Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20050809

Dossier : A-143-04

Référence : 2005 CAF 269

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                                              ALTICOR INC. et

                                             QUIXTAR CANADA CORPORATION

                                                                                                                                          appelantes   

                                                                                                                                (demanderesses)

                                                                             et

                                         NUTRAVITE PHARMACEUTICALS INC.

                                                                                                                                                intimée   

                                                                                                                                   (défenderesse)

                                        Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 8 juin 2005

                                       Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 août 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                   LE JUGE LINDEN

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                      LE JUGE ROTHSTEIN

                                                                                                                         LA JUGE SHARLOW


Date : 20050809

Dossier : A-143-04

Référence : 2005 CAF 269

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                                              ALTICOR INC. et

                                             QUIXTAR CANADA CORPORATION

                                                                                                                                          appelantes

                                                                                                                                (demanderesses)

                                                                             et

                                         NUTRAVITE PHARMACEUTICALS INC.

                                                                                                                                                intimée   

                                                                                                                                   (défenderesse)

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LINDEN


[1]                Il s'agit d'un appel de la décision en date du 16 février 2004 par laquelle la Section de première instance a rejeté l'action en contrefaçon de marque de commerce intentée par Alticor Inc. et Quixtar Canada Corporation contre Nutravite Pharmaceuticals Inc. sous le régime du paragraphe 20(1) de la Loi sur les marques de commerce, L.R. 1985, ch. T-13 (la Loi). La question à trancher dans la présente espèce est celle de savoir si la juge de première instance a commis dans cette décision des erreurs qui commanderaient l'intervention de la Cour. S'il est vrai que l'argumentation complexe et détaillée contestant la décision de première instance a révélé dans celle-ci quelques erreurs mineures, principalement liées à des imprécisions de langage, j'estime que le présent appel doit être rejeté. (La juge de première instance a aussi rejeté une demande reconventionnelle de Nutravite, où celle-ci niait la validité de la marque de commerce d'Alticor, mais cette allégation d'invalidité n'a pas fait l'objet d'un appel. En outre, l'allégation de commercialisation trompeuse, qui a aussi été rejetée en première instance, n'a pas été reprise en appel par les avocats des appelantes, encore qu'il en soit fait mention dans leur mémoire.)

LES FAITS

[2]                NUTRILITE est une marque de commerce déposée appartenant à Alticor pour emploi en liaison avec sa gamme de compléments alimentaires vitaminiques et minéraux. Quixtar est le distributeur exclusif des produits NUTRILITE au Canada. Elle applique dans ses activités de distribution un programme de commercialisation à paliers multiples, c'est-à-dire que, à quelques rares exceptions près, elle vend les produits d'Alticor non pas dans des magasins, mais directement aux consommateurs par le truchement de courtiers désignés « propriétaires de commerce indépendants » (PCI).   


[3]                NUTRAVITE est une marque de commerce non déposée qu'emploie Nutravite Pharmaceuticals en liaison avec ses produits à base de vitamines, de minéraux et d'herbes. Les produits NUTRAVITE sont vendus exclusivement dans des magasins de détail de l'Alberta, du Manitoba, de la Colombie-Britannique et de l'Ontario, tels que ceux des chaînes Shoppers Drug Mart, Pharmaplus, Wal-Mart et Giant Tiger. Nutravite Pharmaceuticals n'a pas recours à une structure de distribution telle que celle de Quixtar, fondée sur le courtage.

[4]                Alticor, invoquant le risque de confusion avec sa marque de commerce déposée NUTRILITE, a formé opposition en 1998 à l'enregistrement de la marque de commerce NUTRAVITE devant la Commission des oppositions des marques de commerce, qui lui a donné gain de cause. Nutravite Pharmaceuticals a d'abord interjeté appel de cette décision devant la Cour fédérale, mais s'est ensuite désistée pour des raisons étrangères à la présente espèce. Cependant, malgré le rejet de sa demande d'enregistrement, elle continue à employer la marque contestée dans son programme de commercialisation.

[5]                Alticor a introduit la présente action en août 1999. Elle y avance deux prétentions, soit la contrefaçon et la commercialisation trompeuse, alléguant le risque de confusion entre sa marque NUTRILITE et la marque NUTRAVITE de la défenderesse.


[6]                À l'issue d'un procès de huit jours et de l'examen de 31 volumes de preuve, la juge de première instance, dans une décision dont l'exposé des motifs est aussi long que détaillé, a rejeté les deux prétentions des demanderesses et conclu à l'absence de risque raisonnable de confusion entre les deux marques en cause. Elle a d'abord étudié la question de la date pertinente pour l'existence du risque raisonnable de confusion. Puis, comme il est de règle, elle a examiné les cinq facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi, ainsi que plusieurs autres circonstances de l'espèce, soit a) la décision de la Commission des oppositions, b) l'emploi du radical « NUTR » , c) la coexistence des marques et la preuve par sondage, d) l'acquiescement à l'emploi de la marque de commerce et e) la situation des demanderesses sur le marché du détail. En fin de compte, elle a rejeté l'action avec dépens. D'où le présent appel.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[7]                Les avocats des appelantes ont soulevé plusieurs questions, aussi bien de droit que de fait, dans leur critique on ne peut plus minutieuse de la décision de première instance. Nous étudierons un certain nombre de ces questions en détail et examinerons les autres plus sommairement. Les deux principales questions en litige, selon les avocats, sont les suivantes :

1. La juge de première instance a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que la date pertinente pour établir s'il y avait eu contrefaçon de la marque de commerce déposée en question était la date de l'audience?

2. La juge de première instance a­-t-elle commis une erreur de fait aussi bien que de droit en statuant que, compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, il n'y avait pas de risque de confusion entre les marques de commerce NUTRAVITE et NUTRILITE?


ANALYSE

[8]                Les parties conviennent que la norme de contrôle judiciaire formulée dans l'arrêt Housen c. Nikolaisen (2002), 211 D.L.R. (4th) 577 (C.S.C.) est applicable à la présente espèce, c'est-à-dire que, pour les questions de droit, la norme est celle de la décision correcte et que, pour les questions mixtes de fait et de droit, la norme est celle de l'erreur manifeste et dominante, à moins qu'une erreur de droit distincte ne puisse être dégagée de la question, auquel cas la norme de la décision correcte s'appliquerait aussi à cette question.

Première question

La date pertinente pour établir s'il y a eu contrefaçon d'une marque de commerce déposée

[9]                Les deux parties s'accordent à reconnaître que la première question est une question de droit et que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

[10]            Malgré la savante argumentation des avocats des appelantes, je souscris à la conclusion de la juge de première instance comme quoi la date pertinente dans la présente espèce est celle de l'audience du procès.


[11]            Il existe maintenant une jurisprudence considérable selon laquelle la date pertinente pour apprécier le risque de confusion aux fins des procédures d'opposition et des décisions à rendre sous le régime de l'alinéa 12(1)d) de la Loi est la date de l'audience (voir, par exemple, Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.), et Oshawa Group Ltd. c. Creative Resources Co. Ltd, (1982) 61 C.P.R. (2d) 29 (C.A.F.)). Cependant, la question de la date pertinente pour apprécier le risque de confusion dans les actions en contrefaçon intentées sous le régime de l'article 20 n'a pas encore été réglée définitivement (voir à ce sujet Gill et Joliffe, Fox on Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition, 4e éd., feuilles mobiles, Toronto, Thomson Carswell, 2002.).

[12]            À mon avis, pour des raisons à la fois logiques et pratiques, la date pertinente pour apprécier le risque de confusion devrait normalement être la date de l'audience, encore qu'il puisse y avoir des exceptions. Cette solution s'accorderait avec la jurisprudence relative aux procédures d'opposition.

[13]            Pour revenir à la présente espèce, les avocats des appelantes ont recueilli avec soin dans la Loi divers passages indiquant subtilement, selon eux, que la Cour doit apprécier le risque de confusion non pas à la date de l'audience, mais à la date où la marque de l'intimée a été introduite sur le marché. Cependant, les appelantes n'ont pas cité de disposition expresse de la Loi ni n'ont invoqué de considérations particulières qui justifieraient l'appréciation du risque de confusion à cette dernière date.


[14]            Une des raisons pour lesquelles la date pertinente doit normalement être la date de l'audience est que la Cour peut ainsi disposer de tous les éléments de preuve pertinents relatifs aux circonstances de l'espèce susceptibles de devenir accessibles entre le moment du premier emploi et celui de l'audience (voir Cartier Inc. c. Cartier Optical Ltd. (1988), 20 C.P.R. (3d) 68 (C.F. 1re inst.), et Monsport Inc. c. Les Vêtements de Sport Bonnie, (1978) Ltée (1988), 22 C.P.R. (3d) 356 (C.F. 1re inst.)).

[15]            Dans les cas où, comme en l'occurrence, une injonction permanente est demandée, la date pertinente doit aussi être la date de l'audience. En effet, le point de savoir s'il y a eu risque de confusion à une époque antérieure ne permet pas de trancher la question de savoir si une telle injonction devrait être accordée au moment de l'audience. Il est donc évident que la Cour, dans un tel cas, doit apprécier le risque de confusion à la date de l'audience.

[16]            Il n'y a cependant pas de règle absolue pour ce qui concerne la date pertinente. Il peut y avoir des cas où une autre date ou d'autres dates conviendront mieux, selon les faits de l'espèce et les mesures de réparation demandées. Il pourrait évidemment en aller ainsi dans le cas où une partie soutiendrait que la contrefaçon a aussi bien cessé que commencé avant le procès. On n'établit pas le risque de confusion en fonction d'une date donnée; normalement, on essaie plutôt de démontrer l'existence de ce risque sur une durée déterminée, car c'est ainsi que peuvent être évalués le préjudice subi et les dommages-intérêts correspondants. Il est donc clair que la date pertinente, si elle est normalement la date de l'audience, peut aussi être une autre date, selon les faits particuliers de l'espèce et les conclusions des parties.


Deuxième question

Le risque de confusion

[17]            La deuxième question en litige, soit le point de savoir s'il y a risque de confusion entre les deux marques de commerce, est une question mixte de fait et de droit. Cependant, les appelantes soutiennent que certaines erreurs de droit distinctes peuvent être dégagées de la question, auxquelles la norme de la décision correcte est applicable. Ces erreurs de droit sont, selon elles, les suivantes :

a)    la juge de première instance s'est trompée en appliquant le critère de la confusion des produits au lieu du critère de la confusion des sources de ces produits;                        

b)    elle n'a pas apprécié le risque de confusion sur la base de la première impression d'un consommateur ordinaire;

c) elle n'a pas comparé les marques de commerce l'une à l'autre;

d) elle n'a pas examiné séparément les facteurs applicables;

e) elle n'a pas apprécié le risque de confusion dans l'hypothèse où les appelantes exerceraient à l'avenir leurs activités d'autres manières qui leur sont permises, notamment en utilisant les circuits de vente au détail;

f)    elle n'a pas donné effet à la décision de la Commission des oppositions.


[18]            L'intimée soutient qu'aucune erreur de droit distincte ne peut être dégagée de la question du risque de confusion, comme les appelantes voudraient le faire admettre. Nutravite Pharmaceuticals, après avoir passé en revue les erreurs imputées à la juge de première instance, affirme que cette dernière n'a commis aucune erreur de droit, mais est arrivée à sa décision en se basant principalement sur les faits de l'espèce et en évitant toute erreur manifeste et dominante.

[19]            Les dispositions de la Loi applicables à la présente espèce sont les suivantes :

6.(2) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris_:

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

6.(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

(c) the nature of the wares, services or business;

(d) the nature of the trade; and

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.


La juge de première instance a-t-elle appliqué un critère erroné à la question de la confusion?

[20]            Les avocats des appelantes soutiennent que la juge de première instance a examiné le point de savoir s'il y avait confusion en se fondant sur le critère erroné du « consommateur hypothétique, sorti acheter un flacon de vitamines des demanderesses » . C'est là, font-ils valoir, une erreur de droit. Je ne puis souscrire à leur thèse. S'il est vrai que la juge de première instance manquant peut-être en cela à la précision, a effectivement employé ces termes au paragraphe 39 de l'exposé de ses motifs, elle ne l'a fait que pour donner un exemple dans le contexte de l'examen de l'un des facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi - soit le genre de marchandises [alinéa e)] - et n'a pas ainsi commis une erreur de droit qui justifierait notre intervention.

[21]            Plus haut dans l'exposé de ses motifs (au paragraphe 18), la juge de première instance a montré qu'elle comprenait bien le « grand principe » applicable et a cité à bon droit le critère juridique formulé par la Cour au paragraphe 3 de l'arrêt Polo Ralph Lauren Corp. c. United States Polo Association (2000), 9 C.P.R. (4th) 51 :

[...] ce critère consiste à se demander si, comme première impression dans l'esprit d'un consommateur ordinaire ayant un souvenir vague et imparfait de l'autre marque, l'emploi des deux marques, dans la même région et de la même façon, est susceptible de donner l'impression que les marchandises reliées à ces marques sont produites ou commercialisées par la même société.

[22]            En outre, la juge de première instance a conclu dans les règles son analyse de la question de la confusion en appliquant le critère voulu, comme en témoigne le passage suivant :


Ainsi qu'il a été déjà indiqué, il n'est pas nécessaire d'attribuer le même poids aux facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi. À mon avis, le facteur auquel il faut accorder la plus grande importance en l'espèce, c'est la nature du commerce. Si l'on ajoute à ce facteur les éléments tenant aux circonstances de l'espèce, soit la présence du préfixe d'usage courant NUTRI au début de la marque de commerce et la coexistence des deux marques de commerce pendant plus de dix ans sans confusion, on arrive à la conclusion que les demanderesses ne se sont pas acquittées du fardeau qui leur incombait d'établir le risque de confusion entre les deux marques de commerce. Autrement dit, le consommateur moyen n'ayant qu'un souvenir vague ou imparfait de la marque de commerce NUTRILITE, placé devant un produit NUTRAVITE, ne conclurait pas que le produit NUTRAVITE est lié aux produits de marque NUTRILITE.

Compte tenu de toutes les circonstances, y compris celles qui sont énumérées au paragraphe 6(5) de la Loi, je conclus que l'emploi de la marque de commerce NUTRAVITE n'est pas susceptible de faire conclure que les produits NUTRAVITE et les produits NUTRILITE sont vendus par la même personne. NUTRAVITE n'est donc pas une marque de commerce qui crée de la confusion et il n'y a pas eu contrefaçon de la marque de commerce NUTRILITE.

[23]            La juge de première instance a manifestement compris que ce n'est pas n'importe quel membre du public qui doit risquer de confondre les sources des produits concurrents, mais plutôt les marchands ou les utilisateurs - potentiels ou réels - du genre de marchandises en question; voir British Drug Houses c. Battle Pharmaceuticals (1944), C.P.R. 48 (C. Éch.), le juge Thorson, à la page 51. La juge de première instance a bien vu que ce sont les consommateurs moyens des marchandises en cause qui doivent être pris en considération (voir United Artists Corporation c. Pink Panther Beauty Corp. (1998), 80 C.P.R. (3d) 247 (C.A.F.), à la page 255), et non n'importe quel passant indifférent.


[24]            La juge de première instance a fait observer à juste titre (à l'alinéa 18 (ii)), que le juge doit se mettre « dans la position d'un consommateur moyen qui a un certain souvenir de la marque [...] » et que « [l]a question est alors de savoir si cette personne, placée devant les produits [attaqués], en conclurait que [ces] marchandises [...] sont liées de quelque manière aux [autres] marchandises » .

[25]            Qui plus est, la jurisprudence, établit que cette appréciation du risque de confusion est essentiellement une question de fait (Benson and Hedges c. St. Regis Tobacco, [1969] R.C.S. 192, à la page 199); voir aussi le juge en chef Isaac dans l'arrêt Polo, précité, à la page 66; le juge Thorson dans British Drug Houses, précité, à la page 53; et Hughes, Trademarks, 2e éd., feuilles mobiles, à la page 69. Par conséquent, il faut faire preuve d'une retenue considérable à l'égard des décisions des juges de première instance touchant la question de la confusion. Il est à noter que, bien qu'une telle preuve ne soit certes pas requise, il n'a été présenté dans l'affaire qui nous occupe aucun élément tendant à établir la confusion effective.

[26]            J'estime que, dans l'ensemble, la juge de première instance a montré qu'elle comprenait le critère juridique applicable et l'a appliqué rationnellement aux faits tels qu'ils lui ont été présentés.

Y a-t-il eu erreur de droit touchant la source des marchandises?

[27]            Un autre des principaux arguments des avocats des appelantes est que la juge de première instance a appliqué à tort un critère d'appréciation du risque de confusion entre les produits plutôt qu'entre les sources de ceux-ci.


[28]            S'il est vrai que la juge de première instance a peut-être manifesté une tendance à mettre l'accent sur la confusion par rapport aux produits, elle n'a commis à cet égard, tout bien considéré et compte tenu des faits de l'espèce, aucune erreur de droit. Cette affaire mettait en jeu des produits similaires désignés par des marques de commerce similaires. Il était évident que, s'ils créaient de la confusion chez le consommateur moyen, ce ne pouvait être qu'en l'incitant à leur attribuer une source commune. Ce n'était pas une affaire du genre qui met en cause des types de produits différents désignés par des marques similaires, par exemple des cigarettes Ford ou des voitures Camel, où le tribunal serait tenu de s'attacher explicitement à la confusion touchant la source de ces produits (voir aussi United Artists c. Pink Panther Beauty Corporation (1998), 80 C.P.R. 264 (C.A.F.)). Si la juge de première instance ne s'est pas concentrée systématiquement sur la source des marchandises, on ne m'a pas persuadé qu'elle avait commis une erreur de droit dans cet aspect de son analyse, compte tenu des faits de l'espèce.

L'attitude adoptée à l'égard de la décision de la Commission des oppositions des marques de commerce

[29]            Les appelantes soutiennent que la juge de première instance aurait dû accorder plus de poids dans l'exposé de ses motifs à la décision par laquelle la Commission des oppositions a rejeté la demande d'enregistrement de la marque de commerce NUTRAVITE. Nutravite a interjeté appel de cette décision, mais s'est ensuite désistée. Le Parlement, font valoir les appelantes, ne peut avoir eu l'intention de permettre à l'intimée de continuer à employer une marque dont la Commission a statué qu'elle créait de la confusion.


[30]            La juge de première instance n'était pas liée par la décision de la Commission des oppositions. Elle a cependant bel et bien pris en considération cette décision et le poids que, le cas échéant, il convenait de lui attribuer en tant que circonstance de l'espèce dans la décision d'ensemble sur la question de la confusion. Elle a conclu son analyse par les observations suivantes, où elle fait remarquer les différences entre les deux affaires sous le rapport de la charge de la preuve, de la composition de la preuve et de la question juridique à trancher :

Toutefois, j'estime qu'il faut accorder peu de poids à la décision définitive de la Commission des oppositions. Celle-ci, bien qu'elle ait à appliquer les mêmes dispositions du paragraphe 6(5) de la Loi concernant la confusion, avait en main un dossier différent et prenait une décision différente, pour laquelle le fardeau de la preuve était différent. On ne peut, à mon avis, invoquer cette décision dans la présente procédure. En outre, je ne suis pas en mesure de réviser la décision de ce tribunal administratif. Dans la présente action, j'ai à faire mes constatations et à tirer mes conclusions sur le fondement de la preuve qu'on m'a présentée et de mon analyse du droit applicable. Aussi, malgré l'identité des parties et de la question de la confusion, je n'entends pas faire preuve de déférence à l'égard de la Commission des oppositions en arrivant à mes conclusions dans la présente affaire.

[31]            Je ne puis voir dans cette analyse aucune erreur qui appellerait notre intervention. Il n'est pas sans précédent dans l'histoire du système judiciaire que la même situation de fait donne lieu à des décisions différentes lorsque des questions différentes sont mises en litige et que sont produits des éléments de preuve différents.


Autres questions

[32]            Ayant examiné les principales erreurs de droit imputées à la juge de première instance, je passerai maintenant en revue brièvement certaines des critiques d'ordre principalement factuel formulées par les avocats des appelantes.

[33]            Comme je le disais plus haut, la juge de première instance, malgré quelques imprécisions verbales dénuées d'importance, a appliqué globalement le critère légitime d'appréciation du risque de confusion, a analysé chacun des facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi et a examiné plusieurs circonstances de l'espèce comme elle le devait. Selon ses conclusions, plusieurs de ces facteurs favorisaient les appelantes, d'autres l'intimée.


[34]            En dépit de l'argumentation complexe des avocats des appelantes, je ne vois dans ces analyses de la juge de première instance, pour ce qui concerne les facteurs qui favorisaient l'intimée, aucune erreur manifeste et dominante qui justifierait notre intervention. Les appelantes font état de nombreuses erreurs. Elles soutiennent par exemple que la juge a mal compris et employé l'expression « caractère distinctif inhérent » de l'alinéa 6(5)a), c'est-à-dire sans accorder une attention suffisante à l'adjectif « inhérent » . Elle a conclu à tort, font-elles valoir, que la marque était « dépourvue de caractère distinctif inhérent » au motif que l'un des témoins aurait « reconnu » ce fait, alors qu'en réalité il avait seulement dit que la marque n'était [traduction] « pas particulièrement distinctive » . Les appelantes affirment également que la juge de première instance s'est trompée en employant l'expression « bien connue » plutôt que le terme « connus » , sans déterminatif, qu'on trouve à l'alinéa 6(5)a) de la Loi. À mon avis, la juge n'a pas adopté de norme ou de critère nouveau en employant l'expression « bien connue » . Tout ce qu'elle voulait dire, c'est que le produit n'était pas devenu connu dans une mesure appréciable. Les appelantes reprochent en outre à la juge de ne pas avoir comparé les deux produits sous le rapport de la connaissance qu'on en avait sur le marché, au lieu de se contenter d'examiner sous cet angle la seule marque des appelantes. D'autres arguments de même nature ont été avancés. On ne m'a pas convaincu que l'un quelconque de ces arguments, qui paraissent principalement linguistiques dans la mesure où ils mettent en cause les paraphrases de la juge, établit une erreur qui suffirait à justifier notre intervention. En règle générale, nous n'examinons pas les exposés de motifs au microscope.

[35]            Un des facteurs les plus importants analysés par la juge de première instance était celui de l'alinéa 6(5)d), soit la nature du commerce. Les avocats des appelantes lui ont reproché à ce propos quelques erreurs de fait, concernant en particulier un certain chevauchement des méthodes de distribution, mais aucune de ces erreurs ne peut être dite manifeste et dominante. Le volumineux dossier contenait des pièces dont la juge de première instance était fondée à induire que les circuits commerciaux de ces deux produits sont fondamentalement différents, et donc que « la nature du commerce des produits NUTRILITE présente des différences importantes avec celle des produits NUTRIVITE » (paragraphe 49). « La possibilité de confusion est ténue » , a conclu la Cour. Je ne constate aucune erreur qui justifierait l'infirmation de cette conclusion générale fondée sur un examen de l'ensemble de la preuve.


[36]            L'argument des appelantes fondé sur le passage suivant de l'arrêt Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd. (1987), 19 C.P.R. (3d) 3 (C.A.F.), à la page 12, ne me paraît pas plus convaincant :

La question de savoir si les marques de commerce ou les noms commerciaux de l'intimée créent de la confusion avec la marque enregistrée de l'appelante doit donc être examinée en tenant compte non seulement de l'entreprise actuelle que l'appelante exploite dans la région des opérations de l'intimée, mais aussi de la possibilité de confusion si l'appelante devait exercer ses activités dans cette région de toute manière qui lui est permise en utilisant sa marque de commerce en liaison avec les sandwiches vendus ou les services exécutés dans l'exercice de son entreprise.

Les appelantes invoquent ici en particulier l'obligation de prendre en compte l'exercice potentiel de leurs activités « de toute manière qui [leur] est permise » . Selon elles, il faudrait protéger toutes méthodes de distribution envisageables à n'importe quel moment de l'avenir. Ce n'est pas là, à mon sens, une interprétation légitime de l'expression dont elles font état.


[37]            La juge de première instance a conclu à bon droit, vu la preuve dont elle disposait, que toute incursion importante dans les circuits de vente au détail de la part des appelantes était « purement hypothétique » . Aucun plan d'entreprise ne laissait prévoir la modification de leurs méthodes de vente. Leurs cadres qui ont témoigné n'ont rien dit qui révélerait un changement imminent de leur stratégie de commercialisation. En fait, un de ces témoins a déclaré qu'il n'était[traduction] « absolument pas question » que les produits NUTRILITE se vendent un jour dans les magasins de détail. Par conséquent, tout argument fondé sur une évolution éventuelle de cette nature était hypothétique et dépourvu de fondement concret. La jurisprudence établit que l'examen des activités futures d'une entreprise ne devrait pas comprendre de spéculations sur de nouvelles activités possibles (voir Joseph E. Seagram & Sons Ltd. c. Registraire des marques de commerce (1990), 33 C.P.R. 454, (C.F. 1re inst.), à la page 46, Cochrane-Dunlop Hardware Ltd. c. Capital Diversified Industries Ltd. (1976), 30 C.P.R. (2d) 176 (C.A. Ont.), à la page 188).    Il vaut mieux se fonder sur les circuits commerciaux effectivement utilisés au moment de l'examen des conclusions touchant le risque futur de confusion (voir Man and His Home Ltd. c. Mansoor Electronics Ltd. (1999), 87 C.P.R. (3d) 218, à la page 226, conf. par 9 C.P.R. (4th) 68 (C.A.F.)). Sur ces questions non plus, je ne vois aucune erreur justifiant l'infirmation de la décision.

[38]            Pour ce qui concerne les circonstances de l'espèce, la juge de première instance a examiné, parallèlement aux facteurs expressément prévus par la Loi, toutes celles qui pouvaient être envisagées, et les a examinées selon les règles. Elle est ainsi arrivée à une conclusion conforme à la preuve, à la Loi et aux principes prépondérants applicables. Je ne vois donc aucune raison de casser sa décision.


CONCLUSION

[39]            J'estime que le présent appel devrait être rejeté avec dépens à l'intimée.

                                                                                  « A.M. Linden »                    

Juge     .   

« Je souscris aux présents motifs

Marshall Rothstein, juge »

« Je souscris aux présents motifs

K. Sharlow, juge »

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         A-143-04

INTITULÉ :                                            ALTICOR INC. et al.

c.

NUTRAVITE PHARMACEUTICALS INC.

APPEL D'UNE ORDONNANCE DE LA JUGE SNYDER EN DATE DU 16 FÉVRIER 2004, DOSSIER NO T-1489-99

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 8 JUIN 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :             LE JUGE LINDEN

Y ONT SOUSCRIT :              LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

DATE DES MOTIFS :                       LE 9 AOÛT 2005

COMPARUTIONS :

Diane E. Cornish                                   POUR LES APPELANTES

Andrea Slain

Marcus Gallie                                       POUR L'INTIMÉE

Lisa Reynolds

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osler, Hoskin & Harcourt LLP POUR LES APPELANTES

Ottawa (Ontario)                      

Ridout & Maybee LLP                          POUR L'INTIMÉE

Ottawa (Ontario)                      


Date : 20050809

Dossier : A-143-04

Ottawa (Ontario), le 9 août 2005

CORAM :        LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                      ALTICOR INC. et

                     QUIXTAR CANADA CORPORATION

                                                                                          appelantes

                                                                                (demanderesses)

                                                     et

                 NUTRAVITE PHARMACEUTICALS INC.

                                                                                                intimée   

                                                                                   (défenderesse)

                                           JUGEMENT

L'appel est rejeté avec dépens.

    « A.M. Linden »

_________________________________________

            Juge       

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali


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