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     Date : 19980507

     Dossier : A-697-93

CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE LINDEN

         LE JUGE ROBERTSON

ENTRE :

     JOAN MURRAY,

     Appelante,

     (Demanderesse),

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE représentée par

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL,

     Intimée,

     (Défenderesse).

AUDITION tenue à Toronto (Ontario), le mercredi 6 mai 1998.

JUGEMENT rendu à Toronto (Ontario), le jeudi 7 mai 1998.

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR :      LE JUGE LINDEN

Y ONT SOUSCRIT :      LE JUGE STONE

     LE JUGE ROBERTSON

     Date : 19980507

     Dossier : A-697-93

CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE LINDEN

         LE JUGE ROBERTSON

ENTRE :

     JOAN MURRAY,

     Appelante,

     (Demanderesse),

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE représentée par

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL,

     Intimée,

     (Défenderesse).

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LINDEN

[1]      La seule question en litige est celle de savoir si l'appelante, une " épouse de guerre ", peut invoquer l'article 15 de la Charte pour contester la validité d'un article du Régime de pensions du Canada, afin de pouvoir réclamer sa part des " gains non ajustés ouvrant droit à pension " de son époux décédé dont elle a divorcé après 30 ans de mariage en 1974. La Cour n'est pas saisie de la question de savoir s'il y a eu discrimination ni de celle de savoir si le délai de prescription de 36 mois établi par le paragraphe 53.2(1) du Régime de pensions du Canada fait obstacle à la demande.

[2]      Le 1er janvier 1978, le Régime de pensions du Canada a été modifié par l'ajout du paragraphe 53.2(1) (maintenant le paragraphe 55(1)) :

         53.2(1) Une demande écrite de partage des gains non ajustés des anciens conjoints ouvrant droit à pension peut être présentée au Ministre par un des anciens conjoints, ou en son nom, par ses ayants droit, ou par les personnes autorisées par règlement, dans les 36 mois de la date du jugement irrévocable de divorce ou du jugement en nullité de mariage, pourvu qu'il ne soit pas antérieur au 1er janvier 1978.         

[3]      En août 1984, avant l'entrée en vigueur de l'article 15 de la Charte, la demanderesse a demandé le partage en parts égales des gains non ajustés ouvrant droit à pension de son ancien époux, demande qui a été rejetée le 10 décembre 1984 parce que 36 mois s'étaient écoulés et que la demande était prescrite. Un appel subséquent a été rejeté le 12 août 1985. Un appel au Comité de révision a également été rejeté le 7 mai 1986, après l'entrée en vigueur de l'article 15. Une demande d'autorisation d'appel à la Commission d'appel des pensions a été rejetée le 25 juin 1986.

[4]      Le 7 janvier 1991, la demanderesse a déposé une déclaration devant la Section de première instance en vue d'obtenir un jugement déclaratoire portant que l'article 53.2 est inconstitutionnel parce qu'il contrevient à l'article 15 en créant une discrimination fondée sur l'âge, le sexe et l'état matrimonial et qu'elle a droit à une part des gains non ajustés ouvrant droit à pension de son ancien époux.

[5]      Le 17 août 1992, le protonotaire adjoint Giles a demandé à la Cour, en vertu de la règle 474, de trancher la question de droit préliminaire énoncée en ces termes :

         [TRADUCTION] La question se pose de savoir si la demande de la demanderesse nécessite une application rétroactive de l'article 15 de la Charte des droits et libertés et ne saurait donc étayer une cause d'action valable.         

[6]      Le juge de première instance, dans une opinion étoffée et réfléchie, a décidé que toute application de la Charte serait rétroactive en l'espèce. Il s'est appuyé sur l'arrêt R. c. Gamble, [1988] 2 R.C.S. 595, de la Cour suprême ainsi que sur l'arrêt Benner c. Canada (Secrétaire d'État) prononcé par la Cour, mais infirmé par la Cour suprême du Canada. (Voir [1997] 1 R.C.S. 358.)

[7]      L'argumentation approfondie de Me Roslyn Levine, représentant Sa Majesté, nous a convaincus que la décision par laquelle la Cour suprême a infirmé celle de la Cour dans l'affaire Benner constitue le principal arrêt de principe régissant la présente instance et qu'elle nous oblige, malgré un raisonnement légèrement différent, à confirmer la décision du juge de première instance.

[8]      Il est clair que la Charte ne peut s'appliquer ni rétrospectivement ni rétroactivement. (R. c. Stevens, [1988] 1 R.C.S. 1153, à la page 1157.)

[9]      Il est aussi clair, toutefois, que lorsque la discrimination reprochée n'est pas fondée sur un événement passé, mais sur le statut actuel d'une personne, la Charte peut entrer en jeu. Tout dépend de la question de savoir si la demande est caractérisée comme " tenant à un événement plutôt qu'à un statut ". (Voir l'opinion du juge Iacobucci dans Benner , précité, à la page 384.) En d'autres termes, si la situation dont une personne se plaint tient à un statut, c'est-à-dire que la demande actuelle est rejetée en raison d'un statut acquis du fait d'un événement passé, comme une naissance, un mariage ou une maladie, la Charte peut recevoir une application prospective. Toutefois, si la demande est fondée principalement sur un événement passé, la Charte ne peut s'appliquer car elle recevrait alors une application rétrospective.

[10]      En l'espèce, comme le juge de première instance l'a décidé, la disposition en cause conférait aux conjoints divorcés le 1er janvier 1978 ou après, le droit de demander une part des droits à pension dans un délai de 36 mois. Le législateur fédéral n'a pas conféré ce droit à tous les divorcés; il a choisi de ne les conférer qu'aux personnes qui divorceraient à l'avenir. L'injustice passée subie par les femmes a été reconnue et corrigée, mais uniquement en ce qui concerne les divorces prononcés après l'entrée en vigueur de la loi. La proclamation en vigueur de cette modification a été reportée pendant près de six mois après son adoption pour permettre des rajustements dans les négociations dans les causes de divorce en instance, compte tenu des problèmes qui se poseraient dans ces causes en l'absence de report. Ce report indique de plus de façon concluante que la caractérisation devait dans ce cas tenir à un événement - l'obtention d'un divorce le 1er janvier 1978 ou après - et non au statut actuel d'une personne divorcée. C'est donc la date du divorce, et non le divorce, qui revêt de l'importance en l'occurrence. S'il en était autrement, tous les règlements de divorce conclus avant 1978 pourraient être rouverts.

[11]      À notre avis, cette conclusion est compatible avec le raisonnement de la Cour suprême dans l'arrêt Benner ainsi qu'avec celui du juge de première instance. Ce résultat semble en outre avoir été approuvé implicitement par la Cour suprême dans ses motifs à l'appui de l'arrêt Benner, dans lesquels elle a traité, à la page 386, des motifs du juge de première instance dans la présente affaire en les approuvant apparemment. Elle n'a certainement pas exprimé de doute quant à leur justesse, ce qu'elle aurait fait si elle en avait éprouvé un.

[12]      En conséquence, l'application de la Charte en l'espèce en constituerait une application rétrospective interdite. Le juge de première instance a répondu correctement à la question qui lui était posée. L'appel doit être rejeté.

     " A.M. Linden "

                                         J.C.A.

Je souscris à ces motifs,

     " A.J. Stone, J.C.A. "

Je souscris à ces motifs,

     " J.T. Robertson, J.C.A. "

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et avocats inscrits au dossier

NUMÉRO DU GREFFE :                  A-697-93

INTITULÉ DE LA CAUSE :              JOAN MURRAY

                             - et -

                             SA MAJESTÉ LA REINE ET AUTRE

DATE DE L'AUDITION :                  6 MAI 1998

LIEU DE L'AUDITION :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE LINDEN

Y ONT SOUSCRIT :                  LE JUGE STONE

                             LE JUGE ROBERTSON

ONT COMPARU :                      Mme Joan Murray

                                 pour la demanderesse

                             M e Roslyn Levine, c.r.

                             M e Cassandra Kirewskie

                                 pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      Mme Joan Murray

                             207 - 266, Donlands Avenue

                             Toronto (Ontario)

                             M6P 3R9

                                 pour la demanderesse

                             George Thomson

                             Sous-procureur général du Canada

                                 pour la défenderesse

COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     Date : 19980507

     Dossier : A-697-93

ENTRE :

JOAN MURRAY,

     Demanderesse,

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE ET AUTRE,

     Défendeurs.

     MOTIFS DU JUGEMENT


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