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Date : 20040506

Dossier : A-673-02

Référence : 2004 CAF 184

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                                          STEPHANIE THOMAS

                                                                                                                                  demanderesse

                                                                             et

                                         LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                               Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 27 avril 2004.

                                        Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 6 mai 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                               LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE STONE

                                                                                                                LE JUGE LÉTOURNEAU


Date : 20040506

Dossier : A-673-02

Référence : 2004 CAF 184

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                                          STEPHANIE THOMAS

                                                                                                                                  demanderesse

                                                                             et

                                         LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

[1]                Lorsque Stephanie Thomas a présenté sa demande de prestations d'emploi en mai 2001, la Commission de l'assurance-emploi du Canada a rejeté sa demande au motif qu'elle était exclue du bénéfice des prestations parce qu'elle avait quitté volontairement son emploi à la Banque Scotia à Halifax (Nouvelle-Écosse) sans justification.


[2]                Mme Thomas a remis son avis de démission en mars 2001; d'après le registre de paye, sa dernière journée de travail était le 13 avril 2001. Elle a décidé de quitter son emploi pour aller rejoindre son fiancé, qui avait déménagé au Texas en 1993 afin de poursuivre sa carrière de boxeur. Ayant entretenu une relation à distance pendant sept ans, ils avaient, en février 2000, décidé de se marier, le mariage devant être célébré en Nouvelle-Écosse en juin 2001.

[3]                Toutefois, dans la première semaine d'avril, après que Mme Thomas eut remis son avis de démission et qu'un remplaçant eut été engagé et formé, mais avant que Mme Thomas n'ait quitté son emploi, Mme Thomas et son fiancé ont décidé de reporter leur mariage de façon à ce que le fiancé de Mme Thomas puisse plutôt se consacrer à la préparation d'un important combat qui avait été prévu à la dernière minute pour juillet 2001.

[4]                 Mme Thomas a interjeté appel de la décision de la Commission devant le conseil arbitral, mais sans succès. Dans ses motifs de décision, datés du 24 juillet 2001, le conseil a dit que la question principale consistait à déterminer si Mme Thomas avait établi une relation conjugale avec son fiancé. Il a conclu qu'elle n'avait pas établi une telle relation avec lui, parce qu'ils [traduction] « ne vivaient pas ensemble dans une relation conjugale et [qu'ils] n'avaient pas établi de relation conjugale au sens de la Loi sur l'assurance-emploi et de la jurisprudence établie » .


[5]                Les dispositions législatives pertinentes sont les suivantes. L'article 30 de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, prévoit que « [l]e prestataire est exclu du bénéfice des prestations [...] s'il quitte volontairement un emploi sans justification » . L'alinéa 29c) de la Loi sur l'assurance-emploi, qui a été modifié en 2000 par la Loi sur la modernisation de certains régimes d'avantages et d'obligations, L.C. 2000, ch. 12, énonce maintenant que le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi « si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ [...] constitue la seule solution raisonnable dans son cas : [...] (ii) nécessité d'accompagner son époux ou conjoint de fait [...] » . Selon la définition qu'en donne le paragraphe 2(1) modifié, un « conjoint de fait » est une « personne qui vit avec le prestataire dans une relation conjugale depuis au moins un an » .

[6]                Mme Thomas a interjeté appel de la décision du conseil arbitral devant un juge-arbitre. Son appel a été rejeté le 27 septembre 2002 : CUB 55392. Le juge-arbitre a conclu que la demanderesse n'avait pas fourni une preuve d'union de fait ou de cohabitation antérieure pendant au moins un an, comme l'exige la « jurisprudence récente » , et qu'il n'y avait rien qui empêchait la demanderesse d'attendre avant de prendre la décision de démissionner.


[7]                Mme Thomas a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour, demandant que la décision du juge-arbitre soit annulée. Elle concède que le sous-alinéa 29c)(ii), qui vise les « conjoint[s] de fait » , ne s'applique pas à elle, parce que, bien qu'elle ait eu une relation sérieuse avec son fiancé depuis 1991 et qu'elle ait vécu avec lui de temps à autre depuis 1993, dans la mesure où leur travail le permettait compte tenu de la distance qui les séparait, elle n'avait pas cohabité avec lui pendant un an, comme l'exigeait la loi. Elle invoque néanmoins deux arguments à l'appui de sa demande.

[8]                Premièrement, Mme Thomas affirme que, tout comme le conseil arbitral, le juge-arbitre a commis une erreur de droit en se demandant uniquement si le sous-alinéa 29c)(ii) s'appliquait à elle. Il n'a pas tenu compte de « toutes les circonstances » de son cas lorsqu'il a tranché la question de savoir si elle n'avait d'autre « solution raisonnable » que de quitter son emploi pour aller rejoindre son fiancé. Deuxièmement, elle ajoute que si, contrairement à son premier argument, il est conclu que le juge-arbitre a tenu compte de « toutes les circonstances » de son cas, la décision qu'il a rendue devrait quand même être annulée, parce qu'elle comporte une erreur de droit ou repose sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve soumise.

[9]                Je ne puis accepter aucun de ces arguments. À mon avis, le juge-arbitre n'a pas fondé sa décision sur la question de savoir si Mme Thomas allait rejoindre son époux ou conjoint de fait au sens du sous-alinéa 29c)(ii). Ma conclusion repose sur trois motifs.

[10]            Premièrement, le juge-arbitre a clairement compris le fondement de l'appel de Mme Thomas :

Dans sa lettre d'appel, elle argue que le conseil n'a pas examiné la question de savoir si, compte tenu de toutes les circonstances, elle n'avait d'autre solution raisonnable que de quitter son emploi.


[11]            Deuxièmement, le juge-arbitre s'est référé à la « jurisprudence récente » qui exige une preuve d'union de fait ou de cohabitation antérieure pendant au moins douze mois, et il a noté que des prestations avaient déjà été accordées « à titre d'exception » dans certains cas où il y avait des enfants et où le déménagement était essentiel pour conserver l'unité de la famille.

Il a parlé plus particulièrement de l'affaire Bate (2002), CUB 52387A, une affaire où le juge-arbitre avait tenu compte de « toutes les circonstances » , même si la demanderesse dans cette affaire ne vivait pas dans une relation conjugale avec son conjoint de fait lorsqu'elle avait quitté son emploi pour aller vivre avec lui.

[12]            Troisièmement, le juge-arbitre a conclu ses motifs en affirmant qu'en l'absence de relation conjugale, il n'y avait rien qui empêchait Mme Thomas d'attendre avant de décider de quitter son emploi.


[13]            Je vais maintenant me pencher sur l'argument de Mme Thomas selon lequel le juge-arbitre a conclu à tort que, « compte tenu de toutes les circonstances » , elle avait quitté volontairement son emploi sans justification étant donné que d'autres solutions raisonnables s'offraient à elle. À mon avis, la question en cause en l'espèce ne soulève aucune question d'interprétation de portée générale, mais concerne plutôt l'application des faits aux termes « justification » et « seule solution raisonnable » contenus dans la loi. Il s'agit là d'une question de fait et de droit à l'égard de laquelle la Cour ne peut intervenir, à moins que le juge-arbitre n'ait statué sur celle-ci de manière déraisonnable : voir Budhai c. Canada (Procureur général), [2003] 2 C.F. 57, 2002 CAF 298; Canada (Procureur général) c. Sacrey, 2003 CAF 377.

[14]            À mon avis, la décision du juge-arbitre n'était pas déraisonnable sur le vu des documents dont il était saisi. La question de savoir si Mme Thomas avait quitté volontairement son emploi « sans justification » devait être considérée à partir du moment où son poste avait été doté et qu'elle ne pouvait plus retirer son avis de démission. Je suis prêt à supposer qu'à ce moment, le projet de mariage en juin tenait toujours. Je peux comprendre qu'il a été difficile pour Mme Thomas de faire les préparatifs nécessaires à distance, même si le mariage devait avoir lieu en Nouvelle-Écosse. Je peux également comprendre ses difficultés à trouver un emploi au Texas alors qu'elle était toujours au Canada.

[15]            Néanmoins, lorsque son mariage a été reporté, elle n'a pas demandé à son employeur s'il avait un autre poste à lui offrir. Compte tenu de sa brillante carrière à la banque et de la haute estime dans laquelle on la tenait manifestement, il s'agissait là d'une solution raisonnable qui s'offrait à elle parce qu'elle aurait pu fort bien lui permettre de continuer à travailler jusqu'à ce qu'elle se marie ou obtienne un emploi au Texas. Quoi qu'il en soit, même si son projet de mariage tenait toujours lorsqu'elle a de fait quitté son emploi, il était raisonnablement loisible au juge-arbitre de conclure sur le vu des faits de l'espèce que le fait de quitter volontairement son emploi avant de se marier n'était pas la seule solution raisonnable dans le cas de la demanderesse.


[16]            Pour ces motifs, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire. J'ajouterais uniquement que Mme Thomas s'est représentée elle-même devant nous et qu'elle l'a fait de façon très compétente : ses documents écrits étaient bien documentés et organisés, et ses observations verbales ont été fort utiles. Dans ces circonstances, je n'accorderais pas à la Couronne ses dépens.

« John M. Evans »

Juge

« Je souscris aux présents motifs

      A.J. Stone, juge »

« Je souscris aux présents motifs

      Gilles Létourneau, juge »

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 A-673-02

INTITULÉ :                                                                STEPHANIE THOMAS

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 27 AVRIL 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                     LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                      LES JUGES STONE ET LÉTOURNEAU

DATE DES MOTIFS :                                               LE 6 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Stephanie Thomas                                                         LA DEMANDERESSE POUR SON PROPRE COMPTE

Sandra Doucette                                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stephanie Thomas                                                         LA DEMANDERESSE POUR SON

East Preston (Nouvelle-Écosse)                                     PROPRE COMPTE    

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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