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Date : 20010606

Dossier : A-410-00

Référence neutre : 2001 CAF 192

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE ROTHSTEIN                                                                                      

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

                                      MERCK FROSST CANADA INC. et MERCK & CO. INC.

                                                                                                                                                   appelante(s)

                                                                                                                                          (demanderesses)

                                                                              - et -

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et ALCON CANADA INC.

                                                                                                                                                         intimé(s)

                                                                                                                                                  (défendeurs)

AUDIENCE TENUE à Ottawa (Ontario), le mercredi 23 mai 2001

Jugement rendu à Ottawa, le mercredi 6 juin 2001

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :                                                                                  LE JUGE STONE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE ROTHSTEIN

                                                                                                                                       LE JUGE SEXTON


Date : 20010606

Dossier : A-410-00

Référence neutre : 2001 CAF 192

CORAM:        LE JUGE STONE

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

                                      MERCK FROSST CANADA INC. et MERCK & CO. INC.

                                                                                                                                                   appelante(s)

                                                                                                                                          (demanderesses)

                                                                              - et -

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et ALCON CANADA INC.

                                                                                                                                                         intimé(s)

                                                                                                                                                  (défendeurs)

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STONE

[1]                 Il s'agit de l'appel d'une ordonnance datée du 30 mai 2000 par laquelle le juge Muldoon a rejeté la demande des appelantes visant à obtenir une ordonnance d'interdiction conformément à l'article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) pris en 1993 (C.P. 1993-502) et modifié en 1998 (C.P. 1998-366) (le Règlement).


                                                                       HISTORIQUE

[2]                 Les appelantes sont respectivement licenciée et titulaire du brevet canadien no 1,280,367 (le brevet) délivré le 19 février 1991 et intitulé « composition pharmaceutique du type subissant une transition de phase liquide-gel » . Le brevet expire en 2008.

[3]                 La revendication 1 du brevet est ainsi libellée :

[TRADUCTION] 1.             Composition pharmaceutique destinée à entrer en contact avec un liquide physiologique, caractérisé par le fait que ladite composition est destinée à être administrée sous une forme liquide non gélifiée et à se gélifier in situ; cette composition contient au moins un polysaccharide en solution aqueuse, du type subissant une transition de phase liquide-gel, se gélifiant in situ sous l'effet d'une augmentation de la force ionique dudit liquide physiologique.

[4]                 Le 21 juin 1995, le ministre intimé a délivré à l'appelante un avis de conformité pour TIMOPTIC-XE®, une solution gélifiante ophtalmique en concentrations de 0,25 % and 0,5 %. La première appelante a déposé le Formulaire IV : Liste de brevets, afférent aux médicaments brevetés et y a indiqué le brevet en question, conformément à l'article 4 du Règlement.


[5]                 Par une lettre datée du 10 juin 1998 et contenant l'avis d'allégation fait en vertu de l'alinéa 5(3)b) du Règlement, Alcon a signifié à la première appelante qu'elle avait soumis à Santé Canada une présentation abrégée de drogue nouvelle pour une solution gélifiante ophtalmique au maléate de timolol en concentrations de 0,25 % et 0,5 %. Il était allégué dans l'avis qu'en ce qui concerne le brevet, [TRADUCTION] « aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par Alcon de la solution gélifiante ophtalmique au maléate de timolol en concentrations de 0,25 % et 0,5 % » et que le brevet [TRADUCTION] « est invalide » .

[6]                 La lettre du 10 juin 1998 incluait aussi un « énoncé détaillé » qui était censé contenir « [l]e droit et [les] faits sur lesquels se fonde [l'allégation] » . Parmi les motifs invoqués dans ce document afin d'expliquer pourquoi la composition d'Alcon ne contrefaisait pas les revendications du brevet, on trouve les suivants :

[TRADUCTION] La solution gélifiante ophtalmique au maléate de timolol en concentrations de 0,25 % et de 0,5 % proposée par Alcon contient de la gomme xanthane. La gomme xanthane n'est pas un polysaccharidedu type subissant une transition de phase liquide-gel, se gélifiant in situ sous l'effet d'une augmentation de la force ionique dudit liquide. Par conséquent,la solution gélifiante ophtalmique au maléate de timolol en concentrations de 0,25 % et de 0,5 % d'Alcon ne contrefait pas la revendication 1 du brevet 387.

Merck a effectivement admis que la gomme xanthane n'est pas un polysaccharidedu type subissant une transition de phase liquide-gel, se gélifiant in situ sous l'effet d'une augmentation de la force ionique dudit liquide. Durant l'examen de la demande de son homologue américain (il s'agit maintenant du brevet américain no 4,861,760) et afin de réfuter les objections fondées sur les données qui divulguaient les compositions ophthalmiques contenant de la gomme xanthane, Merck a soutenu devant le Patent Office des États-Unis que la gomme xanthane n'est pas un polysaccharidedu type subissant une transition de phase liquide-gel, se gélifiant in situ sous l'effet d'une augmentation de la force ionique dudit liquide. Plus précisément, Merck a déclaré ce qui suit : « mais les solutions à base de gomme xanthane ne subissent pas de transition de phase liquide-gel ou gel-liquide lorsqu'elles sont appliquées sur l'oeil » (modification à la demande de Merck en vertu de l'article 37 CFR 61.111, datée du 7 décembre 1988, p. 5). Merck a rajouté :

Lin et al. sont censés divulguer les avantages de l'utilisation de la gomme xanthane gélifiante, mais aucun avantage n'est lié de près au fait que la gomme peut se transformer en gel. La viscosité est fonction de la concentration de gomme dans le liquide, et aucune transition de phase liquide-gomme n'est possible avec la gomme xanthane. Aucune transformation ne s'opère.


(Id., p. 7-8. (Non souligné dans l'original.)

La position de Merck telle que susmentionnée vient appuyer clairement et sans équivoque la position d'Alcon selon laquelle la solution ophthalmique proposée ne contrefait pas la revendication 1 du brevet 367 parce qu'elle contient de la gomme xanthane qui n'est pas un polysaccharidedu type subissant une transition de phase liquide-gel, se gélifiant in situ sous l'effet d'une augmentation de la force ionique dudit liquide.

Qui plus est, la solution gélifiante ophtalmique au maléate de timolol en concentrations de 0,25 % et de 0,5 % proposée par Alcon ne contrefait pas la revendication 1 du brevet 367 puisque la revendication 1 ne peut être interprétée de façon valable comme ayant une portée suffisamment large pour englober la gomme xanthane sans englober également les compositions ophtalmiques antérieures. Par exemple, le brevet américain no 4,136,177, qui a été délivré le 23 janvier 1979, divulgue des compositions ophthalmiques contenant n'importe quel médicament ophthalmique à des concentrations de 0,1 % à environ 2,5 % en poids par volume de gomme xanthane. Les solutions gélifiantes ophtalmiques au maléate de timolol en concentrations de 0,25 % et de 0,5 % proposées par Alcon contiennent de la gomme xanthane dont le poids par volume varie entre environ 0,1 % et 2,5%.

[7]                 L'énoncé détaillé présentait ensuite le fondement de l'allégation d'invalidité. Cette partie de l'énoncé est ainsi rédigé :

[TRADUCTION] Dans le cas où la revendication 1 serait interprétée comme incluant la gomme xanthane, interprétation précisément refusée, toutes les revendications du brevet 367 seraient invalides. Comme on le mentionne plus haut, les compositions ophtalmiques contenant un médicament ophtalmique et de la gomme xanthane étaient connues avant la date du dépôt du brevet 367. Le timolol et le maléate de timolol et leur utilisation comme bêta-bloquants dans le but de réduire l'hypertension ophtalmique étaient également connus avant la date de dépôt du brevet 367. Par conséquent, dans la mesure où les revendications du brevet 367 incluent la gomme xanthane, ces revendications sont évidentes compte tenu de l'état antérieur de la technique.

De plus, dans la mesure où les revendications du brevet 367 incluent la gomme xanthane, elles sont invalides en raison de leur caractère inopérant ou de leur absence d'utilité. La gomme xanthane ne subit pas de transition de phase liquide-gel, se gélifiant in situ sous l'effet d'une augmentation de la force ionique dudit liquide physiologique, comme on le prétend.


[8]                 Le 7 août 1998, les appelantes ont introduit l'instance fondée sur l'article 6 étayée par une preuve par affidavit. La mesure corrective demandée dans l'avis de demande est la suivante :

[TRADUCTION] Une ordonnance interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer à la défenderesse Alcon Canada Inc. (Alcon) un avis de conformité pour une solution gélifiante ophtalmique au maléate de timolol en concentrations de 0,25 % et 0,5 % tant que le brevet canadien no 1,280,367 ne sera pas expiré.

L'ORDONNANCE DE LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

[9]                 Le juge Muldoon n'a pas estimé nécessaire d'examiner l'allégation d'invalidité. Selon lui, l'avis d'allégation d'Alcon était suffisant et les appelantes ne s'étaient pas acquittées du fardeau qui leur incombait de démontrer que l'allégation de non-contrefaçon n'était pas fondée. Ayant de toute évidence porté attention au droit et aux faits soulignés dans l'énoncé détaillé, le juge Muldoon a conclu qu'Alcon n'a pas, par la preuve qu'elle a présentée, ajouté de façon concrète aux faits sur lesquels elle fonde son allégation. Il a toutefois tenu compte d'un aveu fait par la première appelante dans le cadre d'une demande de brevet étranger du 30 avril 1998, dont il a été question dans la preuve sous forme d'opinion du témoin expert d'Alcon.

                        MANQUE D'INTÉRÊT PRATIQUE


[10]            Le 3 juin 2000, le juge Muldoon a accordé une suspension provisoire de l'ordonnance du 30 mai 2000 jusqu'à ce qu'une requête en suspension interlocutoire puisse être entendue. Le juge Campbell a entendu et rejeté cette requête le 12 juin 2000. Un appel de cette ordonnance a été immédiatement interjeté, mais notre Cour l'a rejeté le 8 mars 2001 pour une question de forme. Lors de l'audience devant le juge Campbell, Alcon s'est engagée à ne pas faire valoir que le présent appel serait maintenant dénué d'intérêt pratique pour le motif qu'un avis de conformité lui ayant été délivré par le ministre le 13 juin 2000, il n'existait aucune raison justifiant l'intervention de notre Cour.

[11]            Les appelantes soutiennent que le droit d'interjeter appel et la compétence de la Cour sont prévus par l'alinéa 27(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale et que, malgré la très récente décision de notre Cour dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., [2001] A.C.F. no17 (QL), le présent appel n'est pas dénué d'intérêt pratique. Elles affirment que l'arrêt Pfizer, précité, se distingue de l'espèce en ce qu'il s'appuie sur une décision antérieure complètement différente rendue par notre Cour dans l'affaire Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1999) 240 N.R. 195, autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada rejeté [1999] 1 R.C.S. xi. Dans l'arrêt Merck Frosst, précité, notre Cour a confirmé la décision du juge Rothstein (alors juge à la Section de première instance) selon laquelle une demande d'interdiction fondée sur l'article 6 était dénuée de tout intérêt pratique puisque l'avis d'allégation avait été retiré peu de temps après l'introduction de la demande d'interdiction. Qui plus est, le délai de suspension de 30 mois, prévu à l'alinéa 7(1)e) du Règlement, était expiré. En confirmant cette décision, notre Cour a fait remarquer qu'à la suite de la décision du juge Rothstein rejetant la demande d'interdiction pour manque d'intérêt pratique, le ministre avait effectivement délivré l'avis de conformité. Le juge Décary a donc conclu, au paragraphe 5 :

L'appel est de toute évidence dénué d'intérêt pratique puisque le ministre a fait ce que le paragraphe 7(1) du Règlement l'autorisait à faire, soit délivrer un avis de conformité.


[12]            Les appelantes soutiennent que les circonstances de l'espèce sont nettement différentes en ce que l'actuelle période de suspension de 24 mois prévue à l'alinéa 7(1)e) du Règlement modifié n'était pas expirée au moment où le présent appel a été interjeté, contrairement à celle invoquée devant notre Cour dans l'arrêt Merck Frosst, précité. Les appelantes font également valoir que la suggestion faite dans l'arrêt Pfizer, précité, savoir que l'instance introduite en vertu de l'article 6 de même que tout appel en résultant doivent être complétés à l'intérieur du délai de suspension est tout simplement erronée et que la Cour ne doit pas en tenir compte. Elles affirment que le délai de suspension de 24 mois ne vise que l'instance introduite en vertu de l'article 6 per se et qu'il n'a jamais été prévu que ce délai de 24 mois incluait le temps nécessaire pour interjeter appel d'une décision rendue en application de cet article.


[13]            Quoi qu'il en soit, les appelantes soutiennent que si elle devait conclure que l'appel est dénué de tout intérêt pratique, la Cour devrait néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire et l'entendre afin de permettre aux appelantes de se soustraire à l'application automatique du paragraphe 8(1) du Règlement. En vertu de ce paragraphe, une partie se trouvant dans la situation des appelantes est responsable envers une partie se trouvant dans la situation d'Alcon « de toute perte subie » par cette dernière au cours de la période mentionnée aux alinéas 8(1)a) et b) du Règlement. Les appelantes ont attiré l'attention de la Cour sur le libellé actuel du paragraphe 8(1) par rapport à ce qu'il était à l'époque où elle a rendu l'arrêt Pfizer, précité, et elles soutiennent que la possibilité d'interjeter appel, peu importe quand il peut être entendu, est maintenant clairement envisagée avant que n'existe l'obligation de payer les pertes subies. Il est donc allégué que le présent appel devrait être entendu, même si le délai de suspension de 24 mois est déjà expiré, parce que les appelantes n'ont pas à être tenues responsables de toute perte en vertu du paragraphe 8(1) tant qu'il est possible à la Cour de décider si l'énoncé détaillé était suffisant et si Alcon a, par la « preuve » qu'elle a soumise dans l'instance introduite en vertu de l'article 6, ajouté aux faits invoqués dans son énoncé détaillé. Selon les appelantes, l'alinéa 7(1)b) du Règlement interdit au ministre de délivrer un avis de conformité « avant [...] la date à laquelle la seconde personne se conforme à l'article 5 » . Elle font ainsi valoir qu'à moins que la Cour ne juge que l'énoncé détaillé est conforme à l'alinéa 5(3)a) du Règlement, on ne peut affirmer qu'Alcon s'est conformée aux exigences de cet alinéa, et par conséquent, que le ministre a validement délivré l'avis de conformité.

[14]            De la façon dont j'envisage le présent appel, il n'est pas nécessaire d'examiner la question de l'absence d'intérêt pratique. Cette question devrait être soulevée et débattue au cours d'une autre instance devant la Cour. Pour les fins du présent appel, la Cour doit supposer, sans pour autant statuer sur cette question, que l'appel n'est pas dénué d'intérêt pratique. Les parties ont présenté tous leurs arguments sur le bien-fondé de l'affaire.

                              BIEN-FONDÉ DE L'AFFAIRE

[15]            Les appelantes ont soulevé plusieurs questions dans leur argumentation écrite. Elles ont présenté une argumentation orale sur les deux premières questions, à savoir :

1. Le juge de première instance a-t-il commis une erreur de droit en concluant que le soi-disant avis d'allégation satisfait aux exigences de l'alinéa 5(3)a) du Règlement?   

2. Le juge de première instance a-t-il commis une erreur de droit en ne limitant pas les allégations avancées par Alcon, lors de la demande à celles énoncées dans l'avis d'allégation ?

Les questions restantes - qui n'ont pas été abandonnées - portent sur des erreurs qu'auraient commises le juge des requêtes quant à l'admissibilité de la preuve d'expert sur la question de la non-contrefaçon, l'admissibilité des aveux de la deuxième appelante contenus dans les demandes de brevet étranger, le critère applicable à la contrefaçon et la preuve d'expert qui s'y rapporte, et l'interprétation du brevet lui-même. À mon avis, rien ne justifie que j'intervienne dans la décision du juge Muldoon d'admettre les éléments de preuve produits tardivement, y compris les aveux contenus dans les demandes de brevet étranger. Il s'agissait de questions qui relevaient de son pouvoir discrétionnaire en tant que juge des requêtes et il n'a pas été démontré qu'il avait exercé ce pouvoir de façon incorrecte. À mon avis, le juge Muldoon n'a pas non plus commis d'erreur dans son interprétation du brevet.

[16]            J'examinerai maintenant les deux questions auxquelles les appelantes ont limité leur argumentation orale. Elles peuvent sans problème être examinées ensemble. Je suis convaincu que le juge Muldoon n'a commis aucune erreur en confirmant que l'avis d'allégation était suffisant et je souscris respectueusement à sa conclusion que l'allégation de non-contrefaçon n'est pas, en l'espèce, une « assertion vague » .


[17]            La deuxième question équivaut à une contestation du contenu de l'énoncé détaillé et de l'ajout allégué de faits nouveaux après le 10 juin 1998. La jurisprudence indique clairement que l'énoncé détaillé exigé par l'alinéa 5(3)a) du Règlement doit contenir tous les faits invoqués par la seconde personne au soutien des allégations qu'elle fait en vertu de l'alinéa 5(1)b) de telle façon que le licencié soit parfaitement au courant des motifs pour lesquels il n'y aurait pas contrefaçon du brevet : AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (2000) 256 N.R. 172 (C.A.F.); SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc., (2001) 10 C.P.R. (4th) 338 (C.A.F.). Tel qu'il a été statué dans l'arrêt AB Hassle, précité, au paragraphe 23, « [l]'intention [de l'alinéa 5(3)a)] serait plutôt que tous les faits sur lesquels on se fonde devraient figurer dans l'énoncé et non pas être révélés pièce à pièce au moment où on en sent le besoin dans le cadre d'une instance relative à la demande visée à l'article 6 » .


[18]            Il est à noter que les faits sur lesquels se fonde l'allégation de non-contrefaçon dans l'énoncé détaillé d'Alcon sont que sa composition contient de la gomme xanthane et que [TRADUCTION] « la gomme xanthane n'est pas un polysaccharide du type subissant une transition de phase liquide-gel, se gélifiant in situ sous l'effet d'une augmentation de la force ionique dudit liquide » . L'allégation de non-contrefaçon contenue dans la lettre du 10 juin 1998 doit être tenue pour avérée à moins que les appelantes ne démontrent le contraire : Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1994) 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.), à la page 319. Selon la revendication 1 du brevet, la composition dont il y est question devrait contenir [TRADUCTION] « un polysaccharide en solution aqueuse, du type subissant une transition de phase liquide-gel, se gélifiant in situ sous l'effet d'une augmentation de la force ionique dudit liquide physiologique » .

[19]            Au paragraphe 12 de ses motifs, le juge Muldoon a donné à entendre qu'une certaine latitude est permise afin de compléter par « des allégations plus détaillées » celles qui ont déjà été formulées, et il a conclu que celles d'Alcon n'avaient pas dépassé cette limite. Si, comme cela semble être le cas, le juge Muldoon faisait allusion aux éléments de preuve invoqués par Alcon pour soutenir le vaste exposé de faits contenu dans son énoncé détaillé, selon lequel sa gomme xanthane n'est pas un polysaccharide du type subissant une transition de phase liquide-gel, se gélifiant in situ sous l'effet d'une augmentation de la force ionique dudit liquide, cela n'a rien d'exceptionnel. Comme je l'ai déjà dit, les décisions de notre Cour indiquent clairement que la seconde personne ne doit pas, dans le cadre d'une instance introduite en vertu de l'article 6, se fonder sur des faits qui vont au-delà de ceux précisés dans l'énoncé détaillé.


[20]            Je ne vois aucun motif d'infirmer l'ordonnance du juge Muldoon dans son ensemble. À la lecture de ses motifs, il est évident qu'il a étudié le dossier qu'on lui a soumis et qu'il a porté une attention particulière à l'avis d'allégation, à l'énoncé détaillé et aux éléments de preuve soumis par les parties au litige. Il a finalement conclu qu'il n'a pas été démontré que les allégations de non-contrefaçon d'Alcon « ne sont pas fondées » . Il me semble qu'il s'agit d'un renvoi évident au fait que, quel que soit le mécanisme qui amène la composition d'Alcon à se gélifier in situ, il n'a pas été prouvé qu'il s'agissait du mécanisme revendiqué dans la revendication 1 du brevet, à savoir [TRADUCTION] « l'effet d'une augmentation de la force ionique dudit liquide physiologique » .

[21]            Qui plus est, même si le juge Muldoon ne voulait pas admettre la déclaration faite pendant l'examen de la demande de son homologue américain à laquelle il est renvoyé dans l'énoncé détaillé, il a été aidé par l'aveu contenu dans la demande de brevet étranger de Chastaing datée du 30 avril 1998 qui a été présentée par une société affiliée aux appelantes. Selon le témoin expert d'Alcon, cette demande était afférente aux [TRADUCTION] « compositions ophtalmiques contenant un anhydrase carbonique inhibiteur et de la gomme xanthane » et il indique à la page 50, lignes 20-25:

[TRADUCTION] [....] la viscosité de la gomme xanthane est relativement insensible[...] aux variations de la force ionique et du pH. Les solutions à base de gomme xanthane ne présentent donc pas de propriétés permettant une transition de phase liquide-gel; c'est pourquoi la gomme xanthane ne convient pas à la formulation de solutions gélifiantes in situ."

[22]            Les appelantes soutiennent que cette partie du témoignage de l'expert n'est pas un élément de preuve qui supporte une allégation de non-contrefaçon, mais qu'il s'agit plutôt d'un fait nouveau qui n'a pas été spécifiquement invoqué dans l'énoncé détaillé. Comme je l'ai déjà dit, l'énoncé du 30 avril 1998, précédemment cité, a été admis à bon droit par le juge Muldoon. Qui plus est, à mon avis, il ne s'agit pas d'un fait nouveau mais plutôt d'une preuve supportant l'allégation selon laquelle [TRADUCTION] « la gomme xanthane n'est pas un polysaccharide du type subissant une transition de phase liquide-gel, se gélifiant in situ sous l'effet d'une augmentation de la force ionique dudit liquide » .


[23]            Compte tenu de mon analyse concernant la question de la non-contrefaçon et de la conclusion à laquelle j'en suis arrivé à cet égard, il n'est pas nécessaire d'examiner la contestation par les appelantes de l'allégation d'invalidité.

                                              DISPOSITIF

[24]            Je rejetterais l'appel avec dépens.

                                                                                       « A.J. STONE »                       

                                                                                                                             Juge

« Je souscris aux présents motifs

    Marshall Rothstein, J.C.A. »

« Je souscris aux présents motifs

    Edgar Sexton, J.C.A. »

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


Date : 20010606

Dossier : A-410-00

OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 6 JUIN 2001

CORAM:        LE JUGE STONE

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

                                      MERCK FROSST CANADA INC. et MERCK & CO. INC.

                                                                                               appelante(s)

                                                                                      (demanderesses)

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et ALCON CANADA INC.

                                                                                                     intimé(s)

                                                                                              (défendeurs)

                                              JUGEMENT

L'appel est rejeté avec dépens.

                                                                                        « A.J. STONE »                                   

                                                                                                               JUGE

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           A-410-00

INTITULÉ DE LA CAUSE : MERCK FROSST CANADA INC. et MERCK & CO. INC.

c.

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et ALCON CANADA INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 23 mai 2001

MOTIFS DU JUGEMENT : Le juge STONE

Y ONT SOUSCRIT :              Le juge ROTHSTEIN

Le juge SEXTON

DATE DES MOTIFS :                        Le 6 juin 2001

ONT COMPARU :

William H. Richardson              POUR LES APPELANTES

Andrew J. Reddon

Gunars A. Gaikas                                    POUR LES INTIMÉS

Yoon Kang

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault                                   POUR LES APPELANTES

Toronto (Ontario)

Smart & Biggar                                       POUR LES INTIMÉS

Toronto (Ontario)

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