadien du travail, ni la politique et les procédures du CCRT, ne renferment de règle relative à ces notes. Les notes sont considérées par leurs auteurs comme quelque chose leur appartenant. Les membres du CCRT sont entièrement libres de prendre des notes, là où ils estiment que c'est indiqué, et ils peuvent aussi bien choisir de ne pas en prendre. Les notes sont destinées à n'être lues que par leur auteur. Nulle autre personne n'est autorisée à voir, à lire ou à utiliser ces notes, et leur auteur s'attend manifestement à ce que personne d'autre ne les voie167. Les membres restent responsables de la conservation et de la sauvegarde de leurs notes et peuvent à tout moment les détruire. Les notes, enfin, ne font pas partie des archives officielles du CCRT, et ne sont versées dans aucun fichier sur lequel le CCRT exercerait un contrôle administratif.
Il en ressort d'après moi que, même en interprétant de manière libérale le mot "relevant", on ne peut pas dire que les notes en question "relèvent" du CCRT. Non seulement ces notes sont-elles hors du contrôle ou de la garde du CCRT, mais le CCRT lui-même considère que ces notes se situent en dehors de ses fonctions officielles.

.[7]          Les alinéas 15a) et q) du Code canadien du travail autorisent le Conseil à prendre des règlements régissant :

a) l"établissement de règles de procédure applicables aux procédures préparatoires et à ses audiences;
...
q) toute mesure utile ou connexe à l"exécution de la mission qui lui est confiée par la présente partie.

[8]          À l"instar du juge de première instance, nous convenons que le Conseil ne pourrait se servir de ce pouvoir pour exercer sur ces notes un contrôle tel que celles-ci relèveraient d"une institution fédérale au sens de l"alinéa 12(1)b ) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[9]          Un règlement qui, par exemple, obligerait les membres à prendre des notes, prescrirait la forme de ces notes ou en exigerait le dépôt auprès du Conseil serait invalide, parce qu"il constituerait un manquement au principe d"équité régissant l"indépendance des décideurs. L"absence de contrôle que le Conseil peut exercer sur les notes en qualité d"institution fédérale s"explique principalement par l"application aux tribunaux administratifs du principe de l"indépendance judiciaire et de son corollaire, le principe du privilège décisionnel.

[10]          L"avocat de l"appelant a soutenu qu"étant donné que les notes étaient assujetties au contrôle des membres qui les ont préparées et que les décisions des formations sont des décisions du Conseil, les notes relèvent dudit Conseil, l"institution fédérale en question. À notre avis, tel ne peut être le cas, parce que cette conséquence ne tient pas compte de l"indépendance des membres en qualité de décideurs.

[11]          Le contrôle est une question préliminaire. Compte tenu de notre conclusion selon laquelle les notes ne relèvent pas d"une institution fédérale, nous sommes d"avis que le présent appel doit être rejeté avec dépens en faveur de l"intimé, lesdits dépens s"élevant à un montant de 15 000 $, y compris les débours.

     " Alice Desjardins "

     J.C.A.

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.

     COUR D"APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              A-685-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Commissaire à la protection de la vie privée du Canada c. Conseil canadien des relations du travail et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          9 mai 2000

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR (MADAME LE JUGE DESJARDINS ET LES JUGES ROTHSTEIN ET EVANS, J.C.A.)

EN DATE DU :              9 mai 2000


ONT COMPARU :

Me Martin J. Huberman      POUR L'APPELANT

Me Roger Townshend

Me Robert Watson      POUR L"INTIMÉ

Me Susan Nicholas

Me Alain Préfontaine      POUR L"INTERVENANT, LE PROCUREUR GÉNÉRAL

     DU CANADA

Me David Scott      POUR L"INTERVENANTE, LA COMMISSION DES RELATIONS

Me Martine Richard      DE TRAVAIL DANS LA FONCTION PUBLIQUE

Me Randall J. Hofley      POUR L"INTERVENANT, LE TRIBUNAL DES

     DROITS DE LA PERSONNE

Me Shelly Appleby-Ostroff      POUR L"INTERVENANT, L"OFFICE DES

     TRANSPORTS DU CANADA

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Lafleur Brown      POUR L"APPELANT

Toronto (Ontario)

Conseil canadien des relations du travail      POUR L"INTIMÉ

Toronto (Ontario)

Me Morris Rosenberg      POUR L"INTERVENANT, LE PROCUREUR

Sous-procureur général du Canada      GÉNÉRAL DU CANADA

Scott & Aylen      POUR L"INTERVENANTE, LA COMMISSION DES

Ottawa (Ontario)      RELATIONS DE TRAVAIL DANS LA FONCTION PUBLIQUE

Stikeman & Elliott      POUR L"INTERVENANT, LE TRIBUNAL DES

Ottawa (Ontario)      DROITS DE LA PERSONNE

Office des transports      POUR L"INTERVENANT, L"OFFICE DES TRANSPORTS

du Canada      DU CANADA

Hull (Qc)

__________________

1      Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Canada (Conseil des relations du travail) (1996), 118 F.T.R. 1.

2      L.R.C. (1985), ch. P-21.

3      L.R.C. (1985), ch. L-2.

4      L.R.C. (1985), ch. A-1.

5      Le juge de première instance a souligné à (1996), 118 F.T.R. 1, note 14, p. 16 et 57, que ce principe appliqué à la magistrature a été appelé " indépendance judiciaire " et que son corollaire est désigné par l"expression " privilège décisionnel "; voir MacKeigan J.A. et al. c. Commission (enquête Marshall) (1989), 61 D.L.R. (4th) 688, p. 703-704. Voir également les par. 63 à 67 des motifs du jugement de première instance dans (1996), 118 F.T.R. 1, p. 37-40.

6(1996), 118 F.T.R. 1, p. 52, par. 105.

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