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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.) [2001] 4 C.F. 85

Date : 20010606

Dossier : A-197-00

OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 6 JUIN 2001

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

SOLIMAN MOHAMMADIAN

appelant

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

intimé

JUGEMENT

[1]         L'analyse élaborée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951 s'applique d'une façon générale à des procédures engagées devant la section du statut de réfugié.


[2]         Les réponses suivantes sont données aux questions que la Section de première instance a certifiées dans son ordonnance du 20 mars 2000 :

Première question                      -                        Oui

Deuxième question                    -                        Non

Troisième question                    -                        Oui

[3]         L'appel est rejeté.

                          « A.J. STONE »                   

Juge

Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, LL.L., Trad. a.


Date : 20010606

Dossier : A-197-00

Référence neutre : 2001 CAF 191

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

SOLIMAN MOHAMMADIAN

appelant

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

intimé

Audience tenue à Toronto (Ontario), le mardi 15 mai 2001.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le mercredi 6 juin 2001.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                 LE JUGE STONE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                           LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SEXTON


Date : 20010606

Dossier : A-197-00

Référence neutre : 2001 CAF 191

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

SOLIMAN MOHAMMADIAN

appelant

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STONE


[1]         Il s'agit d'un appel visant une ordonnance par laquelle, le 10 mars 2000, monsieur le juge Pelletier a rejeté la demande que l'appelant avait présentée en vue d'obtenir le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié (la section du statut) avait conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

HISTORIQUE

[2]         Le juge Pelletier a certifié les questions ci-après énoncées conformément à l'article 83 de la Loi sur l'immigration (la Loi) :

L'analyse de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Tran, précité, qui porte sur l'application de l'article 14 de la Charte dans des procédures de nature criminelle, s'applique-t-elle aux procédures devant la SSR, notamment :

1.                   L'interprétation fournie aux demandeurs doit-elle être continue, fidèle, compétente, impartiale et concomitante?

2.                   Les demandeurs doivent-ils démontrer qu'ils ont subi un préjudice réel suite à la violation de la norme d'interprétation pour que la Cour puisse intervenir face à la décision de la SSR?

3.                   Lorsqu'il est raisonnable de s'attendre à ce que le demandeur le fasse, comme c'est le cas lorsqu'il a de la difficulté à comprendre l'interprète, le demandeur doit-il présenter ses objections au sujet de la qualité de l'interprétation devant la SSR afin de pouvoir soulever la question de la qualité de l'interprétation comme motif justifiant le contrôle judiciaire?

Par « SSR » , le juge entend la section du statut de réfugié.


[3]         La plupart des plaidoiries qui ont été présentées devant la Cour portaient sur la renonciation au droit garanti à l'article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) question que j'examinerai ci-dessous. Devant la présente Cour, l'appelant a également remis en question la compétence de l'avocate à l'audience qui a eu lieu devant la section du statut, prétention que le juge Pelletier a rejetée. En outre, l'appelant a contesté la conclusion relative au manque de crédibilité que la section du statut avait tirée en se fondant sur le fait qu'il n'avait pas revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention dans d'autres pays signataires par lesquels il était passé par voie de terre avant d'arriver au Canada et qu'il avait tardé à revendiquer le statut de réfugié après être arrivé au pays. À mon avis, le juge Pelletier n'a pas commis d'erreur en appréciant le dossier sur lequel ces aspects de l'affaire étaient fondés.

[4]         Comme le juge Pelletier l'a conclu, les parties ne contestent pas que l'interprétation fournie aux demandeurs devant la section du statut doit satisfaire à la norme de la continuité, de la fidélité, de la compétence, de l'impartialité et de la concomitance. En rendant sa décision, le juge Pelletier a adopté, avec raison à mon avis, le raisonnement que monsieur le juge en chef Lamer avait fait dans l'arrêt R. c. Tran, précité, [1994] 2 R.C.S. 951, à la page 979, et ce, même si cette affaire se rapportait à l'interprétation fournie dans le cadre d'un procès portant sur des accusations criminelles. Je ne suis pas non plus convaincu que le juge Pelletier ait commis une erreur en concluant qu'il n'était pas nécessaire de prouver l'existence d'un préjudice réel en vue d'obtenir une réparation par suite de la violation d'un droit prévu à l'article 14. En statuant comme il l'a fait, le juge Pelletier s'est inspiré du raisonnement que le juge en chef Lamer avait fait dans l'arrêt R. c. Tran, précité, aux pages 985 à 991, où il a été dit que les droits protégés par l'article 14 ne dépendent pas du fait que l'accusé a subi un préjudice réel. Voici ce que le juge en chef a dit : « [...] il serait erroné de se demander, pour déterminer si le droit a été violé, si l'accusé a vraiment subi un préjudice lorsqu'on lui a refusé l'exercice de ses droits garantis par l'art. 14. » Je suis d'accord pour dire qu'en l'espèce, le juge Pelletier a appliqué ce principe correctement.


RENONCIATION

[5]         La principale question soulevée dans le présent appel revient à se demander si le critère qui s'applique en ce qui concerne la renonciation au droit prévu à l'article 14, soit le droit à l'assistance d'un interprète, est celui qui a été énoncé dans l'arrêt R. c. Tran, précité, ou s'il convient d'appliquer un autre critère. L'article 14 de la Charte se lit comme suit :

14. La partie ou le témoin qui ne peuvent suivre les procédures, soit parce qu'ils ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue employée, soit parce qu'ils sont atteints de surdité, ont droit à l'assistance d'un interprète.

[6]         En abordant la question, il faut se rappeler que, comme le juge en chef Lamer l'a fait remarquer dans l'arrêt R. c. Tran, précité, le droit garanti à l'article 14 n'exige pas une interprétation « parfaite » . À la page 987, le juge en chef a dit ce qui suit :

Il est cependant important de garder à l'esprit que l'interprétation est fondamentalement une activité humaine qui s'exerce rarement dans des circonstances idéales. Par conséquent, il ne serait ni réaliste ni raisonnable d'exiger que même une norme d'interprétation garantie par la Constitution en soit une de perfection.

[7]         Avant de s'arrêter à cette question, il faut examiner les circonstances. L'appelant, un Kurde iranien, s'est présenté à trois séances de la section du statut. C'est ce qui ressort du paragraphe 3 de l'affidavit qu'il a déposé à l'appui, où il a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

La première séance n'a même pas commencé étant donné que l'interprète était un Kurde turc et que nous ne pouvions pas communiquer du tout en kurde (je pouvais lui parler un peu en anglais), de sorte que l'audience a été ajournée. Lors de la deuxième séance, l'interprétation était fournie par un Kurde iranien et je n'ai eu aucune difficulté à le comprendre ou à m'exprimer. Lors de la troisième séance, l'interprète était un Kurde irakien. J'ai eu beaucoup de difficulté à le comprendre et à me faire comprendre.


[8]         Il peut être inféré, à partir de cette preuve, que le fait qu'il était difficile de communiquer par l'entremise de l'interprète lors de la première séance a entraîné l'ajournement de l'audience. Toutefois, l'appelant ne s'est jamais opposé à la qualité de l'interprétation lors de la troisième séance, où il était représenté par une avocate. De fait, il n'a soulevé aucune objection par la suite, au cours de la période où son avocate préparait, à l'intention de la section du statut, des observations écrites au sujet du bien-fondé de la revendication et aucune objection n'a été soulevée dans les observations elles-mêmes. Dans la demande d'autorisation en vue d'un contrôle judiciaire devant la Section de première instance, il n'était aucunement fait mention de la qualité de l'interprétation. Ce n'est que lorsqu'il a déposé le dossier de la demande que l'appelant s'est plaint de la chose pour la première fois.

[9]         Deux affidavits additionnels ont été déposés à l'appui de la demande. Dans son affidavit, Mostafa Fateh, un Kurde iranien, a déclaré qu'il avait lui aussi eu de la difficulté à comprendre l'interprète lorsqu'il avait témoigné à l'audience. Toutefois, lorsqu'il a témoigné, M. Fateh n'a pas lui non plus soulevé d'objection au sujet de la qualité de l'interprétation.


[10]       Le troisième affidavit est celui de Chris Yousefi, un Kurde iranien qui a obtenu le droit d'établissement au Canada; M. Yousefi n'a pas témoigné à l'audience. Toutefois, peu de temps après l'audience, M. Yousefi a écouté les enregistrements de la troisième séance. Dans son affidavit, il a déclaré que l'interprétation manquait de précision, que ce soit de l'anglais vers le kurde ou du kurde vers l'anglais. M. Yousefi a pu signaler plusieurs mots et expressions qui, selon lui, n'avaient pas été correctement interprétés dans le témoignage de l'appelant et dans celui de M. Fateh. Toutefois, il semble que les erreurs aient été relativement peu importantes.

[11]       Dans l'arrêt R. c. Tran, précité, le juge en chef Lamer a clairement dit, à la page 995, que le droit garanti à l'article 14 « appartient non seulement aux accusés, mais aussi aux parties à des actions civiles et à des procédures administratives, de même qu'aux témoins » . Toutefois, il a fait remarquer que son examen du droit garanti à l'article 14 se rapportait au droit d'un accusé; voici ce qu'il a dit, à la page 961 :

J'aimerais avant tout préciser que l'analyse qui suit de l'art. 14 de la Charte porte spécifiquement sur le droit d'un accusé dans le cadre de procédures criminelles et ne doit pas être considérée comme ayant nécessairement une application plus générale. En d'autres termes, je ne me prononcerai pas pour le moment sur la possibilité qu'il soit nécessaire d'établir et d'appliquer des règles différentes à d'autres situations qui tombent à bon droit sous le coup de l'art. 14 de la Charte - par exemple, lorsque les procédures en question sont de nature civile ou administrative.

[12]       Aux pages 996 et 997, le juge en chef a ensuite énoncé le critère suivant applicable à la renonciation du droit qui est garanti à l'accusé par l'article 14 :

Lorsqu'il est possible de renoncer au droit à l'assistance d'un interprète, le seuil est très élevé. Dans Korponay c. Procureur général du Canada, [1982] 1 R.C.S. 41, le juge Lamer (maintenant Juge en chef) a précisé, au nom de la Cour, que, pour être valide, la renonciation à un droit procédural d'origine législative doit être claire et sans équivoque et doit être faite en pleine connaissance des droits que la procédure vise à protéger et de l'effet de la renonciation sur ces droits. Cette norme relative à une renonciation valide a subséquemment été adoptée dans le contexte de la Charte, plus précisément à l'égard de l'al. 10b) qui garantit le droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat en cas d'arrestation ou de détention : voir, par ex., R. c. Evans, [1991] 1 R.C.S. 869, le juge McLachlin, aux pp. 892 à 894. Dans le cas précis de la renonciation au droit à l'assistance d'un interprète, garanti par l'art. 14, j'ajouterais aux garanties existantes la condition suivante. L'accusé doit renoncer personnellement, si nécessaire à la suite d'une vérification du tribunal, par l'entremise d'un interprète, que l'accusé comprend véritablement ce qu'il fait, à moins que l'avocat de l'accusé ne connaisse la langue de ce dernier ou n'ait communiqué avec l'accusé par l'intermédiaire d'un interprète avant de se présenter devant le tribunal, et qu'il convainque ce dernier que la nature du droit et l'effet de la renonciation sur ce droit ont été expliqués à l'accusé.


[13]       Étant donné qu'il n'avait jamais encore été statué sur le point litigieux, le juge Pelletier devait déterminer si le critère relatif à la renonciation qui avait été énoncé dans l'arrêt R. c. Tran, précité, pouvait à juste titre s'appliquer à des procédures engagées devant la section du statut. En fin de compte, le juge Pelletier a décidé d'appliquer un critère différent. Il estimait qu'il y a renonciation si l'intéressé ne s'oppose pas à la qualité de l'interprétation dès qu'il peut le faire au cours de l'audience. La conclusion que le juge a tirée sur ce point figure aux paragraphes 27 à 29 de ses motifs :

27.            Pour ces motifs, je conclus que seuls certains des éléments de l'arrêt Tran s'appliquent aux procédures devant la SSR. Il s'agit du cadre d'analyse permettant de déterminer s'il y a eu une violation de l'article 14, des éléments de la norme d'interprétation attendue, et du fait qu'il n'est pas nécessaire de démontrer l'exigence d'un préjudice pour obtenir une réparation de la Cour. Ces éléments s'appliquent aux procédures visant les réfugiés. Toutefois, les plaintes portant sur la qualité de l'interprétation doivent être présentées à la première occasion, savoir devant la SSR, chaque fois qu'il est raisonnable de s'y attendre.

28.            La question de savoir s'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'une plainte soit présentée est une question de fait, qui doit être déterminée dans chaque cas. Si l'interprète a de la difficulté à parler la langue du demandeur ou à se faire comprendre par lui, il est clair que la question doit être soulevée à la première occasion. Par contre, si les erreurs se trouvent dans la langue dans laquelle a lieu l'audience, que le demandeur ne comprend pas, il ne peut être raisonnable de s'attendre à ce qu'il y ait eu plainte à ce moment-là.

29.            En l'instance, je conclus que la qualité de l'interprétation aurait dû être soulevée devant la SSR puisqu'il était évident pour le demandeur qu'il y avait des difficultés de communication avec l'interprète. Dans son affidavit, il déclare qu'il avait de la difficulté à comprendre l'interprète et il dit aussi qu'à certaines occasions il ne comprenait pas ce qui était dit. Ceci suffit à démontrer qu'il aurait dû en faire état à ce moment-là. Comme il ne l'a pas fait, sa réclamation ne peut avoir aucune suite. L'affirmation du demandeur portant qu'il ne savait pas qu'il avait le droit de contester l'interprète n'est pas crédible, puisque la première audience a été ajournée au motif qu'il ne pouvait communiquer avec l'interprète. Il est clair que la SSR avait démontré qu'elle était sensible à la question de l'interprétation. En conséquence, il n'est pas nécessaire que je me livre à une analyse pour déterminer s'il a été satisfait à tous les éléments de l'arrêt Tran, puisque, même si c'était le cas, le fait que le demandeur ne se soit pas plaint à temps, dans des circonstances où il était raisonnable qu'il le fasse, l'empêche d'obtenir la réparation demandée.


[14]       En tirant cette conclusion, le juge Pelletier a tenu compte du critère applicable à la renonciation en common law. Comme il a clairement été dit dans l'arrêt Tribunal des droits de la personne et Énergie atomique du Canada Limitée, [1986] 1 C.F. 103 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée (1986), 72 N.R. 17, la renonciation au droit de soulever une objection peut être inférée à partir de la conduite d'une personne. Monsieur le juge MacGuigan a énoncé la question comme suit, à la page 113 :

Toutefois, même si l'on écarte cette renonciation expresse, toute la manière d'agir d'EACL devant le Tribunal constituait une renonciation implicite de toute affirmation d'une crainte raisonnable de partialité de la part du Tribunal. La seule manière d'agir raisonnable pour une partie qui éprouve une crainte raisonnable de partialité serait d'alléguer la violation d'un principe de justice naturelle à la première occasion. En l'espèce, EACL a cité des témoins, a contre-interrogé les témoins cités par la Commission, a présenté un grand nombre d'arguments au Tribunal et a engagé des procédures devant la Division de première instance et cette Cour sans contester l'indépendance de la Commission. Bref, elle a participé d'une manière complète à l'audience et, par conséquent, on doit tenir pour acquis qu'elle a implicitement renoncé à son droit de s'opposer.

La décision qui a été rendue dans cette affaire-là a récemment été appliquée dans l'arrêt Zundel c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (2000), 195 D.L.R. (4th) 399 (C.A.F.).


[15]       Les plaidoiries des deux parties peuvent se résumer brièvement. Selon l'appelant, le critère qui a été élaboré, en matière de renonciation, dans l'arrêt R. c. Tran, précité, s'applique également à un cas comme celui qui nous occupe, se rapportant à la revendication du statut de réfugié par une personne qui affirme craindre avec raison d'être persécutée dans son pays d'origine. En outre, la règle 17(2) des Règles de la section du statut de réfugié, DORS/93-54 exige que l'interprète dont les services sont fournis à une partie ou à un témoin à l'audience devant la section du statut fasse le serment ou la déclaration solennelle « qu'il interprétera fidèlement toute déclaration » . De son côté, l'intimé affirme que des procédures devant la section du statut sont fondamentalement différentes d'un procès se rapportant à des accusations criminelles, dans lequel il incombe à la Couronne de prouver que l'accusé est hors de tout doute raisonnable coupable de l'accusation formée contre lui. Par contre, dans une procédure administrative telle que celle qui est ici en cause, il incombe à l'intéressé d'établir sa revendication selon la prépondérance des probabilités. En outre, contrairement à la personne accusée d'une infraction criminelle, l'intéressé ne serait pas passible d'une peine d'emprisonnement en cas de rejet de sa revendication.

[16]       Comme l'a signalé le juge en chef Lamer dans l'arrêt R. c. Tran, précité, à la page 977, « le principe qui sous-tend tous les intérêts protégés par le droit à l'assistance d'un interprète, que garantit l'art. 14, est la compréhension linguistique » , principe qui selon lui ressortait de la jurisprudence générale concernant la question des interprètes. Même si, à son avis, le niveau de compréhension visé par l'article 14 « sera [...] nécessairement élevé » , le juge en chef Lamer a fait remarquer que le principe de la compréhension linguistique ne devrait pas être élevé au point de conférer des avantages injustes. Comme il l'a dit à la page 978 :

En même temps, le principe de la compréhension linguistique qui sous-tend le droit à l'assistance d'un interprète ne devrait toutefois pas être élevé au point où ceux qui parlent ou comprennent difficilement la langue des procédures, peu importe que ce soit le français ou l'anglais, reçoivent ou paraissent recevoir des avantages injustes par rapport à ceux qui parlent couramment la langue du prétoire. L'objectif ultime du droit à l'assistance d'un interprète est d'accorder à tous des chances égales et non pas d'accorder à certaines personnes plus de droits qu'à d'autres.


[17]       Ces avis ont été exprimés dans le contexte du droit criminel, mais je ne puis voir pourquoi ils ne devraient pas également s'appliquer en l'espèce. Il importe de se rappeler que la section du statut n'est qu'une composante du plus gros tribunal administratif au Canada. Depuis qu'elle a été créée, en 1989, la section du statut a vu sa charge de travail augmenter de façon exponentielle au point qu'en 1999-2000, elle faisait face à environ 31 000 nouvelles revendications, phénomène qui n'est apparemment pas limité au Canada[1]. Si la plainte tardive que l'appelant a présentée au sujet de la qualité de l'interprétation était accueillie, il deviendrait encore plus difficile pour la section du statut d'accomplir les tâches importantes qui lui sont confiées lorsqu'il s'agit d'entendre les revendications et de rendre une décision en temps opportun. La section du statut doit chaque année régler un nombre croissant de revendications qui, dans bien des cas, sont présentées par des individus dont la langue maternelle n'est ni l'une ni l'autre des langues officielles du Canada. L'intérêt de l'individu en cause et celui du public exigent certainement que la revendication soit traitée le plus tôt possible. Or, il n'est pas dans l'intérêt de l'individu ni du public de retarder inutilement le processus de reconnaissance du statut de réfugié, à condition que des garanties acceptables soient fournies afin d'empêcher la violation du droit prévu à l'article 14.


[18]       Comme le juge Pelletier l'a fait remarquer, si l'argument invoqué par l'appelant est exact, l'intéressé qui a des problèmes en ce qui concerne la qualité de l'interprétation fournie à l'audience ne pourrait rien faire pendant toute la durée de l'audience, mais il pourrait néanmoins contester avec succès la décision à une date ultérieure. De fait, lorsque l'intéressé décide de ne rien faire même si la qualité de l'interprétation le préoccupe, la section du statut n'est pas en mesure de savoir que l'interprétation comporte des lacunes à certains égards. L'intéressé est toujours celui qui est le mieux placé pour savoir si l'interprétation est exacte et pour faire savoir à la section du statut, au cours de l'audience, que la question de l'exactitude le préoccupe, à moins que des circonstances exceptionnelles ne l'empêchent de le faire.

[19]       Comme je l'ai dit, compte tenu du problème qu'il avait eu à la première séance de la section du statut, l'appelant semble avoir été parfaitement au courant du droit qu'il avait d'obtenir l'assistance d'un interprète compétent. Lorsque sa conduite, au cours de la troisième séance et pendant un certain temps par la suite, est appréciée compte tenu du fait qu'il avait sans aucun doute connaissance de son droit, il est difficile d'interpréter cette conduite comme étant autre chose qu'une indication claire que la qualité de l'interprétation satisfaisait l'appelant lors de l'audience elle-même. Par conséquent, à mon avis, le juge Pelletier n'a pas commis d'erreur en statuant que l'appelant avait renoncé au droit qu'il possédait en vertu de l'article 14 de la Charte du fait qu'il ne s'était pas opposé à la qualité de l'interprétation dès qu'il avait eu la possibilité de le faire au cours de l'audition de sa revendication.

DISPOSITIF

[20]       Je conclus que l'analyse élaborée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Tran, précité, s'applique d'une façon générale à des procédures engagées devant la section du statut; par conséquent, il faut répondre comme suit aux questions que le juge Pelletier a certifiées :

Première question                      -                        Oui

Deuxième question                    -                        Non

Troisième question                    -                        Oui


Je rejetterais l'appel.

                          « A.J. STONE »                   

Juge

« Je souscris à cet avis.

Le juge Marshall Rothstein. »

« Je souscris à cet avis.

Le juge Edgar Sexton. »

Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, LL.L., Trad. a.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                                                    A-197-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                     Soliman Mohammadian

                                                                                   c.

Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                                         Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        le 15 mai 2001

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :                            Monsieur le juge Stone

Y ONT SOUSCRIT :                                      Monsieur le juge Rothstein

Monsieur le juge Sexton

DATE DES MOTIFS :                                               le 6 juin 2001

ONT COMPARU

Michael Crane                                                  POUR L'APPELANT

Marcel Larouche                                                          POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Michael Crane                                                  POUR L'APPELANT

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                          POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada



[1] Statistiques tirées du « Rapport sur les plans et les priorités » de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Budget des dépenses 2000-2001), aux p. 1, 2, 13 et 14, déposé au Parlement par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration.

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