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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.F.) [2005] 3 C.F. 239

Date : 20050105

Dossier : A-31-04

Référence : 2005 CAF 1

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NOËL

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                                      YI MEI LI

                                                                                                                                               appelant

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                   intimé

                                  Audience tenue à Toronto (Ontario), le 30 novembre 2004

                                      Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 janvier 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                              LE JUGE NOËL

                                                                                                                         LE JUGE MALONE


Date : 20050105

Dossier : A-31-04

Référence : 2005 CAF 1

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NOËL

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                                      YI MEI LI

                                                                                                                                               appelant

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                   intimé

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]                Il s'agit de l'appel d'une décision de la juge Gauthier de la Cour fédérale concernant trois questions certifiées par la juge en vertu de l'alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.


FAITS

[2]                M. Yi Mei Li, un citoyen chinois, est arrivé au Canada en avril 2001 sur un bateau appartenant à des trafiquants clandestins appelés « têtes de serpent » . Il a demandé l'asile en invoquant la crainte d'être persécuté du fait des croyances religieuses qu'on lui impute et de son appartenance à un groupe social. Il a également prétendu être une personne à protéger parce qu'il serait exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou parce qu'il serait au risque d'être soumis à la torture s'il était renvoyé en Chine.

[3]                Un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d'asile de M. Li et lui a refusé qualité de personne à protéger en tirant une conclusion défavorable au sujet de sa crédibilité. Le tribunal a conclu que M. Li n'avait pas établi qu'il craignait avec raison d'être persécuté pour un des motifs énumérés dans la définition de la Convention. Le tribunal a également conclu qu'il n'y avait aucune preuve convaincante que M. Li serait exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels ou inusités ou à la torture s'il était renvoyé en Chine.

[4]                Lors du contrôle judiciaire, la juge Gauthier n'a décelé aucune erreur susceptible de contrôle dans les conclusions du tribunal en matière de crédibilité, ni dans son rejet des menaces qui auraient été proférées à l'égard de M. Li par les têtes de serpent et de l'allégation de M. Li selon laquelle le gouvernement chinois refusait de le protéger contre les têtes de serpent.


QUESTIONS EN LITIGE

[5]                La norme de preuve appliquée par le tribunal, ainsi que l'appréciation du degré de danger de torture en décidant que M. Li n'avait pas qualité de personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la Loi, ont fait l'objet des questions que la juge Gauthier a certifiées aux fins d'un appel.

[6]                M. Li prétend qu'en vertu du paragraphe 97(1), le critère qu'il faut appliquer dans le cas d'une personne à protéger est de savoir s'il existe une possibilité raisonnable de torture ou de risque de menace à la vie ou de peines ou traitements cruels et inusités. Une possibilité raisonnable serait moins qu'une probabilité. M. Li affirme que le tribunal a mal évalué sa demande de protection en appliquant le critère de la probabilité plutôt que celui de la possibilité raisonnable.

[7]                La juge Gauthier a conclu qu'en vertu du paragraphe 97(1), il faut établir en preuve, selon la prépondérance des probabilités, que M. Li sera soumis à un risque sérieux de torture à son retour, c'est-à-dire qu'il est plus probable que le contraire qu'il serait soumis à la torture ou à des peines cruelles ou autres traitements dégradants. Elle a conclu que le tribunal avait correctement évalué la demande de M. Li en vertu du paragraphe 97(1). Par conséquent, elle a rejeté la demande de contrôle judiciaire.


QUESTION 1

[8]                Voici la question 1 :

L'article 97 de la Loi exige-t-il qu'une personne établisse, selon la prépondérance des probabilités, qu'elle fera face aux risques décrits aux alinéas 97(1)a) et b)?

[9]                Les parties conviennent que la réponse à cette question est oui. Je crois qu'elles ont raison. Sauf disposition contraire d'une loi ou sauf dans certaines circonstances impératives, la norme de preuve en matière civile est toujours celle de la prépondérance des probabilités.

[10]            Toutefois, il ne faut pas confondre norme de preuve et critère objectif. La distinction a été faite dans l'arrêt Adjei c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1989] 2 C.F. 680, dans le contexte d'une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. La disposition pertinente est aujourd'hui l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, qui prévoit :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.


[11]            À la page 682 de la décision    Adjei, le juge McGuigan a dit :

Il n'est pas contesté que le critère objectif ne va pas jusqu'à exiger qu'il y ait probabilité de persécution. En d'autres termes, bien que le requérant soit tenu d'établir ses prétentions selon la prépondérance des probabilités, il n'a tout de même pas à prouver qu'il serait plus probable qu'il soit persécuté que le contraire.                                                                                    [Non souligné dans l'original.]

[12]            Le juge McGuigan a adopté le critère de la « possibilité raisonnable d'être persécuté » comme étant le critère à respecter dans une demande de statut de réfugié au sens de la Convention, c'est-à-dire, il n'est pas nécessaire qu'il y ait une possibilité supérieure à 50 p. 100, mais il faut davantage qu'une possibilité minime.

[13]            La question certifiée vise le paragraphe 97(1). Les parties pertinentes du paragraphe 97(1) sont ainsi libellées :

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités ...

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment ...


[14]            Comme l'a conclu le juge McGuigan en rapport avec l'article 96, il n'y a rien dans le paragraphe 97(1) qui permette de penser que la norme de preuve qui s'applique dans l'appréciation du danger ou du risque décrit aux alinéas 97(1)a) et b) ne soit rien d'autre que l'habituelle prépondérance des probabilités. La réponse à la première question certifiée est donc :

La norme de preuve aux fins de l'article 97 est celle de la prépondérance des probabilités.

QUESTION 2

[15]            La deuxième question certifiée est la suivante :

Quel est le degré de risque de torture requis, selon l'expression « motifs sérieux de croire » ?

[16]            Les termes « s'il y a des motifs sérieux de le croire » apparaissent à l'alinéa 97(1)a). J'ai interprété la question certifiée comme demandant une précision concernant le degré de risque de torture envisagé par ces termes.

Le critère de l'alinéa 97(1)a)

[17]            Comme l'a dit la juge Gauthier, l'alinéa 97(1)a) a été adopté en vue de donner effet à l'obligation internationale qui incombe au Canada en sa qualité de signataire de la Convention de 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (voir la rés. AG 39/46, annexe, 39 U.N. GAOR supp. (No 51), à la page 197, U.N. Doc. A/39/51 (1984)). L'article 3 de la Convention contre la torture prévoit :

1. Aucun État partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.


[18]            Il est évident que les termes de l'alinéa 97(1)a) :

serait personnellement [...] exposée

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture [...]                                                                          [Non souligné dans l'original.]

sont très semblables aux termes de l'article 3 de la Convention contre la torture :

[...] où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.                                                                                    [Non souligné dans l'original.]

Parce que les termes de l'article 3 et de l'alinéa 97(1)a) sont presque identiques et parce que l'alinéa 97(1)a) a été adopté par le législateur pour donner effet à l'article 3, la jurisprudence qui interprète l'article 3 est utile afin d'interpréter l'alinéa 97(1)a).

[19]            Les termes pertinents de l'article 3 ont été interprétés par la Cour dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 2 C.F. 592 (C.A.), décision renversée pour d'autres motifs, [2002] 1 R.C.S. 3. Au paragraphe 152, le juge Robertson a dit :

Si nous rejetons les deux critères de base extrêmes, soit ceux de la « simple possibilité » et de la « forte probabilité » , il reste la norme intermédiaire de la « probabilité la plus forte » . Ce critère de base peut être reformulé, pour plus de commodité, comme consistant à demander si le refoulement d'une personne l'exposera à un risque « sérieux » d'être soumis à la torture.

Le juge Robertson a rejeté le critère de base de la « simple possibilité » ainsi que le critère le plus élevé de la « forte probabilité » pour adopter ce qu'il a appelé le critère de la « probabilité la plus forte » .


[20]            Les commentaires généraux du Comité des Nations Unies sur la torture et les décisions de ce comité sont compatibles avec l'approche adoptée par le juge Robertson. Dans l'Observation générale 1 concernant l'interprétation de l'article 3, (Doc. N.U. HRI/GEN1/Rev.6 à la page 279 (2003)), le Comité a rejeté tant un critère limité - supputations ou soupçons, qu'un critère rigoureux- hautement probable. Le Comité a dit aux paragraphes 6 et 7 :

6. Étant donné que l'État partie et le Comité sont tenus de déterminer s'il y a des motifs sérieux de croire que l'auteur risque d'être soumis à la torture s'il est expulsé, refoulé ou extradé, l'existence d'un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n'est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable.

7. L'auteur doit prouver qu'il risque d'être soumis à la torture et que les motifs de croire que ce risque existe sont aussi sérieux qu'il est décrit plus haut et que le risque est encouru personnellement et actuellement. Chacune des deux parties peut soumettre toute information pertinente à l'appui de ses affirmations.

[21]            Dans la décision M. A.R. c. Pays-Bas, Communication no 203/2002 (CAT/C/31/D/203/2002 (2003)), le Comité a dit que le demandeur devait courir « personnellement un risque réel et prévisible » . Au paragraphe 7.3, le Comité a dit :

Le Comité rappelle son Observation générale concernant l'application de l'article 3, selon laquelle le Comité est tenu de déterminer « s'il y a des motifs sérieux de croire que l'auteur risque d'être soumis à la torture » s'il est renvoyé et que l'existence d'un tel risque « doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons » . Il n'est pas nécessaire que le risque soit « hautement probable » mais il doit être encouru « personnellement et actuellement » . À cet égard, dans des décisions antérieures, le Comité a indiqué que le requérant devait courir « personnellement un risque réel et prévisible » d'être torturé.

Le Comité a conclu qu'il devait évaluer s'il y avait des motifs importants de croire que l'individu risquait d'être soumis à la torture, et qu'il devait courir personnellement et actuellement un risque réel et prévisible et non un risque hautement probable.


[22]            La Cour a conclu que l'utilisation du mot anglais « would » exigeait une certaine probabilité. Voir Jose Pereira E Hijos, S.A. c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 470, [2002] A.C.F. no 1658, au paragraphe 14, le juge Stone et Chalk River Technicians and Technologists c. Énergie atomique du Canada Limitée, [2003] 3 C.F. 313 (C.A.), au paragraphe 52. Si la Convention, dans sa version anglaise, avait comporté les termes « could » , « might » , ou « may » , le critère applicable serait probablement moins rigoureux. Cependant, le terme « would » de la Convention, ainsi que les autres termes utilisés par le Comité, donnent à penser que le Comité a adopté le critère de la probabilité.

[23]            Dans Selvaratnam c. John Ashcroft, 81 Fed. Appx. 907 (9e Cir. 2003), la Cour d'appel américaine, neuvième circuit, a adopté le critère « plus probable que le contraire » en interprétant l'article 3 de la Convention contre la torture. L'expression « probabilité la plus forte » voudrait dire plus « probable que le contraire » (voir Miller c. Minister of Pensions, [1947] 2 All E.R. 372, à la page 374, le juge Denning (plus tard lord Denning)) ou encore - plus vraisemblable que le contraire.

[24]            Même si les termes utilisés par le Comité et par le neuvième circuit diffèrent et même si leurs décisions ne lient pas la Cour, les deux approches rappellent celle du juge Robertson dans l'arrêt Suresh, savoir que le critère est celui de la probabilité la plus forte.


[25]            L'approche adoptée par le juge Robertson dans Suresh donne à penser que lorsqu'il s'agit du sens à donner à l'expression « motifs sérieux de croire » de l'article 3 de la Convention contre la torture, il y a trois critères possibles : la simple possibilité, la probabilité la plus forte et la forte probabilité. M. Li prétend que le critère de la décision Adjei en rapport avec l'article 96, « la possibilité raisonnable d'être persécuté » , c'est-à-dire plus qu'une simple possibilité mais moins qu'une probabilité, devrait faire partie de l'éventail des critères possibles. Ainsi, théoriquement, il y aurait quatre critères : la simple possibilité, la possibilité raisonnable, la probabilité la plus forte et la forte probabilité.

[26]            Quant à l'alinéa 97(1)a), aucun texte faisant autorité ne permet de penser que les critères de la forte probabilité ou de la simple possibilité pourraient s'appliquer et on peut tout simplement les rejeter. Reste donc la possibilité raisonnable (Adjei) et la probabilité la plus forte (Suresh) comme explications possibles des termes suivants de l'alinéa 97(1)a) de la Loi :

[...] serait personnellement exposée

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture [...]

[27]            À mon avis, Suresh établit le critère approprié en matière de risque d'être soumis à la torture au sens de l'alinéa 97(1)a). Parce que les termes de l'alinéa 97(1)a) et de l'article 3 sont presque identiques et portent sur le même sujet, il faudrait leur donner la même interprétation. Dans Suresh, la Cour a interprété les termes de l'article 3 de la Convention contre la torture comme voulant dire la probabilité la plus forte. Le législateur a adopté l'alinéa 97(1)a) après la décision de la Cour dans Suresh. Lorsqu'une disposition de la loi semble calquer une loi existante, qu'elle soit du même pays ou d'un autre, l'interprétation de la loi modèle est réputée avoir été connue et prise en compte dans la rédaction de la nouvelle loi (voir R. Sullivan, éd., Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Vancouver : Butterworths, 2002), à la page 509, et Lyons c. R., [1984] 2 R.C.S. 633, aux pages 687 et 689).


[28]            Je ne vois par pourquoi ce principe ne s'appliquerait pas lorsque le modèle est une convention des Nations Unies et que la disposition en cause a été adoptée en vue de donner effet à l'obligation du Canada en tant que signataire de la Convention. Les débats de la Chambre des communes indiquent que le législateur était au courant de l'affaire Suresh : voir Débats de la Chambre des communes, 080 (19 septembre 2001), à la page 5291. Les délibérations du Comité sénatorial permanent des droits de la personne mentionnent expressément la décision de la Cour d'appel fédérale dans Suresh (voir le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, Délibérations : Fascicule 3, 37e législature (24 septembre 2001)). Le législateur aurait pu adopter un critère moins rigoureux à l'alinéa 97(1)a), nonobstant la décision de la Cour dans Suresh. Il ne l'a pas fait. Dans ces circonstances, il est raisonnable de conclure que l'intention du législateur concorde avec celle de la Cour dans Suresh et que le critère concernant le degré de risque de torture visé à l'alinéa 97(1)(a) est la probabilité la plus forte ou la probabilité plutôt que le contraire.

Distinction entre la norme de preuve et le critère en vertu de l'alinéa 97(1)a)


[29]            Il devient immédiatement apparent que les termes utilisés pour décrire la norme de preuve - la probabilité la plus forte - sont ceux qui sont utilisés pour décrire le critère objectif auquel il doit être satisfait afin d'avoir qualité de personne à protéger en vertu de l'alinéa 97(1)a), à savoir, plus probable que le contraire. Même si les termes sont à peu près identiques, il y a deux étapes distinctes. La preuve selon la prépondérance des probabilités est la norme de preuve que le tribunal applique dans l'appréciation d'une preuve afin de tirer ses conclusions de fait. Le critère permettant de déterminer le risque de torture est de savoir, compte tenu des faits dont le tribunal est saisi, si le tribunal est convaincu qu'il est plus probable que le contraire que l'individu serait personnellement soumis à un danger de torture.

Les arguments de M. Li

[30]            M. Li prétend qu'il n'est pas « logique » que le tribunal applique un critère plus rigoureux quand il doit décider si le demandeur a qualité de personne à protéger contre le risque de torture que lorsqu'il est appelé à décider s'il est un réfugié au sens de la Convention (tel que décidé dans Adjei). Il ajoute qu'en appliquant des critères différents, le tribunal fait preuve de discrimination puisque que la loi ne s'appliquera pas également à tous et qu'un critère plus rigoureux est contraire à la Convention contre la torture.

[31]            Je ne rejette pas à la légère l'argument sur le « manque de logique » . D'ailleurs, aux termes de l'alinéa 95(1)b) de la Loi, l' « asile est la protection » conférée à une personne qui a qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger. L'alinéa 95(1)b) énonce :

95. (1) L'asile est la protection conférée à toute personne dès lors que, selon le cas :

...

b) la Commission lui reconnaît la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger;

95. (1) Refugee protection is conferred on a person when

...

(b) the Board determines the person to be a Convention refugee or a person in need of protection;


On peut donc prétendre que le contexte donne à penser que le même critère devrait s'appliquer à l'article 96 et à l'alinéa 97(1)a). Par contre, la Loi prévoit deux processus distincts pour un même résultat et il n'est pas évident que les critères applicables en matière de risque d'être persécuté et d'être soumis à la torture doivent être identiques.

[32]            Si le législateur voulait que le même critère soit appliqué, les termes de l'article 96 : « craignant avec raison » auraient été repris à l'alinéa 97(1)a). Cependant, le législateur n'en a pas décidé ainsi et il a plutôt adopté, à l'alinéa 97(1)a), des termes qui reflètent ceux de l'article 3 de la Convention contre la torture. À première vue, les différences entre l'alinéa 97(1)a) et l'article 96 révèlent un sens différent. Bien entendu, l'approche selon laquelle « il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global » demeure déterminante et pourrait entraîner une conclusion différente. Voir, par exemple, Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 26.


[33]            Certes, lors d'une audience sur le statut de réfugié, le tribunal peut être appelé à se demander si l'individu est un réfugié au sens de la Convention et s'il est une personne à protéger. Certaines preuves peuvent s'appliquer aux deux décisions. Toutefois, l'article 96 et l'alinéa 97(1)a) sont différents. Par exemple, pour demander la protection en vertu de l'alinéa 97(1)a), l'individu n'est pas obligé d'établir qu'il risque d'être soumis à la torture pour l'un des motifs énumérés à l'article 96. En outre, il existe des composantes tant subjectives qu'objectives nécessaires afin de satisfaire aux exigences de l'article 96 : voir Chan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, au paragraphe 120, le juge Major, alors qu'une demande en vertu de l'alinéa 97(1)a) n'a aucune composante subjective. À cause de ces différences, on ne saurait prétendre que les dispositions sont à ce point semblables qu'il serait illogique que le critère de l'alinéa 97(1)a) ne soit pas identique au critère de l'article 96.

[34]            L'argument fondé sur la discrimination invoqué par M. Li n'était pas bien étoffé. Il n'a mentionné aucun motif énuméré ou analogue de discrimination. La Cour n'a aucune raison de conclure que des critères différents en vertu de dispositions différentes constituent une forme de discrimination.

[35]            Finalement, il n'est pas facile de comprendre pourquoi un critère relatif au degré de danger « plus probable que le contraire » contreviendrait à la Convention contre la torture. Le Comité même des Nations Unies contre la torture a adopté un critère aux fins de l'article 3 de la Convention contre la torture qui, pour les motifs susmentionnés, et à tous égards, est le critère « plus probable que le contraire » .

[36]            En fin de compte, la réponse à la deuxième question est :

Le degré de risque de torture requis, selon l'expression « motifs sérieux de croire » est que le risque doit être plus probable que le contraire.

QUESTION 3

[37]            La dernière question certifiée est la suivante :

Le même degré de risque est-il exigé en vertu de l'alinéa 97(1)b)?


[38]            M. Li prétend que le critère de la possibilité raisonnable devrait s'appliquer à l'alinéa 97(1)b).Toutefois, aucun mot ne qualifie le terme « risque » à l'alinéa 97(1)b) ni ne permet de penser que le critère de l'article 96 s'applique à l'alinéa 97(1)b). En l'absence d'un motif impérieux d'adopter un critère rigoureux ou un critère faible, je ne vois pas pourquoi le degré de risque, aux fins de l'alinéa 97(1)b), ne serait pas qu'il soit plus probable que le contraire que la personne soit soumise, personnellement, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle était renvoyée dans son pays de nationalité.

[39]            La réponse à la troisième question est :

Le degré de risque exigé en vertu de l'alinéa 97(1)b) est le risque plus probable que le contraire.

CONCLUSION

[40]            Étant d'accord avec l'analyse et la conclusion de la juge Gauthier, je suis d'avis que l'appel devrait être rejeté.

                                                                          _ Marshall Rothstein _                   

                                                                                                     Juge                                  

« Je souscris aux présents motifs

      Marc Noël, juge »

« Je souscris aux présents motifs

      B. Malone, juge »

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                            A-31-04

INTITULÉ :                                                          YI MEI IL

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                  LE 30 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DU JUGEMENT:                                 LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT:                                             LE JUGE NOËL

LE JUGE MALONE

DATE DES MOTIFS:                                          LE 5 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Michael Korman                                                      POUR L'APPELANT

Ian Hicks                                                                 POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis and Korman                                                     POUR L'APPELANT

Avocats

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                    POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)



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