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Date : 20060510

Dossier : A-364-05

Référence : 2006 CAF 172

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE EVANS

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

ANNA MARIA CARTER

demanderesse

et

LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL (AUTREFOIS MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES) et SHAUNA GRANT

 

défendeurs

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 9 mai 2006.

Jugement rendu à Vancouver (Colombie-Britannique), le 10 mai 2006.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                   LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE SEXTON

                                                                                                                            LE JUGE MALONE

 


 

Date : 20060510

Dossier : A-364-05

Référence : 2006 CAF 172

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE EVANS

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

ANNA MARIA CARTER

demanderesse

et

LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL (AUTREFOIS MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES) et SHAUNA GRANT

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qu’Anna Maria Carter a présentée en vue de faire annuler une décision rendue par la Commission d’appel des pensions le 11 juillet 2005. La Commission a rejeté l’appel que Mme Carter avait interjeté d’une décision du Tribunal de révision, en date du 17 janvier 2003, confirmant la décision du ministre du Développement des ressources humaines du Canada portant que Mme Carter n’avait pas droit à une pension de survivant en vertu de l’alinéa 44(1)d) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑8, par suite du décès de son mari, William Carter.

 

[2]                    Les Carter se sont séparés moins d’un an après s’être mariés. Mme Carter a intenté une action en divorce peu de temps après, mais elle n’y a pas donné suite. Le ministre a conclu qu’au moment de son décès, M. Carter vivait avec Shauna Grant dans une relation conjugale depuis douze mois et que Mme Grant avait donc droit à la pension de survivant. Dans ces conditions, étant donné que Mme Grant avait demandé la pension, le ministre a informé Mme Carter qu’elle n’avait aucun droit, à titre de conjointe survivante.

 

[3]                    Mme Carter a comparu en personne devant la Commission, ainsi que Mme Grant, à titre d’intervenante. Mme Carter a soutenu que le Tribunal avait commis une erreur en concluant que M. Carter et Mme Grant vivaient ensemble dans une relation conjugale. En rejetant cet argument, la Commission a statué que la preuve à l’appui de la conclusion du Tribunal était [traduction] « indéniable ».

 

[4]                    Mme Carter était représentée devant nous par un avocat, qui a avancé deux arguments à l’appui de la demande de contrôle judiciaire visant l’annulation de la décision de la Commission. Ni l’un ni l’autre de ces arguments ne semble avoir été soumis devant la Commission. Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour peut refuser de procéder à un examen sur la base d’arguments qui n’ont pas été débattus, mais qui auraient pu l’être, devant le tribunal administratif dont la décision est contestée. Toutefois, puisque les questions soulevées par l’avocat sont des questions de droit, que Mme Carter n’était pas représentée par un avocat tant que la Cour n’a pas été saisie de sa cause, et que le ministre ne subit aucun préjudice en ayant à répondre, je me prononcerai sur le bien‑fondé des arguments de l’avocat.

 

[5]                    Il a été reconnu par les parties, et il est de jurisprudence constante, que les questions de droit sur lesquelles la Commission se prononce en interprétant le Régime sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte.

 

[6]                    Premièrement, l’avocat a soutenu que la Commission avait commis une erreur de droit en fondant sa décision sur la définition du mot « conjoint » figurant au sous‑alinéa 2(1)a)(ii) du Régime. Cette définition a été abrogée le 31 juillet 2000. La Commission aurait dû fonder sa décision sur la version qui a remplacé cette définition à la même date, étant donné que M. Carter, en sa qualité de cotisant au Régime, est décédé au mois de novembre 2000.

 

[7]                    Je suis d’accord pour dire que la Commission a eu tort de se fonder sur la définition légale du mot « conjoint » qui n’était plus en vigueur lorsque M. Carter est décédé, plutôt que sur la définition du mot « survivant » qui était en vigueur lors du décès de M. Carter. Toutefois, le changement substantiel apporté par les modifications visait à élargir la portée de la définition des personnes admissibles à une pension de survivant afin d’y inclure le survivant d’un couple de même sexe. L’avocat n’a pu nous convaincre que l’erreur commise par la Commission avait une incidence sur la conclusion qu’elle a tirée eu égard aux faits de l’affaire.

 

[8]                    Dans ses observations orales, l’avocat a reconnu que la décision de la Commission n’aurait pas été différente si elle avait été fondée sur la version pertinente du Régime. Néanmoins, a‑t‑il dit, la Cour devrait intervenir pour corriger une erreur de droit négligeable commise par la Commission, afin que Mme Carter puisse contester la validité de la législation en vertu de l’article 15 de la Charte au motif qu’on prive un conjoint marié d’une pension en faveur d’un conjoint de fait non marié.

 

[9]                    Je ne suis pas d’accord. Si l’erreur commise par un tribunal n’est pas importante aux fins de la décision contestée, la Cour ne doit pas annuler la décision simplement pour donner au demandeur la possibilité de débattre de nouveau l’affaire en avançant un nouvel argument juridique devant le tribunal.

 

[10]                Le second argument invoqué par l’avocat était que, suivant une approche téléologique et en vue d’éviter des conséquences absurdes ou arbitraires, le Régime ne doit pas être interprété comme prévoyant que la pension est payable au survivant légalement marié ou au survivant qui cohabitait avec le cotisant, mais non aux deux. L’avocat a soutenu que la pension devait plutôt être payée à ces deux personnes.

 

[11]                Je ne suis pas d’accord. À mon avis, le législateur a clairement indiqué qui a droit à une pension de survivant, et il n’appartient pas à la Cour de réécrire la loi afin d’en arriver à des résultats qui, selon l’avocat, seraient moins arbitraires.

 

[12]                La disposition applicable du Régime, soit le paragraphe 42(1), est rédigée comme suit :

« survivant » S'entend :

 

a) à défaut de la personne visée à l'alinéa b), de l'époux du cotisant au décès de celui-ci;

 

b) du conjoint de fait du cotisant au décès de celui-ci.

"survivor", in relation to a deceased contributor, means

 

(a) if there is no person described in paragraph (b), a person who was married to the contributor at the time of the contributor's death, or

 

(b) a person who was the common-law partner of the contributor at the time of the contributor's death.

 

 

[13]           Au même moment, le législateur édictait au paragraphe 2(1) une nouvelle définition du « conjoint de fait » :

« conjoint de fait » La personne qui, au moment considéré, vit avec un cotisant dans une relation conjugale depuis au moins un an. Il est entendu que, dans le cas du décès du cotisant, « moment considéré » s'entend du moment du décès.

"common-law partner", in relation to a contributor, means a person who is cohabiting with the contributor in a conjugal relationship at the relevant time, having so cohabited with the contributor for a continuous period of at least one year. For greater certainty, in the case of a contributor's death, the "relevant time" means the time of the contributor's death.

 

[14]           L’avocat a fondé son argument sur le mot « or » (ou) figurant dans la version anglaise à la fin de l’alinéa a) de la définition précitée de « survivant ». Il a soutenu que, tout en étant normalement de nature disjonctive, le mot « ou » peut également être de nature conjonctive, et que ce mot devrait être ainsi interprété lorsque l’exige une interprétation téléologique de la loi, comme c’est le cas pour la pension du survivant. Par conséquent, la Commission a commis une erreur en supposant que soit Mme Carter, soit Mme Grant avait droit à la pension, mais qu’elles n’y avaient pas toutes deux droit.

 

[15]           Le mot « ou » peut certes être employé dans un sens conjonctif, mais il ressort clairement de la structure du paragraphe 42(1) que ce mot est employé dans son sens ordinaire, c’est‑à‑dire dans son sens disjonctif, et qu’une seule personne peut être considérée comme un « survivant ».

 

[16]           L’avocat reconnaît qu’il ne peut aujourd’hui contester que Mme Grant a le statut de survivant au sens de l’alinéa 42(1)b). Il s’ensuit que la demande que Mme Carter a présentée à titre de conjointe survivante en vertu de l’alinéa 42(1)a) ne peut pas être prise en compte puisque l’alinéa 42(1)a) s’applique uniquement « à défaut de la personne visée à l’alinéa b) ». Étant donné que Mme Grant est une telle personne, Mme Carter ne peut pas fonder une demande de pension sur l’alinéa 42(1)a).

 

[17]           Je ne suis pas convaincu que l’objet de la loi ou toute conséquence sérieuse susceptible de découler de l’adoption du sens ordinaire de la loi nous permette de nous écarter des mots non ambigus employés au paragraphe 42(1). En outre, si l’avocat a raison de dire qu’il est dur d’interpréter le Régime de manière à priver Mme Carter d’une pension, il n’est pas difficile d’imaginer des circonstances dans lesquelles il serait tout aussi dur de l’interpréter comme accordant une pension au conjoint marié au détriment du conjoint de fait.

 

[18]           Si le législateur avait voulu que la pension soit partagée entre deux survivants, il aurait pu le prévoir comme il l’a fait au paragraphe 26.1(1) de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, L.R.C. 1985, ch. C‑17, quoiqu’il s’agisse d’un régime différent. Toutefois, le fait qu’aucune disposition similaire ne figure dans le Régime étaye la conclusion que je tire, à savoir que le législateur n’a pas voulu qu’il en soit ainsi de la pension du survivant prévue au paragraphe 44(1).

 

[19]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. L’avocate du ministre n’a pas demandé de dépens et aucuns dépens ne seront adjugés.

 

 

                                                                                                « John M. Evans »

Juge

 

 

« Je souscris aux présents motifs

              J. Edgar Sexton, juge »

 

 

 « Je souscris aux présents motifs

              B. Malone, juge »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


                                               COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

                                                                       

DOSSIER :                                                          A-364-05

 

INTITULÉ :                                                         ANNA MARIA CARTER

                                                                              c.

LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                   VANCOUVER

                                                                              (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                 LE 9 MAI 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                              LES JUGES SEXTON, EVANS ET MALONE

 

DATE DES MOTIFS :                                        LE 10 MAI 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leonard C. Dudley                                                 POUR LA DEMANDERESSE

 

Tania Nolet                                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Paine Edmonds LLP                                               POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

John H. Sims, c.r.                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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