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Date : 20060525

Dossier : A-315-05

Référence : 2006 CAF 199

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE NADON               

                        LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

BRENT PEARSON

défendeur

Audience tenue à Fredericton (Nouveau-Brunswick), le 17 mai 2006

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 mai 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                    LE JUGE EN CHEF RICHARD

LE JUGE PELLETIER


Date : 20060525

Dossier : A-315-05

Référence : 2006 CAF 199

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE NADON               

                        LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

BRENT PEARSON

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]                Après avoir travaillé pendant plus de 18 ans chez Craig Manufacturing Ltd., le défendeur a été congédié le 10 mars 2004. En conséquence, le défendeur a demandé des prestations d'assurance-emploi le 30 mars 2004 et, le 28 juin 2004, la Commission de l'assurance-emploi (la Commission) l'a informé qu'il était exclu du bénéfice des prestations en raison de son inconduite.

[2]                Le défendeur a interjeté appel de la décision de la Commission auprès du conseil arbitral (le conseil) qui, le 25 novembre 2004, a rejeté l'appel, concluant que le défendeur avait perdu son emploi en raison de son inconduite.

[3]                Le défendeur a ensuite contesté la décision du conseil devant un juge-arbitre qui, le 16 mai 2005 (CUB 63538), a annulé la décision du conseil, concluant que, ayant produit suffisamment d'éléments de preuve médicale démontrant sa dépendance à l'alcool au moment de son congédiement, le défendeur n'avait pas perdu son emploi en raison de son inconduite.

[4]                C'est cette décision que le procureur général, par la présente demande de contrôle judiciaire, souhaite faire infirmer. Pour les motifs qui suivent, j'accueillerais la demande.

[5]                Il n'est pas contesté que, pendant toute la période pertinente en l'espèce, le défendeur a souffert d'un grave problème d'alcoolisme. Cependant, là n'est pas la question qui nous est soumise, ni celle qui a été soumise au juge-arbitre et au conseil. La question consiste plutôt à savoir si le défendeur a été congédié en raison de son inconduite. Si c'est le cas, la décision de la Commission doit être confirmée.   

[6]                Le paragraphe 30(1) de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, sur lequel s'appuie la Commission dans sa décision est rédigé comme suit :

30. (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s'il perd un emploi en raison de son inconduite ou s'il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :

30. (1) A claimant is disqualified from receiving any benefits if the claimant lost any employment because of their misconduct or voluntarily left any employment without just cause, unless

a) que, depuis qu'il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d'heures requis, au titre de l'article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;

(a) the claimant has, since losing or leaving the employment, been employed in insurable employment for the number of hours required by section 7 or 7.1 to qualify to receive benefits; or

b) qu'il ne soit inadmissible, à l'égard de cet emploi, pour l'une des raisons prévues aux articles 31 à 33.

(b) the claimant is disentitled under sections 31 to 33 in relation to the employment.

[7]                Les faits pertinents ne sont pas contestés. Avant d'être congédié le 10 mars 2004, le défendeur avait reçu un certain nombre d'avertissements de son employeur le prévenant que ses absences répétées, ses retards et son attitude dans l'ensemble devenaient problématiques et que la situation devait être corrigée. De plus, en novembre 2003, son employeur l'a rencontré dans le but exprès de l'aider à trouver une solution à son alcoolisme. Lors de la rencontre, le défendeur a fait savoir clairement à son employeur qu'il n'écouterait aucune offre d'aide.   

[8]                Quand le défendeur a omis de mener à bien un contrat important, l'employeur en a eu assez et a décidé de congédier le défendeur le lundi 8 mars 2004. Le défendeur ne s'étant présenté ni le 8 mars ni le 9 mars, l'employeur l'a congédié sans autre avis le 10 mars 2004.

[9]                Le conseil s'est fondé sur ces faits pour rejeter l'appel du défendeur visant la décision de la Commission dans les termes suivants :

Le prestataire n'a pas prouvé que sa conduite n'était pas insouciante au point d'équivaloir à un geste délibéré au sens de la Loi. Le prestataire savait dès le mois d'avril 2003 que ses absences étaient intolérables et, pourtant, il a refusé de faire face à son problème de dépendance même après que son employeur l'eut rencontré en novembre 2003 expressément pour aborder le problème. La dépendance à l'alcool en l'espèce ne soustrait pas un prestataire à ses obligations concernant son emploi pas plus qu'elle n'excuse la violation de son contrat de travail.

[10]            Comme je l'ai souligné précédemment, le juge-arbitre était d'un autre avis. Après avoir affirmé, à juste titre selon moi, que généralement « l'absentéisme ou tout autre comportement de l'employé résultant de la consommation volontaire d'alcool constitue de l'inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi » , le juge-arbitre s'est ensuite appuyé sur l'arrêt de la Cour dans Canada (Procureure générale) c. Turgeon, [1999] A.C.F. no 1861 (QL), pour affirmer que le défendeur pouvait invoquer son alcoolisme pour justifier son inconduite, justification que le juge-arbitre a dégagé de la lettre de la Dr Ghanem, datée du 22 février 2005, dans laquelle celle-ci déclare, en partie, que [traduction] « le médiocre rendement au travail [du défendeur] et son absentéisme sont directement liés à son problème d'alcoolisme » . En conséquence, le juge-arbitre a conclu que le défendeur n'avait pas perdu son emploi en raison de son inconduite.

[11]            La décision du juge-arbitre ne peut être confirmée. D'abord, je ne vois aucun motif pour lequel le juge-arbitre aurait pu modifier la conclusion du conseil. Compte tenu de la preuve portée à sa connaissance, le conseil a tiré une conclusion qui est, à mon avis, inattaquable. Bien que les problèmes du défendeur à son travail aient été dus à son alcoolisme, il est clair qu'il n'a pas été congédié pour ce motif. C'est l'ensemble de sa conduite, y compris ses absences et ses retards, qui a mené à son congédiement. Je souligne encore que, en plus de l'avoir clairement averti que sa conduite était inacceptable, l'employeur a tenté de résoudre les problèmes du défendeur, ce que ce dernier a refusé catégoriquement. Compte tenu de ces faits, je ne peux voir comment le juge-arbitre a pu critiquer la décision du conseil.    

[12]            Je dois ajouter que l'avis de la Dr Ghanem ne peut fonder la décision du juge-arbitre. Bien que la Dr Ghanem ait déclaré que les problèmes au travail du défendeur étaient liés à son alcoolisme, ce que personne ne conteste, cette affirmation ne répond pas à la question de savoir si le défendeur a perdu son emploi en raison de son inconduite.

[13]            Ensuite, je suis d'avis que le juge-arbitre n'a pas véritablement examiné la question qui lui était soumise, soit celle de savoir si le défendeur avait perdu son emploi chez Craig Manufacturing en raison de son inconduite. Le raisonnement du juge-arbitre, selon la compréhension que j'en ai, est le suivant : les absences et les problèmes au travail du défendeur découlant de sa dépendance à l'alcool, le fait qu'il n'ait pas rempli ses devoirs d'une manière acceptable aux yeux de son employeur ne peut, en conséquence, être qualifié d'inconduite. Pour conclure ainsi, le juge-arbitre s'est appuyé sur l'avis de la Dr Ghanem qui, comme je l'ai déjà mentionné, ne présente pas vraiment d'intérêt. Je suis convaincu que si le juge-arbitre avait traité de la question qui lui était soumise, il y aurait répondu par l'affirmative et aurait confirmé la décision du conseil.

[14]            Dans Canada (Procureure générale) c. Brissette, [1993] A.C.F. no 1371 (QL), la Cour a expliqué le terme « inconduite » de la manière suivante :

[10]     Au surplus, nous n'avons aucune hésitation à conclure que le geste qui constitue une infraction ou un acte criminel et débouche sur une condamnation en vertu du Code criminel est une inconduite au sens du paragraphe 28(1) de la Loi. L'inconduite dont il est fait mention à cet article peut s'extérioriser par une violation de la loi, d'un règlement ou d'une règle de déontologie et faire en sorte qu'une condition essentielle à l'emploi cesse d'être satisfaite et entraîne le congédiement. Il peut s'agir d'une condition morale ou matérielle explicite ou implicite. [Non souligné dans l'original.]

[15]            Dans Canada (Procureur général) c. Secours, [1995] A.C.F. no 210 (QL), le juge Létourneau, s'exprimant au nom de la Cour, a expliqué que l'intention coupable n'était pas un volet essentiel de l'inconduite. Il y indique que, dans la mesure où l'omission ou l'acte sur lequel s'appuie un employeur pour congédier son employé est délibéré, c'est-à-dire qu'il s'agit d'une omission ou d'un acte conscient, voulu ou intentionnel, l'inconduite est prouvée. Voici comment le juge Létourneau, au paragraphe 2 de ses motifs, l'écrit :

[2]      Le juge-arbitre, R.J. Marin, a commis deux erreurs. En premier lieu, il a conclu à l'absence, de la part de l'intimée, de toute intention coupable, partant à l'absence de toute intention frauduleuse. Pour qu'il y ait inconduite au sens de la loi, il n'est pas nécessaire que le comportement en cause résulte d'une intention coupable. Il suffit que l'acte répréhensible ou l'omission reproché à l'intéressée soit « délibéré » , c'est-à-dire, conscient, voulu ou intentionnel. En l'espèce, l'intimée savait, comme on l'en avait déjà avertie, qu'elle ne pouvait pas modifier à la main sa carte de pointage. Elle l'a fait, cependant, consciemment et délibérément.    [Non souligné dans l'original.]

[16]            Dans Canada (Procureur général) c. Wasylka, 2004 CAF 219, 1er juin 2004, le juge Létourneau, s'exprimant encore au nom de la Cour, a statué que, pour un juge-arbitre, conclure que l'absence au travail d'un demandeur n'était pas délibérée en raison d'une dépendance à la drogue constituait une erreur de droit. Aux paragraphes 4 et 5 de ses motifs, le juge Létourneau a écrit :

[4]      [...] Même si le défendeur était attiré par les drogues ou ne pouvait pas s'empêcher de les consommer, il n'en reste pas moins qu'une telle consommation était volontaire dans le sens où le défendeur était conscient des gestes qu'il posait, des effets de la consommation et des conséquences qui pouvaient ou qui allaient s'ensuivre. Il a déclaré qu'il [traduction] « ne pouvait pas se concentrer sur les choses qui comptaient » lorsqu'il consommait la drogue : voir le dossier du demandeur, page 51. La gravité et la portée des gestes que le défendeur a posés ce jour-là, c'est-à-dire l'usage de drogues illicites, étaient telles qu'il aurait normalement pu prévoir qu'elles étaient susceptibles de provoquer son congédiement : voir Canada (Procureur général) c. Langlois, [1996] A.C.F. no 241.

[5]      Reconnaître aux employés qui ont été congédiés parce qu'ils ont abusé de substances qui affaiblissent les facultés, comme l'alcool et les drogues, le droit de toucher des prestations régulières d'assurance-emploi équivaudrait à modifier de façon fondamentale la nature et les principes de la Loi et du régime d'assurance-emploi. L'article 21 de la Loi sur l'assurance-emploi et l'article 40 du Règlement sur l'assurance-emploi traitent déjà des prestations versées en cas de maladie, et le défendeur a touché de telles prestations.

[17]            En l'espèce, le défendeur n'a pas été congédié en raison de son alcoolisme, mais plutôt en raison de ses absences répétées ainsi que de sa conduite et de son rendement ne répondant pas aux attentes de son employeur.

[18]            Le juge-arbitre, en se concentrant sur la justification de l'inconduite du défendeur, s'est appuyé, comme je l'ai déjà mentionné, sur l'arrêt Turgeon, précité, rendu par la Cour. Récemment, le juge Létourneau, s'exprimant au nom de la Cour dans Canada (Procureur général) c. Richard, 2005 CAF 339, 19 octobre 2005, une affaire présentant de nombreuses ressemblances avec l'espèce, a dit que, dans Turgeon, la Cour n'avait pas statué que l'alcoolisme pouvait justifier une inconduite au sens de l'article 30 de la Loi. Dans Richard, comme en l'espèce, le défendeur avait perdu son emploi en raison d'absences répétées de son travail, absences liées à son alcoolisme. Malgré les nombreux avertissements donnés par son employeur, le défendeur avait refusé de prendre des mesures pour corriger son problème. Cela a mené le juge Létourneau à formuler les remarques suivantes aux paragraphes 5 et 6 de ses motifs :

[5]      Dans ces circonstances, le défendeur ne pouvait pas ne pas savoir que les manquements à ses obligations résultant de son contrat de travail étaient d'une portée telle qu'il était normalement prévisible qu'ils seraient susceptibles de provoquer son congédiement : voir les arrêts Procureur général du Canada c. Langlois et Procureur général du Canada c. Edward, [1996] A.C.S. no 241, au paragraphe 4.

[6]      En l'espèce, la perte d'emploi du défendeur résulte de son inconduite et il n'appartient pas à la collectivité d'en subir les conséquences par le truchement de prestations d'assurance-chômage qui lui seraient versées, tel qu'il le demande.

[19]            En l'espèce, le conseil a jugé que, depuis avril 2003, le défendeur savait que ses absences répétées étaient inacceptables pour son employeur et, indépendamment de l'aide que lui a offert son employeur pour résoudre son problème, il a refusé de prendre toute mesure à cet effet. Compte tenu de ces faits, pour paraphraser le juge Létourneau dans Richard, précité, le défendeur devait savoir que sa conduite était telle qu'elle était susceptible de provoquer son congédiement.

[20]            Je suis donc d'avis que le juge-arbitre a commis une erreur en concluant que le défendeur n'a pas perdu son emploi en raison de son inconduite. J'accueillerais donc la demande de contrôle judiciaire du procureur général, j'infirmerais la décision du juge-arbitre et je renverrais l'affaire au juge-arbitre en chef ou à un juge-arbitre désigné par lui pour qu'il rende une nouvelle décision en tenant pour acquis que le défendeur a perdu son emploi en raison de son inconduite.

« M. Nadon »

Juge

« Je souscris aux présents motifs

            J. Richard, juge en chef »

« Je souscris aux présents motifs

            J.D. Denis Pelletier, juge »

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 A-315-05

(APPEL D'UNE DÉCISION RENDUE PAR UN JUGE-ARBITRE LE 16 MAI 2005 (CUB 63538))

INTITULÉ :                                                                PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                    c.

                                                                                    BRENT PEARSON

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          FREDERICTON (NOUVEAU-BRUNSWICK)

DATE DE L'AUDIENCE :                                       LE 17 MAI 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                                     LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                  LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                    LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                                               LE 25 MAI 2006

COMPARUTIONS :

Melissa Cameron

POUR LE DEMANDEUR

Brent Pearson

LE DÉFENDEUR, POUR SON PROPRE COMPTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR


Date : 20060525

Dossier : A-315-05

Ottawa (Ontario), le 25 mai 2006

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE NADON    

                        LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

BRENT PEARSON

défendeur

JUGEMENT

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du juge-arbitre, datée du 16 mai 2005, est infirmée et l'affaire est renvoyée au juge-arbitre en chef ou à un juge-arbitre

désigné par lui pour qu'il rende une nouvelle décision en tenant pour acquis que le défendeur a perdu son emploi en raison de son inconduite.

« J. Richard »

Juge en chef

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross

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