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Date : 20000511


Dossier : A-854-97

CORAM:      LE JUGE STONE

         LE JUGE EVANS

         LE JUGE MALONE


ENTRE :


CONTINUOUS COLOUR COAT LIMITED,

     appelante,


     et




LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

DES DOUANES ET DE L"ACCISE,


intimé.


     MOTIFS DU JUGEMENT


    

LE JUGE MALONE


[1]          Il s"agit d"un appel fondé sur le paragraphe 27(1) de la Loi sur la Cour fédérale à l"égard d"une décision dans laquelle la Section de première instance de la Cour fédérale a confirmé une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur (le " TCCE " ou " le Tribunal ") concernant le classement de marchandises importées en application du Tarif des douanes1.

[2]          L"appelante fait l"importation de feuilles de plastic diverses qui servent au revêtement de produits en acier ou en aluminium. Les feuilles de plastic sont faites par laminage d"un film de polyéthylène téréphtalate (PET) coloré sur un support en polychlorure de vinyle (PVC). Ces feuilles de polymères contiennent également des molécules d"aluminium déposées sous vide. Le PVC est de loin le composant polymère le plus important en poids (environ 85 %), suivi du PET(un peu plus de 10 %).

[3]          Sous le régime du Tarif des douanes, le classement des marchandises importées doit être fait conformément à des règles d"interprétation générales intitulées " Règles générales pour l"interprétation du Système harmonisé " (" les Règles générales ") que le Parlement a adoptées à l"article 10 :

10. Sous réserve du paragraphe (2), le classement des marchandises importées dans un numéro tarifaire est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l'interprétation du Système harmonisé et les Règles canadiennes énoncées à l'annexe.

[4]          Les produits de plastic importés sont classés sous le chapitre 39 de l"annexe I par positions, sous-positions et numéros tarifaires. Selon les Règles générales, le Tribunal doit d"abord examiner le libellé des positions ainsi que des notes de sections ou de chapitres pertinents. Si les marchandises correspondent à la description figurant dans la position, elles seront classées dans celle-ci. Lorsque les règles, les sections et les notes de chapitres ne permettent pas de classer les marchandises exclusivement sous l"une des positions proposées, il faut examiner les règles 1 à 6 à tour de rôle. Une fois que la position est déterminée en bonne et due forme, il faut appliquer à nouveau les Règles générales, compte tenu de la règle 1, avec les changements nécessaires, pour déterminer la sous-position et le numéro tarifaire.

[5]          Se fondant sur les Règles générales, le TCCE a confirmé deux décisions que le sous-ministre du Revenu national (le " sous-ministre ") avait rendues sous le régime du Tarif des douanes . Dans sa décision, le Tribunal a classé les feuilles de plastic importées par l"appelante dans la catégorie suivante : " Autres... feuilles, pellicules... en matières plastiques non alvéolaires... en polymères du chlorure de vinyle... souples " (numéro tarifaire 3920.42.00) plutôt que dans la catégorie des " Autres... feuilles, pellicules... en matières plastiques non alvéolaires... en polyéthylène téréphtalate " (numéro tarifaire 3920.62.00).

[6]          L"appelante a interjeté appel de la classification faite par le TCCE devant la Section de première instance de la Cour fédérale, soutenant que le Tribunal avait commis une erreur de droit en décidant que les deux couches distinctes de polymère constituent un produit composite qui devrait être classé comme tel, selon les Règles générales.

[7]          La Cour d"appel fédérale a conclu à différentes reprises récemment que la norme d"examen applicable aux décisions du TCCE en matière de classification tarifaire est celle du caractère raisonnable2, la Cour suprême du Canada a articulé comme suit dans l"arrêt Canada (directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc.3 :

Est déraisonnable la décision qui, dans l"ensemble, n"est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s"il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s"il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve. Un exemple du premier type de défaut serait une hypothèse qui n"avait aucune assise dans la preuve ou qui allait à l"encontre de l"essentiel de la preuve. Un exemple du deuxième type de défaut serait une contradiction dans les prémisses ou encore une inférence non valable4.

[8]          Pour décider s"il existe suffisamment de motifs étayant la conclusion du Tribunal, je dois vérifier si les décisions de classer les marchandises sous la position 39.20 plutôt que 39.21 et sous la sous-position 3920.42 plutôt que 3920.62 étaient raisonnables5.

[9]          J"estime que la décision du TCCE de classer les marchandises importées sous la position 39.20 plutôt que 39.21 était amplement justifiée par la preuve. Le Tribunal a examiné le libellé de la position ainsi que le témoignage de l"expert de l"appelante, M. Gillespie, qui avait admis que les marchandises importées étaient composées de matières plastiques dans une proportion de 99 p. 100. Le Tribunal a conclu que, même si les deux feuilles de plastic étaient laminées ensemble, elles relevaient de la position 39.20, parce qu"elles n"étaient [TRADUCTION] " pas laminées avec d"autres matières ". La décision selon laquelle les marchandises importées sont des feuilles ou des pellicules en matières plastiques relevant de la position 39.20 est raisonnable et ne devrait pas être infirmée.

[10]          La tâche du Tribunal était beaucoup plus difficile en ce qui a trait à la question de savoir si les polymères devraient être considérés comme des polymères du chlorure de vinyle relevant de la sous-position 3920.42 ou du polyéthylène téréphtalate relevant de la sous-position 3920.62. Selon les Règles générales et les notes d"interprétation s"y rapportant, la directive spéciale suivante est donnée en ce qui a trait aux matières plastiques et aux ouvrages en ces matières6 :

Note 4. Sauf dispositions contraires, au sens du présent Chapitre, les copolymères (y compris les copolycondensats, les produits de copolyaddition, les copolymères en bloc et les copolymères greffés) et les mélanges de polymères relèvent de la position couvrant les polymères du comonomère qui prédomine en poids sur tout autre comonomère simple, les comonomères dont les polymères relèvent de la même position étant à considérer comme constituant un comonomère simple.
Si aucun comonomère simple ne prédomine, les copolymères ou mélanges de polymères, suivant le cas, relèvent de la dernière par ordre de numérotation des positions qui pourraient être retenues pour leur classement.
On entend par " copolymères " tous les polymères dans lesquels la part d"aucun monomère ne représente 95 % ou davantage en poids de la teneur totale du polymère. [non souligné à l"original].

[11]          Le présent litige porte à la fois sur une question scientifique et sur une question d"interprétation législative : comment définir deux polymères qui sont laminés ensemble? Le produit total devient-il un copolymère ou un mélange de polymères? Dans l"affirmative, la note 4 s"applique et les marchandises doivent être classées en fonction du comonomère qui prédomine en poids. Cependant, dans le cas contraire, la note 4 ne s"applique pas et une autre méthode de classification doit être utilisée.

[12]          Pour en arriver à la conclusion que les marchandises en cause étaient classées à bon droit comme des copolymères de PVC, le Tribunal s"est fondé sur la note 4, qui offre une définition du mot " copolymère " plus large que la définition courante des dictionnaires. Le troisième paragraphe de la note 4 prévoit en effet ce qui suit : " On entend par " copolymères " tous les polymères dans lesquels la part d"aucun monomère ne représente 95 % ou davantage en poids de la teneur totale du polymère ". La note 4 énonce également que, lorsqu"un comonomère prédomine en poids, les marchandises en cause relèvent de la sous-position couvrant le comonomère en question. Le TCCE a conclu que les marchandises en cause étaient des copolymères qui étaient des polymères du chlorure de vinyle, parce que ni les polymères de PET ni ceux de PVC ne représentent plus de 95 p. 100 en poids du contenu polymérique total du produit et que le PVC prédomine en poids. Enfin, étant donné que les marchandises sont souples, le TCCE a jugé qu"elles relevaient bel et bien du numéro tarifaire 3920.42.00.

[13]          Le TCCE a essentiellement conclu que le laminage d"une feuille en polymères du chlorure de vinyle avec une feuille en polyéthylène téréphtalate donne lieu à un copolymère et que chaque polymère représente moins de 95 p. 100 du poids de l"ensemble. Cependant, à mon avis, il s"agit là d"une interprétation erronée de la note 4, qui renvoie au poids relatifs des monomères et non des polymères. De plus, les avocats des parties ont admis qu"aucun élément de preuve n"avait été présenté au sujet du poids relatif des monomères. Par conséquent, il n"y aurait aucune raison à mon sens de conclure que les feuilles laminées sont des copolymères.

[14]      De plus, la note 4 énonce des directives de classification concernant les " copolymères " et les " mélanges de polymères ". Elle présuppose que, une fois que les marchandises en cause ont été classées comme des " copolymères " ou comme des " mélanges de polymères ", il faut utiliser le poids du comonomère pour classer les marchandises correctement. Aucun élément de la décision du TCCE n"indique que les experts ont jugé que le produit laminé était un " copolymère " ou un " mélange de polymères ". Le Dr Taymaz, qui a témoigné pour l"intimé, a souligné que le produit total était un [TRADUCTION] " composé de polymères " ou " un produit polymérique "; pour sa part, M. Gillespie, qui a témoigné pour l"appelante, a mentionné que le produit total n"était pas un copolymère, mais un produit " laminé ". Pourtant, le TCCE a conclu que les marchandises en cause devraient être considérées comme des copolymères, qui sont assimilés à des polymères du chlorure de vinyle aux fins du classement.

[15]          Il se peut qu"un composé de polymères ou un produit polymérique constitue un copolymère au sens de la note 4; cependant, ce n"est pas ce qui ressort de la preuve au dossier et, en l"absence d"indices quant à la façon dont le TCCE en est arrivé à cette conclusion, il est difficile de dire que celle-ci est raisonnable.

[16]          Compte tenu, encore une fois, de l"arrêt Southam7 ainsi que des types de défaut à établir pour prouver qu"il y a manquement à la norme du caractère raisonnable, j"estime que l"analyse du TCCE repose sur une preuve insuffisante et sur une interprétation erronée de la note 4 et que ces défauts ne résistent pas un examen poussé.

[17]          En toute déférence, le savant juge de première instance est tombé dans le même piège lorsqu"il s"est exprimé comme suit :

En l'espèce, je ne suis pas convaincu que l'interprétation faite par le Tribunal soit déraisonnable de quelque manière que ce soit. Saisi de témoignages différents sur la définition de polymère, il a opté pour la définition large figurant dans la Loi, et non pour la définition " scientifique " plus restrictive. Cette conclusion est conforme aux règles d'interprétation établies et n'est nullement moins raisonnable que celle de l'appelante8.

[18]          J"accueillerais l"appel en partie avec dépens en faveur de l"appelante, tant en ce qui concerne le présent appel que les procédures antérieures, j"infirmerais le jugement de la Section de première instance en date du 27 octobre 1997 et je renverrais l"affaire à la Section pour nouvel examen afin qu"elle accueille l"appel interjeté à l"égard de la décision du TCCE et qu"elle renvoie la question à celui-ci en vue d"une nouvelle décision compatible avec les présents motifs.

                                        

     (B. Malone)

     J.C.A.

Je souscris aux motifs exprimés par le juge Malone.

A.J. Stone

J.C.A.

Je souscris aux motifs exprimés par le juge Malone.

John M. Evans

J.C.A.


Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.

    



Date : 20000511


Dossier : A-854-97

CORAM:      LE JUGE STONE

         LE JUGE EVANS

         LE JUGE MALONE


ENTRE :


CONTINUOUS COLOUR COAT LIMITED,

     appelante,


     et




LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

DES DOUANES ET DE L"ACCISE,


intimé.




Audience tenue à Toronto (Ontario), le mercredi 3 mai 2000.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le jeudi 11 mai 2000.


MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR          LE JUGE MALONE, J.C.A.,
AUXQUELS ONT SOUSCRIT :                  LE JUGE STONE, J.C.A.,
et      LE JUGE EVANS, J.C.A.

    

Date : 20000511


Dossier : A-854-97

FAIT À OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 11 MAI 2000

CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE EVANS

         LE JUGE MALONE

ENTRE :


CONTINUOUS COLOUR COAT LIMITED,

     appelante,

     et



LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

DES DOUANES ET DE L"ACCISE,


intimé.

     JUGEMENT

    

     L"appel est accueilli avec dépens en faveur de l"appelante, tant en ce qui concerne la présente instance que les procédures antérieures, le jugement de la Section de première instance en date du 27 octobre 1997 est infirmé et l"affaire est renvoyée à la Section pour nouvel examen afin qu"elle accueille l"appel interjeté à l"égard de la décision du TCCE et qu"elle renvoie la question à celui-ci pour nouvelle décision d"une façon compatible avec les motifs ci-joints du jugement du juge Malone.

     (A.J. Stone)

     J.C.A.

Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

    

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              A-854-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Continuous Colour Coat Limited c. Le sous-ministre du Revenu national, des Douanes et de l"Accise

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          3 mai 2000

MOTIFS DU JUGEMENT

PRONONCÉS PAR :               le juge Malone
AUXQUELS ONT SOUSCRIT :          le juge Stone

                         le juge Evans

EN DATE DU :                  11 mai 2000


ONT COMPARU :

Me Darrel Pearson

Me Jeffery D. Jenkins                  POUR L"APPELANTE

Me R. Jeff Anderson                  POUR L"INTIMÉ


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Gottlieb and Pearson

Toronto (Ontario)                  POUR L"APPELANTE

Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada          POUR L"INTIMÉ

__________________

1Tarif des douanes, L.R.C. (1985), ch. 41 (3e suppl.).

2Canada (sous-ministre du Revenu national, des Douanes et de l"accise -M.R.N.) c. Schrader Automotive Inc. (1999), 240 N.R. 381 (C.A.F.), par. 3-5; Rollins Machinery Ltd. c. Canada (1999), 247. N.R.399 (C.A.F.), par. 3.

3[1997] 1 R.C.S. 748 [ci-après Southam ].

4Southam, ibid, par. 56.

5La position (quatre chiffres), les sous-positions (six chiffres) et les numéros tarifaires (huit chiffres) en litige sont ainsi libellés à l"annexe I du Tarif des douanes :      39.20          Autres plaques, feuilles, pellicules, bandes et lames, en matières plastiques, non alvéolaires, non renforcées ni stratifiées, ni pareillement associées à d"autres matières, sans support.              - En polymères de chlorure de vinyle      3920.41.00      - - Rigides      3920.42.00      - - Souples              - En polycarbonates, en résines alkydes, en polyester allyliques ou en autres polyester      3920.62.00      - -En polyéthylène téréphthalate      39.21          Autres plaques, feuilles, pellicules, bandes et lames, en matières plastiques.      3921.90          - Autres      3921.90.90      - - - Autres

6Annexe I, chapitre 39.

7Southam, supra note 3 et le texte s"y rapportant.

8 Dossier d"appel, page 11.

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