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Date : 19990430


Dossier : A-149-99

     OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 30 AVRIL 1999

EN PRÉSENCE DE : M. LE JUGE LÉTOURNEAU

ENTRE :

     DAWOD NOORI SAID,

     appelant,

ET :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

         La requête présentée à la Cour pour qu'elle sursoie au renvoi de l'appelant du Canada, prévu pour le vendredi 30 avril 1999 à 17 h 50, est accueillie avec dépens, fixés à 1 000 $.

     Gilles Létourneau

     J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


Date : 19990430


Dossier : A-149-99

     OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 30 AVRIL 1999

EN PRÉSENCE DE : M. LE JUGE LÉTOURNEAU

ENTRE :

     DAWOD NOORI SAID,

     appelant,

ET :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

         La présente requête de l'appelant vise à obtenir un sursis de la mesure de renvoi du Canada en Afghanistan, prise par Citoyenneté et Immigration Canada, mesure qui doit être exécutée aujourd'hui même à 17 h 50.

         L'appelant est entré au Canada en 1986 en qualité de réfugié au sens de la Convention. En 1992, il a été déclaré coupable sous cinq chefs d'accusation de trafic d'héroïne et condamné à cinq ans d'emprisonnement. En conséquence, une mesure d'expulsion a été prise contre lui le 31 mars 1993. Par la suite, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre), en vertu de l'alinéa 53(1)d) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), a déclaré que l'appelant était un danger pour le public au Canada. L'appelant a contesté par voie de contrôle judiciaire cette décision, ainsi que la mesure de renvoi dont l'exécution était prévue pour le 17 janvier 1998. Entre-temps, le juge Pinard a accordé un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi. Les demandes de contrôle judiciaire ont par la suite été rejetées, mais le juge des requêtes a certifié deux questions aux fins de l'appel en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi, savoir :

     [TRADUCTION]
     1.      Dans une demande de contrôle judiciaire d'une décision du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration prise en vertu de l'alinéa 53(1)d) de la Loi sur l'immigration et portant que l'appelant est un danger pour le public au Canada, la Cour a-t-elle compétence pour décider de la constitutionnalité de l'alinéa 53(1)d)?         
     2.      Une décision prise par le ministre en vertu de l"alinéa 53(1)d ) de la Loi sur l"immigration qu'un réfugié au sens de la Convention est un danger pour le public au Canada, décision prise après qu'une évaluation a été faite quant au risque de renvoyer ce réfugié au sens de la Convention dans le pays qu'il a fui pour trouver refuge et après que le danger pour le public au Canada et le risque pour le réfugié au sens de la Convention ont été soupesés, est-elle conforme aux exigences de la justice fondamentale au sens de l'article 7 de la Charte des droits et libertés?         

L'appel a été formé le 11 mars 1999.

         Le 26 avril 1999, l'appelant a été avisé que le ministre avait signé une mesure de renvoi à son égard le 23 avril. D'où cet avis de requête présenté d'urgence le 28 avril, demandant un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi.

         Il n'y a pas de doute que les deux questions certifiées par le juge des requêtes soulèvent des questions sérieuses. La première a donné lieu à des décisions conflictuelles de la Section de première instance quant à savoir si la constitutionnalité de l'alinéa 53(1)d) de la Loi peut être contestée au moyen d'une demande de contrôle judiciaire, ou seulement au moyen d'une action.

         En ce qui a trait à la deuxième question certifiée, notre Cour a conclu que le point qu'elle soulève quant à l'article 7 de la Charte des droits et libertés est une question sérieuse1.

         Il n'y a pas vraiment de litige entre les parties quant au préjudice irréparable qui serait causé à l'appelant s'il était expulsé. L'avocate de l'intimé a toutefois fait valoir que les menaces dont l'appelant fait présentement état n'avaient pas été exposées aux agents d'immigration lorsque l'évaluation du risque a été faite en février 1996. À ce moment-là, l'appelant a exprimé ses craintes face aux diverses factions des Moudjahiddines, alors qu'il prétend maintenant qu'en tant que membre du groupe ethnique Hazara, il craint d'être persécuté, maltraité et tué par les Talibans.

         Personne ne conteste que la situation en Afghanistan a changé depuis l'évaluation du risque, les Talibans contrôlant maintenant une très grande partie du pays. Les Country Documentation Reports font état de purges ethniques pratiquées par les Talibans à l'encontre de civils tajiks et hazaras sur la base de différentes croyances religieuses. Je dois évaluer les menaces potentielles contre l'appelant, ainsi que les atteintes aux droits qui lui sont garantis en vertu de l'article 7 de la Charte, en fonction du moment où sa demande de sursis à la mesure de renvoi est entendue, surtout dans un contexte où les conditions dans le pays où il doit être expulsé se sont détériorées.

         L'avocate de l'intimé a fait porter son argumentation surtout sur le troisième volet du critère, savoir la prépondérance des inconvénients. Elle s'est appuyée sur le passage suivant de la décision de la Cour suprême du Canada dans RJR - MacDonald Inc. c. Canada (P.G.)2 :

         À notre avis, le concept d'inconvénient doit recevoir une interprétation large dans les cas relevant de la Charte. Dans le cas d'un organisme public, le fardeau d'établir le préjudice irréparable à l'intérêt public est moins exigeant que pour un particulier en raison, en partie, de la nature même de l'organisme public et, en partie, de l'action qu'on veut faire interdire. On pourra presque toujours satisfaire au critère en établissant simplement que l'organisme a le devoir de favoriser ou de protéger l'intérêt public et en indiquant que c'est dans cette sphère de responsabilité que se situent le texte législatif, le règlement ou l'activité contestés. Si l'on a satisfait à ces exigences minimales, le tribunal devrait, dans la plupart des cas, supposer que l'interdiction de l'action causera un préjudice irréparable à l'intérêt public.         

         Pour l'essentiel, l'avocate de l'intimé a plaidé qu'un sursis à la mesure de renvoi causerait un préjudice irréparable à l'intérêt public du fait que le maintien de l'appelant en détention est coûteux. De plus, elle a plaidé qu'il existait toujours une possibilité que l'appelant soit libéré après révision des motifs de la détention. Sur ce second point, je crois pouvoir dire que cette situation est peu probable aussi longtemps que l'appelant constitue un danger pour le public au Canada. S'il cessait d'être un danger pour le public et était libéré, je serais alors d'avis qu'il ne serait pas nécessaire qu'il fasse l'objet d'une mesure de renvoi du Canada.

         Il est clair que la cause de l'appelant n'inspire pas la sympathie si l'on adopte le point de vue de l'intérêt public, surtout si l'on considère que son renvoi suite à la première décision du ministre en 1993 a été retardé par suite de son refus de collaborer3.

         Cependant, ce qu'il nous appartient de faire en l'espèce aux fins de statuer sur le sursis de la mesure de renvoi, c'est de soupeser les intérêts de l'appelant et l'intérêt public. L'appelant est présentement détenu et il le restera vraisemblablement jusqu'à la fin des procédures; il présente donc peu de risques de récidiver. Si un sursis n'est pas accordé, il est évident que son appel deviendra sans objet puisque, après son expulsion, il ne pourra bénéficier d'aucune réparation qu'une cour canadienne pourrait lui accorder. Tout manquement aux droits qui lui sont garantis par l'article 7 de la Charte, s'il en est, resterait sans remède. De plus, la preuve démontre que son expulsion mettrait en danger sa vie et sa sécurité.

         Face à ces inconvénients, on retrouve l'intérêt public exprimé en termes de coût causé par la détention de l'appelant. Il ne s'agit pas ici d'une affaire où des considérations d'intérêt public visent un nombre important de personnes qui subiraient vraisemblablement un impact négatif par suite de la décision de surseoir à la mesure de renvoi, sauf pour ce qui est du coût de la détention de l'appelant. Il me semble que la solution est de chercher à accélérer le processus judiciaire sur les questions litigieuses, plutôt que de nier à l'appelant un procès sur ces questions en l'expulsant et de mettre sa sécurité en danger. Comme la Cour suprême l'a dit dans l'affaire MacDonald4 :

     les considérations d'intérêt public ont davantage de poids dans les cas de " suspension " que dans les cas d'" exemption ". La raison en est que l'atteinte à l'intérêt public est beaucoup moins probable dans le cas où un groupe restreint et distinct de requérants est exempté de l'application de certaines dispositions d'une loi que dans le cas où l'application de la loi est suspendue dans sa totalité.         

Nous n'avons pas à traiter ici d'une affaire de suspension de la loi, ou d'exemption à la loi. Mais le raisonnement peut être appliqué à la requête que l'appelant a présentée pour obtenir un sursis, étant donné que la décision de la Cour ne s'appliquera qu'à lui. À mon avis, la prépondérance des inconvénients est en faveur de l'appelant.

         L'avocat de l'appelant a demandé les dépens sur la base avocat-client. Il s'est dit en désaccord avec la façon dont la mesure de renvoi a été prise, puis signifiée à son client, ainsi qu'avec la tentative de l'intimé de priver l'appelant du bénéfice de son appel.

         Je ne suis pas convaincu que cette affaire se prête à l'adjudication des dépens sur la base avocat-client. Je suis toutefois d'avis que l'appelant a droit à certains dépens. Il est difficile de comprendre pourquoi la mesure de renvoi n'a été signifiée à l'appelant que quatre jours avant la date prévue pour son exécution. L'appelant étant détenu, il ne pouvait prendre la fuite lorsqu'on lui a signifié la mesure de renvoi. Sa détention même a aussi rendu la préparation de la requête en vue d'un sursis et l'assemblage de la documentation à l'appui de ladite requête plus difficiles et plus longs pour son avocat. Je ne vois aucune raison valable, et aucune n'a été présentée, expliquant pourquoi on n'a pu prévoir un meilleur délai pour l'audition de la requête en vue d'un sursis, et pourquoi on a créé cette situation d'urgence inutile. En conséquence, j'accorde des dépens de 1 000 $.

         Pour ces motifs, la requête présentée à la Cour pour qu'elle sursoie au renvoi de l'appelant, prévu pour aujourd'hui à 17 h 50, est accueillie, avec dépens, fixés à 1 000 $.

     Gilles Létourneau

     J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOM DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                      A-149-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :              Dawod Noori Said c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE :                  Ottawa/Toronto via téléconférence
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 30 avril 1999

MOTIFS DU JUGEMENT DE M. LE JUGE LÉTOURNEAU

EN DATE DU :                      30 avril 1999

ONT COMPARU :                     

M. Ron Poulton                      pour l'appelant

Md. Sally Thomas                      pour l'intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :         

Jackman Waldman & Associates              pour l'appelant

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                      pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

__________________

1      Sivakumar c. Canada, [1996] 2 C.F 872, à la p. 880. Voir également Suresh c. R. (1998) 38 O.R. (3d), p. 267.

2      [1994] 1 R.C.S. 311, à la p. 346.

3      Voir la décision du juge Rothstein dans les dossiers IMM-169-98 et 170-98, aux pp. 18 et 19.

4      [1994] 1 R.C.S. 311, à la p. 346.

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