Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20021125

Dossier : A-249-01

Référence neutre : 2002 CAF 469

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

ENTRE :

                                       LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                                                               MATHIEU LESSARD

                                                                                                                                                      défendeur

                                   Audience tenue à Québec (Québec), le 19 novembre 2002.

                                    Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2002.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                        LE JUGE DÉCARY

Y ONT SOUSCRIT :                                                                              LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                                                                            LE JUGE NOËL


Date : 20021125

Dossier : A-249-01

Référence neutre : 2002 CAF 469

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

ENTRE :

                                       LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                                                               MATHIEU LESSARD

                                                                                                                                                      défendeur

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DÉCARY

[1]                 Cette Cour est appelée à déterminer si le fait, par le prestataire (le défendeur), de quitter un emploi afin d'entreprendre un cours de formation constitue un « départ volontaire » au sens de l'article 29 de la Loi sur l'assurance-emploi.


[2]                 Le défendeur a complété, en mai 1998, son diplôme d'études collégiales en technique policière. Ces études doivent nécessairement être complétées par un stage de formation d'une durée de treize semaines à temps plein à l'Institut de police du Québec, dans la ville de Nicolet. Ce stage, dans le cas du défendeur, devait s'étendre du 5 janvier 1999 au 31 mars 1999.

[3]                 Entre la fin de ses études et le début de son stage, le défendeur s'est trouvé un emploi, chez Sobeys Inc. (Sobeys), emploi qu'il a laissé en décembre 1998 aux fins d'entreprendre son stage.

[4]                 À la fin de son stage, le défendeur a été engagé à titre de policier par la ville de l'Assomption, puis à titre d'agent de patrouille par la ville de Québec. Il a été congédié en septembre 1999 en raison d'un manque de travail. En octobre 1999, il déposait une demande de prestations d'assurance-emploi.


[5]                 À l'appui de sa demande, le défendeur a fourni des relevés d'emploi des trois employeurs susdits pour lesquels il avait travaillé au cours des 52 dernières semaines. La Commission de l'assurance-emploi a refusé de reconnaître la période d'emploi chez Sobeys pour le motif que « le fait de retourner aux études constitue un choix personnel qui ne peut justifier un abandon d'emploi » au sens de l'alinéa 29c) de la Loi sur l'assurance-emploi. Comme le nombre d'heures d'emploi accumulées par le défendeur pendant sa période de référence se voyait ainsi réduit à un nombre inférieur à celui requis par l'article 7 de la Loi, la demande de prestation a été refusée par la Commission. Il est acquis, en l'espèce, que le stage de formation n'était pas un cours ou programme vers lequel la Commission avait dirigé le défendeur en vertu de l'article 25 de la Loi.

[6]                 Le défendeur a porté cette décision en appel devant le conseil arbitral. Il plaidait qu'il n'avait d'autre choix que de quitter son emploi chez Sobeys s'il voulait devenir policier. C'était là, selon ses dires (dossier de demande, p. 22), « une solution incontournable et donc la seule solution raisonnable dans mon cas » .

[7]                 Le conseil arbitral a accueilli l'appel, au motif que le défendeur était justifié de quitter son emploi chez Sobeys puisqu'il avait alors « une autre assurance d'emploi dans un délai raisonnable » au sens du sous-alinéa 29c)(vi) de la Loi. Le conseil arbitral ajoutait ce qui suit : « Le prestataire mentionne également que dans sa situation, il a agi comme toute personne raisonnable l'aurait fait dans pareil cas » (dossier de demande, pp. 36 et 37).

[8]                 Le juge-arbitre a confirmé la décision du conseil arbitral, essentiellement pour le motif qu'à son avis, il s'agissait ici « de l'analyse d'une simple question de fait et de crédibilité qui relève de la juridiction des membres du conseil arbitral » (CUB 48985A).

[9]                 Il sera utile ici de reproduire certains extraits des articles 29 et 30 de la Loi :




29. Pour l'application des articles 30 à 33_:a) « _emploi_ » s'entend de tout emploi exercé par le prestataire au cours de sa période de référence ou de sa période de prestations;

...

c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas_:

...

        (vi) assurance raisonnable d'un autre emploi dans un avenir immédiat,

30. (5) Dans les cas où le prestataire qui a perdu ou quitté un emploi dans les circonstances visées au paragraphe (1) formule une demande initiale de prestations, les heures d'emploi assurable provenant de cet emploi ou de tout autre emploi qui précèdent la perte de cet emploi ou le départ volontaire et les heures d'emploi assurable dans tout emploi que le prestataire perd ou quitte par la suite, dans les mêmes circonstances, n'entrent pas en ligne de compte pour l'application de l'article 7 ou 7.1.

29. For the purposes of sections 30 to 33,(a) "employment" refers to any employment of the claimant within their qualifying period or their benefit period;

...

(c) just cause for voluntarily leaving an employment or taking leave from an employment exists if the claimant had no reasonable alternative to leaving or taking leave, having regard to all the circumstances, including any of the following:

...

      (vi) reasonable assurance of another employment in the immediate future,

30. (5) If a claimant who has lost or left an employment as described in subsection (1) makes an initial claim for benefits, the following hours may not be used to qualify under section 7 or 7.1 to receive benefits:

(a) hours of insurable employment from that or any other employment before the employment was lost or left; and

(b) hours of insurable employment in any employment that the claimant subsequently loses or leaves, as described in subsection (1).

[10]            Il est certain qu'un prestataire qui veut se prévaloir de l'alinéa 29c) n'est pas tenu de démontrer qu'il se trouve dans l'une ou l'autre des circonstances qui y sont expressément énumérées. L'énumération, en effet, n'est faite qu'à titre d'illustration ( « notamment » , dit l'alinéa) de la règle générale qui veut qu'un prestataire puisse faire la preuve que « compte tenu de toutes les circonstances » , son départ « constitue la seule solution raisonnable dans son cas » .


[11]            Le procureur du défendeur plaide que le défendeur ne recherche pas le paiement de prestations pendant la durée de son stage et qu'en conséquence la jurisprudence relative au « départ volontaire » qui s'est développée dans ce contexte ne saurait trouver application. Je ne suis pas de cet avis. Le législateur, par l'ajout dans la Loi sur l'assurance-emploi de la définition d' « emploi » à l'alinéa 29a) et du paragraphe 30(5), a clairement établi que les heures consacrées par un prestataire à un emploi qu'il a volontairement quitté - sans justification - pendant sa période de référence, ne pouvaient être comptabilisées. Je ne vois pas pourquoi les principes dégagés par la jurisprudence relativement à la période de prestations ne s'appliqueraient pas, aussi, à la période de référence.

Le sous-alinéa 29c)(vi)

[12]            Le conseil arbitral a jugé que « le prestataire a démontré et prouvé ... qu'il avait une autre assurance d'emploi dans un délai raisonnable... » . Ce test est erroné à sa face même : c'est d'assurance raisonnable et d'avenir immédiat dont traite ce sous-alinéa. Confondre, notamment, « délai raisonnable » et « avenir immédiat » , c'était commettre une erreur de droit qui aurait dû alerter le juge-arbitre.

[13]            La situation décrite à l'alinéa 29c)(vi) suppose l'existence de trois éléments : une « assurance raisonnable » , « un autre emploi » et un « avenir immédiat » .


[14]            Je doute qu'il puisse y avoir « assurance raisonnable d'un autre emploi » au sens du sous-alinéa quand l'obtention d'un emploi est conditionnelle à la réussite d'un stage non encore commencé de treize semaines. Il ne m'est pas nécessaire, cependant, d'en décider puisqu'il est de toute façon certain, selon moi, que la condition d' « avenir immédiat » n'est pas rencontrée en l'espèce.

[15]            En ce qui concerne, en effet, l' « avenir immédiat » , nous savons d'une part que l'emploi à venir était conditionnel à la réussite du stage et d'autre part que le délai était de treize semaines. L'une et l'autre de ces constatations sont incompatibles avec le concept d' « avenir immédiat » .

[16]            Le Grand Robert de la langue française, 2001, définit « immédiat » comme suit :

II. 1. Qui précède ou suit sans intermédiaire, dans l'espace ou le temps.

      2. Qui suit sans délai; qui est du moment présent, a lieu tout de suite.

  

[17]            The Canadian Oxford Dictionary, 2001, définit « immediate » comme suit :

1.    occurring or done at once or without delay (an immediate reply).

2a. nearest in time or space (the immediate future; the immediate vicinity)

  

[18]            Dans Canada (Procureur général) c. Traynor (C.A.F.) (1995), 185 N.R. 81, le juge Marceau utilisait fort à propos l'expression « peu de temps après » ( « in the near future » ).

[19]            Il est dès lors évident qu'un emploi qui ne se concrétisera qu'à l'expiration d'un stage non encore commencé, d'une durée de treize semaines, n'est pas un emploi « dans un avenir immédiat » .


La règle générale de l'article 29c), « compte tenu de toutes les circonstances »

[20]            Il est de jurisprudence constante, en cette Cour, que le fait pour un prestataire de quitter volontairement un emploi pour retourner aux études ou effectuer un stage de formation ne constitue pas une justification au sens de l'article 28 de l'ancienne Loi sur l'assurance-chômage ou de l'article 29 de la Loi sur l'assurance-emploi, à moins d'y avoir été autorisé par la Commission. Dans Canada (Procureure générale) c. Martel, (1994), 175 N.R. 275, le juge Desjardins, au para. 12, s'exprimait comme suit :

L'employé qui quitte volontairement son emploi aux fins de suivre un cours de formation qui n'est pas autorisé par la Commission a certes, sur le plan personnel, un excellent motif pour agir. Mais il nous paraît contraire aux principes mêmes qui sont à la base du système d'assurance-chômage que cet employé puisse faire supporter par les contribuables à la caisse le poids économique de sa dette.

  

[21]            Récemment, dans Canada (Procureure générale) c. Tourangeau, 2001 CAF 293, [2001] A.C.F. no 1550, cette Cour réitérait ce principe, force jurisprudence contemporaine à l'appui. À ces arrêts se sont ajoutés, dernièrement, La Reine c. Wall, 2002 CAF 283 et Canada (Procureur général) c. Shaw, 2002 CAF 325.

[22]            Même en acceptant, pour fins de discussion, la proposition du procureur du défendeur voulant que ce principe dégagé par la jurisprudence puisse souffrir exception, je cherche en vain au dossier quelque explication ou événement qui justifierait une dérogation à la règle générale.


[23]            La demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie avec dépens, la décision du juge-arbitre annulée et l'affaire renvoyée au juge-arbitre en chef ou à son délégué pour qu'il en décide à nouveau en tenant pour acquis que le défendeur doit être exclus du bénéfice des prestations parce que les heures travaillées chez Sobeys Inc. pendant sa période de référence ne peuvent être prises en considération.

  

                                                                                                                                        « Robert Décary »                                

                                                                                                                                                                 j.c.a.

  

« Je suis d'accord.

     J. Richard, j.c. »

« Je suis d'accord.

     Marc Noël, j.c.a. »


                                       SECTION D'APPEL DE LA COUR FÉDÉRALE

                   NOMS DES AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO. DU DOSSIER DE LA COUR: A-249-01

INTITULÉ DE LA CAUSE:             

LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

                                                                                                                                                  demanderesse

                                                                                   

                                                                                   et

MATHIEU LESSARD

                                                                          défendeur

LIEU DE L'AUDITION:              Québec (Québec)

DATE DE L'AUDITION:                  19 novembre 2002

MOTIFS DU JUGEMENT                              

DE LA COUR :                         Le juge Décary

Y ONT SOUSCRIT:              Le juge en chef Richard

Le juge Noël

EN DATE DU:                         25 novembre 2002

COMPARUTIONS:    

Me Carole Bureau                      pour la demanderesse

Me Luc Martel                         pour le défendeur


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Montréal (Québec)                      pour la demanderesse

Gingras Vallerand Barma Laroche

Québec (Québec)                        pour le défendeur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.