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Date : 20050707

Dossier : A-507-04

Référence : 2005 CAF 252

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                          WILLIAM HAMMILL

                                                                                                                                              appelant

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                intimée

                                       Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 28 juin 2005

                                       Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 juillet 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                       LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                  LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                              LE JUGE NADON


Date : 20050707

Dossier : A-507-04

Référence : 2005 CAF 252

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                          WILLIAM HAMMILL

                                                                                                                                              appelant

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]                Il s'agit de l'appel d'un jugement de la Cour canadienne de l'impôt (2004 DTC 3271) rejetant un recours exercé contre les nouvelles cotisations établies sous le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1, dans sa version modifiée (la Loi), pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996. La question en litige en première instance et en appel porte sur la déductibilité de dépenses totalisant 1 651 766 $ que l'appelant a engagées aux fins de vendre des pierres précieuses, sommes qu'il a payées à un commissionnaire frauduleux ou sur ses instructions.


[2]                Le juge de la CCI a statué que, pour l'application de l'alinéa 18(1)a) de la Loi, les dépenses en question n'avaient pas été engagées en vue de tirer un revenu d'une entreprise. Il a en outre conclu que les dépenses dont la déduction était demandée n'étaient pas « raisonnables dans les circonstances » et n'étaient donc pas déductibles sous le régime de l'article 67 de la Loi.

Les faits

[3]                Les faits pertinents sont énoncés dans un exposé conjoint des faits, que je reproduis ici intégralement :

[TRADUCTION]

1)          L'appelant est un lieutenant-colonel à la retraite de la réserve des Forces armées canadiennes. Il y a commandé un régiment de 1977 à 1980 inclusivement, et de 1983 à 1986 inclusivement.

2)          L'appelant est copropriétaire d'une prospère entreprise de fabrication de vêtements, sise à Guelph (Ontario), qui emploie 200 personnes et dont le chiffre d'affaires annuel dépasse les 12 millions de dollars. Il dirige le travail de 26 représentants répartis dans 15 bureaux de vente et exerce lui-même des activités de vente. Son entreprise compte environ 4 500 clients.


3)          En 1987, l'appelant a commencé à acheter en vue de la revente des pierres précieuses à une entreprise de la région torontoise dénommée York Union. C'est un appel téléphonique de démarchage de cette entreprise qui a été son premier contact avec elle. L'appelant s'est rendu aux bureaux de York Union avant de commencer à lui acheter des pierres précieuses, visite qui devait être suivie de nombreuses autres dans le cadre de leurs rapports commerciaux ultérieurs. York Union a fermé ses portes en 1990. Le contact de l'appelant à York Union, Bill Hawkins, s'est alors mis au service de H & H Rarities, une autre entreprise de la région torontoise. L'appelant a continué à acheter des pierres précieuses en vue de la revente bénéficiaire, se fournissant chez H & H Rarities jusqu'en juillet 1992. En 1992, son stock de pierres lui avait déjà coûté 272 789 $, et en 1994, le prix coûtant de celui-ci était passé à 529 926 $.

4)          En 1993, l'appelant ayant décidé qu'il était temps de revendre son stock de pierres précieuses, il a demandé conseil à Bill Hawkins chez H & H Rarities, entreprise avec laquelle il avait des rapports satisfaisants depuis quelques années. C'est alors qu'un certain Peter Manning, travaillant pour Premier Group Investments (Premier), a téléphoné à l'appelant, déclarant qu'il avait été dirigé vers lui par H & H Rarities. Premier a alors offert ses services à l'appelant. Ce dernier s'est mis en rapport avec Harold Schnap, le président de Premier, et au cours des années suivantes a entretenu des relations régulières, que ce soit par téléphone ou en personne, avec des représentants de Premier, dont - en plus de Harold Schnap - Andrew Martin et Peter Manning. L'appelant a vérifié les déclarations que ces personnes lui ont faites auprès d'autres employés de Premier, d'une autre entreprise de commerce des pierres précieuses - International Gem Consultants - et d'autres investisseurs en pierres précieuses.


5)          Andrew Martin, qui était le principal contact de l'appelant chez Premier, a un jour présenté à l'appelant une offre d'un acheteur de l'étranger, assortie de conditions telles que l'appelant pouvait en escompter un bénéfice considérable. Martin a cependant informé l'appelant que, pour conclure la vente, il devait payer à Premier, ou selon les instructions de cette dernière, d'importants frais initiaux, diversement définis comme des cautions de bonne exécution, des primes d'assurance, des frais d'expédition, des commissions de vente et des frais d'administration.

6)          La vente en question n'a pas été conclue. Andrew Martin avait une explication - et une nouvelle offre. Le même scénario - présentation d'une offre, exigence de frais initiaux et non-conclusion de la vente - s'est répété quatre fois. Dans un de ces cas, des tiers ont prétendu détenir des privilèges sur le stock de pierres précieuses de l'appelant. Celui-ci a payé pour faire annuler ces privilèges.

7)          Les cinq offres avaient en commun les caractéristiques suivantes :

a)          la promesse d'un bénéfice très important pour l'appelant,

b)          l'exigence de frais initiaux,

c)          le caractère frauduleux (les propositions étant inventées de toutes pièces par Andrew Martin et ses complices),

d)          la non-conclusion de la vente.

8)          De 1993 à 1996, l'appelant a fait environ 40 paiements relativement à cinq offres distinctes. Il a ainsi payé à Premier, ou sur les instructions de Premier, un total de

1 651 766 $.

9)          L'appelant croyait que les paiements faits à Premier, ou sur les instructions de cette dernière, servaient à faciliter la vente bénéficiaire de ses pierres précieuses.


10)        Le tableau suivant rend compte des résultats pécuniaires qu'auraient eus ces opérations si les accords n'avaient pas été frauduleux et si l'une ou l'autre des affaires avait été conclue.

No

Prix de vente

[converti en $CAN]

Coût du stock

Paiements faits par l'appelant à Premier, aux détenteurs prétendus de privilèges ou sur les instructions de Premier [en $CAN]

Bénéfice brut, déduction faite des paiements de la colonne précédente

1

2218800

292788

     360540

1565472

2

1190414

292788

      139410

     758216

3

3401560

529926

      457914

2413720

4

7879032

529926

      479438

6872668

5

6412900

529926

      214464

5668510

Total

   1651766

11)        En 1996, l'appelant s'est rendu compte que Premier Investments avait perpétré plusieurs fraudes à son égard et a consulté la GRC. L'appelant a collaboré avec la police. Celle-ci a fait une descente dans les bureaux de Premier et a arrêté le représentant de cette entreprise que l'appelant connaissait sous le nom d'Andrew Martin. Ce dernier, qu'on a identifié comme étant Michael Davis-Bingham, alias Barry Davis, a été inculpé de vol de plus de 5 000 $ et libéré sous caution. Il s'est soustrait à la justice et fait actuellement l'objet d'un mandat d'arrêt décerné en séance. Premier s'est volatilisée, comme ses autres représentants.


12)        Le stock de pierres précieuses de l'appelant était en la possession d'Andrew Martin en 1996. Lorsque ce dernier s'est soustrait à la justice après son arrestation, les pierres de l'appelant ont disparu avec lui. L'intimée a autorisé l'appelant à déduire comme perte d'entreprise le vol de son stock de pierres précieuses.

13)        L'intimée a refusé à l'appelant toute déduction pour charges payées d'avance au titre des paiements qu'il avait faits à Premier ou sur les instructions de celle-ci.

14)        Par suite de son refus de ces déductions, l'intimée a aussi refusé la déduction pour intérêts relativement aux années d'imposition 1994, 1995 et 1996.

15)        Dans le cas où la Cour prononcerait la déductibilité de la totalité ou d'une partie des paiements faits à Premier ou sur les instructions de cette dernière, les déductions en question seraient appliquées à l'année d'imposition 1996.

16)        L'appelant exploitait une entreprise en raison du fait qu'il participait à une affaire de caractère commercial.

17)        Les montants payés à Premier ou sur ses instructions l'ont été par traites bancaires, par virements télégraphiques et/ou en numéraire. Tous les montants ainsi payés ont été vérifiés par la GRC.

18)        En général, Premier ne donnait pas à l'appelant de reçus, de factures ou d'autres documents commerciaux pour attester les paiements faits par ce dernier.

19)        Le tableau qui suit est la liste des exceptions à cette absence de pièces justificatives. Les numéros d'onglet renvoient au dossier d'appel de l'appelant.

On-glet

Nature du document

Description

6

Convention d'achat et de vente

Le prix d'achat prétendu était de 1 720 000 $US. En outre, lit-on dans ce document, « [i]l sera exigé une caution de bonne exécution de 10 % applicable à la livraison des pierres » .

14

Titus Private Holdings Inc.

« 1. Le solde, qui se monte à 17 000,00 $US, doit être payé en totalité avant la date de conclusion, qui a été fixée au 3 septembre 1994.

2. Tous les frais, y compris de montage, de détention et de décaissement, seront partagés à égalité, de sorte que la somme à payer par M. Hammil s'élève proportionnellement à 6 700 $CAN, et la somme à payer par vous à 3 000 $CAN. »

17

Reçu de 25 000 $CAN en numéraire signé par Andrew Martin

« Reçu de WHH le 27 avril 1994 pour frais d'authentification, de transport, d'assurance et d'administration.

[signé] Andrew Martin »

22

Titus Private Holdings

« Nous avons été avisés par notre correspondant chez D & S Enterprises Incorporated de rester en attente jusqu'à ce que ce problème soit réglé. Il s'agit d'avis de PGLI et de GLS comme quoi les pierres nos 1 à 5 font l'objet de privilèges de plusieurs créanciers, d'une valeur totale de 45 000,00 $ [...]

23

Omega Speciality Investment Banking

« Il n'y a plus de privilèges à part ceux dont vous avez été informé. Ces privilèges, si on y ajoute le SO3 enregistré à New York, font au total 248 000 $CAN. »

36

G'Ral Management Limited

« Les autres frais à payer seront, comme nous en avons convenu, les 0,25 % du total des marchandises cédées. Je dois insister sur le fait que c'est À VOUS et à vous seul qu'incombe cette charge. »

43

Contrat de dépôt

« La commission à payer aux mandataires, qu'il s'agisse de personnes physiques ou morales, s'élèvera à 569 000 $US. Cette somme sera déposée auprès du tiers pour distribution [...] »

51

p. 2

Contrat de dépôt

« Le vendeur paiera aux mandataires, qu'il s'agisse de personnes physiques ou morales, une commission de facilitation de la transaction entre lui-même et l'acheteur stipulée dans la convention d'achat et de vente.

Cette commission s'élèvera à 695 000,00 $US, et sera déposée auprès du tiers pour distribution auxdits mandataires suivant les instructions écrites du vendeur lorsque sera conclue la transaction stipulée dans la convention d'achat et de vente. »

58

Reçu de 6 205 $US signé par Andrew Martin

« Je, soussigné, ai reçu la somme de 6 205 $US en numéraire de William Hammill.

[signé] Andrew Martin    »

[4]                En outre, le juge de la CCI a formulé un certain nombre de conclusions de fait qui ne sont pas contestées et que nous allons maintenant récapituler.


[5]                À tous les moments pertinents, l'appelant a conservé les pierres précieuses chez lui ou à son bureau, jusqu'à ce qu'il les remît à Andrew Martin, qui s'est plus tard enfui avec elles. Ces pierres n'ont jamais été assurées. (Motifs, pages 6 et 17.)

[6]                Dans le cadre de cinq prétendues offres d'achat distinctes présentées par Andrew Martin, l'appelant a payé des sommes considérables sans mettre en doute leur objet ou leur légitimité et sans exiger de reçus (Motifs, page 8, paragraphe 14).

[7]                L'appelant a d'abord fait un paiement de 360 540 $ à Andrew Martin en 1993, à titre de [TRADUCTION] « caution de bonne exécution » et « autres frais » . La vente n'a jamais été conclue, et cette somme n'a jamais été remboursée à l'appelant. (Motifs, pages 2 à 6.)

[8]                Bien qu'il eût déjà perdu 360 540 $, l'appelant a fait un autre paiement, de 78 000 $US cette fois, à titre de [TRADUCTION] « caution de bonne exécution et frais de service » pour une deuxième offre d'achat qui s'est révélée aussi peu fiable que la première. L'appelant n'a pu expliquer pourquoi, ayant déjà perdu 360 540 $ dans l'échec d'une première transaction, il a encore dépensé 78 000 $US. Qui plus est, cette deuxième transaction l'a incité à d'autres dépenses, de sorte qu'elle lui a coûté au total 139 410 $. (Motifs, pages 8 et 9, paragraphe 17.)


[9]                L'appelant a fait des paiements semblables relativement à trois autres offres d'achat fictives, sans faire de recherches sérieuses sur la nature de ces paiements ou de ces offres (Motifs, pages 57 et 58, paragraphes 155 à 157).

[10]            Les cinq transactions éventuelles ne se sont jamais matérialisées, et ses dépenses y afférentes ne lui ont jamais été remboursées. Après la cinquième de ces opérations manquées, l'appelant avait versé 1 651 766 $ en frais initiaux. Il a continué à payer de ces frais longtemps après le moment où l'on aurait dû lui rembourser les sommes qu'il avait déjà versées. (Motifs, pages 8, 15 et 18, paragraphes 14, 43 et 57.)

[11]            Les offres d'achat ont toutes été faites par des entreprises différentes, sur du papier à lettres d'apparence douteuse, dans un langage embrouillé et souvent inintelligible. Or, l'appelant ne s'est jamais sérieusement posé de questions sur ces pratiques et a continué à payer les sommes qu'on lui demandait dans ces lettres. (Motifs, pages 7 à 9, 11, 14, 15, 17 et 58, paragraphes 10, 17, 20 à 22, 28, 42, 44, 51 et 156.)


[12]            Le total de 1 651 766 $ a été acquitté par l'appelant pour remplir les conditions fictives suivantes : [TRADUCTION] « l'authentification » de son stock, le versement de garanties de bonne exécution qui n'ont jamais été remboursées, l'annulation de privilèges inexistants, l'exigence de diverses catégories de frais d'administration qu'il n'a pu expliquer et une [TRADUCTION] « situation fiscale » sur laquelle il n'avait pas plus de lumières (Motifs, pages 7, 16 à 18, 19 et 23, paragraphes 9, 49, 50, 54, 59, 60 et 74).

Les nouvelles cotisations contestées

[13]            Les nouvelles cotisations contestées par l'appelant ont eu pour effet de lui permettre de déduire la perte résultant du vol de son stock (évaluée à 529 926 $), mais de lui interdire la déduction des dépenses [TRADUCTION] « de vente » (totalisant 1 651 766 $) au motif qu'il n'avait pu établir qu'elles avaient été engagées en vue de tirer un revenu de son entreprise sous le régime de l'alinéa 18(1)a). À l'étape de la confirmation, le ministre du Revenu national a ajouté comme motif subsidiaire que ces dépenses n'étaient pas « raisonnable[s] dans les circonstances » , comme l'exige l'article 67 (dossier d'appel, vol. 1, page 242).

Les dispositions législatives applicables

[14]            L'alinéa 18(1)a) et l'article 67 sont ainsi libellés :

18(1)a) Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

a)    les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou du bien;       

18(1)(a) In computing the income of a taxpayer from a business or property, no deduction shall be made in respect of an outlay or expense except to the extent that it was made or incurred by the taxpayer for the purpose of gaining or producing income from the business or property.


67. Dans le calcul du revenu, aucune déduction ne peut être faite relativement à une dépense à l'égard de laquelle une somme est déductible par ailleurs en vertu de la présente loi, sauf dans la mesure où cette dépense était raisonnable dans les circonstances.

                        

67. In computing income, no deduction shall be made in respect of an outlay or expense in respect of which any amount is otherwise deductible under this Act, except to the extent that the outlay or expense was reasonable in the circumstances.

La décision dont appel

[15]            Le juge de la CCI a fondé sa conclusion selon laquelle les dépenses en question n'avaient pas été engagées en vue de tirer un revenu d'une entreprise pour l'application de l'alinéa 18(1)a) sur le fait que l'appelant ne pouvait avoir exploité une entreprise puisqu'il avait été victime d'une fraude du début à la fin.

[16]            Le juge de la CCI a ensuite fait observer que l'appelant n'avait pas fait les recherches qu'il aurait dû faire et qu'il était motivé par l'avidité :

[TRADUCTION]

[123] Dans la présente espèce, il n'y avait pas de structure d'entreprise d'établie; il n'y avait pas de possibilité de vente sur un marché secondaire; il n'y avait pas de cadre d'entreprise; et les dépenses prétendument liées à la vente éventuelle ont été frauduleusement exigées par les escrocs depuis le départ, puisqu'il était impossible que les pierres puissent être vendues comme l'envisageait l'appelant. Il serait raisonnable de conclure que, s'il avait essayé de le faire, l'appelant aurait pu se rendre compte de cela avant même de s'engager tant soit peu sérieusement dans l'achat des pierres précieuses. Il n'a pas fait de recherches à cet égard. Il était une victime consentante dès le départ, se fondant sur sa conviction non vérifiée qu'il pourrait tirer un bénéfice considérable de la vente de ses pierres quand elle finirait par se matérialiser et ajoutant une foi aveugle aux mensonges d'Andrew Martin.

[17]            Après avoir conclu son analyse de l'application de l'alinéa 18(1)a), le juge de la CCI a examiné l'application de l'alinéa 67 et formulé à ce sujet les observations suivantes :


[TRADUCTION]

[138] La Cour ne voit aucune raison de conclure que l'article 67 ne s'applique pas aux cas de détournement de fonds et ne voit pas non plus pourquoi il ne s'appliquerait pas à la présente espèce. La Cour peut concevoir le cas où les actions d'un contribuable victime d'un détournement de fonds pourraient être considérées comme déraisonnables sous le régime de l'article 67. Supposons par exemple qu'un contribuable continue à essayer de se faire rembourser une somme détournée, tout en sachant que tous les signes mènent raisonnablement à la conclusion que le recouvrement de cette somme est impossible. On ne pourrait alors conclure à la déductibilité des dépenses engagées à partir de là par le contribuable pour recouvrer une somme irrécouvrable dans toute hypothèse raisonnable.   

(...)

[152] (...) La Cour souscrit à la thèse que l'article 67 est à interpréter de façon indépendante et qu'on doit en conclure que, pour être déductibles, les dépenses doivent être raisonnables eu égard à toutes les circonstances, si large que soit l'interprétation donnée aux dispositions de l'alinéa 18(1)a) ou si généreuse que se montre la Cour dans son examen du point de savoir si les dépenses ont ou non été engagées en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien. Même si c'est là un critère subjectif, il faut fixer une limite à partir de laquelle le contribuable ne puisse plus dire : « Je pensais que j'exploitais une entreprise, je pensais que les dépenses étaient raisonnables et je les ai engagées avec l'intention de tirer un revenu de cette entreprise » .

[18]            La Cour explique plus loin pourquoi les dépenses [TRADUCTION] « de vente » engagées par l'appelant ne peuvent même en partie être considérées comme déductibles sous le régime de l'article 67 :

[TRADUCTION]

[169] L'avocat de l'intimée a donné à entendre qu'on pourrait peut-être trouver une justification aux paiements jusqu'à concurrence de 360 540 $, étant donné que le coût du stock était alors de 292 788 $ et que le prix de vente de la première convention atteignait 2 218 800 $. Il a cependant ajouté que tous paiements effectués par la suite étaient déraisonnables.

[170] Le problème que pose cette idée est que la Cour devrait conclure qu'il y avait un fondement raisonnable à la conduite de l'appelant jusqu'à ce moment. Or, aucun des avocats n'a essayé de préciser quelles actions de l'appelant jusqu'à ce moment, s'il y en avait, auraient pu être considérées comme raisonnables, et la Cour est convaincue que l'appelant a agi tout au long de la période considérée à peu près de la même manière.


[19]            Bien qu'il plaignît l'appelant, le juge de la CCI n'était pas disposé à faire supporter aux contribuables canadiens le fardeau de ses pertes :

[TRADUCTION]

[179] En fin de compte, la Cour est convaincue que les dépenses considérées dans la présente espèce ne sont pas déductibles au motif que la déduction en est interdite par les dispositions de l'alinéa 18(1)a) et de l'article 67 de la Loi. La Cour conclut que ces dépenses n'ont pas été engagées par le contribuable en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien et elle est convaincue qu'elles n'étaient pas raisonnables dans les circonstances.

Les moyens de l'appelant

[20]            L'appelant fait valoir à l'appui de son appel que le juge de la CCI a commis une erreur en concluant que les dépenses en question n'étaient pas déductibles sous le régime de l'alinéa 18(1)a), si l'on s'en rapporte à l'arrêt Stewart c. Canada de la Cour suprême, 2002 DTC 6969. Les opérations en question dans la présente espèce ne comportaient pas d'élément personnel, et il n'est pas contesté que les dépenses ont été engagées en vue de vendre les pierres précieuses de l'appelant. Selon l'arrêt Stewart, précité, aussi déraisonnable que puisse paraître la conduite de l'appelant, le juge de la CCI n'était pas fondé à conclure que son activité ne constituait pas une entreprise.

[21]            L'appelant ajoute que le ministère n'a jamais contesté qu'il participait à « une affaire de caractère commercial » . Compte tenu de la définition étendue donnée du terme « entreprise » à l'article 248 de la Loi, cela revient à reconnaître que l'appelant exploitait une entreprise, et il n'était pas permis au juge de la CCI de conclure autrement.


[22]            L'appelant fait en outre valoir que la déductibilité d'impôts des pertes résultant de fraudes a souvent été reconnue (Parkland Operations Limited c. La Reine, 90 DTC 6676; Cassidy's Limited c. M.R.N., 89 DTC 686; et Agnew c. La Reine, 2002 DTC 2155). Il soutient que le juge de la CCI a commis une erreur en ne considérant pas la présente affaire comme un cas de détournement de fonds. (L'appelant invoque aussi à ce sujet le bulletin d'interprétation IT-185R.)

[23]            À propos de l'article 67, l'appelant fait observer qu'il ne devient pertinent pour l'analyse que si l'on a d'abord conclu à l'existence d'une entreprise et si les dépenses ont été engagées pour tirer un revenu de celle-ci. C'est dans ce contexte qu'il faut analyser le caractère raisonnable ou non des dépenses. L'appelant soutient que ses dépenses [TRADUCTION] « de vente » étaient raisonnables si l'on tient compte des bénéfices considérables qu'il escomptait.

[24]            L'appelant ajoute que l'objet de l'article 67 est de mesurer le caractère raisonnable sous le rapport de la quantité ou de l'ordre de grandeur (Mohamad c. La Reine, 97 DTC 5503). Selon l'appelant, on ne trouve rien dans la jurisprudence qui étaye l'idée que la non-déductibilité des dépenses puisse être prononcée pour leur totalité sous le régime de l'article 67.

Analyse et décision


[25]            Le présent appel soulève deux questions, soit celle de savoir si les dépenses dont on veut faire reconnaître la déductibilité ont été engagées en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien pour l'application de l'alinéa 18(1)a), et, dans l'affirmative, celle de savoir si ces dépenses étaient « raisonnable[s] dans les circonstances » , selon l'exception prévue à l'article 67.

[26]            Au tout début de son analyse (soit aux paragraphes reproduits ci-dessous), le juge de la CCI formule une conclusion de fait qui n'a pour l'essentiel pas été contestée et qui, à mon sens, porte un coup fatal aux moyens de l'appelant touchant la première question :

[TRADUCTION]

[114]     La Cour ne doute pas un instant que l'appelant a été la victime d'une fraude importante du début à la fin. Elle est convaincue que cette fraude a commencé lorsque l'appelant a été contacté au sujet des bénéfices qu'il pouvait escompter de l'achat et de la vente de pierres précieuses et qu'elle s'est poursuivie avec les efforts soi-disant déployés par les escrocs pour vendre les pierres. La Cour n'est pas convaincue que la preuve établisse que la valeur du stock fût bien de 529 926 $ comme en sont convenues les parties, étant donné que les certificats produits par l'appelant et son témoignage ne suffisent pas à prouver que ce montant soit la juste valeur marchande des pierres. Ces certificats ne rendent pas suffisamment compte de la nature, de la qualité, du poids ou des défauts des pierres pour qu'on puisse s'y fier.

[115]      Cependant, le ministre a autorisé l'appelant à déduire la perte de son stock selon la valeur déclarée. Par conséquent, l'évaluation n'est pas pertinente, sauf dans la mesure où elle indique que la fraude, selon toute probabilité, s'appliquait aussi au prix d'achat des pierres.

[Non souligné dans l'original.]

Le juge de la CCI répète plus loin que [TRADUCTION] « [...] toute l'affaire était une fraude depuis le début » (paragraphe 127).


[27]            Cette conclusion du juge de la CCI selon laquelle l'appelant a été la victime d'une fraude du début à la fin, si elle se révèle étayée par la preuve, est incompatible avec l'existence d'une entreprise pour l'application de la Loi. Nous n'avons pas ici affaire à un cas où la Cour devrait prendre en considération l'état d'esprit du contribuable ou l'importance d'un élément personnel pour établir si une activité donnée constitue une source de revenu sous le régime de la Loi (Stewart, précité; Tonn c. La Reine, 96 DTC 6001; etc.). Il ne s'agit pas non plus ici d'une affaire de détournement de fonds de la nature définie dans les décisions précitées Parkland Operations, Cassidy's Limited et Agnew, ainsi que dans le bulletin d'interprétation IT-185R, où une entreprise est escroquée par un employé ou un tiers et où la question devient celle de savoir si la perte qui en résulte est suffisamment dépendante des activités productrices de revenus.

[28]            Une affaire qui s'avère frauduleuse du début à la fin (ou, si l'on veut, une « arnaque » ) ne peut donner naissance à une source de revenu du point de vue de la victime, et donc ne peut être considérée comme une entreprise, quelque définition qu'on donne de ce terme. Cependant, l'appelant soutient que le juge de la CCI ne pouvait conclure sur ce fondement à la non-déductibilité des dépenses déclarées, au motif que le ministre avait concédé qu'il avait participé à une affaire de caractère commercial (paragraphe 16 de l'exposé conjoint des faits).

[29]            Plus précisément, l'appelant fait valoir que le juge de la CCI était lié par les faits tels qu'ils avaient été admis, même si une preuve contraire a été produite au procès. Il invoque à l'appui de cette thèse : Sopinka, The Law of Evidence in Canada, 2e éd., Butterworths, 2004, à la page 1051; Urquhart c. Butterfield (1887), 37 Ch.D. 357, aux pages 369 et 374; et Copp c. Clancy (1957), 16 D.L.R. (2d) 415, à la page 425.


[30]            À mon avis, ces textes, qui s'appliquent à des litiges civils entre particuliers, ne sont d'aucune aide pour l'appelant dans le contexte de la présente espèce. S'il est vrai que le fait admis dans l'exposé conjoint des faits était favorable à l'appelant, ce dernier ne s'est pas contenté d'essayer de faire trancher son appel sur ce fondement. Il a plutôt choisi de produire devant la Cour une quantité considérable d'éléments de preuve - qui va au-delà des faits convenus - touchant la nature et l'ampleur de l'escroquerie.

[31]            L'issue d'un appel interjeté contre une cotisation établie sous le régime de la Loi ne dépend pas de la volonté des parties. Les deniers publics sont en jeu, et la législation donne à la Cour canadienne de l'impôt le mandat de confirmer ou modifier une telle cotisation en première instance sur la base des faits, prouvés ou admis. C'est pourquoi, si la Cour, placée devant un fait formellement admis, ne cherchera pas en général plus loin, les parties ne peuvent par convention dicter l'issue d'un appel en matière fiscale. La Cour canadienne de l'impôt n'est pas liée par la reconnaissance d'une allégation que des éléments de preuve régulièrement produits révèlent être contraire aux faits.

[32]            Dans la présente espèce, la preuve pertinente a été produite par l'appelant lui-même, et le juge de la CCI a conclu de cette preuve qu'il avait été la victime d'une fraude du début à la fin, conclusion qui exclut l'existence d'une entreprise. À mon avis, le juge de la CCI ne pouvait statuer sur la validité des nouvelles cotisations tout en fermant les yeux sur la preuve qui lui avait été présentée.


[33]            En outre, l'appelant n'est pas fondé à soutenir (comme il l'a fait pendant l'audience de l'appel) que cette conclusion était interdite au juge de la CCI au motif que le délai prévu par la loi pour les nouvelles cotisations était expiré quand il l'a prononcée [Pedwell c. La Reine, 2000 DTC 6405 (C.A.F.)]. La décision du juge de la CCI sur ce point confirme les nouvelles cotisations sur le même fondement principal que celui sur lequel elles avaient été établies [soit l'alinéa 18(1)a)] et ne donnent pas lieu à une dette fiscale supérieure à celle qui avait été établie à l'origine [cf. La Reine c. Anchor Pointe Energy Ltd., 2003 DTC 5512 (C.A.F.), aux paragraphes 39 et 40].

[34]            La preuve produite par l'appelant touchant la nature et l'étendue de la fraude était très détaillée. Il a convoqué le gendarme Laurence, l'agent de la GRC qui avait enquêté sur l'escroquerie. Celui-ci a été admis comme témoin expert. Le gendarme Laurence a expliqué que toute l'affaire avait été une fraude du début à la fin.


[35]            L'appelant a acheté les pierres précieuses à York Union, où Bill Hawkins était son principal contact. L'appelant a déclaré dans son témoignage que Bill Hawkins lui avait vendu la plupart de ses pierres précieuses. (Motifs, paragraphe 74.) En 1990, Hawkins est passé au service de H & H Rarities, l'entité à laquelle l'appelant a commencé à acheter ses pierres à partir de ce moment. En 1993, après avoir exprimé à Hawkins son désir de vendre ses pierres, l'appelant a été contacté par Peter Manning, qui agissait pour le compte d'une entreprise nommée Premier Group Investments (Premier). Il a ensuite fait la connaissance de Harold Schnapp, le président de Premier, et d'Andrew Martin, qui est devenu son principal contact. (Exposé conjoint des faits, paragraphes 4 et 5.)

[36]            Selon le témoignage d'expert du gendarme Laurence, Andrew Martin était au centre de l'arnaque. Peter Manning comptait aussi parmi les escrocs. Bill Hawkins, qui a vendu à l'appelant la plupart de ses pierres précieuses (Motifs, paragraphe 40) et qui a adressé ce dernier à Peter Manning, était soupçonné de participation à la fraude, tout comme Harold Schnapp, le président de Premier (Motifs, paragraphes 85 et 88; et Transcription, vol. II, pages 232 à 235).

[37]            Le gendarme Laurence a ajouté que, au cours de son enquête, il était entré en possession de documents qu'il a désignés [TRADUCTION] « listes d'appel » . Ces documents étaient des listes de victimes éventuelles, achetées à d'autres marchands de pierres précieuses. (Motifs, paragraphe 98, alinéa 36.) Le témoignage du gendarme Laurence laisse supposer que le nom de l'appelant avait été [TRADUCTION] « vendu » à Premier (Motifs, paragraphe 98, alinéa 12). Le gendarme Laurence a déclaré à l'audience que l'opération frauduleuse était dirigée à partir du bureau d'une entité dénommée Summit International, sise à Toronto, où la GRC a trouvé des dossiers sur l'appelant et d'autres victimes (Motifs, paragraphe 83).


[38]            Le gendarme Laurence a expliqué que le premier contact avec la victime s'établissait par téléphone, comme cela a été le cas dans la présente espèce. Il a ajouté qu'il n'existe pas de marché secondaire pour les pierres précieuses. Il se peut que les premiers achats de l'appelant à York Union aient été effectués aux premières étapes de l'escroquerie. Comme la victime ne dispose pas de marché où revendre ses pierres précieuses, elle doit s'adresser à qui les lui a vendues. En général, on lui promet alors des bénéfices importants en contrepartie de nouveaux paiements. (Motifs, paragraphe 98, alinéa 41.) C'est précisément ainsi que les choses se sont passées dans la présente espèce.

[39]            À mon sens, il était permis au juge de la CCI de conclure, sur la base de la preuve, que l'appelant avait été victime d'une fraude du début à la fin. Cette conclusion, que l'appelant n'a pas attaquée de front, exclut l'existence d'une entreprise pour l'application de la Loi, sans égard pour toute autre considération. Le juge de la CCI n'avait pas besoin d'aller plus loin pour étayer sa conclusion que les dépenses dont l'appelant demandait la déduction n'avaient pas été engagées en vue de tirer un revenu d'une entreprise pour l'application de l'alinéa 18(1)a).

[40]            L'appelant invoque deux ventes qui, selon son témoignage, ont été faites à des acheteurs sans lien de dépendance avec lui en mai et en novembre 1995 et dont les produits s'élevaient respectivement à 127 000 $ et à 30 200 $; ces ventes ne relèveraient pas de la fraude au motif que, selon ses dires, elles lui avaient rapporté chacune un bénéfice de 25 %.


[41]            Certaines questions se posent à propos de ces deux ventes. L'appelant a déclaré qu'elles avaient eu lieu en 1995, mais il ne les a déclarées que l'année suivante, soit après qu'il eut élaboré sa stratégie fiscale pour demander la déduction des dépenses [TRADUCTION] « de vente » de 1 651 766 $ et des [TRADUCTION] « coûts de stock » de 529 926 $ qu'il avait perdus par suite de l'escroquerie.

[42]            L'appelant a déclaré les deux ventes en question dans sa déclaration d'impôt pour l'année d'imposition 1996 (produite en avril 1997), où il révèle pour la première fois qu'il exploite une [TRADUCTION] « entreprise » de commerce des pierres précieuses sous le nom commercial de « WHH Ventures » . Il demande dans cette déclaration la déduction de la totalité des pertes résultant de l'escroquerie (2 276 253 $) et soustrait de ces pertes le produit des deux ventes considérées (157 900 $), lesquelles, si elles ont vraiment été effectuées, auraient dû être déclarées l'année précédente. (Déclaration d'impôt de 1996, dossier d'appel, vol. I, page 217.)


[43]            Ces ventes ne sont attestées par aucun reçu ou facture, et aucun élément de preuve documentaire ne confirme le bénéfice de 25 % qu'elles auraient rapporté. Si l'exposé conjoint des faits explique (au paragraphe 18) que les escrocs ne donnaient pas en général de reçus ou de factures, cette règle ne devrait pas s'appliquer aux acquéreurs de bonne foi. L'appelant - il est vrai - a fait état de bordereaux de dépôt qui rendraient compte du produit d'une de ces ventes (Transcription, vol. I, page 28, et vol. II, page 114). Cependant, les montants (exprimés en dollars américains) ne correspondent pas aux dires de l'appelant, et il n'est pas fait mention des pierres précieuses sur ces bordereaux (dossier d'appel, vol. II, page 348). Cette absence de pièces justificatives est particulièrement difficile à expliquer, étant donné l'importance de ces ventes et la déclaration formulée par l'appelant dans son témoignage selon laquelle il avait l'intention de les déclarer depuis le début (Motifs, paragraphe 41).

[44]            En outre, nous ne disposons d'aucune indication sur l'origine des pierres précieuses qui auraient fait l'objet de ces deux ventes. La lecture de l'exposé conjoint des faits donne à penser que le coût total du stock s'élevait à 529 926 $, et il y est dit (au paragraphe 12) que Martin s'est enfui avec toutes les pierres précieuses de l'appelant. En outre, l'avis d'appel déposé par l'appelant porte que ce montant de 529 926 $ représente les achats qu'il a faits de 1987 à 1994 dans le cadre de son [TRADUCTION] « affaire de caractère commercial » (avis d'appel, paragraphes 6 et 7, dossier d'appel, vol. 1, page 80).

[45]            Le témoignage de l'appelant au procès renforce cette impression. Il y a déclaré que la convention d'achat et de vente datée du 30 août 1993 (dossier d'appel, vol. II, page 298) portait sur la totalité de son stock (Motifs, paragraphe 9; et Transcription, vol. 1, page 34). Les pierres qui composaient ce stock avaient été achetées de 1987 à 1993 (Motifs, paragraphe 40). Le seul achat additionnel auquel l'appelant ait fait allusion est celui effectué le 16 février 1994 par l'intermédiaire d'Andrew Martin : il aurait alors ajouté trois émeraudes à son stock pour le rendre [TRADUCTION] « plus facile à vendre » (Motifs, paragraphe 16). Or, ces pierres additionnelles ont aussi été perdues puisque leur coût (de 175 280,96 $US ou 237 137 $CAN) fait partie de la perte de stocks déclarée par l'appelant.


[46]            Un autre fait gênant est que, au moment où les deux ventes en question auraient été effectuées (mai et novembre 1995), l'appelant était encore sous le charme d'Andrew Martin et de ses complices et convaincu qu'il pourrait tirer d'énormes profits (dépassant ses coûts de dix fois) de la vente de ses pierres précieuses. Pourquoi dans ce cas aurait-il accepté de se défaire d'une part importante de son stock pour un bénéfice de 25 %? Enfin, ces deux ventes ne semblent pas cadrer avec le témoignage d'expert du gendarme Laurence, qui a déclaré qu'il n'existait pas de marché secondaire pour les pierres précieuses achetées par l'appelant.

[47]            À mon sens, le juge de la CCI a eu raison de ne pas tenir compte de ces transactions pour arriver à sa conclusion que l'appelant avait été la victime d'une fraude du début à la fin. Cette conclusion exclut l'existence d'une entreprise et suffisait à décider l'issue du recours.

[48]            Bien qu'il ne soit pas nécessaire d'examiner le motif subsidiaire sur lequel le juge de la CCI s'est fondé pour débouter l'appelant, je crois utile de dire quelques mots sur la portée de l'article 67 et son application à la présente espèce.


[49]            L'appelant fait valoir que l'article 67 vise une dépense engagée en vue de tirer un revenu d'une entreprise au sens de l'alinéa 18(1)a) et autorise le ministre à refuser la déduction de la part de cette dépense dont le caractère déraisonnable peut être établi. Autrement dit, l'article 67 interdit un examen qualitatif de la dépense, puisque celle-ci doit avoir par définition été engagée en vue de gagner un revenu. Cet article, selon l'appelant, appelle plutôt un examen quantitatif de la dépense.

[50]            Il est de fait que les décisions judiciaires rendues jusqu'ici sur l'article 67 ont envisagé la question qui en découle comme une question de quantité ou d'ordre de grandeur (voir Mohamad, précité; et Garbco Ltd. c. M.R.N., 68 DTC 5210). L'appelant soutient que le passage suivant de Vern Krishna, The Fundamentals of Canadian Income Tax, 3e édition (page 312), rend bien compte de la portée et de l'objet de l'article 67 :

[TRADUCTION] Le terme « raisonnable » [de l'article 67] semble se rapporter principalement à l'ordre de grandeur ou au montant des déductions demandées ou quantifiées et non à la nature de la dépense. « Cette règle a pour objet d'empêcher les contribuables de réduire artificiellement leur revenu en déduisant des dépenses excesivement élevées » [...]

[51]            Je reconnais que ce passage rend compte avec exactitude de la manière dont l'article 67 a été appliqué par les tribunaux jusqu'à maintenant. Toutefois, la Cour suprême a formulé dans l'arrêt Stewart, précité, des observations sur l'application de l'article 67 et fait remarquer que celle-ci pouvait être plus large. Rappelons que dans cet arrêt, la Cour suprême a écarté le critère de l' « expectative raisonnable de profit » comme moyen d'établir l'existence d'une source de revenu. Tout en reconnaissant que ce critère avait été conçu pour prévenir les abus, elle a conclu qu'il était dénué de fondement législatif et créait plus de problèmes qu'il n'en résolvait.


[52]            Dans le cadre de sa formulation de « l'approche recommandée » , la Cour suprême a défini l'article 67 comme le moyen législatif de contrôler les dépenses excessives ou injustifiées une fois établie l'existence d'une source de revenu. Elle propose les remarques suivantes au paragraphe 57 :

[...] Si la déductibilité d'une dépense particulière est en cause, ce n'est pas l'existence d'une source de revenu qui doit être mise en doute, mais plutôt le lien entre cette dépense et la source à laquelle elle est censée se rapporter. Le fait qu'une dépense soit considérée comme faisant partie des frais personnels ou de subsistance n'influe aucunement sur la qualification de la source de revenu à laquelle le contribuable tente de rattacher la dépense; cela signifie simplement que la dépense ne peut être rattachée à la source de revenu en question. De même, si, dans les circonstances, la dépense est déraisonnable eu égard à la source de revenu, alors l'art. 67 de la Loi établit un mécanisme permettant d'en réduire ou d'en supprimer le montant. Là encore, toutefois, des dépenses excessives ou déraisonnables n'ont aucune incidence sur la qualification d'une activité comme étant une source de revenu. [Non souligné dans l'original.]

[53]            Le choix des termes (réduire ou supprimer) n'a en l'occurrence rien de fortuit. La Cour suprême définissait l'article 67 comme le moyen légitime d'apprécier le caractère raisonnable d'une dépense une fois établie l'existence d'une entreprise. Elle le faisait après avoir expliqué que, au premier niveau de l'examen (c'est-à-dire celui qui concerne l'existence d'une source de revenu et le rapport entre une dépense donnée et cette source), les tribunaux ne devraient pas contester le jugement commercial du contribuable (Stewart, précité, paragraphes 55, 56 et 57). L'article 67 se trouvait ainsi caractérisé comme étant la disposition législative autorisant un examen du caractère raisonnable de la dépense. À mon sens, la Cour suprême a établi dans Stewart qu'il n'existe pas de limite intrinsèque à l'application de l'article 67 et que, lorsque les circonstances le justifient, celui-ci peut être invoqué pour refuser la déduction de la totalité d'une dépense, si son caractère déraisonnable est établi.


[54]            Dans la présente espèce, le juge de la CCI a essayé d'établir quelle partie des dépenses [TRADUCTION] « de vente » pouvait être considérée comme raisonnable dans les circonstances. Il a fait observer qu'aucun des deux avocats ne pouvait fixer de seuil à cet égard. Ayant ensuite constaté que la conduite de l'appelant avait été la même tout au long de l'affaire, il a conclu que les dépenses avaient été déraisonnables du début à la fin. Il lui était à mon sens permis de tirer cette conclusion eu égard à la preuve.

[55]            Pour ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.

                    « Marc Noël »                        

          Juge

« Je souscris aux présents motifs

Gilles Létourneau, juge »

« Je souscris aux présents motifs

M. Nadon, juge »

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     A-507-04

Appel d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt en date du 13 septembre 2004

INTITULÉ :               WILLIAM HAMMILL

c.

SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 28 JUIN 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                     LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                  LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 7 JUILLET 2005

COMPARUTIONS :

Craig C. Sturrock

George Voisin

POUR L'APPELANT

Roger Leclaire

Justine Malone

POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thorsteinssons Tax Lawyers, LLP, Vancouver (Colombie-Britannique)

Vosin Lubczuk Law Firm, Kitchener (Ontario)

POUR L'APPELANT

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR L'INTIMÉE



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