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Date : 20041125

Dossier : A-300-03

Référence : 2004 CAF 397

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE SEXTON

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                               LORD'S EVANGELICAL CHURCH

                                  OF DELIVERANCE AND PRAYER OF TORONTO

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                intimée

                                   Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 3 novembre 2004.

                                  Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                     LE JUGE STONE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE SEXTON

                                                                                                                            LE JUGE MALONE


Date : 20041125

Dossier : A-300-03

Référence : 2004 CAF 397

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE SEXTON

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                               LORD'S EVANGELICAL CHURCH

                                  OF DELIVERANCE AND PRAYER OF TORONTO

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STONE

[1]                Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre d'une décision du ministre du Revenu national datée du 28 mai 2003, prise en vertu du paragraphe 168(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) et révoquant l'enregistrement de l'appelante comme oeuvre de bienfaisance.


                                                                 LE CONTEXTE

[2]                L'appelante, qui a obtenu l'enregistrement comme oeuvre de bienfaisance en 1991, a été constituée en personne morale sans capital-actions en vertu de la Loi sur les personnes morales, L.R.O. 1990, chap. C.38 le 25 avril 1991, ayant pour principal objet de [traduction] « prêcher, promouvoir et diffuser les enseignements spirituels de la foi évangélique » . Madame Jean Tracey, pasteure de l'Église, était administratrice, membre et présidente de l'organisme. En 2001, la Direction des organismes de bienfaisance a effectué une vérification des opérations de l'appelante pour l'exercice terminé le 31 décembre 1999. Dès novembre 2000, la Direction des organismes de bienfaisance s'inquiétait du fait que la pasteure [traduction] « détournait des fonds et ne faisait pas de diffusion de la religion » . La Direction des organismes de bienfaisance a décidé de faire enquête sur cette question ainsi que sur le paiement de dépenses personnelles de la pasteure ou d'une autre personne et sur des versements initiaux faits sur des maisons pour chacun des trois enfants du pasteur. Elle se préoccupait également du caractère adéquat des livres et registres de l'Église. De plus, on soupçonnait que le remboursement de dépenses personnelles de la pasteure et de l'un de ses enfants n'était pas inscrit sur les relevés T4, bien que ces paiements soient des avantages imposables.


[3]                Les résultats de la vérification ont été communiqués à l'appelante dans une lettre de la Direction des organismes de bienfaisance datée du 15 mars 2002. Comme ces résultats suggéraient [traduction] « de graves manquements à la Loi de l'impôt sur le revenu » , la lettre indiquait : [traduction] « nous envisageons la possibilité de révoquer l'enregistrement de l'Église » . Les préoccupations soulevées par la Direction des organismes de bienfaisance concernaient notamment le caractère adéquat des livres et registres de l'appelante, la conformité des reçus de don aux dispositions réglementaires, des paiements faits par l'appelante au nom des employés et d'autres avantages (frais de communications téléphoniques personnelles, loyer, paiements de location d'automobile, dépenses de fonctionnement de véhicule, paiements hypothécaires mensuels) qui n'étaient pas inclus sur les relevés T4 de 1999 et de 2000, un don d'environ 150 000 $ fait à la pasteure Jean Tracey et la donation ultérieur de cette somme par elle à ses enfants pour des versements initiaux sur des maisons familiales. Le cadeau aux enfants de la somme de 150 000 $, en particulier, provenait de fonds obtenus par l'appelante au moyen d'un emprunt garanti par une hypothèque de deuxième rang sur le bâtiment de l'Église de l'appelante. Cette somme représentait environ 47 % de tous les dons reçus par l'appelante en 1999. La lettre du 15 mars 2002 s'inquiétait aussi du fait que la pasteure Tracey avait [traduction] « reçu personnellement des sommes de la part de membres de l'Eglise » qui auraient dû être la propriété de l'Église et que ces sommes n'étaient pas consignées. La lettre se terminait en invitant l'appelante à présenter ses observations dans un délai de 30 jours si elle contestait les faits indiqués dans la lettre ou si elle souhaitait [traduction] « présenter des raisons pour lesquelles le ministre ne devrait pas révoquer l'enregistrement » en vertu du paragraphe 168(2) de la Loi.


[4]                Le 4 avril 2002, l'appelante a transmis la lettre du 15 mars 2002 à ses avocats de l'époque. Le même jour, les avocats ont écrit à la Direction des organismes de bienfaisance en disant qu'ils communiqueraient de nouveau avec elle [traduction] « d'ici à la fin de mai » 2002. Toutefois, ni l'appelante ni les avocats ne se sont manifestés pendant plus de dix mois avant que la Direction des organismes de bienfaisance communique les avocats par téléphone le 10 février 2003, pour se faire tout simplement dire qu'on [traduction] « avait complètement oublié toute l'affaire » . Les avocats ont promis d'entrer de nouveau en contact avec la Direction avant le 27 février 2003, mais ne l'ont pas fait. La Direction des organismes de bienfaisance a communiqué par téléphone avec les avocats le 10 mars 2003, puis le 14 mars 2003, date où on lui a promis une lettre [traduction] « avant la fin de la semaine prochaine » . La lettre n'a pas été reçue. La Direction des organismes de bienfaisance a alors contacté la pasteure Tracey par téléphone le 24 mars 2003, la pressant de donner une réponse [traduction] « immédiatement » à la lettre du 15 mars 2002.


[5]                Les avocats ont finalement répondu à la lettre du 15 mars 2002 de la Direction des organismes de bienfaisance par une lettre datée du 24 mars 2003. Cette lettre commençait par une demande [traduction] « d'un nouveau délai d'un (1) an pour convaincre le ministre » que l'appelante [traduction] « se conformait pour l'essentiel à la Loi » . La lettre poursuivait en disant que comme l'appelante était un petit organisme, elle ne pouvait payer les services d'un teneur de livres professionnel et que le comptable de l'appelante aiderait les bénévoles [traduction] « dans toute la mesure du possible à corriger leurs erreurs antérieures » . Les avocats [traduction] « prévoyaient la conformité » de l'appelante à la Loi au sujet des reçus de don et indiquaient : [traduction] « l'inscription correcte des salaires, des honoraires et des autres avantages imposables sera indiquée correctement sur la déclaration de 2002 à venir » . La lettre exposait aussi la nature des mesures correctives qui étaient envisagées au sujet du cadeau des 150 000 $, en précisant notamment que les versements initiaux sur les maisons des enfants [traduction] « seront convertis en un prêt consenti par l'Église dont la pasteure Jean Tracey assumera la responsabilité ultime » .


[6]                La Direction des organismes de bienfaisance a communiqué par téléphone avec la pasteure Tracey le 28 mars 2003 et celle-ci a alors indiqué qu'elle privilégiait la conversion en prêt des cadeaux aux enfants. La Direction des organismes de bienfaisance avait manifestement des réticences à l'égard de cette idée, car elle doutait que cette mesure, même assortie de conditions de remboursement et de taux d'intérêts appropriés, soit « un emploi correct des ressources » . Elle a aussi noté que la pasteure Tracey avait admis [traduction] « qu'il ne pourrait qu'elle ne puisse pas rembourser le prêt » parce qu'elle s'était elle-même récemment acheté une nouvelle maison. La Direction des organismes de bienfaisance a convenu de télécopier une nouvelle demande de renseignements supplémentaires aux avocats de l'appelante. Elle l'a fait le 31 mars 2003, en qualifiant la lettre des avocats du 24 mars 2003 [traduction] « d'avare de détails » et en demandant d'autres renseignements au sujet de divers éléments qui étaient restés sans réponse, notamment le caractère adéquat des livres et registres, le sommaire des dons reçus en 2001, la ventilation des avantages autres que les salaires ainsi que les versements initiaux faits au nom des enfants Tracey. S'agissant du dernier élément, la Direction des organismes de bienfaisance écrivait : [traduction] « Si nous devions accepter le prêt, il faudrait prendre une hypothèque et établir des modalités raisonnables de remboursement » .

[7]                Les avocats ont répondu par une lettre, le 17 avril 2003, où ils déclaraient que [traduction] « de nouveaux systèmes de tenue de livres » seraient mis en place [traduction] « qui, nous l'espérons, documenteront correctement les diverses opérations » . Les avocats notaient également que l'une des trois maisons appartenant aux enfants avait été vendue, que le produit net de la vente serait versé à l'Église et qu'ils convertiraient le reste des cadeaux aux enfants Tracey en [traduction] « emprunts contractés par les trois enfants et leurs conjoints et garantis par la pasteure Tracey » , des hypothèques étant constituées sur les deux maisons non vendues [traduction] « pour garantir l'emprunt en faveur de l'Église » . Les avocats s'engageaient à tenir la Direction des organismes de bienfaisance [traduction] « au courant de l'évolution de la situation » . Cependant, il n'y a pas eu d'autres communications entre les parties avant le 28 mai 2003.


[8]                La lettre de la Direction des organismes de bienfaisance à l'appelante en date du 28 mai 2003 a été expressément écrite en réponse à la lettre des avocats du 17 avril 2003 et [traduction] « aux conversations téléphoniques tenues avec vous » . Elle indiquait que les observations reçues avaient été [traduction] « soigneusement examinées » et qu'elles [traduction] « ne fournissent pas de raisons spécifiques pour lesquelles le statut d'oeuvre de bienfaisance de l'église ne devrait pas être révoqué » . La Direction des organismes de bienfaisance estimait que la lettre du 17 avril 2003 [traduction] « ne répondait pas à [nos] préoccupations de manière satisfaisante » et que, dans l'ensemble, on avait fait défaut [traduction] « de répondre par des mesures concrètes dans un délai raisonnable » . La lettre du 28 mai 2003 énumérait ensuite quatre raisons distinctes de révocation de l'enregistrement de l'appelante comme oeuvre de bienfaisance, qui avaient toutes antérieurement été exposées dans la lettre initiale du 15 mars 2002. L'appelante n'avait pas fait les changements nécessaires pour la tenue de livres et registres adéquats; elle n'avait pas fourni la liste des dons de l'exercice 2001; elle n'avait pas répondu aux demandes de renseignements sur les avantages personnels ne figurant pas sur les relevés T4 et, enfin, les cadeaux de 150 000 $ aux enfants n'avaient pas été remboursés, et rien d'autre qu'un remboursement immédiat ne pourrait être accepté.

                                                  LES ARGUMENTS DES PARTIES


[9]                L'appelante soutient que le ministre a commis un déni de justice naturelle à son égard et a manqué à l'équité procédurale. Elle fait valoir qu'elle a informé la Direction des organismes de bienfaisance des mesures correctives proposées à l'égard de la préoccupation exprimée au sujet des cadeaux aux enfants, mais que la décision du 28 mai 2003 a été prise sans que l'appelante soit informée au préalable que sa proposition des lettres du 24 mars 2003 et du 17 avril 2003 n'était pas acceptable. Elle se plaint en particulier que le ministre avait [traduction] « avisé » l'appelante que les cadeaux [traduction] « doivent être inscrits comme des prêts assortis de conditions raisonnables de remboursement » et que la décision de révocation a été prise au moment où des arrangements étaient en train d'être aménagés en vue du remboursement. L'appelante soutient donc que le ministre n'a aucunement pris en considération les mesures correctives proposées avant de prendre la décision de révoquer l'enregistrement.

                                        LES PRINCIPES JURIDIQUES APPLICABLES

[10]            Au Canada, pour bénéficier des avantages de l'exonération de l'impôt sur le revenu et de la délivrance de reçus de don aux fins de l'impôt sur le revenu, il faut que l'oeuvre de bienfaisance maintienne son enregistrement aux termes de la Loi. Ces avantages peuvent être perdus dans le cas où, aux termes de l'alinéa 168(1)b), l'organisme de bienfaisance enregistré « cesse de se conformer aux exigences de la présente loi relatives à son enregistrement » . Comme Madame la juge Sharlow l'a dit dans l'arrêt Magen David Adom canadien pour Israël c. La Reine, [2002] D.T.C. 7353 (C.A.F.) au paragraphe 7 : « Un organisme de bienfaisance qui cesse de remplir les conditions d'enregistrement s'expose à la révocation de l'enregistrement, ce qui l'obligerait à fermer ses portes. » La gravité d'une telle mesure a incité la Cour a exiger du ministre qu'il donne à l'organisme enregistré la possibilité de faire valoir son point de vue avant la révocation de l'enregistrement.


[11]            Il a été établi que les règles de la justice naturelle et l'obligation d'agir équitablement sont des « normes variables » , dont le contenu dépend « des circonstances de l'affaire, des dispositions législatives en cause et de la nature de la question à trancher » : Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 819 aux pages 895 et 896. Voir également l'arrêt Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170 aux pages 1191 et 1192; Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village), [2004] A.C.S. no 45, 2004 CSC 48. Le critère de l'existence d'une obligation générale d'agir équitablement dans une décision de mettre fin à une relation employeur-employé été formulé dans l'arrêt Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653 à la page 669, où Madame la juge L'Heureux-Dubé, s'exprimant au nom de la majorité, a déclaré :

... L'existence d'une obligation générale d'agir équitablement dépendra de l'examen de trois facteurs : (i) la nature de la décision qui doit être rendue par l'organisme administratif en question; (ii) la relation existant entre cet organisme et le particulier, et (iii) l'effet de cette décision sur les droits du particulier. Notre Cour a affirmé dans l'arrêt Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, précité, que dans les cas où ces trois éléments se retrouvent, une obligation générale d'agir équitablement incombe à un organisme décisionnel public (le juge Le Dain au nom de la Cour, à la page 653).

[12]            Il va de soi que l'équité procédurale doit être accordée à une personne dans la position de l'appelante avant de rendre une décision de révocation d'enregistrement d'une oeuvre de bienfaisance. L'intimée convient que cette obligation d'équité s'impose. L'effet de la révocation est manifeste. Le revenu de l'appelante serait imposable et l'appelante ne pourrait plus délivrer de reçus de don. De plus, l'appelante pourrait être assujettie à une taxe de révocation fondée sur l'article 188 de la Loi. Par conséquent, il est évident que la révocation aurait des conséquences graves sur l'appelante pour la réalisation de son objet. Les deux parties acceptent les observations que le juge Pratte a formulées dans une affaire semblable, dans l'arrêt Renaissance International c. Ministre du Revenu national, [1983] 1 C.F. 860 (C.A.), à la page 866, où le juge a déclaré :


Il s'ensuit, àmon avis, que le processus préalable à la décision du Ministre d'envoyer un avis d'annulation en vertu du paragraphe 168(1) doit lui permettre de constituer un dossier suffisamment complet pour que cette Cour puisse l'utiliser en statuant sur l'appel. Ceci présuppose, à mon avis, que le Ministre doit suivre une procédure qui lui permet de constituer un dossier reflétant non seulement son point de vue mais également celui de l'organisme concerné

[13]            L'alinéa 149(1)b) de la Loi interdit clairement qu'une partie du revenu d'une oeuvre de bienfaisance soit payable « à l'un de ses propriétaires, membres, actionnaires, fiduciaires ou auteurs [ou ne puisse] servir de quelque façon à leur profit personnel » . Le paragraphe 230(2) de la Loi impose à tout organisme de bienfaisance enregistré de « tenir des registres et des livres de comptes » pour permettre au ministre « de déterminer s'il existe des motifs d'annulation » d'un enregistrement et pour autoriser la vérification des dons qui sont admissibles à une déduction ou à un crédit d'impôt en vertu de la Loi. En outre, tous les reçus de don doivent répondre aux conditions de l'article 3501 du Règlement de l'impôt sur le revenu. Ils doivent aussi satisfaire aux conditions de l'alinéa 168(1)d) de la Loi.

                                           L'ANALYSE


[14]            Le cadeau de 150 000 $ fait par l'Église à la pasteure Tracey était nettement en contravention de l'interdiction prévue à l'alinéa 149(1)b) et constitue donc un motif de révocation de l'enregistrement de l'Église pour avoir cessé « de se conformer aux exigences de la présente loi relatives à son enregistrement comme telle » selon les dispositions de l'alinéa 168(1)b). Le dossier déposé à la Cour n'appuie pas l'affirmation de l'appelante selon laquelle le ministre avait accepté que les cadeaux faits à ses enfants par la pasteure Tracey sur les fonds de l'Église puissent être inscrits [traduction] « comme des prêts assortis de conditions raisonnables de remboursement » . La lettre de la Direction des organismes de bienfaisance datée du 15 mars 2002 n'allait clairement pas dans ce sens. Cette lettre affirmait simplement le fait indéniable que [traduction] « les fonds déboursés pour le compte des enfants de la pasteure n'étaient pas inscrits comme des prêts » et qu'il n'y avait [traduction] « aucun élément de preuve que ces sommes devraient être remboursées » . Ces cadeaux constituaient un grave sujet de préoccupation pour la Direction des organismes de bienfaisance, point qui a été exprimé à maintes reprises à l'appelante dans la correspondance et les entretiens téléphoniques.


[15]            Rien dans le message de la Direction des organismes de bienfaisance du 31 mars 2003 n'a modifié de manière importante l'inquiétude du ministre à ce sujet. Ce message ne constituait pas une acceptation du concept du « prêt » qui avait été suggéré dans la lettre des avocats du 24 mars 2003. S'il est clair que la Direction des organismes de bienfaisance prenait la proposition en considération, il est aussi clair que le ministre ne l'avait pas acceptée comme une réponse à sa préoccupation touchant le caractère illicite des cadeaux aux yeux de la Loi. La déclaration figurant dans le message du 31 mars 2003, [traduction] « Si nous devions accepter le prêt » (non souligné dans l'original), appuie manifestement cette conclusion. La lettre des avocats du 17 avril 2003 semble avoir supposé, de manière injustifiée, que la conversion des cadeaux en prêts exigibles était acceptable, surtout si les prêts étaient garantis par la pasteure et par des hypothèques. Le dossier suggère une certaine réticence à accepter pareille solution, peut-être due en partie au fait que la pasteure s'était acheté récemment une nouvelle maison et n'était donc pas considérée comme une caution fiable, du fait qu'elle avait elle-même admis qu'elle ne pourrait peut-être pas rembourser les prêts. En supposant même leur hypothèse justifiée, les avocats n'ont rien fait avant le 28 mai 2003 pour exécuter le plan d'action proposé dans la lettre du 17 avril 2003 malgré le fait qu'ils avaient reconnu que [traduction] « la balle est dans mon camp et je vais m'en occuper le plus tôt possible » .


[16]            Dès le départ, dans la lettre du 15 mars 2002, la préoccupation touchant les cadeaux aux enfants a été évoquée comme fondement possible d'une révocation de l'enregistrement. L'appelante n'a fait aucun effort pour répondre à cette préoccupation et à d'autres pendant plus de 10 mois. De plus, la réponse du 24 mars 2003 a nettement été provoquée par les appels téléphoniques de la Direction des organismes de bienfaisance et ne vient pas de l'appelante, qui avait [traduction] « complètement oublié » la lettre du 15 mars 2002. On ne peut conclure non plus que le ministre n'a pas pris en considération la solution suggérée par l'appelante. La lettre du 28 mai 2003 adressée à l'appelante déclarait explicitement que les observations antérieures avaient été [traduction] « soigneusement examinées » et ajoutait : [traduction] « La lettre de votre représentant du 17 avril 2003 (plus d'un an après notre lettre) ne répondait pas à nos préoccupations de manière satisfaisante : vos actes n'ont pas établi une volonté de corriger les problèmes observés au cours de la vérification » . La lettre déclarait également que l'appelante n'avait pas pris de [traduction] « mesures concrètes dans un délai raisonnable » pour répondre aux préoccupations de la Direction des organismes de bienfaisance. Dans les circonstances, le ministre était justifié de conclure que l'appelante avait « cessé » de satisfaire aux conditions d'enregistrement prévues dans la Loi. Par conséquent, il n'y a pas eu de manquement à l'équité procédurale dans le processus de la décision.

[17]            Il faut aussi noter que les préoccupations réitérées dans la lettre du 28 mai 2003 ne se limitaient pas aux cadeaux des 150 000 $ aux enfants de la pasteure. Comme nous l'avons vu, les préoccupations touchant le caractère adéquat des livres et registres de l'appelante, la liste des dons de charité de 2001 et le défaut de répondre aux demandes de renseignements sur les avantages personnels conférés par l'appelante à divers membres ont été réitérées dans le message du 31 mars 2003 de la Direction des organismes de bienfaisance. Même si l'on tient compte de la taille relativement petite des activités de l'appelante et du fait qu'elle devait largement faire appel à des bénévoles pour la tenue correcte de ses livres et registres, la preuve n'établit pas que ces préoccupations du ministre ont reçu une réponse valable. Par exemple, l'appelante ne s'est pas conformée à la demande du ministre de ventiler les avantages autres que les salaires dans les deux relevés T4 délivrés en février 2002.


[18]            En outre, il a été énoncé clairement dans la lettre du 28 mai 2003 que l'appelante ne répondait pas aux conditions d'une oeuvre de bienfaisance pour [traduction] « chacun des motifs mentionnés ci-dessus » et que la décision de révoquer l'enregistrement était fondée sur [traduction] « chacun » de ces motifs. L'appelante n'a pas soutenu qu'on avait manqué à l'équité procédurale à son endroit sous ces autres aspects. Le dossier établit que, comme pour la préoccupation reliée aux cadeaux des enfants, les autres préoccupations ont été clairement soulevées dans la lettre du 15 mars 2002, que l'appelante a cherché d'une certaine manière à y répondre dans les lettres des avocats du 24 mars 2003 et du 17 avril 2003, mais que ses efforts n'étaient pas acceptables pour le ministre. Par conséquent, même si le ministre avait manqué à l'équité procédurale dans le traitement de la question des « cadeaux » , cela ne rendrait pas forcément nécessaire l'annulation de la décision du 28 mai 2003. Comme il a été indiqué, la décision du ministre était fondée également sur d'autres motifs, dont chacun révélait un manquement aux prescriptions de la Loi et du Règlement. Dans les circonstances, même si la décision du ministre de révoquer l'enregistrement sur le fondement des cadeaux illicites aux enfants était viciée, cela n'entraîne pas inéluctablement l'annulation de la décision. Il existait trois autres motifs de révocation, que l'appelante n'a pas sérieusement attaqués pour manquement à l'équité procédurale. Quand un résultat est inéluctable, un manquement particulier à l'équité procédurale peut ne pas entraîner l'annulation d'une décision : Mobil Oil Canada Ltd. c. Canada-Newfoundland Offshore Petroleum Board, [1994] 1 R.C.S. 202 à la page 228.

[19]            Pour les motifs qui précèdent, l'appel devrait être rejeté avec dépens.

                                                                                   « A.J. STONE »                           

   Juge

« Je souscris aux présents motifs.

   J. Edgar Sexton, juge »

« Je souscris aux présents motifs.

    B. Malone, juge »

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     A-300-03

Appel d'une décision du ministre du Revenu national datée du 28 mai 2003.

INTITULÉ :               LORD'S EVANGELICAL CHURCH OF DELIVERANCE AND PRAYER OF TORONTO

c.

SA MAJESTÉ LA REINE         

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          Ottawa

DATE DE L'AUDIENCE :                                        Le 3 novembre 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                     LE JUGE STONE

Y ONT SOUSCRIT :                                                  LE JUGE SEXTON

LE JUGE MALONE    

DATE DES MOTIFS :                                               Le 25 novembre 2004

COMPARUTIONS:

M. Robert Ackerman

POUR L'APPELANTE

M. Roger Leclaire

M. Ifeanyi Nwachukwu

POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Ackerman Law Office

Toronto (Ontario)

POUR L'APPELANTE

Morris Rosenberg, sous-procureur général du Canada Ottawa

POUR L'INTIMÉE


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