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Date : 20040304

Dossier : A-283-03

Référence : 2004 CAF 89

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE MALONE

ENTRE :

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                  appelant

                                                                       et

                                                      NASRULLAH ZAZAI

                                                                                                                                      intimé

                                Audience tenue à Toronto (Ontario), le 2 mars 2004.

                                Jugement rendu à Toronto (Ontario), le 4 mars 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                  LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                         LE JUGE ROTHSTEIN

                                                                                                                LE JUGE MALONE


Date : 20040304

Dossier : A-283-03

Référence : 2004 CAF 89

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE MALONE

ENTRE :

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                  appelant

                                                                       et

                                                      NASRULLAH ZAZAI

                                                                                                                                      intimé

                                                 MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

[1]                Il s'agit d'un appel interjeté par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration contre la décision de la Section de première instance (telle qu'elle existait alors) de la Cour fédérale annulant la décision d'une arbitre selon laquelle l'intimé Nasrullah Zazai, qui vient de l'Afghanistan, n'est pas admissible au Canada conformément à l'alinéa 19(1)j) de la Loi sur l'immigration (la Loi) parce qu'on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu'il a commis une infraction mentionnée aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24. Le juge qui a entendu la demande a certifié trois questions pour les besoins de l'appel :


1- L'exclusion d'un réfugié au sens de la Convention en vertu de la section Fa) de l'article premier de la Convention relative au statut des réfugiés signifie-t-elle qu'il a été établi qu'il existe des motifs raisonnables de croire que l'intéressé revendiquant le statut de réfugié a commis des infractions au droit international au sens de l'alinéa 19(1)j) de la Loi sur l'immigration, de telle sorte que l'arbitre qui enquête sur les allégations fondées sur l'alinéa 19(1)j) de la Loi serait lié par l'exclusion prononcée par la section du statut de réfugié en vertu de la section Fa) de l'article premier de la Convention?

2- La définition de « crime contre l'humanité » figurant au paragraphe 4(3) de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre vise-t-elle le fait d'être complice de ces crimes?

3- Le juge siégeant en révision peut-il appliquer rétroactivement les principes dégagés dans un arrêt de la Section de première instance à la décision d'un arbitre rendue à une date antérieure à cet arrêt?

Comme nous le verrons, seule la deuxième question se pose eu égard aux faits de l'affaire.

[2]                Avant que l'arbitre soit saisie de l'affaire, la demande que l'intimé avait présentée pour revendiquer le statut de réfugié avait été rejetée lorsque la Section du statut des réfugiés (la SSR) avait décidé qu'il ne pouvait pas se réclamer de la protection accordée aux réfugiés à la section Fa) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, pour le motif qu'il y avait des raisons sérieuses de penser qu'il avait commis un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes.


[3]                Devant la SSR, l'intimé a témoigné avoir été membre de la cinquième direction du KHAD qui, selon les documents dont disposait la SSR, était un [TRADUCTION] « service de renseignements secrets dont l'objectif était de supprimer les activités antigouvernementales et qui commettait des crimes susceptibles d'être considérés comme des crimes contre l'humanité » . En se fondant sur le propre témoignage de l'intimé, la SSR a conclu qu'il était visé par l'exclusion prévue à la section Fa) de l'article premier de la Convention. Lorsque l'arbitre a été saisie de l'affaire afin de déterminer si l'intimé devait être renvoyé du Canada parce qu'il n'était pas admissible en vertu de l'alinéa 19(1)j) de la Loi, l'intimé a présenté le témoignage de deux personnes pour démontrer qu'il n'était pas en fait membre du KHAD. L'intimé a témoigné brièvement devant l'arbitre au sujet de son statut au Canada, mais ni le représentant du ministre ni son propre représentant ne lui ont demandé s'il était membre du KHAD. Les deux personnes en question ont essentiellement témoigné qu'elles avaient connu l'intimé lorsqu'il jouait au basket-ball à l'université de Kaboul et qu'à leur connaissance, il n'était pas membre du KHAD.

[4]                L'arbitre a examiné la preuve des deux témoins, la preuve documentaire ainsi que la preuve que l'intimé avait soumise à la SSR. Après avoir minutieusement analysé la preuve, elle a conclu ce qui suit :

[TRADUCTION] Dans l'ensemble, je suis convaincue que la preuve présentée à l'audience devant la SSR en 1994 et en 1995, ainsi que celle dans la demande d'établissement que vous avez faite en 1996, est plus crédible que celle qui a été produite au cours de la présente enquête relative à votre implication au sein de l'organisation connue sous le nom de KHAD. Par conséquent, surtout à la lumière des commentaires des tribunaux dans Figueroa, je conclus que la preuve établit bel et bien que vous avez été complice de crimes contre l'humanité en Afghanistan en tant que membre du KHAD.


[5]                En se fondant sur ce passage, le juge qui a entendu la demande a conclu que l'arbitre estimait être liée par la décision rendue par la SSR, qui était selon lui entachée d'une erreur de droit susceptible de révision. Devant nous, les deux parties ont convenu que cette conclusion ne pouvait pas être maintenue. De toute évidence, l'arbitre n'estimait pas être liée par les conclusions factuelles tirées par la SSR. Elle considérait la preuve soumise à la SSR comme plus crédible que la preuve disculpatoire qui lui avait été soumise et elle a conclu que l'intimé était de fait membre du KHAD. C'est la conclusion qu'elle en a tirée, à savoir que l'intimé était par conséquent complice dans des crimes contre l'humanité, qui soulève la véritable question litigieuse.

[6]                La notion de complicité dans des crimes contre l'humanité du fait de l'appartenance à une organisation visant des fins limitées et brutales tire son origine de la décision que la présente cour a rendue dans l'affaire Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 135 N.R. 390. La Cour a décidé que l'appartenance à une organisation visant des fins limitées et brutales constituait, pour l'application de la Convention, une complicité suffisante dans les crimes commis par cette organisation pour entraîner l'exclusion d'un membre qui n'avait pas personnellement commis des actes atroces.


[7]                Dans la décision Figueroa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 181 F.T.R. 242 (C.F. 1re inst.), le juge Pinard a décidé qu'une conclusion d'exclusion fondée sur la section Fa) de l'article premier de la Convention était suffisante pour établir le premier élément de l'alinéa 19(1)j) de la Loi telle qu'il était alors libellé :

j) celles dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu'elles ont commis, à l'étranger, un fait constituant un crime de guerre ou un crime contre l'humanité au sens du paragraphe 7(3.76) du Code criminel et qui aurait constitué, au Canada, une infraction au droit canadien en son état à l'époque de la perpétration.          [Non souligné dans l'original.]


[8]                Il est à supposer que le fait que l'arbitre a mentionné la décision Figueroa a amené le juge qui a entendu la demande à conclure qu'elle avait simplement adopté la conclusion tirée par la SSR au sujet de l'exclusion de l'intimé fondée sur la section Fa) de l'article premier de la Convention et qu'elle l'avait appliquée à la version existante de l'alinéa 19(1)j), d'où la conclusion de complicité. Cependant, il est évident que si l'arbitre avait cru être liée par la décision de la SSR, elle aurait simplement mentionné la conclusion que la SSR avait tirée au sujet de l'application de la section Fa) de l'article premier de la Convention et qu'elle aurait appliqué les décisions Ramirez et Figueroa pour conclure qu'il y avait des raisons sérieuses de penser que l'intimé était complice dans la perpétration d'une infraction mentionnée aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. L'arbitre a plutôt veillé à tirer sa propre conclusion au sujet de la question de savoir si l'intimé était membre du KHAD et, en se fondant sur cette conclusion, elle a décidé que l'intimé était complice dans des crimes contre l'humanité. Ce qui importe ici, c'est que la conclusion de l'arbitre était fondée sur la conclusion qu'elle avait tirée, à savoir que l'intimé était membre du KHAD, plutôt que sur la conclusion de la SSR selon laquelle l'intimé était exclu en vertu de la section Fa) de l'article premier de la Convention.

[9]                La question que le juge qui a entendu la demande avait à trancher était de savoir si la règle relative à la complicité élaborée dans la décision Ramirez à l'égard de la Convention s'appliquait aux crimes contre l'humanité visés par la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. Même s'il n'avait pas examiné la question, le juge qui a entendu la demande l'a certifiée :

La définition de « crime contre l'humanité » figurant au paragraphe 4(3) de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre vise-t-elle le fait d'être complice de ces crimes?

Ce faisant, le juge qui a entendu la demande invitait la présente cour à trancher en premier lieu une question dont il était saisi de la façon appropriée, ce que nous devons refuser de faire.

[10]            Dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, la Cour suprême a statué que le fait qu'une question avait été certifiée ne l'empêchait pas d'examiner une question fondamentale qui n'avait pas été certifiée, à savoir la norme de contrôle à appliquer. Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême a statué ce qui suit :


[12] [...] Le libellé du par. 83(1) indique, et l'arrêt Pushpanathan le confirme, que la certification d'une « question grave de portée générale » permet un appel du jugement de première instance qui, normalement, ne serait pas autorisé, mais ne limite pas la Cour d'appel ni notre Cour à la question énoncée ou aux points qui s'y rapportent directement. Par conséquent, nous pouvons examiner tous les points soulevés dans le pourvoi.

[11]            Malgré ces décisions, l'exigence préliminaire qui s'applique à la certification d'une question demeure la même. Y a-t-il une question grave de portée générale qui permettrait de régler un appel? Ce principe est bien établi dans la jurisprudence de la Cour fédérale elle-même. Voir Bath c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1207 (juge Reed), paragraphe 15; Di Biance c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1220 (juge Blanchard), paragraphe 22; Gallardo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 352 (juge Kelen), paragraphe 35.

[12]            Le corollaire de la proposition selon laquelle une question doit permettre de régler l'appel est qu'il doit s'agir d'une question qui a été soulevée et qui a été examinée dans la décision d'instance inférieure. Autrement, la certification de la question constitue en fait un renvoi à la Cour fédérale. Si une question se pose eu égard aux faits d'une affaire dont un juge qui a entendu la demande est saisi, il incombe au juge de l'examiner. Si la question ne se pose pas, ou si le juge décide qu'il n'est pas nécessaire d'examiner la question, il ne s'agit pas d'une question qu'il convient de certifier.


[13]            En l'espèce, la question certifiée n'a pas été examinée par le juge qui a entendu la demande. La présente cour a été invitée à examiner la question en premier lieu, mais en fin de compte, il a été décidé de renvoyer l'affaire pour qu'un juge de la Cour fédérale rende une décision. Cela occasionnera malheureusement un retard dans le règlement de l'affaire, mais à notre avis, les parties seront mieux servies si l'affaire est en premier lieu examinée par la Cour fédérale. Si un deuxième examen s'avère nécessaire, les parties auront accès à la présente cour. Si la présente cour examine la question en premier lieu, les parties ne pourront plus interjeter appel à toutes fins utiles, à moins que leur cause ne fasse partie du petit groupe de causes à l'égard desquelles la Cour suprême du Canada accorde une autorisation de pourvoi.

[14]            Par conséquent, une ordonnance sera rendue en vue d'accueillir l'appel, pour le motif que le juge qui a entendu la demande a commis une erreur en concluant que l'arbitre avait commis une erreur de droit en estimant que la décision de la SSR la liait. L'ordonnance rendue par le juge qui a entendu la demande sera annulée et l'affaire sera renvoyée à la Cour fédérale pour être réexaminée. Toutefois, afin de minimiser le retard, l'affaire sera renvoyée au juge en chef avec la directive selon laquelle il n'est pas nécessaire que l'affaire soit entendue par le juge qui l'a initialement entendue. Les parties sont libres de demander au juge en chef de faire entendre l'affaire à bref délai.

                                                                                                             « J. D. Denis Pelletier »                  

                                                                                                                                         Juge                                 

« Je souscris aux présents motifs.

Marshall Rothstein »

« Je souscris aux présents motifs.

B. Malone »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     A-283-03

INTITULÉ :                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

c.

NASRULLAH ZAZAI

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 2 MARS 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                      LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE MALONE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 4 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Marcel Larouche                                              

Jillian Sisking                                                     POUR L'APPELANT

Lorne Waldman                                                 POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                   

Toronto (Ontario)                                              POUR L'APPELANT

Waldman et associés                                        

Avocats

Toronto (Ontario)                                              POUR L'INTIMÉ


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