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Date : 20040311

Dossier : A-296-03

Référence : 2004 CAF 100

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                                              CASEY JOHNSON

                                                                                                                                             défendeur

                                     Audience tenue à Toronto (Ontario), le 1er mars 2004.

                                      Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 11 mars 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                          LE JUGE MALONE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                 LE JUGE ROTHSTEIN

                                                                                                                     LE JUGE PELLETIER


Date : 20040311

Dossier : A-296-03

Référence : 2004 CAF 100

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                                              CASEY JOHNSON

                                                                                                                                             défendeur

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MALONE

[1]                La présente demande concerne la conduite de Casey Johnson, qui a été renvoyé par son employeur, Purolator Courier Ltd. (Purolator), pour avoir dormi au travail. Il s'agissait d'une deuxième infraction; sa première infraction, qui avait été commise quelque onze mois auparavant, lui avait valu une suspension de cinq jours. La question ultime que je dois trancher est de savoir si M. Johnson a perdu son emploi du fait de sa propre inconduite de façon à l'exclure du bénéfice des prestations conformément au paragraphe 30(1) de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi). L'inconduite n'est pas définie dans la Loi.


[2]                Le défendeur travaillait de nuit depuis cinq ans pour Purolator lorsqu'il a été renvoyé en juin 2001. Durant les deux dernières années de son emploi, il avait eu des problèmes constants avec son nouveau chef, qui avait mis fin à la pratique qui consistait à accorder à M. Johnson et à un compagnon de travail de celui-ci une pause d'une heure après avoir vidé une remorque. Une pause était prévue de 1 h 15 à 1 h 30 chaque nuit, et M. Johnson s'est endormi dans un camion de l'entreprise durant cette pause en juillet 2000, puis à nouveau en juin 2001.

[3]                La deuxième fois, on l'a trouvé endormi 75 minutes après la fin de sa pause. Selon le défendeur, ces écarts de conduite sont le résultat d'une accumulation de facteurs, notamment ses cinq années de travail de nuit, le décès de sa mère et le stress occasionné par les exigences déraisonnables de son supérieur. M. Johnson a déposé un grief relativement à son renvoi, mais Purolator a rejeté le grief au motif que le renvoi constituait la réparation appropriée. Le syndicat a refusé d'intervenir.


[4]                Développement des ressources humaines Canada (la Commission) a jugé que le défendeur avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite et a refusé sa demande de bénéfices. Cependant, un conseil arbitral (le conseil) a fait droit à son appel, concluant que des circonstances atténuantes montraient qu'il n'avait pas négligé gratuitement les intérêts de son employeur. Plus précisément, les membres du conseil ont conclu à la majorité que la conduite du défendeur n'avait pas le caractère délibéré nécessaire, selon l'arrêt Canada (P.G.) c. Tucker, [1986] 2 C.F. 329, de la Cour, pour conclure à l'inconduite, et qu'elle ne constituait donc pas un cas d'inconduite. La décision rendue ultérieurement par une juge-arbitre (CUB 57202) a confirmé en ces termes la décision du conseil :

Le conseil était en droit de conclure sans pécher contre la raison ou le bon sens, que le prestataire n'avait pas l'intention de faire une sieste aux frais de la compagnie. Majoritairement, les membres du conseil ont conclu que l'élément d'ordre mental caractérisant l'inconduite qu'aurait pu constituer le fait de dormir au travail était absent.

[5]                Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur conteste la décision de la juge-arbitre au motif que celle-ci a commis une erreur de droit en n'intervenant pas. Le demandeur soutient que le conseil n'a pas appliqué le bon critère juridique relativement à l'inconduite et que la juge-arbitre a approuvé la démarche suivie par le conseil en soulignant l'exigence de mauvaise foi. Le demandeur ajoute que, même si le bon critère juridique avait été formulé, la juge-arbitre aurait dû conclure que le conseil avait commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que M. Johnson n'avait pas fait preuve d'inconduite.

[6]                Dans l'arrêt Budhai c. Canada (Procureur général) (C.A.), [2003] 2 C.F. 57, la Cour a établi les normes de contrôle que doit appliquer le juge-arbitre lorsqu'il est appelé à réviser la décision d'un conseil arbitral, savoir qu'aucune retenue n'est nécessaire à l'égard des conclusions relatives à des questions de droit et que les conclusions relatives à des questions de fait et de droit devraient être maintenues dans la mesure où le conseil pouvait raisonnablement les tirer.


[7]                Pour modifier une conclusion de fait ou de droit du conseil, le juge-arbitre doit se fonder sur le paragraphe 115(2) de la Loi, qui prévoit :

115.(2) Les seuls moyens d'appel sont les suivants :

115.(2) The only grounds of appeal are that

a) le conseil arbitral n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;

(a) the board of referees failed to observe a principle of natural justice or otherwise acted beyond or refused to exercise its jurisdiction;

b) le conseil arbitral a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

(b) the board of referees erred in law in making its decision or order, whether or not the error appears on the fact of the record; or

c) le conseil arbitral a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

(c) the board of referees based its decision or order on an erroneous finding of fact that it had made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it.

[8]                Le critère juridique applicable pour déterminer s'il y a eu inconduite au sens de la Loi a été établi par la Cour dans l'arrêt Tucker, précité. Au nom de la majorité, le juge MacGuigan a approuvé l'extrait suivant de la décision de la juge-arbitre :

Sous le terme « misconduct » (inconduite), le Black's Law Dictionary (1979, 5e éd.) dit ce qui suit :

[...]

[traduction] L'inconduite, qui rend l'employé congédié inadmissible au bénéfice d'indemnités de chômage, existe lorsque la conduite de l'employé montre qu'il néglige volontairement ou gratuitement les intérêts de l'employeur, par exemple, en commettant des infractions délibérées, ou ne tient aucun compte des normes de comportement que l'employeur a le droit d'exiger de ses employés, ou est insouciant ou négligent à un point tel et avec une fréquence telle qu'il fait preuve d'une intention délictuelle . . .

Même si [l'] [...] extrait ci-dessus ne se rapporte pas à la Loi sur l'assurance-chômage en vigueur au Canada, il correspond parfaitement, à mon sens, à notre droit, dans la mesure où il indique que, pour constituer de l'inconduite, l'acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins procéder d'une telle insouciance ou négligence que l'on pourrait dire que l'employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement.


[9]                L'analyse de l'arrêt Tucker a été précisée davantage dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Secours (1995), 179 N.R. 132 (C.A.F.), où le juge Létourneau a écrit :

Pour qu'il y ait inconduite au sens de la loi, il n'est pas nécessaire que le comportement en cause résulte d'une intention coupable. Il suffit que l'acte répréhensible, ou l'omission reproché à l'intéressé soit « délibéré » , c'est-à-dire, conscient, voulu ou intentionnel.

[10]            Le conseil a dit dans sa décision :

[traduction] [...] le conseil n'est pas convaincu que les actes du demandeur peuvent être qualifiés d'actes « volontaires » ou de « violations délibérées » qui témoignent d'une « intention délictuelle » .

En limitant la définition d'inconduite à des actes volontaires ou délibérés qui témoignent d'une intention délictuelle, le conseil n'a pas appliqué le deuxième volet du critère juridique établi dans l'arrêt Secours, savoir qu'il n'est pas nécessaire que l'acte en cause résulte d'une intention coupable pour qu'il y ait inconduite. Il s'agit clairement d'une erreur de droit. Il suffit que l'acte en cause soit « conscient, voulu ou intentionnel » .

[11]            Au cours de la révision de la décision du conseil arbitral, il était loisible à la juge-arbitre, conformément au paragraphe 115(2) de la Loi, d'intervenir et de corriger cette erreur de droit. La juge-arbitre a plutôt répété cette erreur lorsqu'elle a affirmé :

Majoritairement, les membres du conseil arbitral ont conclu que la conduite du prestataire n'avait pas le caractère délibéré nécessaire, selon l'arrêt Tucker [...] pour conclure à l'inconduite, et qu'elle ne constituait donc pas un cas d'inconduite.

La loi énonce clairement qu'une inconduite telle qu'elle est susceptible de priver un prestataire de son droit aux prestations doit nécessairement comporter un élément de « mauvaise foi » (Davlut, A-241-82).


[12]            L'omission de la juge-arbitre d'intervenir et de corriger une erreur de droit conformément au paragraphe 115(2) de la Loi constitue en elle-même une erreur de droit, et la décision de la juge-arbitre doit donc être annulée.

[13]            En révisant la décision du conseil, la juge-arbitre s'est attardée à tort sur la question de savoir si le défendeur « s'est réveillé, [...] a fait allusion à la nécessité de retourner travailler et [...] a alors décidé, en toute connaissance de cause, de se rendormir » . Elle aurait dû plutôt se concentrer sur la question de savoir si la conduite du demandeur en s'endormant durant sa pause sans prendre de mesures pour s'assurer qu'il se réveillerait à temps dénotait l'élément moral requis.


[14]            En conséquence, la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie. La décision de la juge-arbitre devrait être annulée et l'affaire devrait être renvoyée au juge-arbitre en chef ou à un juge-arbitre désigné par lui pour qu'il rende une décision en tenant pour acquis que l'appel interjeté par la Commission contre la décision du conseil arbitral doit être accueilli et que l'affaire doit être renvoyée au conseil pour qu'il rende une décision conformément aux présents motifs.

                                                                                      _ B. Malone _               

                                                                                                     Juge                       

« Je souscris aux présents motifs

Marshall Rothstein, juge »

« Je souscris aux présents motifs

J.D. Denis Pelletier, juge »

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     A-296-03

INTITULÉ :                                                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

c.

CASEY JOHNSON

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 1ER MARS 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE MALONE

Y ONT SOUSCRIT :                          LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                                   LE 11 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Sharon McGovern                                             POUR LE DEMANDEUR

Nelson E. Cavalheiro                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                              POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général

Ministère de la Justice

Bureau régional de l'Ontario

130, rue King Ouest

Pièce 3400, C.P. 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6

Nelson E. Cavalheiro                                         POUR LE DÉFENDEUR

Avocat

32, rue Leopold, pièce 201

Toronto (Ontario)

M6K 1J9


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