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Date : 20041026

Dossier : A-72-04

Référence : 2004 CAF 362

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                             et

                                                                  JOËL NEVEU

                                                                                                                                          Défendeur

                                  Audience tenue à Montréal (Québec), le 21 octobre 2004.

                                   Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                              LE JUGE NADON


Date : 20041026

Dossier : A-72-04

Référence : 2004 CAF 362

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                             et

                                                                  JOËL NEVEU

                                                                                                                                          Défendeur

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]                Le défendeur a-t-il perdu son emploi en raison de son inconduite de sorte qu'en vertu du paragraphe 30(1) de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (Loi), la Commission était justifiée de l'exclure du bénéfice des prestations de chômage? Le Conseil arbitral (Conseil) et le juge-arbitre ont donné tort à la Commission. De là, la demande de contrôle judiciaire présentée par le Procureur général du Canada.


Les faits

[2]                Lors des audiences devant le Conseil et le juge-arbitre, le défendeur s'est représenté seul. Il était, toutefois, assisté d'un procureur devant nous. Je mentionne ces faits parce que, à bien des égards, le dossier souffre de certaines carences au niveau de la séquence des événements et de certains éléments de preuve ou d'information. Selon ce qui apparaît au dossier, les circonstances entourant la perte d'emploi sont les suivantes.

[3]                Le défendeur a reçu une contravention au montant de 790,00 $ pour avoir omis d'étendre une toile protectrice sur son chargement de minerai. Il semble y avoir une controverse à cet égard puisqu'il n'apparaît pas clairement au dossier si ce montant de 790,00 $ est la résultante d'une seule infraction ou plutôt le cumul de plusieurs infractions demeurées impayées. Quoiqu'il en soit, qu'il s'agisse de l'un ou de l'autre, la problématique et la solution qui en découle demeurent, à toutes fins pratiques, les mêmes. Comme je le mentionnerai plus tard, la seule différence importante se situe au niveau de la preuve de l'intention d'un défendeur qui peut s'inférer plus facilement d'une accumulation de contraventions impayées que d'un seul incident isolé. Pour les fins de l'analyse, je tiendrai pour acquis que le montant de 790,00 $ découle d'une seule contravention comme cela semble avoir été compris et accepté par le Conseil et le juge-arbitre.


[4]                Le défendeur a expliqué au Conseil, lors de son appel à l'encontre de la décision de la Commission, que son omission de mettre la toile résultait d'un oubli consécutif au fait qu'il avait dû retirer du minerai de son camion parce que celui-ci était trop chargé.

[5]                Suite à cette contravention, le défendeur a fait défaut de payer l'amende, ce qui a résulté en un retrait de permis de conduire et une impossibilité de rencontrer la condition principale associée à son emploi, c'est-à-dire posséder un tel permis pour conduire un camion.

La décision du Conseil

[6]                Devant le Conseil, le défendeur a donné, comme explication pour son défaut de payer l'amende imposée, son manque de ressources financières. Il y est aussi ressorti que le défendeur pouvait obtenir à nouveau son permis, une fois l'amende payée, et que son employeur était prêt à faire appel à ses services aussitôt.

[7]                Le Conseil a conclu que le défendeur avait perdu son emploi par sa faute, mais que la faute reprochée n'était pas de l'inconduite au sens de la Loi. Il a retenu comme faute, qu'il a qualifiée de non intentionnelle et non délibérée, l'omission, par inadvertance du défendeur, de remettre la toile sur son chargement. Il a donc accueilli l'appel du défendeur et rejeté la décision de la Commission.


La décision du juge-arbitre

[8]                La Commission a porté en appel devant un juge-arbitre cette décision du Conseil.

[9]                Le juge-arbitre a maintenu la décision du Conseil en se disant d'accord avec la notion de faute évoquée par celui-ci, mais en ajoutant que la faute à l'origine de la perte de permis résultait plus de la situation financière du défendeur que de l'omission d'étendre une toile sur le chargement, laquelle avait conduit à l'infraction et en était l'élément constitutif. Cette conclusion ressort de l'extrait suivant qui se trouve à la page 4 de sa décision :

Dans le présent dossier, le conseil a déterminé que le prestation n'avait pas commis un acte qui constituait une inconduite parce qu'il n'y avait pas l'élément d'intention ou d'insouciance requis. Je suis d'accord et j'ajouterais que la perte du permis de conduire résultait plutôt de la situation financière du prestataire que de l'acte qui avait constitué l'infraction. On ne peut pas dire que le prestataire avait perdu son permis par sa faute. L'employeur ne reprochait aucunement au prestataire l'acte en question. Il était prêt à réembaucher le prestataire dès que celui-ci serait en moyen de reprendre la route.

                                                                                                                                          (je souligne)

Analyse de la décision du Conseil et du juge-arbitre

1.         Une inconduite résultant d'une désobéissance à un ordre légal de paiement

[10]            Tant la décision du Conseil que celle du juge-arbitre témoignent d'une mauvaise qualification juridique des événements et des faits qui se sont produits ainsi que d'une compréhension erronée et confuse de la notion d'inconduite au sens de la Loi.


[11]            En effet, l'acte au plan factuel et la faute au plan légal qui ont conduit à la perte de permis du défendeur ne sont pas ceux identifiés par le Conseil, soit l'omission par oubli de mettre une toile sur le chargement, mais plutôt l'omission ou le défaut du défendeur, dans les faits, de payer l'amende résultant de sa contravention. C'est cette dernière qui est la cause opérationnelle du retrait de permis et non l'infraction comme telle. C'est aussi celle-ci que le Conseil devait analyser pour déterminer si elle constituait de l'inconduite au sens de la Loi.

[12]            Au plan légal, la situation ici se distingue donc, par exemple, de celle où une personne perd son permis de conduire parce qu'elle a conduit en état d'ébriété. Dans un tel cas, la perte de permis découle de l'infraction: elle en est la sanction légale. Dans le cas qui nous occupe, le retrait de permis est la sanction légale de l'omission, dans les faits, de payer l'amende. Alors que, dans le premier cas, la perte de permis est une peine consécutive à l'infraction, dans le deuxième cas, le retrait de permis constitue une mesure d'exécution des jugements et de recouvrement des sommes dues. Comment alors qualifier légalement cette omission de fait de payer l'amende?


[13]            L'omission par le défendeur de payer l'amende est, au plan légal, une désobéissance à un ordre légal de payer émis par la cour conformément au Code de procédure pénale du Québec, L.R.Q., c. C-25.1 (Code), lequel s'applique à l'égard de poursuites visant la sanction pénale des infractions aux lois du Québec, sauf à l'égard de poursuites intentées devant une instance disciplinaire : voir l'article 1 du Code. C'est cette désobéissance, dont l'élément matériel est l'omission de payer tel que requis, qui constitue de l'inconduite au sens de la Loi.

[14]            Ainsi, dans l'affaire Canada (Attorney General) c. Churchi, 2003 CAF 456, le défendeur avait négligé de faire ses versements de pension alimentaire pour enfants imposés par ordonnance de la cour et, en conséquence, son permis de conduire fut suspendu. D'où la perte de son emploi. Cette désobéissance à l'ordonnance de la cour, sanctionnée par une perte de permis, fut, en l'absence d'une explication valable ou d'une justification, jugée de l'inconduite au sens de la Loi : voir aussi The Attorney General of Canada v. Desson, 2004 FCA 303.

[15]            On se rappellera que le juge-arbitre s'est dit d'accord avec la décision du Conseil et a évoqué la situation financière du défendeur comme cause de la perte de permis. Ceci m'amène à discuter de la relation qui existe entre cet élément factuel et l'inconduite.

2.         La situation financière du défendeur et son inconduite


[16]            La situation financière du défendeur est, dans un cas comme le nôtre, un facteur à prendre en considération dans l'analyse de l'inconduite au niveau d'une possible justification de celle-ci. Mais ce n'est pas le seul. De plus, il ne suffit pas simplement de l'invoquer ou d'en faire mention. Il faut déterminer dans quelle mesure elle peut raisonnablement excuser ou justifier la désobéissance à l'ordre légal. Au Québec, ceci veut dire examiner s'il existe des mesures alternatives au paiement de la somme d'argent demandée ou encore d'étalement du paiement.

[17]            Dès le début des années 80, le législateur québécois, préoccupé qu'il était par la fréquence et le coût de l'emprisonnement à défaut de paiement d'une amende, a adopté un certain nombre de mesures alternatives à celui-ci, moins drastiques et offrant beaucoup plus de flexibilité, mais tout de même incitatives de paiement. C'est dans ce contexte qu'est apparu le retrait de permis comme mesure incitative de paiement. Insérées initialement dans la Loi sur les poursuites sommaires, les mesures alternatives et incitatives se sont avérées efficaces et à la hauteur des attentes. Elles furent donc incorporées au Code lors de l'adoption de celui-ci en 1987.


[18]            Centrale et fondamentale parmi les mesures alternatives de paiement fut la création des postes de percepteur des amendes, investi du pouvoir de prendre des ententes avec un défendeur et d'accorder des délais additionnels de paiement au besoin, sans qu'il ne soit nécessaire de recourir à un juge (articles 322, 327 et 328 du Code), d'offrir et d'accepter des paiements partiels et différés à des montants déterminés selon la capacité financière d'un défendeur (articles 327 et 328 du Code) et d'offrir à un défendeur incapable de payer la possibilité de payer son amende au moyen de travaux compensatoires (articles 333 et 339 du Code). On trouve des percepteurs dans chaque district judiciaire qui entrent obligatoirement en contact avec les débiteurs au moyen d'une demande de paiement les informant du montant qui est dû et du délai qu'ils ont pour l'acquitter (article 322 du Code). Il suffit alors pour un défendeur qui doit des sommes d'argent d'expliquer la précarité de sa situation et de prendre les arrangements appropriés pour le paiement. Tant et aussi longtemps qu'un défendeur respecte les engagements qu'il a pris, que ce soit ceux pris initialement ou ceux qu'il a fait modifier par la suite, l'avis de non-paiement de l'amende qui doit être acheminé à la Société de l'assurance-automobile du Québec (article 364 du Code) et qui entraîne la perte de permis demeure en suspens. Cette obligation faite au percepteur d'envoyer l'avis disparaît avec le paiement final des sommes dues.

[19]            Avec un tel système de mesures en place et la souplesse qu'elles offrent, il est difficile de voir comment la situation financière d'un défendeur peut servir de justification à son inconduite résultant de sa désobéissance à l'ordre de la cour. En disant cela, je veux bien qu'il soit compris que je n'écarte pas une telle possibilité. Mais encore faut-il qu'elle soit prouvée et que le défendeur établisse qu'il n'a pas été négligent, insouciant ou défiant à l'endroit de l'autorité judiciaire et de l'obligation légale qui lui a été imposée. L'accumulation de contraventions impayées, comme dans l'affaire Canada (Procureure générale) c. Lavallée, 2003 CAF 255, contribue à faire ressortir plus facilement et plus clairement le caractère délibéré, insouciant ou négligent, soit de la désobéissance à l'ordre légal de paiement, soit de l'omission de recourir aux mesures disponibles pour s'y conformer, soit les deux.


[20]            En l'espèce, il n'y a aucune preuve au dossier que le défendeur a pris des arrangements avec le percepteur, qu'il lui a été impossible de les rencontrer, si minimes qu'aient été les termes de ces arrangements, et qu'il lui était impossible de faire des travaux compensatoires en lieu et place du versement d'une somme d'argent. C'est donc en l'absence d'un fondement factuel et juridique que le juge-arbitre a reconnu à la situation financière du défendeur une valeur justificative et disculpatoire.

[21]            Il ne fait pas de doute que le cas du défendeur est sympathique : marié, père de quatre enfants, sans emploi, des amendes à payer et qui ne sont jamais prévues au budget familial. Il s'agit d'une situation difficile. Mais, pour reprendre en faisant les adaptations nécessaires ce que cette Cour disait dans l'affaire Le Procureur général du Canada c. Wasylka, 2004 CAF 219, au paragraphe 5, reconnaître le droit de toucher des prestations régulières de chômage aux employés qui perdent leur permis de conduire suite à une désobéissance inexcusable ou injustifiable à un ordre légal de paiement d'une amende et, en conséquence, leur emploi équivaudrait à modifier de façon fondamentale la nature et les principes de cette Loi et du régime d'assurance qu'elle instaure. En outre, cela contribuerait à miner les efforts du législateur pour faire respecter les lois d'intérêt public au moyen de mesures à la fois incitatives de paiement et alternatives à l'emprisonnement pour défaut de paiement de l'amende. Car pour une même désobéissance à un ordre de cour, ceux qui perdent leur emploi parce qu'ils perdent leur permis auraient droit de toucher des prestations de chômage alors que ceux qui perdent leur emploi parce qu'ils sont plutôt emprisonnés seraient disqualifiés. Pourtant, dans les deux cas, par suite de la même inconduite, une des conditions essentielles du contrat de travail, soit fournir la prestation de travail convenue, ferait défaut.


[22]            Pour ces motifs, j'accueillerais la demande de contrôle judiciaire, j'annulerais la décision du juge-arbitre et je retournerais l'affaire au juge-arbitre en chef, ou au juge-arbitre qu'il désignera, pour qu'il la décide à nouveau en tenant pour acquis que l'appel de la Commission doit être accueilli et le défendeur exclu du bénéfice des prestations de chômage en raison de son inconduite. Dans les circonstances, compte tenu de la confusion qui n'est pas imputable au défendeur, j'accueillerais la demande de contrôle judiciaire sans frais.

                                                                                                                            « Gilles Létourneau »               

                                                                                                                                                     j.c.a.

« Je suis d'accord

Robert Décary j.c.a. »

« Je suis d'accord

M. Nadon j.c.a. »


                                                     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        A-72-04

INTITULÉ :                                       LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c.

JOËL NEVEU

LIEU DE L'AUDIENCE :                Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :               le 21 octobre 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                        LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NADON

DATE DES MOTIFS :                     le 26 octobre 2004

COMPARUTIONS :

Me Pauline Leroux

POUR LE DEMANDEUR

Me Louis Bigué

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                                                                                          

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Bigué & Bigué, Avocats

Val-d'Or (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR


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