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Date : 20040707

Dossier : A-288-04

Référence : 2004 CAF 255

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                                  APOTEX INC.

                                                                                                                                            appelante

                                                                                                                                   (défenderesse)

                                                                             et

                                              AB HASSLE, ASTRAZENECA AB et

                                                  ASTRAZENECA CANADA INC.

                                                                                                                                              intimées

                                                                                                                                (demanderesses)

                          Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 22 juin 2004

                                       Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 juillet 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                    LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                      LA JUGE SHARLOW

                                                                                                                            LE JUGE MALONE


Date : 20040707

Dossier : A-288-04

Référence : 2004 CAF 255

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                                  APOTEX INC.

                                                                                                                                            appelante

                                                                                                                                   (défenderesse)

                                                                             et

                                              AB HASSLE, ASTRAZENECA AB et

                                                  ASTRAZENECA CANADA INC.

                                                                                                                                              intimées

                                                                                                                                (demanderesses)

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU


[1]                L'appelante, Apotex Inc., conteste une ordonnance rendue par un juge de la Cour fédérale (juge) qui a accueilli l'appel interjeté par l'intimée (Astra) d'une ordonnance rendue par un protonotaire le 12 mai 2004. Astra avait présenté une requête, que le protonotaire a rejetée, visant à déposer une preuve par affidavit d'un expert, M. Lindquist. Après que l'appelante eut produit des échantillons de ses comprimés de magnésium d'oméprazole, M. Lindquist a analysé leur contenu afin de déterminer si l'allégation de non-contrefaçon des brevets d'Astra était fondée. Astra voulait déposer cette preuve afin de démontrer la contrefaçon de ses brevets par l'appelante. Cet incident est survenu dans le contexte d'une demande d'ordonnance empêchant le ministre de la Santé (ministre) de délivrer un avis de conformité à l'appelante.

[2]                L'audience relative à la demande d'ordonnance d'interdiction a été fixée au 17 août 2004. Par suite de la présente procédure, la date de l'audience qui a été fixée par priorité a maintenant été reportée à décembre prochain. Entre-temps, le contre-interrogatoire de M. Lindquist a été suspendu dans l'attente du présent appel. La prétention de l'appelante quant au droit de produire une contre-preuve si Astra est autorisée à déposer sa preuve fait aussi l'objet du litige. J'expose ces faits pour souligner l'urgence de statuer sur le présent appel. Par conséquent, je vais énoncer de courts motifs à l'appui de la décision.

[3]                Après avoir entendu les parties et examiné la documentation, je crois qu'à l'exception du droit de l'appelante de déposer une contre-preuve, le juge a tiré la bonne conclusion, bien que je l'appuie pour des motifs différents.


[4]                Le protonotaire a rejeté la requête d'Astra pour la production d'une preuve parce qu'elle ne l'a pas présentée promptement dans la procédure engagée conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (Règlement), dans laquelle la célérité est primordiale. Il a estimé qu'Astra et les autres demanderesses n'avaient pas justifié leur inaction, en particulier, leur omission de présenter en temps opportun une requête pour exiger la production des échantillons nécessaires pour les analyses. Au paragraphe 37 de ses motifs, il a écrit :

Les demanderesses sollicitent l'autorisation de déposer une preuve par affidavit complémentaire dix-huit mois après que les procédures ont été engagées dans le dossier du greffe no T-1878-02, et près d'un an après que les procédures ont été engagées dans le dossier du greffe no T-766-03. Des explications satisfaisantes ont été données au sujet du temps qu'Apotex a mis pour déposer sa preuve après l'introduction des procédures, mais je ne suis pas convaincu que les demanderesses aient justifié leur inaction subséquente et, en particulier, le fait qu'elles ont omis de présenter une requête en temps opportun afin d'exiger la production des échantillons nécessaires pour les analyses.

[5]                Astra a demandé que l'appelante produise des échantillons de son produit après le contre-interrogatoire de M. Sherman qui, à titre d'expert, a déposé un affidavit au nom de l'appelante relativement à l'analyse des comprimés effectuée par l'appelante. Le protonotaire a vu dans cette période d'attente une stratégie d'Astra qu'il a jugée troublante et inacceptable étant donné qu'elle a entraîné des retards inutiles : voir les paragraphes 39, 40 et 41 de sa décision. Il était d'avis qu'Astra aurait dû demander la production des échantillons, effectuer l'analyse et présenter une requête pour le dépôt de la preuve par affidavit en résultant avant de fixer la date des contre-interrogatoires : ibid., au paragraphe 40.

[6]                Je ne saurais souscrire à l'opinion du protonotaire. Il a mal exposé le droit lorsqu'il a rendu cette conclusion. Le paragraphe 6(7) du Règlement autorise une partie à exiger la production d'échantillons si ceux-ci ont été déposés auprès du ministre dans le cadre des demandes réglementaires d'une demanderesse (PDN). Étant donné que l'appelante n'a pas présenté d'échantillons de son produit au ministre, Astra ne pouvait exercer le droit conféré par le paragraphe 6(7) et en exiger la production.


[7]                Comme le protonotaire l'a fait remarquer à juste titre, la procédure engagée conformément au Règlement doit se dérouler avec célérité : Bayer AG c. Canada (1993), 51 C.P.R. (3d) 329, à la page 337 (C.A.F.); AB Hassle c. Canada (2000), 7 C.P.R. (4th) 272, au paragraphe 27 (C.A.F.); Pharmacia Inc. c. Canada (1994), 58 C.P.R. 209, à la page 215 (C.A.F.). La communication de documents et les pouvoirs pour en exiger la divulgation sont limités. Le protonotaire n'a cité aucune jurisprudence, et je n'en connais aucune, pour appuyer sa conclusion qu'Astra aurait pu et aurait dû demander la production des échantillons plus tôt qu'elle ne l'a fait et, en conséquence, qu'elle doit être blâmée pour le retard qui en a résulté. Astra a demandé les échantillons à l'appelante, mais en vain. L'appelante les a finalement produits le 19 septembre 2004 durant le contre-interrogatoire de son témoin expert, parce qu'on pouvait alors en forcer la production dans le cadre du témoignage.


[8]                Dans l'arrêt Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302, à la page 320 (C.A.F.), la Cour a souligné la portée limitée de la communication de documents dans ce type de procédure. Dans la décision Hoffmann-La Roche Ltd. et al. c. Ministre de la Santé et du Bien-être social et al., [1996] A.C.F. no 348 (QL), (1996) 67 C.P.R. (3e) 484, p. 497 (C.F. 1re inst.), la juge Reed a conclu que la Cour n'avait pas compétence pour obliger une partie à produire des éléments de preuve dans les demandes en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement et qu'il n'y avait ni interrogatoire préalable ni communication préalable de documents. Elle a affirmé, à titre d'exemple, que la Cour ne pouvait obliger l'intimée à « fournir à la demanderesse des échantillons du médicament qu'elle entend commercialiser. » Dans la décision Pfizer Canada c. Apotex Inc. (2002), 18 C.P.R. (4th) 323, aux paragraphes 28 et 29, le juge O'Keefe a estimé que la production des échantillons pouvait être exigée seulement s'ils avaient été fournis au ministre. Dans cette affaire, Apotex Inc. a contesté avec succès la requête visant à exiger la production de ses échantillons en arguant de la décision Hoffmann-La Roche Ltd. c. Canada, précitée : voir les paragraphes 27 et 28. C'est la même Apotex Inc. qui, dans la présente espèce, soutient qu'Astra aurait dû demander, plus tôt, la production des échantillons par voie de requête.

[9]                Enfin, dans la décision Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2003), 24 C.P.R. (4th) 259, Apotex Inc. a demandé par voie de requête la production de documents qu'elle prétendait nécessaires pour préparer sa contre-preuve par affidavit. Elle a reconnu, au paragraphe 9, que les Règles de la Cour fédérale (1998) ne conféraient pas le droit de demander la production de documents avant le dépôt de la contre-preuve par affidavit. Aux pages 265 et 266, la juge Snider a décidé que s'il existait un pouvoir pour ordonner la divulgation de documents mentionnés dans un affidavit avant le contre-interrogatoire, la délivrance de l'ordonnance serait discrétionnaire.

[10]            Au vu de l'état du droit, je ne crois pas qu'Astra peut être blâmée d'avoir attendu jusqu'au contre-interrogatoire du témoin de l'appelante avant d'exiger la production des échantillons. Au mieux, le droit est imprécis et incertain sur cette question. Au pire, Astra n'avait pas le droit d'exiger la production des échantillons avant le contre-interrogatoire.


[11]            L'appelante n'avait pas l'obligation de déposer ses échantillons auprès du ministre et de les produire à Astra. Cela étant dit, toutefois, ce n'était qu'une question de temps avant qu'elle ne puisse être obligée à les produire après qu'elle eut déposé la preuve par affidavit concernant les résultats de ses analyses. À mon avis, dans des circonstances où l'on ne peut recourir au processus de divulgation prévu au paragraphe 6(7) du Règlement parce que les échantillons n'ont pas été remis au ministre et où la deuxième personne en fait l'analyse et dépose une preuve par affidavit des résultats de ces analyses durant la procédure d'interdiction, le souci de la célérité, de l'équité et de l'intérêt général de la justice donne à la première personne le droit, immédiatement après le dépôt, de demander par voie de requête la production de ces échantillons pour les analyser elle-même. Cette solution est propre à remédier au retard malheureux qui s'est produit dans la présente procédure. La première personne peut alors être tenue de justifier son peu de diligence.

[12]            Il appert de la décision du protonotaire qu'il a estimé qu'Astra n'avait pas agi avec diligence raisonnable pour demander la production des échantillons et que la requête visant à déposer l'affidavit Lindquist entraînerait un retard supplémentaire, au détriment de l'appelante. Aux paragraphes 43 et 44, il a écrit :

Enfin, Apotex se plaint que les demanderesses ont décidé d'attendre pendant une période additionnelle de deux mois après qu'Apotex eut volontairement produit ses échantillons pour présenter la requête dont je suis ici saisi. Si ce n'était du temps qui s'est écoulé entre le moment où Apotex a déposé en réponse sa preuve par affidavit et la date du contre-interrogatoire de M. Sherman, j'aurais été porté à excuser ce retard compte tenu des explications données, et l'affidavit Lindquist aiderait la Cour à arriver à une décision au fond au sujet de la demande.


En conclusion, les demanderesses ont tardé d'une façon déraisonnable à chercher à contraindre Apotex à produire les échantillons. Étant donné qu'Apotex subirait un préjudice s'il survenait un autre retard dans la présente instance, l'octroi de la réparation demandée ne sert pas, à mon avis, les intérêts de la justice.

                                                                                                                (Non souligné dans l'original)

Si ce n'avait été de son interprétation erronée du droit relatif à l'obligation de produire des échantillons, il aurait accueilli la requête d'Astra et autorisé le dépôt de la preuve par affidavit. En appel, le juge aurait dû intervenir sur ce fondement, étant donné que l'exercice du pouvoir judiciaire discrétionnaire reposait sur un principe erroné : voir Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, au paragraphe 19.

[13]            Au paragraphe 28 de sa décision, le juge, compte tenu du calendrier serré de la procédure à ce moment, n'a pas jugé nécessaire d'autoriser l'appelante à présenter une contre-preuve complémentaire relative aux analyses parce que cela entraînerait des retards supplémentaires. L'audience a été ajournée à décembre 2004 et l'échéancier n'est plus le même.

[14]            En outre, dans une ordonnance en date du 12 mai 2004, le protonotaire a rejeté comme sans objet une requête de l'appelante l'autorisant à déposer une contre-preuve par affidavit si Astra était autorisée à déposer l'affidavit Lindquist. Toutefois, il a rejeté la requête sous réserve du droit de l'appelante de présenter une requête demandant l'autorisation de déposer une contre-preuve si Astra [traduction] « a gain de cause dans un appel tendant à obtenir l'autorisation de déposer l'affidavit de M. Jörgen Lindquist souscrit le 15 avril 2004 » . Cette ordonnance est encore en vigueur. Vu les circonstances, j'autoriserais l'appelante, si elle le désire conformément à cette ordonnance, à déposer promptement une requête sollicitant l'autorisation de déposer une preuve en réponse à l'affidavit Lindquist.


[15]            Pour ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens dans toutes les cours, payables aux intimées AB Hassle, Astrazeneca AB et Astrazeneca Canada Inc., sous réserve du droit de l'appelante de présenter une requête conformément à l'ordonnance du protonotaire en date du 12 mai 2004. Les intimées AB Hassle, Astrazeneca AB et Astrazeneca Canada Inc. auront droit à leurs débours dans le dossier A-289-04 dans lequel une copie des présents motifs sera versée.

                                                                                                                            « Gilles Létourneau »               

Juge

« Je souscris aux présents motifs

K. Sharlow, juge »

« Je souscris aux présents motifs

B. Malone, juge »

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        A-288-04/A-289-04

INTITULÉ :                                       APOTEX INC. c. AB HASSLE et al.

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 22 JUIN 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                        LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

DATE DES MOTIFS :                     LE 7 JUILLET 2004

COMPARUTIONS :

Andrew Brodkin

Nathalie Butterfield

POUR L'APPELANTE

Sheldon Hamilton

Yoon Kang

POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodman, s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR L'APPELANTE

Smart & Biggar

Toronto (Ontario)

POUR L'INTIMÉE



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