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Date : 20040406

Dossier : A-156-03

Référence : 2004 CAF 146

CORAM :       LE JUGE SEXTON

LE JUGE EVANS

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                         CHARLES B. LOEWEN

                                                                                                                                                  intimé

                                   Audience tenue à Toronto (Ontario) les 8 et 9 mars 2004

                             Motifs du jugement prononcés à Ottawa (Ontario) le 6 avril 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                              LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE SEXTON

                                                                                                                               LE JUGE EVANS


Date : 20040406

Dossier : A-156-03

Référence : 2004 CAF 146

CORAM :       LE JUGE SEXTON

LE JUGE EVANS

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                         CHARLES B. LOEWEN

                                                                                                                                                  intimé

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW


[1]                La Cour statue sur l'appel interjeté d'un jugement interlocutoire par lequel la Cour canadienne de l'impôt a, dans l'affaire Loewen c. Canada, 2003 D.T.C. 686, [2003] 4 C.T.C. 2143 (C.C.I.), radié certaines parties de la réponse déposée par Sa Majesté pour défendre une cotisation fiscale. Il s'agit d'une de ces affaires récentes dans lesquelles ont été remis en question les principes applicables aux actes de procédure déposés par Sa Majesté dans le cadre d'un appel en matière d'impôt sur le revenu, à la suite de l'arrêt Banque Continentale du Canada c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 358, de la Cour suprême du Canada et de l'adoption subséquente du paragraphe 152(9) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1.

[2]                Je me propose d'aborder en premier lieu certaines questions d'ordre général se rapportant à la jurisprudence pertinente. Je vais ensuite exposer les faits de la présente affaire et examiner les questions soulevées par les parties.

Contexte

[3]                Dans les appels interjetés en matière d'impôt sur le revenu, le débat est circonscrit par les actes de procédure. L'appel d'une cotisation fiscale est introduit par le dépôt d'un « avis d'appel » devant la Cour canadienne de l'impôt. Dans son avis d'appel, le contribuable doit énoncer les faits et les moyens sur lesquels il entend se fonder pour établir que la cotisation est incorrecte. Sa Majesté n'a pas le droit d'interjeter appel d'une cotisation fiscale.

[4]                Sa Majesté répond à l'appel au nom du ministre du Revenu national en déposant une « réponse » . Dans cet acte, Sa Majesté répond à chacune des allégations de fait et à chacun des moyens articulés dans l'avis d'appel et elle énonce également les faits et les moyens sur lesquels elle entend se fonder pour défendre le bien-fondé de la cotisation. (Le contribuable peut ensuite produire une « réplique » , mais il est assez rare qu'il le fasse.)


[5]                Pour chacun des faits allégués dans l'avis d'appel, Sa Majesté indique, dans sa réponse, si elle admet ce fait, si elle le nie ou si elle l'ignore. La réponse reproduit aussi, habituellement en un seul paragraphe, les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'est fondé pour établir la cotisation frappée d'appel.

[6]                La cotisation est la méthode employée par le ministre pour calculer le montant de l'impôt payable par le contribuable (Pure Spring Co. c . Minister of National Revenue, [1946] R.C. de l'Éch. 471, [1946] C.T.C. 169, (1946) 2 D.T.C. 844). La cotisation initiale du contribuable pour une année d'imposition est habituellement établie en fonction des revenus déclarés par le contribuable dans sa déclaration fiscale. Il est possible de faire appel d'une cotisation initiale, mais la plupart des appels portent sur de nouvelles cotisations, dans lesquelles le ministre réclame un complément d'impôt pour tenir compte de certains changements survenus dans le revenu imposable du contribuable. On emploie le mot « cotisation » pour désigner tant la cotisation initiale que la nouvelle cotisation.


[7]                La base d'imposition utilisée pour établir la cotisation est un fait historique; elle est immuable. La base d'imposition - ou fondement - de la nouvelle cotisation comprend normalement tous les faits se rapportant à l'augmentation du revenu imposable du contribuable, tels que le ministre les a perçus lorsqu'il a établi la nouvelle cotisation. Elle comprend aussi la façon dont le ministre a appliqué le droit aux faits de l'espèce lorsqu'il a établi la nouvelle cotisation, ainsi que toute conclusion de droit qui a pu influencer l'application du droit aux faits. Dans bien des cas, le fondement factuel de la cotisation consiste en une opération déterminée ou une série d'opérations, mais il peut aussi être constitué, par exemple, de faits se rapportant au domicile du contribuable ou d'autres personnes, au statut personnel ou juridique du contribuable ou d'autres personnes ou à la nature de l'activité exercée ou de l'entreprise exploitée par une personne.

[8]                Les hypothèses de fait du ministre qui sont énoncées dans les actes de procédure de Sa Majesté sont tenues pour avérées à moins qu'elles ne soient réfutées ou qu'il ne soit démontré que le ministre n'a pas formulé les hypothèses qu'on lui impute. Il incombe au contribuable de démontrer que les hypothèses du ministre sont fausses ou encore que celui-ci ne les a jamais formulées. Il est par ailleurs loisible au contribuable d'invoquer des arguments pour tenter d'établir que, même si les faits présumés sont véridiques, ils ne justifient pas en droit la cotisation qui a été établie (Johnston c. Minister of National Revenue, [1948] R.C.S. 486, [1948] C.T.C. 195, (1948) 3 D.T.C. 1182; Canada (Minister of National Revenue) c. Pillsbury Holdings Ltd., [1965] 1 R.C. de l'Éch. 676, [1964] C.T.C. 294, 64 D.T.C. 5184 (Cour de l'Éch.)).

[9]                Sa Majesté est tenue de s'assurer que le paragraphe dans lequel les hypothèses sont formulées est clair et exact. Ainsi, Sa Majesté ne peut affirmer que le ministre a tenu pour acquis, lorsqu'il a établi la cotisation, qu'une voiture déterminée était de couleur verte tout en affirmant en même temps que cette voiture était rouge, parce qu'il est impossible que le ministre ait formulé ces deux hypothèses en même temps (Brewster c. La Reine, 76 D.T.C. 6046, [1976] C.T.C. 107 (C.F. 1re inst.)).


[10]            Il n'est pas non plus loisible à Sa Majesté de plaider que le ministre a retenu une certaine hypothèse lorsqu'il a établi la cotisation, alors qu'en fait cette hypothèse n'a été formulée que par la suite lorsque, par exemple, le ministre a confirmé la cotisation à la suite d'un avis d'opposition. Sa Majesté peut toutefois plaider que le ministre a, lorsqu'il a établi la nouvelle cotisation, retenu une hypothèse qui n'avait pas été formulée lorsque la première cotisation a été établie (Anchor Pointe Energy Ltd. c. Canada, 2003 D.T.C. 5512 (C.A.F.)).

[11]            Les contraintes imposées au ministre lorsqu'il invoque des hypothèses n'empêchent cependant pas Sa Majesté de soulever, ailleurs dans la réponse, des allégations de fait et des moyens de droit qui sont étrangers au fondement de la cotisation. Si Sa Majesté allègue un fait qui ne fait pas partie des faits présumés par le ministre, la charge de la preuve repose sur elle. Ce principe est bien expliqué dans la décision Schultz c. Canada, [1996] 1 C.F. 423, [1996] 2 C.T.C. 127, 95 D.T.C. 5657 (C.A.F.) (autorisation d'appel refusée [1996] A.C.S.C. no 4).

[12]            Dans l'affaire Schultz, le ministre avait tenu pour acquis que deux particuliers avaient agi comme mandataires l'un de l'autre. Toutefois, devant la Cour de l'impôt, Sa Majesté a fait valoir, à titre subsidiaire, que les particuliers en question avaient mis sur pied une entreprise conjointe ou une société de personnes. La Cour de l'impôt a conclu qu'ils étaient des associés. Devant la Cour d'appel fédérale, les appelants faisaient notamment valoir qu'il n'était pas permis à Sa Majesté de défendre les cotisations au motif que les particuliers en question étaient des associés parce que, ce faisant, Sa Majesté modifiait le fondement sur lequel reposait la cotisation. La Cour a jugé cet argument mal fondé pour les motifs que le juge Stone a exposés au nom de la Cour ([1996] 1 C.F., aux pages 435 à 437) :



Les appelants prétendent que le ministre ne pouvait pas modifier la base sur laquelle reposaient ses cotisations et passer ainsi de l'existence d'un mandat à celle d'une société de personnes. Selon eux, agir ainsi équivaudrait à prélever de nouvelles cotisations au-delà du délai prévu par le paragraphe 152(4) [mod. par S.C. 1984, ch. 1, art. 84; idem, ch. 45, art. 59; 1985, ch. 45, art. 126] de la Loi et serait préjudiciable et injuste à leur endroit.

Si je ne m'abuse, lorsqu'il établit une cotisation, le ministre n'est pas en toutes circonstances limité aux hypothèses qu'il formule. Dans l'arrêt Johnston c. Minister of National Revenue, [1948] R.C.S. 486, qui fait autorité, le juge Rand, s'exprimant au nom de la majorité, a déclaré à la page 489:

            [TRADUCTION] ... et comme l'impôt est fondé sur certains faits et certaines dispositions législatives, ce sont soit les faits en question soit l'application de la loi que l'on conteste. N'importe quel fait que détermine ou que suppose l'évaluateur ou le ministre doit donc être accepté de la façon dont ces personnes en ont traité, à moins que la partie appelante le mette en doute. Si le contribuable en l'espèce avait l'intention de contester le fait qu'il subvenait aux besoins de son épouse ... il aurait dû soulever la question dans ses actes de procédure, et il lui aurait incombé, comme à tout autre appelant, de faire la preuve que la conclusion tirée en première instance n'était pas justifiée. À cette fin, le contribuable pourrait soumettre des éléments de preuve à la Cour même s'ils n'ont pas été présentés à l'évaluateur ou au ministre, mais il lui incombait de démolir le fait fondamental sur lequel l'impôt reposait.

Depuis cet arrêt, la Cour de l'échiquier et la Section de première instance de la Cour ont eu l'occasion de se pencher sur la place et l'importance des hypothèses formulées par le ministre dans des litiges en matière fiscale : M.N.R. c. Pillsbury Holdings Ltd., [1964] C.T.C. 294 (C. de l'Éch.); Brewster, N C c. La Reine, [1976] CTC 107 (C.F. 1re inst.); Tobias (D) c. La Reine, [1978] CTC 113 (C.F. 1re inst.); McLeod (C.) c. M.R.N., [1990] 1 C.T.C. 433 (C.F. 1re inst.).

Selon moi, l'évolution de la jurisprudence en la matière n'empêche pas le ministre d'invoquer une défense subsidiaire devant la Cour canadienne de l'impôt. Il est vrai que dans sa plaidoirie, il est assujetti à certaines restrictions. Par exemple, il ne peut plaider une hypothèse subsidiaire qui aurait pour effet de modifier le fondement sur lequel reposait sa cotisation de sorte qu'il établirait une cotisation entièrement nouvelle. À mon avis, dans les affaires qui nous intéressent, le ministre n'a pas ainsi modifié le fondement de ses cotisations. Il a simplement tiré des conséquences juridiques différentes du même ensemble de faits en alléguant qu'à défaut de démontrer l'existence d'un rapport découlant d'un mandat, ces faits démontraient l'existence d'une entreprise conjointe ou d'une société de personnes. Même si on pouvait affirmer que le ministre a allégué de nouveaux « faits » en faisant valoir sa thèse subsidiaire, le droit, tel qu'il a évolué, lui permet de le faire, mais lui impose le fardeau de la preuve de ces faits : Pillsbury, précité, à la page 302; Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1993] 1 C.T.C. 2306 (C.C.I.), aux pages 2310 et 2311. La même opinion est exprimée implicitement dans Wise (M.) et autres c. La Reine, [1986] 1 C.T.C. 169 (C.A.F.) où le juge Pratte, J.C.A., déclare, à la page 170 :

            Il est établi que le Ministre avait, dans le présent cas, le fardeau d'établir l'exactitude des cotisations puisqu'il tentait de les étayer sur la foi de motifs qui différaient de ceux sur lesquels elle reposait.

Par conséquent, l'intimée avait à mon avis tout à fait le droit d'invoquer comme moyen subsidiaire l'entreprise conjointe ou la société de personnes et, en conséquence, le juge de la Cour de l'impôt avait compétence pour étudier cette question. Je ne suis pas convaincu qu'en se fondant sur ce moyen subsidiaire, le ministre a en réalité établi des cotisations entièrement nouvelles et ainsi porté préjudice aux appelants.

[13]            Il existe un autre courant jurisprudentiel dans lequel sont posés les principes suivant lesquels il est loisible à Sa Majesté de défendre une cotisation en faisant valoir des arguments de droit qui ne faisaient pas partie de ceux qui avaient été invoqués pour justifier la cotisation. En règle générale, ces nouveaux moyens de droit peuvent être invoqués s'ils découlent de la preuve présentée au cours de l'instance qui s'est déroulée devant la Cour de l'impôt. L'étendue de la preuve présentée à la Cour de l'impôt est elle-même limitée par les actes de procédure. Il s'ensuit qu'il est possible d'invoquer de nouveaux arguments juridiques à condition qu'ils découlent des faits articulés dans les actes de procédure, y compris l'avis d'appel, les hypothèses formulées dans la réponse et tout fait complémentaire allégué dans la réponse.


[14]            Tel était l'état du droit au sujet des moyens qu'il était permis à Sa Majesté de faire valoir dans les causes fiscales au moment où la Cour suprême du Canada a statué sur le pourvoi formé dans l'affaire Banque Continentale. La Banque Continentale possédait une filiale de crédit-bail (Continental Bank Leasing) qui était propriétaire de certains éléments d'actif de crédit-bail. Ces éléments d'actif étaient des biens amortissables qui avaient fait l'objet d'une déduction pour amortissement. Si Continental Bank Leasing s'était contentée de vendre le bien amortissable, elle aurait été imposée sur le revenu provenant de la récupération de la déduction pour amortissement. Pour éviter ce résultat, Continental Bank Leasing a, par le biais d'un transfert libre d'impôt, transféré le bien amortissable à une société en nom collectif dont elle faisait partie. Continental Bank Leasing a ensuite transféré sa participation dans cette société à la Banque Continentale au moyen d'un autre transfert libre d'impôt. La participation de la Banque Continentale a été acquise par un tiers, de sorte que la Banque Continentale a réalisé un gain en capital imposable.

[15]            Le ministre a imposé Continental Bank Leasing en partant du principe qu'il n'y avait pas de société en nom collectif et que Continental Bank Leasing avait disposé du bien amortissable en le transférant directement au tiers en question. Pour plus de sûreté, le ministre a également imposé la Banque Continentale en invoquant le motif subsidiaire que la Banque avait réalisé un revenu (et non un gain en capital) lors de la disposition de la participation dans la société. Il semble qu'il était entendu que la nouvelle cotisation établie à l'égard de la Banque Continentale serait annulée si la cotisation de Continental Bank Leasing était jugée bien fondée. Les deux cotisations ont été portées en appel et les deux affaires ont été instruites conjointement tant au niveau de la Cour canadienne de l'impôt qu'à celui de la Cour d'appel fédérale et de la Cour suprême du Canada.


[16]            Au moment où la Cour suprême du Canada a été saisie de l'affaire, le débat tournait essentiellement autour de la question de savoir si la société en nom collectif avait été valablement constituée en droit. Les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada ont estimé que la société en nom collectif était valide. L'appel interjeté par Continental Bank Leasing de la cotisation fiscale a par conséquent été accueilli. Il fallait donc examiner le bien-fondé de la cotisation de la Banque Continentale (la question qui se posait étant celle de savoir si le profit qu'elle avait réalisé lors de la disposition de sa participation dans la société en nom collectif constituait un gain en capital ou un revenu). La Cour a estimé que la Banque Continentale avait réalisé un gain en capital.

[17]            Devant la Cour suprême du Canada, Sa Majesté a avancé pour la première fois une nouvelle thèse au sujet de l'ensemble des opérations en cause. Elle a soutenu que c'était la Banque Continentale, et non Continental Bank Leasing, qui avait transféré le bien amortissable au tiers. La juge McLachlin (devenue par la suite juge en chef), qui s'exprimait au nom des juges majoritaires, a écarté cet argument pour les motifs qu'elle a exposés aux paragraphes 18 et 19 (on se souviendra que les juges majoritaires avaient conclu à la validité de la société en nom collectif) :


[18] [...] Le ministre ne peut prétendre que la Banque ne pouvait pas transférer sa participation à cette étape. Il doit reconnaître que le transfert a eu lieu parce que la cotisation qu'il a établie à l'égard de la Banque reposait sur l'hypothèse que cette dernière avait disposé de sa participation dans la société en nom collectif. Je suis d'accord avec le juge Bastarache pour dire que ne peut être retenu l'argument du ministre - soulevé pour la première fois devant notre Cour - que la Banque a vendu des éléments d'actif de crédit-bail amortissables ou encore que celle-ci était par ailleurs imposable à l'égard de la récupération de la déduction pour amortissement en application du par. 88(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, et ses modifications. Le ministre ne saurait être autorisé à avancer un nouveau fondement pour justifier une nouvelle cotisation après l'expiration du délai prévu à cette fin.

[19] Sur le fondement qu'elle avait disposé de sa participation dans la société en nom collectif, la Banque a à juste titre déclaré le produit de cette disposition en tant que gain en capital. Je rejetterais donc le second pourvoi avec dépens [...]

[18]            Le juge Bastarache a écrit au nom des juges minoritaires, pour lesquels la société en nom collectif n'était pas valide. Il explique aux paragraphes 10 à 13 les raisons pour lesquelles il estime que Sa Majesté ne pouvait pas avancer une nouvelle thèse :



[10] Le délai prévu par la Loi pour établir une cotisation à l'égard d'un contribuable est de quatre ans à compter de la délivrance par Revenu Canada d'un avis de nouvelle cotisation (par. 152(3.1) et 152(4) de la Loi). Par conséquent, le ministre avait jusqu'au 12 octobre 1993 pour envoyer à la Banque une nouvelle cotisation à l'égard de la récupération de la déduction pour amortissement. La Couronne n'est pas autorisée à invoquer un nouveau fondement pour justifier une nouvelle cotisation après l'expiration du délai prévu à cette fin. La bonne façon d'aborder cette question a été énoncée dans la décision La Reine c. McLeod, 90 D.T.C. 6281 (C.F. 1re inst.), à la p. 6286. Dans cette affaire, la cour a rejeté la requête de la Couronne, qui sollicitait l'autorisation de modifier ses actes de procédure pour fonder sur une nouvelle base dans la Loi la cotisation établie par Revenu Canada. La cour a refusé l'autorisation pour le motif que le désir de la Couronne d'invoquer un nouvel article de la Loi était, en fait, une tentative en vue de changer le fondement de la cotisation faisant l'objet de l'appel, ce qui « reviendrait à permettre au ministre d'en appeler de sa propre cotisation, notion qui a été expressément rejetée par les tribunaux » . De même, la Cour d'appel fédérale a qualifié de telles tentatives de la part de la Couronne de « tentative[s] tardive[s] de donner un nouveau fondement à la cause de l'appelante » (British Columbia Telephone Co. c. Ministre du Revenu national (1994), 167 N.R. 112, à la p. 116).

[11] L'appelante aurait pu - soit lorsqu'elle a délivré à l'intimée l'avis de nouvelle cotisation le 12 octobre 1989, soit à tout autre moment avant l'expiration du délai dont elle disposait pour établir une nouvelle cotisation - établir une cotisation sur la base que l'intimée était imposable à l'égard de la récupération de la déduction pour amortissement. L'appelante a toutefois choisi de ne pas le faire et elle ne peut être autorisée, onze ans plus tard, à modifier la cotisation. L'appelante a soutenu que l'obligation de l'intimée à l'égard de la cotisation fondée sur le par. 13(1) est un motif subsidiaire justifiant la cotisation précédente, et non une nouvelle cotisation. Selon l'appelante, puisque l'obligation relative à la récupération fondée sur le par. 13(1) ne peut être imposée que s'il est jugé, dans l'affaire Leasing, que Leasing n'était pas le vendeur des éléments d'actif vendus à Central, l'établissement d'une nouvelle cotisation sur cette base est simplement une conclusion de droit découlant de l'application correcte de la Loi.

[12] Accepter cette qualification faite par l'appelante aboutirait, dans les faits, à une situation où la Couronne serait autorisée à avancer de nouveaux arguments simplement parce que ceux qu'elle a présentés aux juridictions inférieures n'ont pas été retenus. Contrairement à ce qu'avait fait le ministre dans l'affaire Ministre du Revenu national c. Riendeau (C.A.F.), le ministre n'a jamais voulu, en l'espèce, modifier, corriger ou redélivrer la nouvelle cotisation établie à l'égard de la Banque pour y inclure une obligation relative à la récupération de l'amortissement en vertu de l'al. 88(1)f) de la Loi. En outre, en affirmant qu'il s'agit d'un argument subsidiaire, l'appelante ne tient pas compte du fait que Leasing et la Banque sont deux contribuables distincts. Ce que le ministre cherche à faire, c'est substituer une cotisation établie à l'égard d'un contribuable donné à une cotisation établie à l'égard d'un autre contribuable, parce que la première cotisation n'a pas porté fruit.

[13] Les contribuables doivent savoir sur quelle base repose la cotisation qui leur est transmise afin de pouvoir présenter les éléments de preuve appropriés pour la contester. En l'espèce, il n'est pas évident que les faits étayent l'établissement d'une nouvelle cotisation sur la base invoquée par l'appelante. Par exemple, la valeur du fonds commercial rattaché à l'entreprise de location de la Banque, qui a été transféré à Central en décembre 1986, pourrait avoir une incidence sur la nouvelle demande de l'appelante fondée sur la récupération de l'amortissement par la Banque. Il n'est pas possible de déterminer dans quelle mesure la Banque pourrait par ailleurs être imposable à l'égard de la récupération de l'amortissement, ni de fixer son revenu aux fins de l'impôt, à moins de pouvoir répartir correctement le prix d'acquisition payé par Central entre le fonds commercial d'une part et les éléments d'actif de crédit-bail d'autre part. Parce que la Banque n'a pas été imposée à l'égard de la récupération de l'amortissement, la preuve relative à la répartition du prix d'acquisition n'a pas été présentée en première instance. Pour pouvoir permettre à l'appelante d'établir une nouvelle cotisation en l'absence de conclusions de fait tirées en première instance, notre Cour devrait se transformer en tribunal de première instance à l'égard de la nouvelle demande.

[14] Comme je l'ai indiqué précédemment, il n'était pas nécessaire, vu la décision rendue dans l'affaire Leasing, d'aborder les questions soulevées dans le présent pourvoi. Je suis d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

[19]            Le droit de Sa Majesté d'avancer un nouvel argument pour justifier l'établissement d'une cotisation est maintenant régi par le paragraphe 152(9) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui s'applique aux appels jugés après le 17 juin 1999 (Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, L.C. 1999, ch. 22, paragraphe 63.1(2)). Voici le libellé du paragraphe 152(9) :

152(9) Le ministre peut avancer un nouvel argument à l'appui d'une cotisation après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation, sauf si, sur appel interjeté en vertu de la présente loi :

152 (9) The Minister may advance an alternative argument in support of an assessment at any time after the normal reassessment period unless, on an appel under this Act

a) d'une part, il existe des éléments de preuve que le contribuable n'est plus en mesure de produire sans l'autorisation du tribunal;

(a) there is relevant evidence that the taxpayer is no longer able to adduce without the leave of the court; and

b) d'autre part, il ne convient pas que le tribunal ordonne la production des éléments de preuve dans les circonstances.

(b) it is not appropriate in the circumstances for the court to order that the evidence be adduced.

[20]            Le paragraphe 152(9) a été édicté en réponse à l'arrêt Banque Continentale (précité) de la Cour suprême du Canada. Le législateur fédéral craignait vraisemblablement que l'arrêt Banque Continentale soit interprété comme imposant des limites déraisonnables au droit de Sa Majesté de défendre ses cotisations fiscales.


[21]            Suivant mon interprétation du paragraphe 152(9), l'expiration du délai normalement prévu pour établir une nouvelle cotisation n'empêche pas Sa Majesté de défendre sa cotisation en invoquant quelque motif que ce soit, sous réserve uniquement des alinéas 152(9)a) et b). Les alinéas 152(9)a) et b) évoquent le préjudice que pourrait subir le contribuable si l'on permettait à Sa Majesté de formuler de nouvelles allégations factuelles de nombreuses années après les faits.

[22]            Parmi les nouveaux arguments que Sa Majesté pourraient invoquer en vertu du paragraphe 152(9), on pourrait songer par exemple à un argument qui justifierait l'établissement d'une cotisation qui excède le montant imposé. Toutefois, le paragraphe 152(9) ne dispense pas le ministre des exigences du paragraphe 152(4), qui fixe une date-limite pour l'établissement d'une nouvelle cotisation. En conséquence, le ministre ne peut se servir d'un argument fondé sur le paragraphe 152(9) pour établir une nouvelle cotisation après l'expiration du délai prévu au paragraphe 152(4) ou encore pour percevoir un impôt supérieur à celui qui était fixé dans la cotisation frappée d'appel.

Les faits

[23]            En 1993, M. Loewen a acquis, avec d'autres personnes, un logiciel connu sous le nom de « AIRS II » . La compagnie venderesse, AIRS II Inc., avait elle-même acquis ce logiciel d'une compagnie appelée Arachnae Management Limited. La participation de M. Loewen dans le logiciel était une participation indivise de 6,25 %.


[24]            Suivant les documents dans lesquels seraient stipulées les conditions auxquelles M. Loewen et les autres copropriétaires ont acquis le logiciel, le prix d'achat était de huit millions de dollars. Il est acquis aux débats qu'à la fin de 1994, M. Loewen avait versé 150 000 $ à valoir sur le prix d'achat de sa participation. La thèse de M. Loewen est que, selon les conditions auxquelles il a acquis sa participation dans le logiciel, le prix d'achat total de sa participation s'élevait à 500 000 $ (6,25 % de huit millions de dollars), dont il restait 350 000 $ à payer conformément aux conditions stipulées dans un billet. M. Loewen soutient également que le logiciel est un bien amortissable de la catégorie 12.

[25]            Si la thèse de M. Loewen est juste, il a le droit de réclamer des déductions pour amortissement pour un total de 500 000 $ en 1993 et au cours des années subséquentes. La déduction à laquelle il a droit pour 1993 est limitée à 250 000 $ en raison de la règle de la « demi-année » prévue au paragraphe 1100(2) du Règlement de l'impôt sur le revenu, C.R.C. 1978, ch. 945.

[26]            Lorsque M. Loewen a produit sa déclaration de revenus de 1993 et de 1994, il a réclamé une déduction pour amortissement de 250 000 $ pour 1993 et de 250 000 $ pour 1994 au titre de la participation qu'il détenait dans le logiciel. La déduction de 1994 a donné lieu, pour l'année en question, à une perte autre qu'une perte en capital de 32 802 $ qu'il a reportée sur 1995. Il est acquis aux débats que le délai normal prévu pour établir une nouvelle cotisation pour 1993 et 1994 a expiré le 21 avril 2001.


[27]            Les déclarations de revenus produites par M. Loewen pour les années 1993, 1994 et 1995 ont fait l'objet d'une vérification. Cette vérification s'est soldée par l'établissement de nouvelles cotisations portant la date du 27 février 2001. À l'époque, le ministre acceptait que M. Loewen avait acquis une participation de 6,25 % dans le logiciel et que le logiciel en question constituait un bien amortissable de la catégorie 12. Le ministre a cependant conclu que la valeur du logiciel au moment de son acquisition par M. Loewen et par les autres copropriétaires s'établissait à 1 600 000 $ plutôt qu'à 8 000 000 $ et que le logiciel n'était pas prêt à être mis en service avant 1994.

[28]            Il semble que ces conclusions de fait ont amené le ministre à établir une nouvelle cotisation à partir du raisonnement suivant :

(1) Aux termes de l'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui ne permet que les déductions jugées « raisonnables » , les déductions pour amortissement totales dont M. Loewen pouvait se prévaloir au titre de sa participation dans le logiciel ne pouvaient excéder sa juste valeur marchande (6,25 % de 1 600 000 $, soit 100 000 $).

(2) M. Loewen n'avait droit à aucune déduction pour amortissement pour 1993 parce que le logiciel n'était pas prêt à être mis en service en 1993. La déduction pour amortissement de 250 000 $ réclamée pour 1993 devait donc être ramenée à zéro.

(3) Le logiciel était prêt à être mis en service en 1994. Toutefois, la déduction pour amortissement que M. Loewen était autorisé à réclamer pour 1994 ne peut excéder 50 000 $ en raison de la règle de la demi-année énoncée au paragraphe 1100(2) du Règlement. La déduction pour amortissement que M. Loewen a réclamée pour 1994 devrait donc être ramenée de 250 000 $, la somme qu'il a réclamée, à 50 000 $.

(4) Bien qu'il soit loisible à M. Loewen de réclamer une déduction pour amortissement de 50 000 $ pour 1995, cette déduction ne peut être autorisée parce que M. Loewen n'a pas réclamé de déduction pour amortissement pour l'année en question.

(5) Par suite de tous ces rajustements, M. Loewen aurait subi en 1994 une perte autre qu'une perte en capital qu'il pourrait reporter en 1995. La déduction pour perte autre qu'une perte en capital réclamée par M. Loewen devrait être ramenée à zéro.

[29]            Je n'exprime aucune opinion au sujet du bien-fondé des conclusions de fait ou du raisonnement du ministre. Il suffit de dire que le ministre a suivi ce raisonnement pour établir la nouvelle cotisation de M. Loewen le 27 février 2001 pour les années 1993, 1994 et 1995.

[30]            M. Loewen s'est opposé aux nouvelles cotisations en vertu du paragraphe 165(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Comme le ministre n'avait pas confirmé les nouvelles cotisations ou établi une nouvelle cotisation dans les 90 jours, M. Loewen a interjeté appel des nouvelles cotisations devant la Cour canadienne de l'impôt conformément à l'alinéa 69(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu. M. Loewen a déposé son avis d'appel le 19 octobre 2001, et Sa Majesté a déposé sa réponse le 9 janvier 2002.


[31]            En gros, Sa Majesté a invoqué dans sa réponse quatre motifs pour se porter à la défense des nouvelles cotisations. Sur ces quatre motifs, trois se rapportent au prix payé par M. Loewen, sur le plan fiscal, pour acquérir sa participation dans le logiciel. Il est évident que le montant total que M. Loewen peut réclamer à titre de déduction pour amortissement pour sa participation dans le logiciel ne peut en excéder le coût. Si le quatrième motif invoqué par Sa Majesté pour défendre les nouvelles cotisations est jugé bien fondé, M. Loewen n'aurait droit à aucune déduction pour amortissement.

[32]            Dans sa réponse, Sa Majesté avance également des arguments sur la question de savoir si la première année pour laquelle M. Loewen peut réclamer une déduction pour amortissement est l'année 1993 ou l'année 1994. Comme il s'agit simplement d'une question de choix du bon moment et que cette question ne présente aucun intérêt en l'espèce, je n'en tiendrai pas compte dans l'analyse qui suit.


[33]            Moyen de défense tiré du caractère raisonnable. Un des moyens invoqués par Sa Majesté pour défendre les nouvelles cotisations est celui du « caractère raisonnable » . Ce moyen reflète les conclusions de fait et le raisonnement du ministre en date du 27 février 2001. Les allégations de fait qui appuient le moyen tiré du caractère raisonnable sont articulées au paragraphe 15 de la réponse sous forme d'hypothèses de fait retenues par le ministre lors de l'établissement des nouvelles cotisations (le paragraphe des hypothèses). Si le moyen tiré du caractère raisonnable est retenu, il faudra nécessairement conclure que le coût supporté par M. Loewen pour sa participation dans le logiciel ne peut excéder sa juste valeur marchande à la date de l'acquisition, laquelle valeur, selon Sa Majesté, s'établit à 100 000 $. Le total des déductions pour amortissement de M. Loewen serait par conséquent limité à 100 000 $.

[34]            Moyen de défense tiré du lien de dépendance. Le deuxième moyen de défense est celui du lien de dépendance. Il repose sur l'allégation de fait subsidiaire suivant laquelle M. Loewen avait un lien de dépendance avec AIRS II Inc. lorsqu'il a acquis sa participation dans le logiciel. Si cette allégation est fondée, il s'ensuit qu'aux termes de l'article 69 de la Loi de l'impôt sur le revenu, le prix que M. Loewen a payé pour sa participation ne peut, aux fins de l'impôt sur le revenu, excéder sa juste valeur marchande à la date d'acquisition, laquelle, suivant Sa Majesté, se chiffre à 100 000 $. S'il est jugé bien fondé, le moyen de défense tiré de lien de dépendance conduira à exactement la même conclusion que celui qui est fondé sur le caractère raisonnable. Pour établir le bien-fondé du moyen de défense qu'elle tire de l'existence d'un lien de dépendance, Sa Majesté a inclus dans sa réponse la négation de l'assertion de M. Loewen qui, dans son avis d'appel, affirmait qu'il n'avait aucun lien de dépendance avec AIRS II Inc. (paragraphe 2 de la réponse), ainsi que l'allégation de fait suivant laquelle M. Loewen avait un lien de dépendance avec AIRS II Inc. (paragraphe 16 de la réponse, sous la rubrique « faits complémentaires » ) et un renvoi à l'article 69 de la Loi de l'impôt sur le revenu (paragraphe 26 de la réponse, sous la rubrique « Dispositions législatives, moyens invoqués et réparations sollicitées » ).


[35]            Moyen de défense tiré de l'obligation éventuelle. Le troisième moyen de défense invoqué pour défendre les nouvelles cotisations repose sur l'existence d'une obligation éventuelle. Il semble que ce moyen de défense suppose une conclusion sur une question mixte de droit et de fait, en l'occurrence la question de savoir si l'obligation de M. Loewen en ce qui concerne le paiement du solde du prix qu'il aurait payé pour acquérir sa participation dans le logiciel n'est qu'une obligation éventuelle. M. Loewen affirme que le prix d'achat était de 500 000 $. Or, il est acquis aux débats que M. Loewen a payé 150 000 $. S'il est retenu, le moyen de défense tiré de l'obligation éventuelle amènerait à conclure que le prix payé par M. Loewen et, partant, le total de ses déductions pour amortissement, ne peut dépasser 150 000 $. Pour établir le bien-fondé du moyen de défense tiré de l'obligation éventuelle, Sa Majesté a inclus dans sa réponse certaines allégations de fait qui sont censées démontrer qu'un document intitulé « billet » , qui semble constater l'existence d'une dette contractée par M. Loewen pour la solde du prix d'achat, n'est pas ce qu'il semble être (paragraphe 22 de la réponse).

[36]            Moyen de défense tiré de l'absence de but lucratif. Suivant le quatrième moyen de défense, M. Loewen n'a pas acquis sa participation dans le logiciel dans le but de tirer un revenu, de sorte qu'il n'y avait pas d'entreprise ou d'autre source de revenus pouvant justifier une déduction pour amortissement relativement au logiciel. S'il est retenu, ce moyen de défense amènerait à conclure que M. Loewen n'a droit à aucune déduction pour amortissement. Pour établir le bien-fondé de ce moyen de défense, Sa Majesté a reproduit dans sa réponse des extraits des paragraphes 20, 21, 25a, 27 et 28 pour démontrer qu'il n'y avait pas d'entreprise ou de source de revenu, et elle a renvoyé, au paragraphe 26 de sa réponse, à l'alinéa 1102(1)c) du Règlement.


[37]            Le 13 janvier 2003, M. Loewen a déposé un avis de requête en vue d'obtenir une ordonnance radiant la réponse en entier au motif qu'elle constitue « un acte de procédure scandaleux, frivole ou vexatoire ou un abus de procédure » et accueillant l'appel et annulant les cotisations. À titre subsidiaire, M. Loewen réclamait, dans sa requête, une ordonnance radiant en entier la réponse et refusant à Sa Majesté le droit de déposer une nouvelle réponse ou une réponse modifiée. À titre plus subsidiaire encore, M. Loewen réclamait, dans sa requête, une ordonnance radiant tous les passages de la réponse se rapportant au moyen de défense tiré du lien de dépendance, au moyen de défense tiré de l'obligation éventuelle et au moyen de défense tiré de l'absence de but lucratif, au motif que chacun de ces moyens de défense visait une nouvelle cotisation différente de la cotisation frappée d'appel.

[38]            Aux termes de l'ordonnance qu'il a rendue le 14 mars 2003, le juge a accueilli en partie la requête de M. Loewen. Il a refusé de radier le moyen de défense tiré du lien de dépendance ainsi que le moyen de défense tiré de l'obligation éventuelle, mais il a radié le moyen de défense fondé sur l'absence de but lucratif. Le juge a par ailleurs radié les mots « présumé » , « intitulé » , « censément » et « prétendu » partout où ils figuraient dans la réponse.

[39]            Le juge a également accordé à M. Loewen la somme forfaitaire de 2 000 $ à titre de dépens, en précisant que ce montant « devrait être suffisant pour refléter la complexité et la difficulté de la question et le succès obtenu par l'appelant » .


[40]            Sa Majesté a interjeté appel de ce jugement. Elle demande à notre Cour d'annuler l'ordonnance du juge et de rejeter en entier les requêtes de M. Loewen. M. Loewen a formé un appel incident des parties du jugement dans lesquelles le juge a rejeté sa requête en radiation du moyen de défense tiré du lien de dépendance ainsi que le moyen de défense tiré de l'obligation éventuelle.

Appel interjeté par Sa Majesté de la partie de l'ordonnance rejetant le moyen de défense fondé sur l'absence de but lucratif

[41]            Ce moyen d'appel se rapporte aux paragraphes 20, 21, 25a, 27 et 28 de la réponse, ainsi qu'à l'alinéa 1102(1)c) du Règlement cité au paragraphe 26 de la réponse.

[42]            Suivant le paragraphe de la réponse contenant les hypothèses sur lesquelles il s'est fondé, le ministre a estimé, au moment où il a établi la cotisation, que M. Loewen avait acquis le logiciel dans le but d'en tirer un revenu. Le ministre a sans doute formulé cette hypothèse parce que, s'il ne l'avait pas fait, il aurait refusé en entier la déduction pour amortissement. Le moyen de défense tiré de l'absence de but lucratif n'est donc pas compatible avec le fondement de la cotisation.


[43]            Le juge a estimé que ces paragraphes de la réponse équivalaient à une tentative de Sa Majesté de faire valoir de nouveaux arguments pour justifier l'établissement d'une nouvelle cotisation après l'expiration du délai prévu à cette fin et il a conclu que les paragraphes en question devaient, pour cette raison, être radiés. Sa Majesté soutient que le juge a commis une erreur dans la façon dont il a qualifié ces paragraphes. Sa Majesté affirme que les paragraphes 20 et 21 sont des allégations de fait sur lesquelles le ministre ne s'est pas fondé pour formuler ses hypothèses (ce qui signifie seulement en fait qu'il incombe à Sa Majesté d'établir les faits en question) et que les paragraphes 25a, 27 et 28 soulèvent de nouveaux arguments à l'appui de la cotisation, ce que permet le paragraphe 152(9) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le dossier ne renferme aucun élément qui permette de conclure que les exceptions prévues aux alinéas 152(9)a) ou b) s'appliquent. Sa Majesté se fonde surtout sur l'arrêt Anchor Pointe que notre Cour a rendu après le prononcé de la décision du juge de la Cour de l'impôt. L'avocat de M. Loewen affirme qu'il y a lieu de faire une distinction entre la présente espèce et l'affaire Anchor Pointe et que pour de nombreuses autres raisons, le juge a eu raison de radier le moyen de défense tiré de l'absence de but lucratif.


[44]            Dans l'affaire Anchor Pointe, le débat tournait autour de la déductibilité du coût de certaines données sismiques. Anchor Pointe avait fait l'objet d'une nouvelle cotisation visant à ramener le montant de la déduction qu'elle était autorisée à réclamer au titre des données sismiques au montant que le ministre estimait être la juste valeur marchande des données. Au moment de l'établissement de la nouvelle cotisation d'Anchor Pointe, le ministre n'a pas contesté que la déduction satisfaisait au critère du but lucratif de la disposition législative applicable. Or, au moment où la nouvelle cotisation d'Anchor Pointe en était à l'étape de l'opposition, notre Cour a rendu sa décision dans l'affaire Global Communications Ltd. c. Canada, [1999] 3 C.T.C. 537, 99 D.T.C. 5377 (C.A.F.). Dans cette affaire, la Cour était appelée à interpréter le critère législatif du but lucratif dans le cas de déductions qui s'apparentaient à celles que réclamait Anchor Pointe. Le contribuable n'a pas satisfait au critère applicable dans l'affaire Global Communications, de sorte que la Cour a refusé toute déduction.

[45]            Lors du prononcé de l'arrêt Global Communications, il était trop tard pour que le ministre puisse établir une nouvelle cotisation à l'égard d'Anchor Pointe et refuser en entier la déduction en s'autorisant de l'arrêt Global Communications. Le ministre s'est toutefois fondé sur l'arrêt Global Communications pour confirmer la nouvelle cotisation d'Anchor Pointe et, lorsque cette dernière a interjeté appel devant la Cour de l'impôt, Sa Majesté a défendu la nouvelle cotisation en invoquant l'arrêt Global Communications. Anchor Pointe a saisi la Cour de l'impôt d'une requête en vue de faire radier l'argument tiré de l'arrêt Global Communications de l'acte de procédure parce qu'il avait été invoqué après l'expiration du délai normalement prévu pour établir une nouvelle cotisation. La Cour de l'impôt a rejeté cette requête et notre Cour a confirmé cette décision.


[46]            Dans le cas de M. Loewen, Sa Majesté souhaite plaider que M. Loewen n'a pas acquis sa participation dans le logiciel en vue d'en tirer un revenu. Si cet argument est bien fondé, M. Loewen n'aurait pas dû être autorisé à se prévaloir de quelque déduction pour amortissement que ce soit. Comme le délai prévu par la loi est expiré, le ministre ne peut plus établir de nouvelle cotisation pour augmenter la dette fiscale de M. Loewen en diminuant sa déduction pour amortissement. Sa Majesté ne cherche cependant pas à ramener à zéro la déduction pour amortissement; elle veut seulement défendre la nouvelle cotisation par laquelle le ministre a diminué la déduction pour tenir compte de ce qu'il estimait être la juste valeur marchande de la participation de M. Loewen dans le logiciel. C'est essentiellement ce que Sa Majesté a été autorisée à faire dans l'affaire Anchor Pointe.

[47]            L'avocat de M. Loewen affirme que l'arrêt Anchor Pointe n'est pas utile pour résoudre les questions en litige dans le cas qui nous occupe parce que, dans l'affaire Anchor Pointe, Sa Majesté avait plaidé un nouveau moyen au terme de l'étape de l'opposition, alors qu'en l'espèce, Sa Majesté a présenté son nouvel argument pour la première fois à l'étape de la procédure écrite. Il n'y a pas lieu selon moi de faire une telle distinction. Dans les deux affaires, il s'agissait de savoir si Sa Majesté était autorisée à défendre une cotisation sur le fondement d'un argument qu'elle présentait pour la première fois après l'expiration du délai prévu pour l'établissement d'une nouvelle cotisation.

[48]            À mon avis, les questions que Sa Majesté soulève dans cette partie de son appel ont déjà été tranchées dans l'arrêt Anchor Pointe. Il n'est donc pas nécessaire que j'examine les autres arguments qui ont été soulevés pour le compte de M. Loewen sur ce point. Je conclus que le juge a commis une erreur en radiant ces extraits de la réponse et que l'appel de Sa Majesté devrait être accueilli sur ce point.

Appel interjeté par Sa Majesté de la partie du dispositif radiant les mots « présumé » , « intitulé » , « censément » et « prétendu »


[49]            Le juge a par ailleurs ordonné la radiation des mots « présumé » , « intitulé » , « censément » et « prétendu » de tous les passages où ils figuraient dans la réponse, parce qu'il estimait que ces mots rendaient la réponse ambiguë et trompeuse. Il est acquis aux débats que l'avocat de M. Loewen n'a pas invoqué ce moyen pour justifier la suppression de ces mots et que ce n'est que lorsqu'il a reçu copie des motifs du jugement que l'avocat de Sa Majesté a appris que le juge envisageait la possibilité de biffer ces mots pour les raisons qu'il a expliquées. À mon avis, le juge a commis une erreur en radiant ces mots de la réponse sans en aviser au préalable Sa Majesté et sans donner à celle-ci la possibilité de formuler des observations sur les raisons pour lesquelles ces mots ne devaient pas être radiés. Il s'agit là d'une raison suffisante pour faire droit à cette partie de l'appel de Sa Majesté. Il y a toutefois lieu de formuler quelques observations au sujet des raisons évoquées par le juge.

[50]            Le juge a conclu que les mots en question sont toujours ambigus et trompeurs et qu'ils n'ont donc jamais leur place dans les actes de procédure. Il m'est impossible d'être d'accord avec lui sur ce point. Il y a en effet des cas où il convient d'employer ces mots dans les actes de procédure. Ainsi, si, dans les faits qui sont articulés dans un appel en matière d'impôt sur le revenu, le contribuable allègue qu'une dette déterminée existe et que les modalités de cette dette sont constatées par un écrit appelé « billet » , on ne peut forcer Sa Majesté à admettre ces allégations. Si Sa Majesté ne souhaite pas admettre que l'écrit en question est un billet, qu'il y a une dette ou que les modalités de la dette sont précisées dans cet écrit, il lui est alors loisible de qualifier l'écrit de « prétendu billet » et de parler de « présumée dette » .


[51]            En revanche, il existe des cas où l'emploi de ces mots ne convient pas. Par exemple, si, dans le cas qui nous occupe, l'une des hypothèses de fait retenues par le ministre lors de l'établissement de la cotisation était qu'il existait une dette assortie de certaines modalités, il serait alors inexact de dire, dans le paragraphe réservé aux hypothèses, que « le ministre a tenu pour acquis qu'il existait une présumée dette qui aurait comporté les modalités suivantes » . En pareil cas, l'emploi des termes « présumée » ou « prétendu » et le recours au mode conditionnel donne lieu à un acte de procédure fautif, parce que le ministre avait effectivement présumé l'existence d'une dette assortie de certaines modalités.

[52]            Même dans le paragraphe où le ministre formule ses hypothèses, il peut se présenter des cas où l'emploi de ces mots est approprié. En l'espèce, par exemple, il se peut que, lorsqu'il a établi la cotisation, le ministre n'ait formulé aucune hypothèse quant à la question de savoir si M. Loewen avait contracté une dette de 350 000 $ envers le vendeur du logiciel. Cette situation s'explique par le fait que le ministre a décidé d'imposer M. Loewen en se fondant sur des postulats qui faisaient en sorte que l'existence de la dette ne présentait aucun intérêt. En pareil cas, le ministre pourrait à juste titre parler de « dette présumée » dans le paragraphe de la cotisation où il formule ses hypothèses si Sa Majesté ne désire pas admettre l'existence de la dette.

Appel incident formé par M. Loewen contre le refus de radier

le moyen de défense tiré du lien de dépendance et le moyen de défense

tiré de l'obligation éventuelle


[53]            L'avocat de M. Loewen soutient que le juge a commis une erreur en refusant de radier le moyen de défense tiré du lien de dépendance et le moyen de défense tiré de l'obligation éventuelle au motif qu'ils étaient fondés sur des allégations de fait que le ministre avait examinées et qu'il avait écartées avant d'établir la cotisation et qu'il s'agissait essentiellement de tentatives visant à se soustraire au délai de prescription prévu par la loi pour l'établissement d'une nouvelle cotisation.

[54]            Cet argument repose en partie sur le postulat que les contribuables qui traitent depuis longtemps avec des agents du fisc à l'étape de la vérification et de l'opposition devraient avoir le droit d'être assurés que les points litigieux sur lesquels les contribuables ont vraisemblablement obtenu gain de cause ne peuvent être soulevés à nouveau en cas d'appel de la cotisation. Ce postulat serait justifié parce que les contribuables peuvent consacrer des ressources considérables, en temps et en argent, pour traiter les nombreuses questions qui sont soulevées au cours d'une vérification ou d'une opposition et qu'il serait injuste de les obliger à refaire les mêmes démarches pour se préparer en vue d'un appel en matière d'impôt sur le revenu devant la Cour de l'impôt.

[55]            Le postulat sur lequel repose la thèse de M. Loewen sur cette question est erroné. Il n'y a pas de précédent qui appuie la proposition que Sa Majesté ne peut défendre une cotisation en invoquant un argument que, selon ce que croit le contribuable, le ministre a tranché en sa faveur avant que la cotisation n'ait été établie ou confirmée.


[56]            En tout état de cause, M. Loewen affirme dans son avis d'appel qu'il n'avait aucun lien de dépendance avec le vendeur du logiciel et qu'il est légalement tenu de payer le solde du prix d'achat. On peut en conclure qu'il considère que son obligation n'est pas une obligation éventuelle. Je ne vois rien d'injuste à permettre à Sa Majesté de débattre ces deux questions devant la Cour de l'impôt.

Dispositif

[57]            Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir l'appel de Sa Majesté, de rejeter l'appel incident de M. Loewen, d'annuler l'ordonnance rendue par la Cour de l'impôt le 14 mars 2003 et de la remplacer par une ordonnance rejetant la requête présentée par M. Loewen en vue d'obtenir la radiation de certains passages de la réponse.

[58]            À la clôture des débats, il a été convenu qu'on accorderait un délai aux parties pour formuler des observations écrites au sujet des dépens. Le prononcé du jugement formel dans le présent appel sera reporté jusqu'à ce que ces observations aient été reçues et examinées. En tant que partie ayant obtenu gain de cause, Sa Majesté devra déposer et signifier ses observations au sujet des dépens dans les dix jours de la date des présents motifs. M. Loewen devra déposer et signifier ses observations sur les dépens dans les dix jours suivant la date à laquelle il aura reçu signification des observations de Sa Majesté. Les observations de chacune des parties ne doivent pas dépasser cinq pages à double interligne.

                                                                                                                                     _ K. Sharlow _              

                                                                                                                                                     Juge                      

« Je souscris à ces motifs

     J. Edgar Sexton, juge »

« Je souscris à ces motifs

     John M. Evans, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                                                             

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                    A-156-03

INTITULÉ :                                                                   SA MAJESTÉ LA REINE

c. CHARLES B. LOEWEN

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           LES 8 ET 9 MARS 2004

MOTIFS DU JUGEMENT:                                        LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT:                                                      LE JUGE SEXTON

LE JUGE EVANS

DATE DES MOTIFS :                                                  LE 6 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

J. Paul Malette                                                                  POUR L'APPELANTE

Jenna Clark

A. Christina Tari                                                               POUR L'INTIMÉ

Marcela S. Aroca

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                                             POUR L'APPELANTE

Sous-procureur général du Canada

Richler & Tari                                                                   POUR L'INTIMÉ

Avocats

Toronto (Ontario)


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