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Date : 20040109

Dossier : A-479-03

Référence : 2004 CAF 4

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                          appelant

                                                                                   et

                                                 KAILESHAN THANABALASINGHAM

                                                                                                                                                               intimé

                                     Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2003

                                       Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 janvier 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                    LE JUGE STONE

                                                                                                                                  LA JUGE SHARLOW


Date : 20040109

Dossier : A-479-03

Référence : 2004 CAF 4

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                          appelant

                                                                                   et

                                                 KAILESHAN THANABALASINGHAM

                                                                                                                                                               intimé

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]                 Il s'agit d'un appel quant à la question qu'a certifiée Mme la juge Gauthier dans sa décision datée du 21 octobre 2003. La question certifiée est la suivante :

Le contrôle des motifs de la détention prévu au paragraphe 57(2) et à l'article 58 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, constitue-t-il une nouvelle audience et est-ce à la personne détenue qu'il incombe de démontrer qu'elle ne constitue pas un danger pour le public canadien ou qu'elle ne risque pas de se soustraire à la justice lors de tout contrôle subséquent de sa détention?


LES FAITS

[2]                 Les faits peuvent être résumés en quelques phrases. L'intimé a été arrêté le 18 octobre 2001 en vertu d'un mandat lancé par les autorités de l'Immigration au motif qu'il constituait une menace pour la sécurité publique parce qu'il était l'un des dirigeants du VVT, un gang tamoul qui exerce ses activités à Toronto. Les motifs de sa détention ont fait l'objet de contrôles suivant les dispositions de l'article 103 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (l'ancienne loi), et, après leur entrée en vigueur, suivant les articles 57 et 58 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la nouvelle loi). Lors des cinq premiers contrôles des motifs de la détention de l'intimé, il a été ordonné qu'il soit maintenu en détention. Le 5 novembre 2002, M. V. Tumir, un commissaire de la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, a procédé au contrôle des motifs de la détention de l'intimé et il a ordonné une mise en liberté pour laquelle il a imposé des conditions. Le ministre a présenté une demande de contrôle judiciaire et il a obtenu, entre-temps, une suspension de la mise en liberté jusqu'à ce que le prochain contrôle des motifs de la détention soit effectué.

[3]                 M. A. Iozzo de la Section de l'immigration a procédé au contrôle des motifs de la détention subséquent et, le 18 mars 2003, il a confirmé les conclusions de M. Tumir et a ordonné la mise en liberté de l'intimé. Le ministre a obtenu une suspension de cette ordonnance et il a présenté une demande de contrôle judiciaire. C'est ce contrôle judiciaire qui fait l'objet de l'ordonnance rendue le 21 octobre 2003 par la juge Gauthier et qui donne lieu au présent appel.


LES QUESTIONS EN LITIGE

[4]                 Le ministre soulève deux questions en litige. Il affirme d'abord que les contrôles des motifs de la détention effectués suivant la nouvelle loi ne sont pas de nouvelles audiences et qu'il incombe à la personne détenue de démontrer que les décisions antérieures ordonnant sa détention devraient être annulées. Il affirme ensuite que M. Iozzo a commis des erreurs de droit et des erreurs manifestement déraisonnables quant aux faits. Par conséquent, selon ce qu'il déclare, la juge Gauthier a commis une erreur lorsqu'elle a décidé de ne pas annuler la décision rendue par M. Iozzo.

LES DISPOSITIONS PERTINENTES

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés

57. (1) La section contrôle les motifs justifiant le maintien en détention dans les quarante-huit heures suivant le début de celle-ci, ou dans les meilleurs délais par la suite.

57. (1) Within 48 hours after a permanent resident or a foreign national is taken into detention, or without delay afterward, the Immigration Division must review the reasons for the continued detention.

(2) Par la suite, il y a un nouveau contrôle de ces motifs au moins une fois dans les sept jours suivant le premier contrôle, puis au moins tous les trente jours suivant le contrôle précédent.

    

                     [...]

(2) At least once during the seven days following the review under subsection (1), and at least once during each 30-day period following each previous review, the Immigration Division must review the reasons for the continued detention.

      ...

58. (1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l'étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tel des faits suivants :

58. (1) The Immigration Division shall order the release of a permanent resident or a foreign national unless it is satisfied, taking into account prescribed factors, that

a) le résident permanent ou l'étranger constitue un danger pour la sécurité publique;

(a) they are a danger to the public;

b) le résident permanent ou l'étranger se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l'enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d'une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2);

     

                     [...]

(b) they are unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2);

      ...

(2) La section peut ordonner la mise en détention du résident permanent ou de l'étranger sur preuve qu'il fait l'objet d'un contrôle, d'une enquête ou d'une mesure de renvoi et soit qu'il constitue un danger pour la sécurité publique, soit qu'il se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l'enquête ou au renvoi.

      [...]

(2) The Immigration Division may order the detention of a permanent resident or a foreign national if it is satisfied that the permanent resident or the foreign national is the subject of an examination or an admissibility hearing or is subject to a removal order and that the permanent resident or the foreign national is a danger to the public or is unlikely to appear for examination, an admissibility hearing or removal from Canada.

      ...

Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

47(2) La personne qui fournit la garantie d'exécution doit :

      [...]

b) être capable de faire en sorte que la personne ou le groupe de personnes visé par la garantie respecte les conditions imposées;

      [...]

47(2) A person who posts a guarantee must

      ...

(b) be able to ensure that the person or group of persons in respect of whom the guarantee is required will comply with the conditions imposed; and

      ...

244. Pour l'application de la section 6 de la partie 1 de la Loi, les critères prévus à la présente partie doivent être pris en compte lors de l'appréciation :

244. For the purposes of Division 6 of Part 1 of the Act, the factors set out in this Part shall be taken into consideration when assessing whether a person

a) du risque que l'intéressé se soustraie vraisemblablement au contrôle, à l'enquête, au renvoi ou à une procédure pouvant mener à la prise, par le ministre, d'une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi;

(a) is unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2) of the Act;

b) du danger que constitue l'intéressé pour la sécurité publique;

      [...]

(b) is a danger to the public;

      ...

245. Pour l'application de l'alinéa 244a), les critères sont les suivants :

     [...]

245. For the purposes of paragraph 244(a), the factors are the following:

      ...

c) le fait de s'être conformé librement à l'obligation de comparaître lors d'une instance en immigration ou d'une instance criminelle;

(c) voluntary compliance with any previously required appearance at an immigration or criminal proceeding;

d) le fait de s'être conformé aux conditions imposées à l'égard de son entrée, de sa mise en liberté ou du sursis à son renvoi;

(d) previous compliance with any conditions imposed in respect of entry, release or a stay of removal;

e) le fait de s'être dérobé au contrôle ou de s'être évadé d'un lieu de détention, ou toute tentative à cet égard;

      [...]

(e) any previous avoidance of examination or escape from custody, or any previous attempt to do so;

      ...

g) l'appartenance réelle à une collectivité au Canada.

(g) the existence of strong ties to a community in Canada.

246. Pour l'application de l'alinéa 244b), les critères sont les suivants :

      [...]

246. For the purposes of paragraph 244(b), the factors are the following:

      ...

b) l'association à une organisation criminelle au sens du paragraphe 121(2) de la Loi;

      [...]

(b) association with a criminal organization within the meaning of subsection 121(2) of the Act;

      ...

d) la déclaration de culpabilité au Canada, en vertu d'une loi fédérale, quant à l'une des infractions suivantes :

      [...]

(ii) infraction commise avec violence ou des armes;

      [...]

(d) conviction in Canada under an Act of Parliament for

      ...

(ii) an offence involving violence or weapons;

      ...

248. S'il est constaté qu'il existe des motifs de détention, les critères ci-après doivent être pris en compte avant qu'une décision ne soit prise quant à la détention ou la mise en liberté :

248. If it is determined that there are grounds for detention, the following factors shall be considered before a decision is made on detention or release:

a) le motif de la détention;

(a) the reason for detention;

b) la durée de la détention;

(b) the length of time in detention;

c) l'existence d'éléments permettant l'évaluation de la durée probable de la détention et, dans l'affirmative, cette période de temps;

(c) whether there are any elements that can assist in determining the length of time that detention is likely to continue and, if so, that length of time;

d) les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part du ministère ou de l'intéressé;

(d) any unexplained delays or unexplained lack of diligence caused by the Department or the person concerned; and

e) l'existence de solutions de rechange à la détention.

(e) the existence of alternatives to detention.

Loi sur l'immigration

103. (1) Le sous-ministre ou l'agent principal peut lancer un mandat d'arrestation contre toute personne qui doit faire l'objet d'un interrogatoire, d'une enquête ou d'une décision de l'agent principal aux termes du paragraphe 27(4), ou qui est frappée par une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel, lorsqu'il croit, pour des motifs raisonnables, qu'elle constitue une menace pour la sécurité publique ou qu'elle ne comparaîtra pas, ou n'obtempérera pas à la mesure de renvoi.

     [...]

103. (1) The Deputy Minister or a senior immigration officer may issue a warrant for the arrest and detention of any person where

(a) an examination or inquiry is to be held, a decision is to be made pursuant to subsection 27(4) or a removal order or conditional removal order has been made with respect to the person; and

(b) in the opinion of the Deputy Minister or that officer, there are reasonable grounds to believe that the person poses a danger to the public or would not appear for the examination, inquiry or proceeding in relation to the decision or for removal from Canada.

      ...



(6) Si l'interrogatoire, l'enquête ou le renvoi aux fins desquels il est gardé n'ont pas lieu dans les quarante-huit heures, ou si la décision n'est pas prise aux termes du paragraphe 27(4) dans ce délai, l'intéressé est amené, dès l'expiration de ce délai, devant un arbitre pour examen des motifs qui pourraient justifier une prolongation de sa garde; par la suite, il comparaît devant un arbitre aux mêmes fins au moins une fois :

a) dans la période de sept jours qui suit l'expiration de ce délai;

b) tous les trente jours après l'examen effectué pendant cette période.

(6) Where any person is detained pursuant to this Act for an examination, inquiry or removal and the examination, inquiry or removal does not take place within forty-eight hours after that person is first placed in detention, or where a decision has not been made pursuant to subsection 27(4) within that period, that person shall be brought before an adjudicator forthwith and the reasons for the continued detention shall be reviewed, and thereafter that person shall be brought before an adjudicator at least once during the seven days immediately following the expiration of the forty-eight hour period and thereafter at least once during each thirty day period following each previous review, at which times the reasons for continued detention shall be reviewed.

(7) S'il est convaincu qu'il ne constitue vraisemblablement pas une menace pour la sécurité publique et qu'il ne se dérobera vraisemblablement pas à l'interrogatoire, à l'enquête ou au renvoi, l'arbitre chargé de l'examen prévu au paragraphe (6) ordonne la mise en liberté de l'intéressé, aux conditions qu'il juge indiquées en l'espèce, notamment la fourniture d'un cautionnement ou d'une garantie de bonne exécution.

      [...]

(7) Where an adjudicator who conducts a review pursuant to subsection (6) is satisfied that the person in detention is not likely to pose a danger to the public and is likely to appear for an examination, inquiry or removal, the adjudicator shall order that the person be released from detention subject to such terms and conditions as the adjudicator deems appropriate in the circumstances, including the payment of a security deposit or the posting of a performance bond.

      ...

LA QUESTION CERTIFIÉE

[5]                 Deux questions doivent être tranchées : (1) la question de savoir si les contrôles des motifs de la détention sont de nouvelles audiences et (2) celle de savoir à qui incombe le fardeau de preuve lors d'un contrôle des motifs de la détention.

La nature de l'audience


[6]                 Je pense qu'il est important en premier lieu de clarifier l'utilisation du mot « nouvelle » dans l'expression nouvelle audience. À proprement parler, une nouvelle audience est une audience au cours de laquelle un nouveau dossier est présenté et au cours de laquelle il n'est aucunement tenu compte d'une décision antérieure (voir à cet égard les arrêts Bayside Drive-in Ltd. c. M.R.N. (1997), 218 N.R. 150, à la page 156, (C.A.F.), et Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145, à la page 166 (C.A.)). Ce n'est pas ce qui se produit dans un contrôle des motifs de la détention. Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Lai, [2001] 3 C.F. 326, à la page 334, (1re inst.), M. le juge Campbell a déclaré que dans un contrôle des motifs de la détention « tous les facteurs liés à la détention doivent être examinés, y compris les motifs de toute ordonnance antérieure de détention » . Même si le juge Campbell traitait d'une affaire suivant l'ancienne loi, rien ne justifie que sa décision ne doive pas s'appliquer suivant la nouvelle loi. Par conséquent, il n'est pas précisément exact de décrire comme une nouvelle audience la sorte de contrôle effectué suivant les articles 57 et 58 de la nouvelle loi.

[7]                 Par contre, je ne peux pas non plus accepter la prétention faite par le ministre dans son mémoire selon laquelle les conclusions tirées par les commissaires antérieurs devaient être maintenues en l'absence de nouvelle preuve. En examinant des contrôles des motifs de la détention effectués suivant l'ancienne loi, le juge MacKay de la Section de première instance (maintenant juge de la Cour fédérale) a déclaré ce qui suit :

[...] au moment de l'examen, il s'agit de savoir s'il existe des motifs permettant de convaincre l'arbitre que l'intéressé ne constitue vraisemblablement pas une menace pour la sécurité publique et qu'il ne se dérobera vraisemblablement pas à l'interrogatoire ou à l'enquête ou qu'il obtempérera à la mesure de renvoi. À mon avis, il ne suffit pas que l'arbitre se contente [...] d'accepter les décisions des arbitres antérieurs et de tenir principalement compte de ce qui peut s'être passé depuis que la dernière décision a été rendue (Salilar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 3 C.F. 150, à la page 159 (1re inst.)).


[8]                 Rien dans les nouveaux articles 57 et 58 ne montre que le raisonnement du juge MacKay ne devrait pas continuer à s'appliquer aux audiences relatives au contrôle des motifs de la détention suivant la nouvelle loi. Comme le faisaient les arbitres suivant l'ancienne loi, la Section de l'immigration contrôle « les motifs justifiant le maintien en détention » [non souligné dans l'original]. La nouvelle loi ne fait pas non plus de distinction entre le premier contrôle des motifs de la détention et les contrôles subséquents pas plus qu'elle impose des exigences à l'égard de la preuve devant être soumise. Plutôt, lors de chaque audience, le commissaire doit décider à nouveau si le maintien de la détention est justifié.

Le traitement des décisions antérieures

[9]                 La question à se poser alors est celle de l'importance qui doit être accordée, lors des contrôles subséquents, aux décisions antérieures. Comme il est clairement établi dans ses observations de vive voix, le ministre n'affirme pas que les décisions antérieures ordonnant la détention d'une personne ont un caractère liant lors des contrôles des motifs de la détention subséquents. Plutôt, le ministre affirme qu'un commissaire doit, pour pouvoir aller à l'encontre des décisions antérieures ordonnant la détention d'une personne, énoncer des motifs clairs et convaincants.


[10]            Les décisions rendues à l'égard du contrôle des motifs de la détention sont des décisions fondées essentiellement sur les faits pour lesquelles il est habituellement fait preuve de retenue. Bien que, comme il a été précédemment mentionné, un commissaire ne soit pas lié par les décisions antérieures, je partage l'opinion du ministre selon laquelle il faut, dans les cas où un commissaire décide d'aller à l'encontre des décisions antérieures ordonnant la détention d'une personne, que des motifs clairs et convaincants soient énoncés. Il existe des raisons valables pour exiger de tels motifs clairs et convaincants.

[11]            La crédibilité de la personne en cause et celle des témoins sont souvent des questions en litige. Dans les cas où un décideur antérieur a eu la possibilité d'entendre les témoins, d'observer leur comportement et d'évaluer leur crédibilité, il est nécessaire que le décideur subséquent explique clairement les raisons pour lesquelles l'évaluation de la preuve faite par le décideur antérieur ne justifie pas le maintien de la détention. Par exemple, l'admission de nouveaux éléments de preuve pertinents constituerait un fondement valable pour aller à l'encontre d'une décision antérieure ordonnant la détention. Subsidiairement, une nouvelle évaluation des éléments de preuve antérieurs fondée sur de nouvelles prétentions peut également être suffisante pour aller à l'encontre d'une décision antérieure.

[12]            La meilleure façon pour le commissaire de fournir des motifs clairs et convaincants serait d'expliquer précisément ce qui a entraîné la nouvelle conclusion, c'est-à-dire expliquer ce que la décision antérieure énonçait et les raisons pour lesquelles il a tiré une conclusion contraire.

[13]            Cependant, même si le commissaire n'énonce pas explicitement les raisons pour lesquelles il a tiré une conclusion différente de celle tirée par le commissaire antérieur, il peut le faire de façon implicite dans ses motifs de la décision subséquente. Ce qui serait inacceptable serait une décision rendue hâtivement sans qu'il soit fait mention d'une manière significative des motifs antérieurs de la détention.


Le fardeau de la preuve

[14]            Lorsqu'il s'agit d'établir à qui incombe le fardeau de la preuve lors d'une audience relative à un contrôle des motifs de la détention, il importe de se rappeler que les articles 57 et 58 permettent que des personnes soient détenues pour des périodes qui pourraient être longues, voire indéterminées, sans qu'elles aient été accusées, encore moins reconnues coupables, d'aucun acte criminel. Par conséquent, des décisions à l'égard de la détention doivent être rendues en prenant en compte l'article 7 de la Charte (voir la décision Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 214, aux pages 225 à 231 (1re inst.)).

[15]            Le paragraphe 103(7) de l'ancienne loi prévoit qu'un arbitre ordonne la mise en liberté d'un intéressé s'il est « convaincu qu'il ne constitue vraisemblablement pas une menace pour la sécurité publique et qu'il ne se dérobera pas à l'interrogatoire, à l'enquête ou au renvoi » . Suivant cette disposition, le juge Campbell a déclaré que « le fardeau de prouver qu'il y a lieu de maintenir une personne en détention est imposé, à l'origine, à la personne qui propose une telle ordonnance » , c'est-à-dire au ministre (voir la décision Lai, à la page 334). En fait, cette décision s'applique de façon encore plus convaincante à l'article 58 qui prévoit que « la section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l'étranger, sauf sur preuve » que l'une des conditions énumérées a été remplie [non souligné dans l'original]. Je partage par conséquent l'opinion de la juge Gauthier selon laquelle c'est le ministre, s'il veut que la détention soit maintenue, qui doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que l'intimé constitue un danger pour le public.


[16]            Il incombe toujours au ministre de démontrer qu'il existe des motifs qui justifient la détention ou le maintien de la détention. Cependant, une fois que le ministre a établi prima facie qu'il y a lieu de maintenir la détention d'une personne, la personne doit présenter une certaine preuve contraire sinon elle risque d'être maintenue en détention. Le ministre peut établir une preuve prima facie de différentes façons, y compris en se fondant sur les motifs de décisions antérieures. Selon ce qu'elle a déclaré dans ses motifs au paragraphe 75, la juge Gauthier estime :

[...] que le fardeau de prouver qu'il y a lieu de maintenir une personne en détention est imposé, à l'origine, à la personne qui propose une telle ordonnance, en l'occurrence le ministre, mais que ce fardeau est rapidement déplacé pour incomber au défendeur si l'arbitre qui procède au contrôle estime solides ou convaincants les motifs justifiant le maintien en détention qui ont été retenus lors des contrôles antérieurs.

LA DÉCISION DE M. IOZZO

[17]            Le ministre a tenté de faire ressortir un certain nombre d'incohérences dans les motifs énoncés par M. Iozzo. De façon générale, le ministre prétend simplement que M. Iozzo n'a pas évalué correctement la fiabilité des éléments de preuve dont il disposait. Cependant, comme la juge Gauthier l'a établi, le ministre n'a pas démontré que les conclusions de fait soient manifestement déraisonnables.

[18]            Néanmoins, le ministre prétend que M. Iozzo n'a pas énoncé de motifs clairs et convaincants justifiant les raisons pour lesquelles il est allé à l'encontre des décisions antérieures ordonnant la détention de l'intimé. Dans sa décision, M. Iozzo a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]


La décision qui doit être prise dans le cadre du présent contrôle constitue une nouvelle décision. Il y a lieu de tenir compte des décisions antérieures et de faire preuve à leur égard de la retenue et du respect qui s'imposent. En fin de compte, le commissaire doit rendre une nouvelle décision après avoir exercé son jugement et apprécié la preuve. [...] Certes, il faut faire preuve de retenue envers les décisions antérieures, mais on ne peut laisser une « erreur » se perpétuer en excipant de l'uniformité10. En analysant le dossier des contrôles qui ont déjà été effectués, j'ai soupesé les motifs justifiant la détention et les motifs justifiant la mise en liberté que les commissaires avaient exposés. Toutefois, si le présent contrôle doit avoir un sens, je dois prendre une décision honnête en me fondant sur ma propre appréciation de l'ensemble de la preuve. [Souligné dans l'original.]

ligne

10 L'auteur de la décision doit évidemment invoquer des raisons solides s'il veut écarter les décisions de ses collègues.

[19]            Il semble évident, de cette déclaration, que M. Iozzo a tenu compte adéquatement des décisions antérieures. La conclusion contraire tirée par M. Iozzo et les motifs de cette conclusion sont clairement implicites dans sa décision. À la page 11 de ses motifs, M. Iozzo souligne que tous les commissaires antérieurs ont reconnu l'existence de problèmes de crédibilité liés aux déclarations des divers témoins et que même l'avocat du ministre a reconnu devant lui qu'il y avait des contradictions et des incohérences dans ces déclarations. Il cite ensuite de nombreux exemples de telles incohérences. Il conclut en déclarant aux pages 14 et 15 qu'[TRADUCTION] « en fin de compte, sauf pour les documents de la Cour présentés en preuve et pour les faits non contestés, je ne disposais que d'une boîte remplie de documents contenant des déclarations faites par des personnes non crédibles contredisant les déclarations d'autres personnes et contredisant leurs propres déclarations » .


[20]            La décision de M. Iozzo diffère des décisions des commissaires qui avaient ordonné le maintien de la détention de l'intimé en ce qu'il n'était pas enclin à accepter la prétention selon laquelle [TRADUCTION] « des déclarations qui ne sont pas dignes de foi peuvent le devenir si elles sont en nombre suffisant ou un mensonge répété à de nombreuses reprises par différentes personnes devient la vérité » (à la page 15). Il a par conséquent implicitement rejeté la thèse du [TRADUCTION] « fil conducteur » sur laquelle se fondaient les décisions antérieures (voir les décisions M.C.I. c. Thanabalasingham (18 mars 2002), Toronto 0003-A1-02365, aux pages 9 et 19 (C.I.S.R. (Section d'arbitrage)), Mme Gratton, M.C.I. c. Thanabalasingham (28 mai 2002), Milton 0003-A1-02365, à la page 3 (C.I.S.R. (Section d'arbitrage)), Mme Simmie (Dossier d'arbitrage - résumé de l'audience relative au contrôle des motifs de la détention), et M.C.I. c. Thanabalasingham (12 août 2002), Milton 0003-A1-02365, à la page 92 (C.I.S.R. (Section de l'immigration)), M. Murrant). Compte tenu de la nécessité de rendre une nouvelle décision lors de chaque contrôle des motifs de la détention, la conclusion tirée par M. Iozzo, bien qu'elle ait été tirée après qu'une attention appropriée eut été accordée aux décisions antérieures, est une conclusion que M. Iozzo pouvait tirer et qui a correctement été maintenue par la juge Gauthier.

[21]            Le ministre prétend en outre que M. Iozzo a commis une erreur de droit lorsqu'il a traité des déclarations de culpabilité antérieures de l'intimé. Le ministre affirme que M. Iozzo a décidé à tort que les déclarations de culpabilité antérieures à elles seules ne pouvaient pas justifier que soit tirée une conclusion selon laquelle un détenu constitue un danger pour le public. Je suis d'accord avec la juge Gauthier lorsqu'elle déclare ce qui suit :

Le commissaire Iozzo aurait pu expliquer plus à fond son raisonnement, mais son omission de le faire ne constitue pas une erreur qui justifierait l'intervention de la Cour puisqu'il ressort par ailleurs de sa décision qu'il a tenu compte de tous les éléments de preuve se rapportant au contexte dans lequel ces déclarations de culpabilité ont été prononcées et qu'il s'est malgré tout déclaré non convaincu qu'elles pouvaient à elles seules justifier une ordonnance de détention (paragraphe 124).


M. Iozzo n'a pas déclaré que les déclarations de culpabilité antérieures à elles seules ne pouvaient jamais justifier que soit tirée une conclusion selon laquelle une personne constitue un danger. Il a plutôt déclaré que ces déclarations de culpabilité en particulier ne pouvaient pas le faire dans les circonstances de la présente affaire. Je partage l'opinion de la juge Gauthier selon laquelle il pouvait tirer une telle conclusion.

[22]            En dernier lieu, le ministre prétend que M. Iozzo a commis une erreur lorsqu'il a approuvé les personnes proposées pour fournir une garantie parce qu'il n'a pas examiné la question de savoir si elles étaient « capable[s] de faire en sorte que la personne ou le groupe de personnes visé par la garantie respecte les conditions imposées » comme l'exige l'alinéa 47(2)b) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés et parce que les personnes proposées ne seraient pas capables d'exercer un contrôle suffisant sur la conduite de l'intimé.


[23]            Bien que M. Iozzo n'ait pas expressément renvoyé à l'alinéa 47(2)b), il a effectivement examiné la question de savoir si les personnes proposées pour fournir une garantie seraient adéquatement capables de contrôler la conduite de l'intimé en cas de mise en liberté. Il partageait l'opinion de M. Tumir et de M. Murrant qui avaient conclu que l'important cautionnement serait suffisant pour répondre à cette préoccupation. M. Tumir (M.C.I. c. Thanabalasingham (18 mars 2003), Milton 0003-A1-02365, aux pages 25 et 26 (C.I.S.R. (Section de l'immigration))) et M. Murrant (M.C.I. c. Thanabalasingham (12 août 2002), Milton 0003-A1-02365, aux pages 90 et 91 (C.I.S.R. (Section de l'immigration))) avaient déjà abordé et rejeté cette préoccupation. Il n'était pas déraisonnable pour M. Iozzo de s'appuyer sur les conclusions de M. Tumir et de M. Murrant à cet égard.

CONCLUSION

[24]            Les motifs de la juge Gauthier sont énoncés de façon logique et claire. Je suis entièrement convaincu qu'elle a correctement appliqué aux conclusions tirées par M. Iozzo les normes de contrôle appropriées et qu'elle a correctement interprété le droit applicable. Je réponds à la question certifiée de la façon suivante :

Lors de tout contrôle des motifs de la détention effectué suivant les articles 57 et 58 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, la Section de l'immigration doit rendre une nouvelle décision quant à la question de savoir si une personne détenue devrait être maintenue en détention. Bien que le fardeau de preuve puisse être déplacé pour incomber au détenu une fois que le ministre a établi prima facie qu'il y a lieu de maintenir la détention, il incombe en fin de compte toujours au ministre, lors de tels contrôles des motifs de la détention, d'établir que la personne détenue constitue un danger pour la sécurité publique au Canada ou qu'elle risque de se soustraire à la justice. Cependant, les décisions antérieures ordonnant la détention d'une personne doivent être prises en compte lors de contrôles subséquents et la Section de l'immigration doit énoncer des motifs clairs et convaincants pour pouvoir aller à l'encontre des décisions antérieures.


[25]            Le ministre peut, en tout temps, arrêter de nouveau l'intimé et assurer sa détention et le maintien de la détention sur le fondement d'éléments de preuve appropriés. Le ministre, s'il est d'avis que l'intimé constitue un danger pour la sécurité publique, devrait prendre les mesures à sa disposition suivant la nouvelle loi afin d'assurer la détention de l'intimé.

                                                                             _ Marshall Rothstein _            

                                                                                                             Juge                          

« Je souscris aux présents motifs

A.J. Stone, juge »

« Je souscris aux présents motifs

K. Sharlow, juge »

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                               COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 A-479-03

INTITULÉ :              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c. KAILESHAN THANABALASINGHAM

LIEU DE L'AUDIENCE :                                OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 9 DÉCEMBRE 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                                      LE JUGE STONE

LA JUGE SHARLOW

DATE DES MOTIFS :                                     LE 9 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Donald MacIntosh

Greg George                                                     POUR L'APPELANT

Barbara Jackman                                                 POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                                                           POUR L'APPELANT

Sous-procureur général du Canada                                       

Toronto (Ontario)

Barbara Jackman                                                                           POUR L'INTIMÉ

Toronto (Ontario)



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