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Date : 20040205

Dossier : A-194-03

Référence : 2004 CAF 57

CORAM :       LA JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

               BRIAN MCINTOSH, TOWNE CINEMA THEATRES (1975) LTD.,

              ROKEMAY THEATRES LTD., COSMOPOLITAN CINEMAS LTD.

                                                                       et

       TOWNE CINEMA THEATRES (1975) LTD., CEECO INVESTMENTS INC.,

ET PLACID DEVELOPMENTS LIMITED, FAISANT AFFAIRE

SOUS LE NOM DE BANFF CINEMA PARTNERSHIP

                                                                                                                                appelants

                                                                       et

                                LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS,

COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE

                                                                                                                                    intimée

                            Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 27 janvier 2004.

                               Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 février 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                            LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                        LA JUGE DESJARDINS

                                                                                                             LE JUGE PELLETIER


Date : 20040205

Dossier : A-194-03

Référence : 2004 CAF 57

CORAM :       LA JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

               BRIAN MCINTOSH, TOWNE CINEMA THEATRES (1975) LTD.,

              ROKEMAY THEATRES LTD., COSMOPOLITAN CINEMAS LTD.

                                                                       et

       TOWNE CINEMA THEATRES (1975) LTD., CEECO INVESTMENTS INC.,

ET PLACID DEVELOPMENTS LIMITED, FAISANT AFFAIRE

SOUS LE NOM DE BANFF CINEMA PARTNERSHIP

                                                                                                                                appelants

                                                                       et

                                LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS,

COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE

                                                                                                                                    intimée

                                                 MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU


[1]                La juge de première instance de la Cour fédérale (la juge), siégeant en appel d'une décision de la protonotaire, a-t-elle commis une erreur en concluant qu'elle n'était pas convaincue que la décision de la protonotaire était fondée sur un principe erroné ou sur une mauvaise appréciation des faits, ou qu'elle constituait de toute autre façon une mauvaise utilisation du pouvoir discrétionnaire judiciaire?

[2]                Je réponds à cette question par la négative, mais il convient de donner des explications.

Les faits et la procédure

[3]                L'ordonnance de la protonotaire a été rendue le 11 juillet 2002 à la suite d'une requête présentée par la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (la SOCAN). La requête de la SOCAN visait à faire modifier la déclaration pour y ajouter de nouveaux défendeurs. La requête a été accueillie et les nouveaux défendeurs ci-après désignés ont été constitués comme parties à l'action existante, qui avait été intentée le 18 mars 1992 : Brian McIntosh, en sa qualité personnelle, Rokemay Theatres Limited, Towne Cinema Theatres (1975) Limited, Cosmopolitan Cinemas Ltd., Ceeco Investments Inc. et Placid Developments Limited, exploitant son entreprise sous le nom Banff Cinema Partnership.


[4]                La demande de modification de la SOCAN tire son origine d'un présumé changement de la position prise par la défenderesse Landmark Cinemas of Canada Ltd. (Landmark). Le 7 avril 1994, M. McIntosh, agissant à titre de représentant de Landmark, a confirmé lors d'un interrogatoire préalable que c'était Landmark qui exploitait des salles de cinéma et qui présentait des films violant les droits d'auteur de la SOCAN. Toutefois, la SOCAN affirme que Landmark a déclaré, le 23 juillet 1999, qu'elle n'exploitait pas de salles de cinéma, qu'elle ne présentait pas de films à ce moment-là et qu'elle n'en avait pas présenté par le passé.

[5]                Monsieur McIntosh a subi un autre interrogatoire préalable; il a alors déclaré que les activités emportant contrefaçon étaient exercées par les nouveaux défendeurs. L'interrogatoire a eu lieu les 16 et 17 mai 2001. Le 26 juin 2001, la SOCAN a signifié son avis de requête dans lequel elle cherchait à faire ajouter les nouveaux défendeurs à titre de parties à l'action. La protonotaire a fixé un calendrier aux fins du dépôt et de la signification des documents par les parties à la requête. Les parties répondant à la requête devaient déposer et signifier leurs dossiers de requête au plus tard le 1er octobre 2001. La requête devait être entendue le 17 octobre 2001.

[6]                Les parties répondantes n'ont pas signifié et déposé leurs documents dans le délai imparti. Le 10 octobre 2001, la protonotaire a donné une directive selon laquelle toute partie qui voulait se faire entendre à l'audience devait déposer et signifier son dossier de requête au plus tard le 15 octobre 2001. Le 12 octobre 2001, les documents furent déposés pour le compte des parties répondantes.


[7]                L'affaire a été entendue le 17 octobre 2001. La protonotaire a offert aux parties d'ajourner l'affaire, mais aucune partie n'a souhaité se prévaloir de cette possibilité, et l'affaire s'est poursuivie. Après avoir entendu les arguments, la protonotaire a ordonné l'ajournement de la requête. L'ordonnance comprenait aussi une directive destinée à la demanderesse (la SOCAN) quant au caractère suffisant de la preuve soumise à l'appui de sa requête. L'ordonnance était en partie ainsi libellée :

[TRADUCTION]

INSCRIPTION

N'étant pas convaincue du caractère suffisant de la preuve et des observations présentées par la demanderesse et des observations correspondantes des intimés, je dois ajourner la requête de la demanderesse visée au paragraphe 3 ci-dessus [relative à la constitution des défendeurs comme parties] pour permettre à la demanderesse de déposer des affidavits additionnels et plus complets et donner aux intimés la possibilité d'y répondre.

Le projet de déclaration modifiée ne constitue pas une preuve. Par conséquent, la demanderesse fournira, à l'appui des modifications de la déclaration qu'elle propose, des éléments de preuve supplémentaires et plus complets sur les faits et ses observations à cet égard.

La demanderesse doit faire une distinction entre, d'une part, les modifications proposées en vue d'ajouter des défendeurs et les modifications corrélatives et, d'autre part, les autres modifications qu'elle cherche à obtenir. Elle doit en traiter séparément dans ses observations. Elle doit également présenter des observations juridiques concernant la portée et l'application des articles des Règles sur lesquels elle se base et le fondement de sa demande visant l'ajout de M. McIntosh comme défendeur à titre personnel.

[8]                Les parties répondantes ont demandé le réexamen de cette ordonnance par un avis de requête déposé devant la Cour le 26 octobre 2001. Par une ordonnance en date du 22 mars 2002, la protonotaire a rejeté la requête en réexamen.


[9]                Par une ordonnance en date du 11 juillet 2002, la protonotaire a accueilli la requête que la demanderesse avait présentée en vue de constituer comme parties les nouveaux défendeurs et en vue de faire modifier sa déclaration. Cette ordonnance était en partie libellée comme suit :

[TRADUCTION]

INSCRIPTION

Je souscris aux prétentions de la demanderesse et les adopte. Par conséquent, je permettrai que les nouveaux défendeurs proposés comme parties soient ajoutés dans la présente action et que les modifications corrélatives et autres modifications proposées soient effectuées.

En particulier, j'ai la conviction que les défendeurs proposés sont nécessaires pour que la Cour prenne une décision sur les questions en litige dans la présente demande et qu'ils doivent être assujettis à la décision de la Cour dans la présente instance. J'inclus dans cette catégorie l'ajout de Brian McIntosh à titre personnel. Si, comme le critère l'exige dans les circonstances, les faits importants allégués relativement aux activités de M. McIntosh sont admis comme avérés, il sont suffisants pour constituer une cause d'action.

[10]            Le 22 juillet 2002, les nouveaux défendeurs en ont appelé de l'ordonnance de la protonotaire. L'appel a été entendu par une juge le 8 avril 2003 et il a été rejeté deux jours plus tard : voir Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Landmark Cinemas of Canada Ltd., 2003 CFPI 425, (2003) 25 C.P.R. (4th) 496. L'appel dont nous sommes ici saisis porte sur cette décision.


[11]            À l'audition du présent appel, l'intimée a présenté une requête en vue de soumettre de nouveaux éléments de preuve en appel. La requête n'a fait l'objet d'aucune opposition et l'intimée a déposé des copies de lettres qui, pour les années 1999 à 2003, attestent que les nouveaux défendeurs ont payé`des redevances pour l'exécution d'oeuvres musicales.

La norme de contrôle appliquée par la juge

[12]            La juge a appliqué à l'examen de la décision de la protonotaire la norme de contrôle établie par la présente cour dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, à savoir qu'on ne doit pas toucher l'ordonnance d'un protonotaire portée en appel devant un juge, à moins :

a)          que les questions soulevées dans la requête ne soient fondamentales pour l'issue de l'affaire;

b)          que l'ordonnance ne soit clairement erronée, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un principe erroné ou sur une mauvaise appréciation des faits.


J'ai employé le nouveau libellé tel qu'il figure dans l'arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, lequel inverse la suite des propositions initialement énoncées et montre clairement que la « question déterminante pour l'issue de l'affaire » se rapporte à l'objet d'une ordonnance rendue par le protonotaire et non à l'effet de cette ordonnance : voir les paragraphes 18 et 19 de cette décision. Comme notre collègue le juge Décary l'a signalé, il règne de temps en temps une certaine confusion au sujet de cette dernière question parce que le juge qui procède à l'examen met l'accent sur l'effet de l'ordonnance même du protonotaire. Dans le contexte d'une modification, le juge doit examiner les modifications elles-mêmes pour voir si elles soulevaient une question déterminante pour l'issue de l'affaire, et non la décision ou l'ordonnance du protonotaire refusant ou accordant les modifications.

[13]            Au paragraphe 22 de sa décision, la juge a conclu que « [l]es questions de la constitution de nouvelles parties et de la modification de l'acte de procédure ne soulèvent pas, en l'espèce, une question fondamentale pour l'issue de l'affaire » . Par conséquent, elle a statué qu'elle ne pouvait pas exercer de nouveau le pouvoir discrétionnaire de la protonotaire. Avec égards, je crois que la juge a commis une erreur en tirant cette conclusion.


[14]            Il n'est pas toujours facile de faire une distinction entre les modifications apportées aux actes de procédure que l'on prétend être des modifications habituelles et les modifications qui soulèvent une question déterminante pour l'issue de l'affaire. En l'espèce, la modification visait à faire ajouter, à titre de nouveaux défendeurs, des personnes dont la participation à l'instance « est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige » : voir l'article 104 des Règles de la Cour fédérale (1998). Je n'hésite pas à conclure que la modification soulève une question déterminante pour l'issue de l'affaire. Par conséquent, la juge aurait dû exercer de nouveau le pouvoir discrétionnaire de la protonotaire. Il me reste donc à exercer de nouveau ce pouvoir discrétionnaire : voir Merck & Co. c. Apotex Inc., précité, paragraphe 28.

Question de savoir si les modifications auraient dû être autorisées

a)          Choix effectué par la SOCAN

[15]            Les appelants ont soutenu avec véhémence que les modifications auraient dû être refusées parce que la SOCAN était au courant de la responsabilité des nouveaux défendeurs lorsqu'elle a intenté son action en 1992 et qu'elle avait décidé de poursuivre uniquement la défenderesse Landmark.


[16]            Je ne crois pas qu'en l'espèce, les appelants puissent invoquer la doctrine juridique du choix, laquelle exige essentiellement qu'une personne choisisse entre deux droits mutuellement exclusifs dont elle peut se prévaloir : voir Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College (2002), 215 D.L.R. (4th) 176 (C.A. Alb.); Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien) (2001), 201 D.L.R. (4th) 35 (C.A.F.). Les droits permettant de poursuivre Landmark et les nouveaux défendeurs n'étaient pas des droits mutuellement exclusifs étant donné que tous les défendeurs pouvaient faire l'objet de poursuites pour leurs activités emportant contrefaçon, soit individuellement soit conjointement au titre d'une responsabilité conjointe. À mon avis, la doctrine juridique du choix ne s'applique pas.

b)          Retard à poursuivre les nouveaux défendeurs

[17]            Les appelants soutiennent également que les modifications devraient être refusées parce qu'il s'est écoulé dix ans depuis le dépôt de la déclaration et qu'un délai de prescription de trois ans s'applique aux poursuites judiciaires fondées sur la violation. Je suis d'accord avec la juge pour dire que les nouveaux défendeurs peuvent encore invoquer la prescription comme moyen de défense. Je souscris également à la conclusion de la juge selon laquelle l'applicabilité du moyen de défense fondé sur la prescription dépend de la preuve soumise et qu'il est préférable d'examiner ce moyen dans le contexte de l'ensemble de l'action : voir la décision de la juge, paragraphes 27 et 28.


[18]            De plus, l'appelant McIntosh, qui est maintenant poursuivi en sa qualité personnelle, est la personne qui est directement responsable du retard, lorsqu'il s'est agi d'ajouter les nouveaux défendeurs. Une modification a été demandée par suite de la nouvelle position prise par Landmark, qui niait soudainement sa responsabilité et alléguait que les nouveaux défendeurs étaient les véritables contrefacteurs. Je crois que la SOCAN a agi avec diligence en cherchant à constituer les nouveaux défendeurs comme parties une fois qu'elle a été mise au courant de leurs rôles et de leur participation aux présumées violations.

[19]            Je ne crois pas, eu égard aux circonstances, que le retard dont se plaignent les appelants permette de refuser les modifications si elles sont nécessaires pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige par la Cour.

c)          Le bien-fondé de la conduite de la protonotaire

[20]            Les appelants remettent en question la façon dont la protonotaire a réglé la requête en modification. Ils contestent la procédure suivie et imposée aux parties. Ils considèrent l'approche adoptée par la protonotaire comme suspecte sans toutefois aller jusqu'à alléguer que la protonotaire ne faisait pas montre de l'impartialité nécessaire ou que sa conduite donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité. Ils signalent les événements suivants, dont il a déjà été fait mention dans le résumé des faits.


[21]            À la date de l'audition de la requête, la preuve soumise à l'appui de la requête en modification et en réponse à cette requête ne satisfaisait pas la protonotaire. La protonotaire a offert aux parties la possibilité d'un ajournement, mais les parties ont refusé et ont insisté pour que l'affaire se poursuive telle quelle. Malgré tout, les appelants soutiennent que la protonotaire a ordonné l'ajournement de la requête contre la volonté des parties afin de permettre à la SOCAN de déposer une preuve par affidavit additionnelle et plus complète à l'appui de sa requête. Comme le montre l'inscription, la protonotaire a ordonné à la SOCAN de présenter une preuve plus complète des faits sur lesquels elle se fondait pour justifier les modifications qu'elle se proposait d'apporter à la déclaration et les observations de la SOCAN sur ce point. Toutefois, la protonotaire a également donné aux parties qui s'opposaient à la requête la possibilité de répondre à la nouvelle preuve.

[22]            Les appelants soutiennent que les parties doivent être en mesure de procéder à la date prévue de l'audience et que les ajournements ne sont accordés qu'exceptionnellement. Ils nous ont référés à la directive suivante que l'ancien juge en chef adjoint Jerome a donnée au Barreau :

À :            La communauté juridique

DU :         Juge en chef adjoint

DATE :    le 17 février 1993

OBJET : Gestion des dossiers

La section de première instance a adopté les pratiques suivantes afin d'accélérer le traitement des dossiers et d'utiliser plus efficacement le temps des juges :

[...]

3. Demandes d'ajournement de procès/d'auditions

La Cour fédérale ne surcharge pas son rôle. Les ajournements sont donc très gênants et dispendieux.


Lorsque la Cour a fixé la date du procès ou de l'audition, tous les avocats doivent procéder à cette date. Les demandes d'ajournement, qui doivent être adressées au juge en chef adjoint, ne seront considérées que dans des circonstances exceptionnelles, à moins qu'elles soient faites dès que la date de l'audition est fixée.

[23]            J'admets qu'il est inhabituel pour un juge ou un protonotaire d'imposer de son propre chef un ajournement aux parties, qui veulent procéder avec les documents qui ont été déposés, afin de permettre à la partie requérante de déposer des éléments de preuve plus complets. Il peut également sembler inhabituel de donner une directive à ce sujet à la partie requérante, et ce, bien que le pouvoir en soi de donner des directives conformément à l'article 385 des Règles de la Cour fédérale (1998) ne soit pas contesté. Normalement, la partie qui présente une requête doit fournir des éléments de preuve appropriés adéquats à l'appui, à défaut de quoi la requête sera rejetée. D'où la surprise des appelants et les questions qu'ils se posaient par suite de la tournure des événements.

[24]            L'avocat de la SOCAN a appuyé la décision rendue par la protonotaire en disant que cette dernière agissait à titre de gestionnaire de l'instance, qu'en cette qualité, elle jouit d'un vaste pouvoir discrétionnaire et qu'il faudrait faire preuve d'une grande retenue à l'égard de sa décision. Il est fait mention du passage suivant du jugement rendu par le juge Rothstein dans l'affaire Bande de Sawridge c. Canada, [2002] 2 C.F. 346, paragraphe 11 :

Nous tenons à profiter de l'occasion pour énoncer la position prise par la Cour dans les cas où une ordonnance rendue par le juge responsable de la gestion d'une instance a été portée en appel. Il faut donner au juge responsable une certaine latitude aux fins de la gestion de l'instance. La Cour n'intervient que dans les cas où un pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé. Cette approche a été énoncée d'une façon juste par la Cour d'appel de l'Alberta dans l'arrêt Korte c. Deloitte, Haskins and Sells (1995), 36 Alta. L.R. (3d) 56, au paragraphe 3; elle s'applique en l'espèce. Nous adoptons les remarques ci-après énoncées :


[TRADUCTION] Il s'agit d'un litige fort compliqué. L'instance est gérée, et ce, depuis 1993. Les ordonnances qui ont ici été rendues sont discrétionnaires. Nous avons déjà dit et nous tenons à répéter qu'il faut donner une certaine « marge de manoeuvre » au juge responsable de la gestion de l'instance dans une affaire complexe lorsqu'il s'agit de régler des questions interlocutoires interminables et de faire avancer l'affaire jusqu'au procès. Dans certains cas, le juge responsable de la gestion de l'instance doit faire preuve d'ingéniosité de façon à éviter que l'on s'embourbe dans un tas de questions procédurales. La Cour n'intervient que dans les cas où un pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé. Les ordonnances minutieusement libellées que le juge responsable de la gestion de l'instance a rendues en l'espèce démontrent une bonne connaissance des règles et de la jurisprudence pertinente. En particulier, l'ordonnance dispose que les parties peuvent à leur gré demander au juge responsable de la gestion de l'instance d'être libérées d'une obligation trop lourde imposée par l'ordonnance. Il n'a pas été démontré qu'une erreur ait clairement été commise; nous refusons d'intervenir. Bien qu'il puisse en résulter un inconvénient pour certaines parties, cela ne veut pas pour autant dire qu'une erreur susceptible de révision a été commise. Il n'incombe pas à la Cour de fignoler les ordonnances rendues dans des procédures interlocutoires, en particulier dans un cas comme celui-ci.

[25]            Je suis d'accord pour dire que les décisions des juges ou des protonotaires responsables de la gestion d'une instance ne doivent pas être modifiées à la légère. Toutefois, leur immunité relative ne les autorise pas pour autant à faire ce qu'ils veulent quand ils le veulent. Eu égard aux circonstances de l'espèce, je crois qu'il existe une meilleure raison que la retenue pour confirmer la décision de la protonotaire d'ajourner l'affaire et d'ordonner le dépôt d'éléments de preuve additionnels à l'appui de la requête visant la modification.


[26]            On a fait une allégation sérieuse, à savoir que la preuve qui venait d'être découverte révélait que d'autres personnes étaient peut-être responsables de la violation des droits d'auteur, soit isolément soit avec la défenderesse elle-même, Landmark. La protonotaire aurait simplement pu rejeter la requête visant à faire ajouter de nouveaux défendeurs. Toutefois, compte tenu de son expérience, elle savait qu'un rejet n'aurait pas empêché la SOCAN d'intenter des actions contre les présumés nouveaux contrefacteurs sans avoir à obtenir une autorisation. Ce geste aurait de son côté entraîné avec le temps la présentation d'une requête visant la réunion des causes d'action. En d'autres termes, beaucoup plus tard dans le processus, la cour aurait fait face à une requête visant la réunion des causes d'action mettant en cause tous les défendeurs actuels, alors qu'elle faisait face à ce moment-ci à une demande de jonction des mêmes défendeurs dans une action qui était déjà en cours. Sur le plan des coûts, de l'efficacité et de la célérité, à condition bien sûr que la jonction des parties fût justifiée, il était préférable d'ajouter immédiatement les nouveaux défendeurs plutôt que d'avoir à faire face à de multiples nouvelles procédures au même effet qui auraient par la suite abouti à la réunion des causes d'action.

[27]            Dans ces conditions et selon cette perspective, je crois qu'un ajournement visant à permettre à la SOCAN de mettre au point ses documents, avec un droit correspondant pour les appelants de répondre, était justifiable et servait l'intérêt de la justice. Je ne puis constater aucune erreur dans la façon dont la protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire.


[28]            Je crois que la conclusion que j'ai tirée répond également à l'argument des appelants selon lequel la protonotaire responsable de la gestion de l'instance n'a pas donné une directive qui permette d'apporter au litige une solution qui soit juste et la plus expéditive et économique possible, conformément à l'article 385 des Règles de la Cour fédérale (1998).

Conclusion

[29]            Les modifications que l'on se propose d'effectuer soulevaient des questions déterminantes pour l'issue ou le règlement de l'affaire. J'ai exercé le pouvoir discrétionnaire à nouveau et je suis convaincu qu'il fallait ajouter les nouveaux défendeurs pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige. Par conséquent, je rejetterais l'appel avec dépens.

« Gilles Létourneau »

Juge

« Je souscris aux présents motifs

Alice Desjardins, juge »

« Je souscris aux présents motifs

J.D. Denis Pelletier, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     A-194-03

Appel d'une ordonnance rendue par la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada en date du 10 avril 2003 dans le dossier no T-633-92.

INTITULÉ :                                                    Brian McIntosh et autres

c.

La Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 27 janvier 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                      LA JUGE DESJARDINS

LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                                   le 5 février 2004

COMPARUTIONS :

George H. Akers                                               pour l'appelant, Brian McIntosh

Mark E. Lindskoog                                           porte-parole de l'appelante,

Cosmopolitan Cinemas Ltd.

Allen J. Sattin                                                    pour l'appelante, Towne Cinema Theatres (1975) Ltd.

Michael M. Jamison                                           pour l'appelante, Rokemay Theatres Ltd.

Howard J. Sniderman                                        pour l'appelante, Placid Developments Ltd., et porte-parole de l'appelante, Ceeco Investments Ltd.

Charles E. Beall                                                 pour l'intimée


                                                                                                                                    Page : 2

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nicholl et Akers                                                pour l'appelant, Brian McIntosh

Edmonton (Alberta)

Nicholl et Akers                                               porte-parole de l'appelante,

Edmonton (Alberta)                                           Cosmopolitan Cinemas Ltd.

Spier, Harben                                                   pour l'appelante, Towne Cinema Theatres

Calgary (Alberta)                                               (1975) Ltd.

Michael M. Jamison                                           pour l'appelante, Rokemay Theatres Ltd.

Calgary (Alberta)

Witten LLP                                                      pour l'appelante, Placid Developments Ltd.,

Edmonton (Alberta)                                           et porte-parole de l'appelante, Ceeco Investments Ltd.

Gowling Lafleur Henderson LLP                       pour l'intimée

Toronto (Ontario)


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