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Date : 20050302

Dossier : A-553-03

Référence : 2005 CAF 87

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                             et

                                                 JEAN-MAURICE BELLAVANCE

                                                                                                                                          Défendeur

                                  Audience tenue à Québec (Québec), les 1 et 2 mars 2005.

                            Jugement rendu à l'audience à Québec (Québec), le 2 mars 2005.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                LE JUGE LÉTOURNEAU


Date : 20050302

Dossier : A-553-03

Référence : 2005 CAF 87

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                             et

                                                 JEAN-MAURICE BELLAVANCE

                                                                                                                                          Défendeur

                                           MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

                            (Prononcés à l'audience à Québec (Québec), le 2 mars 2005)

LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]                Le défendeur travaillait pour Développement des ressources humaines Canada (DRHC) lorsqu'il fut congédié. Il y occupait un poste d'agent d'assurance, niveau II.


[2]                Son licenciement serait survenu après qu'il se soit mis en situation de conflits d'intérêts. Le défendeur était propriétaire d'une épicerie-dépanneur, d'un dépanneur et d'immeubles à logements résidentiels. Selon l'employeur, il se serait servi de sa position d'agent d'assurance pour accorder des traitements de faveur à de ses anciens employés et à certains membres de sa famille. Toujours selon l'employeur, il serait également intervenu personnellement dans le traitement de dossiers de réclamations d'assurance-chômage faites par certains de ses employés.

[3]                Le défendeur connaissait le contenu du Code de conduite de DRHC, de celui de la fonction publique ainsi que des directives émises par son employeur, directives qu'il aurait outrepassées. Il a, de fait, signé une attestation par laquelle il reconnaissait avoir pris connaissance du Code de conduite de la fonction publique. Il y a indiqué qu'il possédait des biens mentionnés à l'alinéa 22b) du Code, mais que la possession de ces biens ne comportait aucun risque réel ou potentiel de conflit d'intérêts relatifs à ses fonctions officielles : voir le dossier du demandeur, page 27. L'arbitre chargé d'étudier le grief logé par le défendeur à l'encontre de son congédiement a confirmé que le défendeur s'était, effectivement, placé dans un conflit d'intérêts en utilisant, pour son bénéfice, des renseignements obtenus dans l'exercice de ses fonctions, lesquels ne sont pas accessibles au public : ibidem, décision de l'arbitre, page 55.

[4]                En outre, l'arbitre de grief a statué que le défendeur n'avait pas révélé la nature de ses activités à son employeur comme il se devait de le faire en vertu du Code de conduite : ibidem, page 56.


[5]                Enfin, l'arbitre de grief a conclu que les gestes posés étaient graves et avaient irrémédiablement compromis le lien de confiance avec l'employeur. L'absence de coopération du défendeur à qui des explications furent demandées par l'employeur n'a fait qu'aggraver la situation et rendre la réintégration dans les fonctions impossible. Nous mentionnons ces conclusions de l'arbitre de grief pour simplement faire ressortir la preuve de l'inconduite du défendeur et de la gravité de cette inconduite. Car la question en litige devant le conseil arbitral et le juge arbitre, comme cette Cour l'a énoncé dans les affaires Canada (procureure générale) c. Marion, [2002] A.C.F. no. 711 et Canada (Attorney General) v. Secours, [1995] F.C.J. no. 210, n'était pas de savoir si l'employeur avait un motif valable de congédiement ou si la sanction était trop sévère, mais bien celle de déterminer si les gestes posés par le défendeur constituaient de l'inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, paragraphe 30(1) (Loi).

[6]                Or, il ne fait pas de doute que les fautes graves commises par le défendeur constituaient de l'inconduite au sens de la Loi. Un employé doit agir d'une façon qui est compatible « avec l'exercice régulier ou loyal de ses fonctions » : voir B.C.C.I. c. Boisvert, [1986] 2 C.F. 431, aux pages 456-457 (C.A.F.). Une violation du Code de conduite de DRHC, sérieuse et consciente comme en l'espèce, sinon délibérée, dénote une conduite répréhensible et incompatible avec l'exercice régulier ou loyal des fonctions que le défendeur devait assumer.


[7]                A notre avis, le conseil arbitral a commis une première erreur en limitant son analyse à une seule des fautes reprochées au défendeur alors que plus d'un incident sont à la source du congédiement. Il a ignoré des éléments de preuve pertinents au dossier, notamment les preuves de manquements sérieux au Code de conduite et celle de la rupture du lien de confiance avec l'employeur. Il avait le droit, pour des motifs valables, d'écarter ces éléments de preuve après les avoir soupesés et appréciés, mais il ne pouvait les ignorer, surtout qu'ils se situaient au coeur même du débat sur la notion d'inconduite : voir Maki c. Commission de l'assurance-emploi du Canada, A-737-97, 11 juin 1998 (C.A.F.); Boucher c. Le Procureur général du Canada, A-727-96, 17 octobre 1996 (C.A.F.). C'est sans aucun doute cette erreur qui a amené le conseil à en commettre une seconde, soit celle de conclure que le geste n'avait pas de caractère délibéré alors que la répétition de gestes fautifs de même nature tend à contredire une telle conclusion. Dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Neveu, [2004] A.C.F. no. 1782, 2004 CAF 362, où il s'agissait de contraventions impayées, cette Cour conclut que l'intention d'un défendeur pouvait s'inférer plus facilement d'une accumulation de contraventions impayées que d'un seul incident isolé. Reprenant au paragraphe 19 cette conclusion contenue au troisième paragraphe de sa décision, la Cour ajoute :

L'accumulation de contraventions impayées, comme dans l'affaire Canada (Procureure générale) c. Lavallée, [2003] A.C.F. no 913, 2003 CAF 255, contribue à faire ressortir plus facilement et plus clairement le caractère délibéré, insouciant ou négligent, soit de la désobéissance à l'ordre légal de paiement, soit de l'omission de recourir aux mesures disponibles pour s'y conformer, soit les deux.

Quoiqu'il en soit, il suffit que les gestes soient conscients, ce qui ne saurait faire de doute en l'instance.


[8]                Enfin, et il s'agit là de la troisième erreur qu'on peut lui reprocher, le conseil arbitral s'est mépris lorsqu'il s'est dit d'avis qu'il ne s'agissait pas d'un « manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail » et que ce manquement n'était pas « d'une portée telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu'il serait susceptible de provoquer son congédiement » : dossier du demandeur, décision du conseil arbitral, page 104. La gravité des fautes était telle qu'une personne raisonnable n'aurait pas pu ignorer qu'elles étaient susceptibles de provoquer son congédiement.

[9]                Confronté à ces erreurs, le juge-arbitre aurait dû intervenir. Il a plutôt fait de la question en litige « une pure question de crédibilité » alors que la notion d'inconduite au sens de la Loi impliquait une question de droit : ibidem, décision du juge-arbitre, page 6. Il a aussi donné à la notion d'inconduite un sens trop limité en concluant que l'acte reproché doit être délibéré ou accompli en faisant montre d'une insouciance qui frôle le caractère délibéré. Cette Cour a statué dans l'affaire Secours, précitée, que l'acte fautif devait avoir été posé, ou l'omission répréhensible faite, volontairement, c'est-à-dire consciemment, délibérément ou intentionnellement.


[10]            Le défendeur, en appel de la décision de la Commission, s'en est remis au rapport de l'arbitre de grief et s'est prévalu de son contenu : ibidem, page 79. Il ne peut, dès lors, en contester les conclusions défavorables relatives aux violations sérieuses du Code de conduite. Dans les circonstances, le conseil arbitral ne pouvait ignorer ou écarter ces conclusions mises en preuve devant lui.

[11]            Si, comme il devait le faire, le conseil arbitral avait considéré les éléments de preuve relatifs au conflit d'intérêts et aux manquements graves au Code de conduite, il n'aurait pu faire autrement que conclure qu'il y avait inconduite au sens de la Loi. S'il n'avait pas ignoré l'atteinte irrémédiable au lien de confiance avec l'employeur résultant des faits et gestes du défendeur, il aurait vu que la perte d'emploi de ce dernier résultait de son inconduite.

[12]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie avec dépens, la décision du juge-arbitre annulée et l'affaire sera retournée au juge-arbitre en chef, ou à la personne qu'il désignera, pour qu'il la décide à nouveau en tenant pour acquis que l'appel de la Commission à l'encontre de la décision du conseil arbitral doit être accueilli, que la décision du conseil arbitral doit être annulée et le défendeur exclu du bénéfice des prestations pour avoir perdu son emploi en raison de son inconduite au sens de l'article 30 de la Loi.

                                                                                                                            « Gilles Létourneau »               

                                                                                                                                                     j.c.a.


                                                     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                                                           

DOSSIER :                                              A-553-03

INTITULÉ :                                             PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. JEAN-MAURICE BELLAVANCE

LIEU DE L'AUDIENCE :                       QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                     les 1 et 2 mars 2005

CORAM :                                                LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                 LE JUGE PELLETIER

MOTIFS DU JUGEMENT                   

DE LA COUR :                                       LE JUGE LÉTOURNEAU

DATE DES MOTIFS :                            le 2 mars 2005

COMPARUTIONS :

Me Carole Bureau                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Me Denis Tremblay                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

         

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                                                                                          

Ministère de la justice Canada                                                    POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Tremblay & Tremblay                                                                POUR LE DÉFENDEUR

Matane (Québec)


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