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Date : 20040126

Dossier : A-114-03

Référence : 2004 CAF 38

CORAM :       LE JUGE STRAYER

LE JUGE SEXTON

LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                                    SAMUEL KWABENA OWUSU

                                                                                                                                               appelant

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                   intimé

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 26 janvier 2004

Jugement rendu à l'audience à Toronto (Ontario), le 26 janvier 2004

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                      LE JUGE EVANS


Date : 20040126

Dossier : A-114-03

Référence : 2004 CAF 38

CORAM :       LE JUGE STRAYER

LE JUGE SEXTON

LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                                    SAMUEL KWABENA OWUSU

                                                                                                                                               appelant

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                   intimé

                                           MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l'audience à Toronto (Ontario), le 26 janvier 2004)

LE JUGE EVANS

[1]                Samuel Owusu, un citoyen du Ghana, est entré au Canada en 1991. Il demeure au pays depuis lors. Il a revendiqué sans succès le statut de réfugié. En 1999, il a demandé le statut de résident permanent pour des raisons d'ordre humanitaire. Cependant, en 2001, sa demande a été rejetée.


[2]                M. Owusu a demandé le contrôle judiciaire de la décision mais sa demande a été rejetée : Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 94. M. Owusu interjette appel de cette décision. La présente action a été instituée en vertu de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, aujourd'hui abrogée.

[3]                Le juge a décidé que l'agente d'immigration avait commis une erreur de droit en rejetant la demande pour des raisons d'ordre humanitaire de M. Owusu, au motif qu'elle ne s'était pas suffisamment intéressée à l'intérêt supérieur des enfants qui avaient toujours vécu avec la femme de l'appelant, leur mère, au Ghana. Néanmoins, le juge a décidé de ne pas annuler la décision pour deux motifs. Premièrement, M. Owusu avait omis, pour des raisons inconnues, de déposer une preuve étayant l'allégation selon laquelle son expulsion au Ghana serait contraire à l'intérêt supérieur de ses enfants puisqu'il ne pourrait pas se trouver du travail et subvenir à leurs besoins pécuniaires. Deuxièmement, si l'affaire était renvoyée devant un autre agent pour que ce dernier prenne une décision en se fondant sur les mêmes éléments, il était certain que la demande serait rejetée.

[4]                Selon nous, le juge saisi de la demande a eu raison de la rejeter mais pour les motifs énumérés ci-après.


[5]                L'agent d'immigration qui examine une demande pour des raisons d'ordre humanitaire doit être « réceptif, attentif et sensible » à l'intérêt supérieur des enfants, sur lesquels l'expulsion du père ou de la mère peut avoir des conséquences préjudiciables, et il ne doit pas « minimiser » cet intérêt : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 75. Toutefois, l'obligation n'existe que lorsqu'il apparaît suffisamment clairement des documents qui ont été soumis au décideur, qu'une demande repose, du moins en partie, sur ce facteur. De surcroît, le demandeur a le fardeau de prouver toute allégation sur laquelle il fonde sa demande pour des raisons humanitaires. Par voie de conséquence, si un demandeur ne soumet aucune preuve à l'appui de son allégation, l'agent est en droit de conclure qu'elle n'est pas fondée.

[6]                L'avocat qui représentait M. Owusu au moment où il a présenté sa demande pour des raisons d'ordre humanitaire a soumis une lettre de sept pages à simple interligne. Il n'y mentionne les enfants qu'une seule fois, à la page 4 :

[traduction] S'il [M. Owusu] était forcé de retourner au Ghana, il n'aurait aucun moyen de subvenir aux besoins pécuniaires de sa famille et il vivrait dans un état de peur constante chaque jour de sa vie. [Non souligné dans l'original.]

Pour convaincre l'agente d'immigration d'exercer, en sa faveur, le pouvoir discrétionnaire que lui confère la loi, M. Owusu a mentionné principalement sa crainte de représailles au Ghana à cause de ses activités et associations politiques avant qu'il quitte le pays, le fait qu'il se soit établi avec succès au Canada où il vit depuis 1991, qu'il y travaille sans interruption depuis 1993 et qu'il se soit bien intégré à la société.


[7]                M. Owusu fait maintenant valoir que, depuis qu'il vit au Canada, il subvient aux besoins pécuniaires de ses enfants qui sont à sa charge et qu'il est en mesure de prouver qu'il leur a fait parvenir de l'argent régulièrement. Malheureusement, l'agente d'immigration n'était pas au courant de ces faits quand elle a pris sa décision. Apparemment, l'avocat de M. Owusu croyait que les principaux motifs sur lesquels la demande pour des raisons d'ordre humanitaire était fondée étaient suffisants pour obtenir une décision favorable et qu'en tout état de cause, M. Owusu serait convoqué à une entrevue au cours de laquelle il pourrait présenter des documents établissant qu'il subvenait aux besoins de ses enfants.

[8]                Le demandeur qui invoque des raisons d'ordre humanitaire n'a pas un droit d'être interviewé ni même une attente légitime à cet égard. Et, puisque le demandeur a le fardeau de présenter les faits sur lesquels sa demande repose, c'est à ses risques et périls qu'il omet des renseignements pertinents dans ses observations écrites. Selon nous, dans sa demande pour des raisons humanitaires, M. Owusu n'a pas suffisamment insisté sur les répercussions de son expulsion potentielle sur l'intérêt supérieur de ses enfants de manière à ce que l'agente n'ait d'autre choix que d'en tenir compte.

[9]                La moitié de phrase de la page quatre de la lettre de sept pages citée plus haut (au paragraphe [6]) qui dit uniquement que M. Owusu ne serait pas en mesure de faire vivre sa famille s'il était expulsé est trop indirecte, succincte et obscure pour imposer une obligation positive à l'agente de s'enquérir davantage sur l'intérêt supérieur des enfants. La lettre ne mentionnait pas que M. Owusu faisait vivre ses enfants avec l'argent qu'il gagnait au Canada et que ces enfants dépendaient financièrement de lui et seraient privés de cet appui s'il était expulsé. De plus, l'agente n'a été saisie d'aucune preuve de l'un ou l'autre de ces faits.


[10]            L'avocat a fait valoir que l'agente aurait dû comprendre, en lisant la lettre, que les enfants de M. Owusu seraient privés du soutien économique dont ils dépendaient si leur père était expulsé. Dans les circonstances en cause, on ne peut reprocher à l'agente de ne pas avoir tiré cette conclusion. Ainsi, l'agente n'a commis aucune erreur en rejetant la demande pour des raisons d'ordre humanitaire sans avoir analysé les répercussions probables de sa décision sur les enfants de M. Owusu.

[11]            Nous ne sommes pas non plus convaincus que même si elle a, à tort, affirmé que la mère de M. Owusu vivait au Ghana au moment de sa décision, l'agente a commis une erreur susceptible de contrôle en supposant, à la lecture de la demande pour des raisons humanitaires, que M. Owusu avait plus de liens avec le Ghana où vivaient sa femme et ses enfants qu'avec le Canada, même s'il y vivait depuis dix ans.

[12]            Comme l'agente d'immigration n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle en rejetant la demande pour des raisons d'ordre humanitaire de M. Owusu, la Cour ne saurait intervenir. Dans une demande de contrôle judiciaire, il n'appartient pas à la Cour de substituer son opinion sur le bien-fondé d'une demande pour des motifs humanitaires à celle du décideur prévu par la loi, même si, au vu du dossier, la demande de statut de résident permanent de M. Owusu, présentée au pays, pour des motifs humanitaires, pourrait s'avérer bien fondée.


[13]            Notre décision de rejeter l'appel ne doit pas être interprétée comme une confirmation de l'opinion du juge de première instance selon laquelle l'obligation de l'agent d'immigration de tenir compte de l'intérêt supérieur des enfants d'une personne qui fonde sa demande sur des motifs humanitaires intervient lorsque les enfants en cause ne sont pas au Canada et n'y sont jamais venus. Cette question, par ailleurs intéressante, n'est pas soulevée dans le cadre d'une décision relative aux faits en l'espèce et il faudra attendre que les faits exigent qu'elle soit tranchée.

[14]            Nous constatons toutefois qu'au paragraphe 5 de l'arrêt Baker, la Cour suprême du Canada dit que l'agent d'immigration savait que quatre des enfants de Mme Baker vivaient en Jamaïque et que quatre autres vivaient au Canada. Toutefois, la Cour n'a pas mentionné les quatre enfants qui vivaient en Jamaïque et elle n'a pas non plus présenté ses observations sur le fait que l'agent d'immigration avait ou n'avait pas tenu compte de l'intérêt supérieur des enfants qui ne résidaient pas au Canada.                     

[15]            Il n'est pas non plus nécessaire, selon nous, d'examiner la question de savoir si le juge a eu raison de conclure, comme il l'a fait, que si l'agente d'immigration avait commis une erreur en ne tenant pas compte de l'intérêt supérieur des enfants, la question pouvait être renvoyée à un autre agent pour qu'il prenne une nouvelle décision en tenant compte des documents dont l'agente d'immigration était saisie quand elle a pris la décision visée par le contrôle en l'espèce.

[16]            Il n'est donc pas nécessaire de répondre à la question certifiée par le juge de première instance et nous n'y répondrons pas :


Lorsque, comme en l'espèce, le juge de première instance conclut en l'existence d'une erreur révisable dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire d'une décision mettant en cause l'intérêt supérieur d'un enfant ou d'enfants, le juge de première instance est-il tenu d'annuler la décision sous examen et de renvoyer l'affaire pour nouvel examen et nouvelle décision se fondant non seulement sur le dossier dont était saisie la personne de qui la décision est annulée, mais aussi sur toute nouvelle preuve ou argumentation que le demandeur pourrait décider de soumettre à la personne qui procède à un nouvel examen et statue de nouveau sur l'affaire?

[17]            Pour ces motifs, l'appel sera rejeté.

                                                     

                                                                                « John M. Evans »               

                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     A-114-03

INTITULÉ :                                                    SAMUEL KWABENA OWU

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 26 JANVIER 2004

MOTIFS DU JUGEMENT

DE LA COUR :                                               (LES JUGES STRAYER, SEXTON ET EVANS)

PRONONCÉS À L'AUDIENCE

PAR :                                                               LE JUGE EVANS

COMPARUTIONS :

Mark Rosenblatt                                                POUR L'APPELANT

Ann-Margaret Oberst                                        POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mark Rosenblatt                                                POUR L'APPELANT

Avocat

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


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